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LA THÉORIE
DE LA
PERSONNALITÉ MORALE
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SON APPLICATION AU DROIT FRANÇAIS
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LA THÉORIE
DE LÀ
PERSONNALITÉ MORALE
ET
SON APPLICATION AU DROIT FRANÇAIS
PAR
LÉON MICHOUD
PROFESSEUR A LA FACULTÉ DE DROIT DE l'uNIVERSITÉ DE GRENOBLE
PREMIÈRE PARTIE
NOTION DE PERSONNALITÉ MORALE
CLASSIFICATION ET CRÉATION DES PERSONNES MORALES
PARIS
LIBRAIRIE GÉNÉRALE DE DROIT & DE JURISPRUDENCE
Ancienne Librairie Chevalier- M arescq et C* et ancienne Librairie F. Pichon réunies
^ F. PICHON ET DURAND-AUZIAS, administrateurs
Librairie du Conseil d'État et de la Société de Législation comparée
20, RUE SOUFFLOT, (5® ARR*)
1906
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Google
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AVERTISSEMENT
On retrouvera, dans les trois premiers chapitres de
ce livre, certains développements déjà publiés, soit dans
la Revue du droit public et de la science 'politique (La
Notion de personnalité morale, 1899), soit dans les
Annales de VUniversité de Grenoble (La création des per-
sonnes morales, 1900. La classification des personnes
morales, i903). Mais aucun de ces trois chapitres n'est
la reproduction pure et simple des articles déjà parus ;
tous ont été, non seulement revus, mais entièrement
refondus. Nous avons dû en effet, dans l'ouvrage dont
nous publions aujourd'hui la première partie, tenir
compte de tout le mouvement d'idées qui s'est produit
depuis 1899, en France surtout, autour de la question de
personnalité morale. Cela nous a amené d'abord à ana-
lyser ce mouvement, et à discuter les théories émises
depuis cette date. Cela nous a amené aussi à préciser,
et, sur certains points, à rectifier nos propres idées. Si,
dans ses grandes lignes, la théorie que nous exposions
en 1899 est restée la même, nous avons cru devoir insis-
ter davantage sur son caractère purement technique et
mieux définir sa portée et ses limites. Nous avons en
outre consacré des développements spéciaux à la notion
fondamentale de représentation de la personne morale
par ses organes. Enfin sur beaucoup de points de
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il ▲VàRTISSEBiBlft
détail, nous avons complété ou modifié nos explications
anciennes.
Nous n'avons pas d'ailleurs eu la prétention de faire
un exposé complet des règles applicables aux diverses
personnes morales. Notre seul désir a été de suivre, dans
le détail de la pratique française actuelle Tapplication
des diverses idées se rattachant à la théorie de la per-
sonnalité. Peut-être cette tentative ne sera^-eUe pas
inutile en présence de la crise que traverse aujourd'hui,
dans la doctrine, la notion de personnalité morale.
Qu*on veuille bien, à raison des difficultés qu'elle pré-
sentait, excuser tout ce qui manque à notre travail !
Le Chevallon, le 21 août 1905,
L. MiCHOUD.
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CHAPITRE I
LA NOTION DE PERSONNALITÉ MORALE
Somhaihe : 1. Définition de la personne morale. — 2. Distinction de la
personne morale au sens philosophique et de la personne morale au
sens juridique. Celle-ci n'est autre chose qu'un sujet de droit. —
3. Caractère technique de cette étude. — 4. Relativité des éléments
techniques du droit. — 5. Leur importance. — 5 bis. Point de départ
de la recherche : est-il exact que l'homme seul soit un sujet de droit ?
I. — 6. Exposé sommaire du système de la fiction. — 7. Ses con-
séquences. — 8. Première objection à lui opposer : il ne résout pas
le problème de la personnalité morale. — 9. Seconde objection : on
ne peut l'appliquer au droit public. — 10. Nécessité d'étendre au
droit public la notion de personnalité. — H- Personnalité de l'Etat
nécessaire pour en maintenir l'unité. — 12. L'Etat ne peut pas être
une personne morale fictive.' — 13. Troisième objection au système
de la fiction : il méconnaît le rôle que joue le législateur dans les
rapports sociaux, et ne donne pas aux associations licites le régime
qui leur convient. — 14. Impuissance du législateur à empêcher
l'existence de fait des personnes morales. — 15. Rôle réel de l'Etat en
cette matière. — 15 bis. Quasrième objection au système de la
fiction ; il fait trop abstraction des personnes physiques qui compo-
sent l'être moral.
II. — 16. Systèmes qui, tout en repoussant l'idée de fiction, con-
servent le principe que l'homme seul est une personne. — 17. I.
Théorie des droits sans sujet, Brinz. — 18. Bekker. — 19. Objec-
tions. La notion de droit sans sujet iMplique contradiction. Elle est
dangereuse. — 20. II. Théorie de M. Duguit. — 21. Elle prétend
écarter toute fiction et toute abstraction ; impossibilité de cette tenta-
tive. — 22. Insuffisance de la technique proposée par M. Duguit. —
23. Nécessité de l'idée d'imperium, considéré comme droit de l'Etat.
— 24. III. Théorie de M. Van den Heuvel. — 25. Théorie de M. de
Vareilles-Sommières. — 26. Théories de M. Planiol et de M. Berthé-
lemy. — 27. Théorie d'Ihering. -^ 28. Objections. Ces diverses théo-
ries ne peuvent expliquer l'existence des personnes morales de droit
public. — 29. Elles oublient l'intérêt collectif du groupe qui est dis-
MICHOUD 1
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i CUAi>lTRE PREMIER
tinct de l'intérêt individuel des membres. — 30. Elles n'analysent pas
exactement la situation juridique du groupe.
m. — 31. Théories qui admettent la réalité de la personne morale.
Position de la question. — 32. Les théories qui voient dans le droit
subjectif un pouvoir attribué à une volonté ne peuverit démontrer la
réalité de la personne morale qu'en démontrant que l'être collectif est
doué de volonté. — 33. Essai de démonstration par la théorie orga-
nique des sociétés. — 34. Réfutation. Il n'y a pas identité entre les
collectivités organisées et les organismes biologiques. — 35. L'idée
d'organisme n'entraîne pas l'idée de volonté. — 36: Théorie de la
volonté de Zitelmann. — 37. Réfutation. — 38. Théorie de Rous-
seau. Son insuffisance. — 39. Théorie de M. Haurioù. La réalité du
phénomène de la représentation. — 40. Part de vérité contenue dans
la théorie ; "son insuffisance.'— 41. Théorie de M. Boistel. Le faisceau
de volontés des associés. — 4Z. Elle n'aboutit pas à démontrer la
personnalité du groupe. — 43. Système de Jellinek. La volonté existe
dans la personne morale au point de vue de la raison pratique du
juriste, non au point de vue philosophique. — 44. Elle se rapproche
de la vérité en renonçant k rechercher dans l'être collectif une volonté
réelle, mais elle ne démontre pas sa personnalité.
IV. — 45. Point de départ à adopter. Le fondement du droit n'est
pas dans la volonté. — 46. Déqionstration par la situation du fou
et de Vin fans. — 47. Démonstration tirée de la nature même de la
volonté ; ce que le droit protège c'est l'intérêt que la volonté repré-
sente. — 48. La volonté élément secondaire du droit subjectif: Diffé-
rence entre le droit subjectif et l'effet réflexe du droit d'autrui. Défi-
nition du droit subjectif. — 48 bis. Objections de M. de Vareilles-
Sommières : la personnalité de Yinfans ; les animaux et les êtres
inanimés. — 49. Objection de l'école libérale. La définition du
droit basé sur l'intérêt cempromettrait l'existence des droits de la
personne humaine. — 50. Réponse. La doctrine, qui est d'ordre
technique, est compatible avec toute théorie de droit naturel. —
51. L'Etat doit proléger d'abord les intérêts de l'individu humain,
et par conséquent reconnaître la personnalité de l'homme. — 52. Il
doit aussi protéger les intérêts collectifs et permanents des groupe-
ments humains, et pour cela reconnaître leur personnalité. —
53. Conditions nécessaires pour cela. Première condition : un intérêt
collectif distinct des intérêts individuels. Groupements divers qui
remplissent cette condition. — 54. Deuxième condition : organisa-
tion suffisante pour dégager une volonté collective. Formes diverses
sous lesquelles se présente cette volonté. — 55. Caractère artificiel
de la volonté ainsi organisée. — 56. Rôle de l'Etat vis-à-vis des
groupements organisés. L'acte qu'il fait en reconnaissant leur person-
nalité est de même nature que celui qu'il accomplit en reconnaissant
la personnalité de l'homme. — 57. Il a le droit de réglementer la
formation du groupement. — 58. Il peut y avoir dans^ certains cas
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La notion de i>ËRs6NNALiT£ Morale 3
utilité à. refuser de reconnaître la personnalité du groupement régu-
lièrement organisé. En outre l'Etat est compétent pour fixer les limi*
tes du concept de personnalité.
V. ^^ 59. Situation des personnes chargées de représenter la per-
sonne morale. Théorie de la représentation de droit privé (mandat ou
représentation légale). — 60. Théorie de l'organe. Il est une partie
intégrante de la personne morale, et par lui c'est en réalité elle qui
agit. — 61. Conséquences. Il a des pouvoirs supérieurs à celui du
représentant ordinaire ; il n'a, en tant qu*organe, aucune personnalité
vis-à-vis de l'être moral. — 62. Objections k cette théorie et réponses.
— 63. Observations qui limitent la théorie de l'organe. Le mot organe
ne peut être employé qu'à titre de compai,raison. La personne morale
n'est pas tout entière dans ses organes. — 64. En quoi la représen-
tation par l'organe est plus étendue que la représentation ordinaire.
— 64 bis. Droits' de la personne chargée du rôle d'organe vis-à-vis
de la personne morale.
VI. — 65. Limite du concept de personnalité. Séparation absolue,
en droit romain, entre Vuniversitas et la societas. Application de cette
idée aux sociétés civiles et commerciales. — 66. Explication des
particularités offertes par ces sociétés au moyen d'idées autres que la
notion de personnalité morale. — 67. Origine de la société avec pro-
priété en main commune. — 68. Possibilité d'un groupe intermé-
diaire entre Vuniversitas et la societas, — 69. Théorie de la société
avec propriété en main commune ; en quoi ce régime ressemble à
celui de la personnalité morale. — 70. En quoi il en diffère. — 71. Il
faut classer parmi les personnes morales tout groupement daris
lequel Tintérôt collectif ne se confond pas avec l'intérêt individuel des
membres. — 72. Il en est ainsi dans tout groupement à but idéal.
— 73. Il en est de même dans les sociétés de gain à personnel
variaWe. — 74. Autre critérium tiré du fait que les membres sont
personnellement tenus des dettes du groupe. Son insuffisance.
!• Lq mot personne, dans la langue juridique, désigne
un sujet de droit, c'est-à-dire un être capable d'avoir
des droits lui appartenant en propre et des obligations
lui incombant.
Les mots personne juridique ou personne morale (i)
(1) Aucun des mots employés pour désigner les personnes mora-
les n'a réussi à se faire accepter d'une manière définitive. En
France, on emploie souvent le terme de pei^sonne civile qui se
trouve dans plusieurs textes (loi du 5 avril 1884, art. 111 ; loi du
28 avril 1893, art. 71 ; loi du 14 avril 1893, art. 8 ; loi du 21 avril
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4 CHAPITRE l>ttEMiEn
désignent un sujet de d7*oit qui nest pas en même temps
un être humain, une pe^^sonne physigiue. Ceiie définition,
purement négative, n'apprend rien sur la nature .de la
personne morale et sur Tétendue des di'oils qui peuvent
lui appartenir ; mais elle est la seule que Ton puisse
prendre comme point de départ, parce qti'elle est la seule
sur laquelle tout le monde puisse s'entendre. Elle
exprime un simple fait, le fait que dans nos sociétés
4898, art. 2 ; loi du 43 avril 4900, art. 32 et 34 ; loi du 49 décem-
bre 4900, art. 4 : loi 'du 25 février 4901, art. 57 ; loi du 44 juillet
4904 (dans Tintitulé) ; loi du 30 mars 4902, art. 72 ; loi du 31 mars
4903, art. 74 ; décret du 40 novembre 4903, art. 4 ; loi du 48 fé-
vrier 4904 ; décret du 2 janvier 4905, art. 8). Nous nous refusons à
l'employer, parce qu'il implique l'idée que la personnalité est une
notion de pur droit privé, alors que, suivant nous, elle est une
notion commune au droit privé et au droit public. Au reste, nos
lois préfèrent d'ordinaire décrire la personnalité morale sans la
nommer (V. les explications données à la Chambre des députés,
par M. Marc Sauzet. dans la séance du 24 mai 1897, à propos des
sociétés de secours mutuels) ; ou bien elles procèdent en déclarant
que l'établissement dont il s'agit est un établissement public ou
d'utilité publique, ce qui implique quelque chose de plus que la sim-
ple personnalité morale. Il n'j a donc pas à tenir compte du lan-
gage de la loi. — Parmi les auteurs, on trouve aussi parfois l'ex-
pression de personne fictive, que nous ne pouvons employer parce
qu'elle suppose une théorie de la personnalité qui n'est pas la nôtre.
— Restent les deux expressions que nous indiquons au'text«. Le
mot personne juridique, aujourd'hui le pTus employé à l'étranger
(par ex. dans le Code civil allemand, art. 24 et s.), peut être admis
sans inconvénient grave ; mais on doit faire remarquer qu'il est
en réalité trop large : car la personnalité juridique ap'partient à
l'homme, aussi bien qu'aux groupes pour qui on réserve. plus parti-
culièrement ce terme. 11 faudrait dire : personne purement juri-
dique ^ ce qui n'est guère pratique. — En somme, nous croyons
préférable le terme de personne morale qui, il est vrai, est vague
et n'atteint pas l'essence du sujet, mais qui du moins ne peut
donner lieu à aucune confusion fâcheuse. Il a été employé par
quelques législations, notamment l'Allgemeines Landrecht et Je
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LA NOTION DE PERSONNALITE MORALE S
humaines des droits dislincts sont attribués, non pas
seulement à des êtres physiques, mais à certains groupe-
ments, à certaines associations^ et parfois même à quel-
que chose de pluë abstrait encore, à un but idéal indé-
pendant^ au moins en apparence, de tout groupement.
Ce fait, qui se produit sous nos yeux, et dont nous pou-
vons constater Texistence dans les sociétés qui ont pré-
cédé la nôtre, a paru si extraordinaire à certains esprits
qu'ils y ont vu une institution tout à fait étrange et
anormale, une sorte de création ex nihilo dépassant
presque les pouvoirs du législateur : « le mot créçr, dit
Laurent (1)^ est un mot très ambitieux qui ne convient
Gode autrichien ; c'est aussi celui qu'emploie Tavant-projet du
code civil suisse, art. 61 et suiv. Les lois italiennes emploient fré-
quemment 1 expression de corpi ou enti morali (V. les nombreux
textes cités par le* commentateurs italiens de Windscheid, Fadda et
Bensa, Diritto délie Pandeite, Torino 4895, p. 775). M. Hauriou
[Leçons sur le mouvement social, p. 146), distingue la personna-
lité morale de la personnalité juridique ; Ton pourrait en effet
réserver le niot de personnalité morale pour désigner la personna-
lité philosophique, et employer celui de personne juridique pour
désigner simplement un sujet de droit ; Ton pourrait aussi comme
le font d'autres auteurs (p. ex. Gastelein. Droit naturel, p. 510),
appeler personne morale tout groupe apte à être personnalisé,
et réserver le nom de personne juridique aux groupes dont la
personnalité serait reconnue par le droit positif. Mais le seul fait
que la distinction peut être entendue en d€ux sens difiTérents,
montre qu'elle est susceptible de donner lieu à certaines méprises.
Noujs préférons conserver aux deux termes leur synonymie consa-
crée par l'usage des juristes. La plupart des auteurs français em-
ploient, ou le moi personnes civiles, ovile moi personnes moî^ales,
M. Planiol, Droit civil, 1'* éd. t. I, nos 670 et s.), 3* éd. n»' 3005
'et s.) emploie le moi personnes fictives ; M. Capitant (Introd. à
V Etude du droit civil, 2» éd. pp. 149 et s.), celui de personnes
juridiques.
. (1) PHncipes de droit civil, t. I, n^ 288. — Gpr. Van den Heu-
vel. De la situation légale des associations sans but lucratif,.
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CHAPITRE PREMIER
nullement à la faiblesse humaine : Thomme ne comprend
pas même la création. Ici cependant le mot est à sa place
en un certain sens. A la voix du législateur un être sort
du néant, et figure sur un certain pied d'égalité, à côté
des êtres réels créés par Dieu ». Pour nous, si quelque
chose nous étonne, c'est Tétonnenient même exprimé
par ces lignes. L'idée de droits appartenant à des grou-
pements humains nous paraît, non pas aussi facile à
expliquer et à justifier, ^ mais aussi fondamentale que
ridée de droits appartenant à des êtres isolés. Histori-
quement elle est au moins aussi ancienne, et il est bien
certain que dans les sociétés primitives les droits du
groupe ont eu plus d'importance que ceux des individus.
Pratiquement aucune société ne peut se comprendre
sans certains droits attribués à des collectivités. On peut
différer d'opinion sur l'explication juridique du phéno-
mène. Mais il a un tel caractère de constance et d'uni-
versalité qu'il est impossible d'y voir quelque chose
d'étrange et d'exceptionnel.
2. L'étonnement de Laurent a sa source dans une
équivoque. Dans le langage courant, le mot personne
désigne exclusivement l'être humain. Dans le langage
philosophique, le sens en peut varier suivant les écoles,
et, pour quelques-unes d'entr'elles, c'est un mot qui n'a
même plus aucun sens. Mais pour toutes les écoles spi-
ritualisles, la définition qu'on en peut donner ne s'appli-
p. 35. — M. Vauher (Etudes sur les personnes morales^ 1887,
Préface, p. VII) exprime une idée analogue : « La fiction par
laquelle on attribue la capacité juridique à quelque chose qui n'est
^pas un être humain parait étrange au premier abord. . . ». Mais il
montre fort bien plus loin (p. 384) que cette étrangeté n'existe
qu'en apparence.
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LA NOTION DE PERSONNALITE MORALE * 7
que, au moins sur la terre, qu*à rhomme (1). C'est en
attribuant inconsciemment le sens philosophique au mot
personne que Ton arrive à voir un fait anormal dans la
personnalité morale. — Ojruous ne prétendons pas que
le droit puisse créer une personne en ce sens. Pour la
science du droit, la notion de personne est et doit rester
une notion purement juridique. Le mot signifie simple-
ment un sujet de droit, un être capable d'avoir des droits
subjectifs lui appartenant en propre, — rien de plus,
rien de moins. — Pour savoir si certains êtres répondent à
cettedéfinition, il ne faut donc pas examiner si ces êtres
constituent des personnes au sens philosophique du
mot. Il faut se demander seulement s'ils sont de telle
nature que des droits subjectifs doivent i.eur être attri-
bués. Indirectement sans doute, la notion de personna-
lité philosophique pourra influer sur celle de personnalité
juridique. Nous montrerons plus loin que le législateur
peut y trouver un motif pour donner à tout être humain
la qualité de sujet de droit. Mais rien ne prouve a priori
que les deux notions coïncident, et que cette qualité de
sujet de droit ne puisse être appliquée à d'autr*es qu'à
des hommes. Pour le savoir,. une seule méthode est
admissible : il faut se demander ce que Ton entend par
droit (au sens subjectif du mot), et quels sont les êlres
(1) Il en est ainsi notamment de la définition de saint Thomas :
Rationalis naturœ individua substantia. Vidée de nature,
raisonnable impliquée par elle en rend impossible Texteiision ici-
bas à tout autre être qu'ji l'homme. — La notion de personnalité
philosophique s'affaiblit daus les écoles qui ne voient dans le moi
qu^une synthèse, qu'une coordination de phénomènes. Elle dispa-
raît complètement pour celles qui n'admettent pas Tidée d'indivi-
dualité (V. p. ex. Le Dantec, V individualité et Verreur indivi-
dualiste).
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8 CHAPITRE PREMIER
qui, d'après la définition à laquelle on arrivera dans
celle recherche, sont capables d^être considérés comme
titulaires d'un droit.
3. De sa nature, cette étude«est d'ordre purement tech-
nique. Il s'agit de rechercher quelle est l'étendue d'un
concept juridique abstrait, afin de déterminer à quels
phénomènes (de la vie juridique on doit l'appliquer. C'est
une étude du même ordre que celle qui consisterait, par
exemple, à déterminer l'étendue de la notion de droit
réel par opposition à celle de droit de créance. De la
manière d'entendre la notion découleront naturellement
des conséquences plus ou moins étendues qui permet-
tront d'enfermer un ensemble de phénomènes connexes
dans ce qu'on appelle une construction juridique. Si
nous concevons la notion de sujet de droit comme assez
étendue pour comprendre certains . groupes humains
(Etats, communes, associations, fondations), il en résuK
tera toute une série de conséquences quant aux procé-
dés techniques à employer pour faire vivre ces groupes
et réglementer leur activité juridique : il en résultera,
par exemple, que les biens consacrés aux intérêts collec-
tifs de ces groupes seront considérés techniquement
comme là propriété du groupe lui-même et non comme
la copropriété des membres, que le groupe devra être'
admis à ester en justice, à contracter, à acquérir, en son
propre nom, par l'intermédiaire d'un représentant, etc.
On a pu, ajuste titre, dans ces dernières années, signa-
ler l'abus que les jurisconsultes aont portés à faire de
ces constructions juridiques. M. Gény, dans son beau
livre sur la Méthode d interprétation du droite a montré
avec une netteté parfaite en quoi consiste cet abus, et
qupl danger il offre : il consiste « à envisager comme
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LÀ NOTION DE PERSONNALITE MORALE 9
douées d'une réalité objective permanente des concep-
tions idéales provisoires et purement subjectives de leur
nature » ; et le danger c^est d'aboutir « à faire tenir
a priori tout le système du droit positif en un nombre
limité de catégories logiques, qui seraient prédéter-
minées par essences, immuables dans leur fonds, régies
par des dogmes inflexibles, insusceptibles par consé-
quent de s'assouplir aux exigences changeantes et variées
de la vie » (1). M. Gény n'a pas de peine à montrer que
les déductions logiques provenant de ces conceptions
idéales n'ont pas de valeur par elles-mêmes, et que la
technique ainsi comprise ne doit pas être une fin en soi,
mais doit rester Thumble servante des idées de justice et
d'utilité sociale qui seules au fond ont le droit de déter-
miner les solutions juridiques. Pourtant, et il le déclare
lui-même (2), ce n'est pas une raispïi pour exclure abso-
lument les constructions de cette nature : outre leur
utilité didactique qui est incontestable, elles peuvent
servir à trouver des solutions nouvelles « en fécondant
les raisons, toutes concrètes, des institutions au moyen de
conceptions qui,jouantàleur égard le rôle à' idées- forces,
permettent d'en tirer des effets inaperçus ou d'y ratta-
cher de plus équitables conséxjuences ». Ces construc-
^ tions doivent donc être admises par le juriste comme
moyens pour arriver à une plus complète réalisation du
droit; mais il ne doit les accepter qu'à litre de simples
hypothèses, utiles seulement dans la mesure où elles
facilitent la véritable tâche du droit, qui est d'introduire
l'idée de justice dans les relations sociales.
(1) Gény, Méthode d* interprétation et sources en droit privé
positif, n^ 61.
(2) Op. aï., n^. 68.
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10 CHAPITRE PREMIER
4. Ces explications, qui nous paraissent très justes,
peuvent cependant, croyons-nous, être précisées utile-
ment sur certains points. Les notions premières sur
lesquelles opère la science du droit — telles par exemple
que les notions de droit subjectif, de sujet actif ou passif
du droit, d'objet du droit — ne sont autre chose que la
décomposition du phénomène juridique par le procédé de
l'analyse^ et s'il est exact qu'elles n'ont pas en elles-mêmes
de réalité objective, on doit cependant admettre qu'elles
nous sont pratiquement indispensables. Aucune technique
du droit ne peut, croybns-nous, se passer d'elles, parce
que sans elles il nous serait impossible de percevoir
dans notre esprit les phénomènes juridiques. Ces notions
étant une fois définies, les conséquences que le juriste est
amené à en tirer n'ont rien d'arbitraire; elles sont impé-
rieusement commandées par la logique: si par exemple
nous concevons un droit subjectif comme un pouvoir
de vouloir j comme une puissance attribuée à une vo-
lonté, il nous sera impossible d'admettre Texistence
réelle, actuelle, d'un droit sans sujet, et impossible de
concevoir ce sujet autrement que comme un être doué de
volonté. Ce ne seront là que les conséquences de la défi-
nition même que nous aurons admise. Mais ce qui est
vrai, c'est que la définition qui nous sert de point de
départ n'est qu'une conception de notre esprit, et que nous
devons la modifier si nous nous apercevons qu'elle n'em-
brasse pas tous les phénomènes que nous avons voulu
grouper sous ce concept. Or la question de savoir quels
sont les phénomènes que nous devons chercher à grou-
per de celte manière n'est plus une question de logique ;
elle ne peut être résolue que par l'observation des faits
sociaux, La définition, et ses conséquences, c'est-à-dire
Digitized by VjOOQ IC
LA NOTION DB PERSONNALITE MORALE il
la construction juridique que nous édifierons sur elle, ne
forment qu'un tout dont, un point une fois admis, le
reste suit nécessairement. Mais nous ne devons appli-
quer tout cet ensemble de déductions qu'aux phénoraë*
nés rentrant dans la définition i^doptée par nous, et nous
ne devrons adopter cette définition qu'aprè3 avoir vérifié
que la construction qui en dérive est bien la meilleure à
' appliquer à Tensemble des phénomènes qu'elle comprend.
C'est sur ce point — dans l'application de la théorie aux
faits positifs — que l'arbitraire et l'erreur peuvent se glis-
ser; nous pouvons nous tromper en affirmant que telle
ou telle théorie est la meilleure, la plus pratique, la plus
juste, pour régir un ensemble de faits et par conséquent
nous devons toujours considérer cette théorie comme une
hypothèse, prête à être remplacée s'il est démontré qu'une
autre s'y adapte mieux. Notre théorie ne sera donc pas
absolue. Si nous arrivons à conclure que la notion de
personnalité juridique est assez large pour comprendre
certains groupes humains, nous n'affirmerons pas par là
même que ces groupes ne peuvent pas vivre sous un autre
régime que celui de la personnalité. Même pour l'être
humain individuel l'application de l'idée de personnalité
n'est pas indispensable, puisque durant de longs siècles
il a existé des hommes — les esclaves — auxquels le droit
ne reconnaissaitaucune personnalité et dont certains in^
térêts ,au moins étaient cependant prot^és par voie indi-
recte. Pour les groupes cela est plus évident encore. Des
milliers de groupements ont vécu et vivent encore sous
l'empire d'une technique autre que celle qui découle de
l'idée de personnalité morale, soit sous le simple régime
de la société, soit sous la forme si développée dans les
pays anglo-saxons du trust, c'est-à-dire avec des biens
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12 CHAPITRE PREMIER
qui sont officiellement la propriété. d*un tiers (1). Toutes
ces combinaison et d'autres encore peut-être, sont possi-
bles; et dans certains états de fait, alors par exemple
que les groupements peuvent craindre une certaine hos-
tilité de TEtat^ elles peuvent même parfois être préféra-
bles au régime de la personnalité qui est pourtant, sui-
vant nous, Je régime naturel de ces grupements. D'autre
part, TEtatapu préférer à certains moments une techni-
que différente parce qu'elle servait mieux ses desseins. Il
faut donc, comme le veut M. Gén/, limiter ^application
de notre technique là où elle est réellement utile pour
servir la fin supérieure du droit. C'est par d'autres con-
sidérations que des considérations techniques que Ton
• doit décider si les groupements humains sont dignes de
la faveur ou de l'hostilité du législateur, dans quelle me-
sure on doit chercher à les développer ou au contraire à
les restreindre, quelles précautions sont nécessaires pour
qu'ils ne deviennent pas oppresseurs à l'égard de leurs
membres, etc. La forme juridique sous laquelle on con-
cevra ces groupes, personnalité morale ou autre, devra
être dct préférence celle qui servira le mieux le but
poursuivi par le législateur.
5. Mais, jces réserves faites et les questions de techni-
que étant ainsi ramenées à leur juste valeur, il serait
dangereux d'en méconnaître l'importance. Elle existe à
un double point de vue.
Tout d'abord nous croyons qu'à chaque idée juridique
(1) On peut voir tout le parti que la pratique juridique anglaise
,a tiré du trust, dans l'article très intéressant, très suggestif pour le
juriste continental, que M. Maitland a publié dans la Grûnhufs
Zeitschrift, t. XXXI (1904), pp. 1 et s., sous le titre de : Trust und
Ko7*poration»
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LA NOTION DÉ PERSONNALITE MORALE 13
correspond une technique qui s'y adapte mieux que
toute autre, qui en est le vêtement naturel, fait à sa
mesure et à sa taille. Nous chercherons à démontrer
que, pour certaines catégories de groupements sociaux,
le seul régime juridique, correspondant à la généralité
des faits, est biçn celui de la personnalité morale. Les
autres procédés ),echniques que Ton peut leur appliquer,
régime de la société, régime de l'indivision, régime du
trust, ne traduisent pas exactement les phénomènes de
la vie corporative; ils ne prennent pas les faits tels
qu'ils sont, car il ne s'agit, à proprement parler, dans
ces groupements, ni d'une société, ni d'une indivision
ordinaire, ni d'une propriété fiduciaire. Leurs membres
conçoivent le groupe comme un sujet de droit distinct.
Si le législateur le traite autrement, il déforme la réalité,
et applique par fiction à un phénomène juridique un
régime établi pour un phénomène différent. Pratique-
ment, cela peut suffire parfois ; mais cela n'est pas sans
entraîner pour le groupe des complications et des dan-
gers. La technique la meilleure est celle qui serre de
plus près la réalité.
D'autre part, les idées appartenant à la partie techni-
que du droit ne sont pas sans influer snr les solutions
juridiques elles-mêmes, en imprégnant l'esprit du juriste
d'idées qui deviennent, comme le dit très bien M. Gény,
des idées'forces, parfois très puissantes. La matière
que nous traitons nous en fournit des exemples frap-
pants et il n'est pas inutile d'y insister quelque peu.
. En théorie un régime très libéral des associations peut
s'accommoder de techniques très différentes: la doctrine
de la fiction telle que nous allons Texposer, peut très bien
restera la base d'un régime où les associations sont per-
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14 CHAPITRE PREMIBU
sonnalisées de plein droit, sans aucune intervention spé-
ciale du législateur; il. suffit pour cela de déclarer que
le législateur a admis à l'avance la fiction pour toute
association licite. ATinverse, les théories qui font résul-
ter, de plein droit, la personnalité morale de la réunion
de certaines circonstances de fait peuvent fort bien s'ac-
corder avec un régime très rigoureux d'autorisation
préalable des associations ; il leur suffit de dire que
parmi les circonstances de fait nécessaires à la créa-
tion d^une personne morale se trouve la reconnaissance
.de l'association, en tant que telle, par le pouvoir exécu-
tif ou même par le pouvoir législatif. Mais en fait le
plus souvent la pratique et la théorie juridique réagi-
ront Fune sur l'autre et il se formera une théorie s'adap-
tant mieux que loute autre aux besoins de la pratique
et secondant ses tendances. La théorie de la fiction a
été, pour les prétentions de l'Etat à la toute-puissance
en matière d'associations, un auxiliajre précieux, et elle
a régné presque sans contestation chez nous tant que
ces associations ont été soumises à un régime rigou-
reux d'autorisation préalable. A l'inverse, les théories,
aujourd'hui dominantes, d'après lesquelles l'Etat se
borne à reconnaître la personnalité juridique des grou-
pes, personnalité dont les éléments lui sont fournis du
dehors, paraissent mieux s'adapter à un régime de
plus en plus libéral, et seconderont probablement le
mouvement qui se produit dans le sens de la liberté
des groupements privés.
De même, nous estimons que Ton ne pourrait faire
disparaître l'idée de personnalité sans affaiblir le senti-
ment nécessaire de l'unité et de la permanence de
l'Etat ainsi que des autres groupes représentant des
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La NOtlON DE PERSONNALITÉ MORALE IS
intérêts collectifs, et à ce point de vue nous jugeons
dangereuses les théories qui, dans ces groupes, cher-
chent à ramener tous les droits de la collectivité aux
droits individuels de ses membres. M. Ducrocq a déjà
montré (1), et nous insisterons nous-même plus loin
sur cet exemple, que Toubli de Tidée de personnalité a
entraîné les assemblées révolutionnaires à prendre, au
sujet des biens communaux, les mesures les plus regret-
tables. Elle pourrait de même conduire les représentants
de TEtat, soit à oublier les engagements pris dans le
passé (2), soit à se préoccuper trop peu des charges à
léguer aux générations futures. La logique ne gouverne
pas le monde à elle seule ; mais on doit toujours compter
avec son influence latente.
A ces points de vue et à d'autres encore, que nous
aurons l'occasion de signaler au passage^ la technique
à appliquer est loin d'être indifférente aux résultats à
atteindre ; il importe donc au plus haut point de ne pas
abandonner Tétude de ces théories abstraites, tout en
restant conscient de leur juste valeur.
5 his. Pour la plupart des juristes du xix*^ siècle le
point de départ de la théorie de la personnalité juridi-
que se trouve dans Taxiome que l'homme seul est un
sujet de droit. Nous allons essayer de montrer tout
(1) Ducrocq. Ç^ours de droit administratif y 7" éd., t. IV, nos 1376
et s. V. au surplus, infrà, no 29.
(2) V. la discussion à la Chambre sur les majorais. Séance du
7 mars 1905. M. Thivrier demande le rejet de la convention avec
les titulaires du majorât, proposée par la Commission et le Gouver-
nement, parce que a la République ne peut pas .et ne doit pas
accepter cet héritage des régimes déchus. » — V. la réponse de
M. Rouvier, président du Conseil. — V. aussi ci-après (nos 22 et s.),
la discussion de la théorie de M. Duguit.
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16 CMAFfTBC PBSSIEB
d'abord qae les divers sjrstraies édifiés sur cette base
sont inadmissibles et en désaccord avec la ràlité des
choses Noas aorons ainsi délayé le terrain sur lequel
nous essaierons de construire.
I
6. Le premier système sorti de cette idée est celui qui
était couramment admis en France à une époque encore
récente '1; et que Ton désigne habituellement sons le
nom de système de la fiction. L'homme seul étant une
personne réelle, on ne peut expliquer que par une
fiction juridique Tidée de personnalité appliquée à
d'autres choses qu'à des êtres humains. Le législateur
MUppone^ en vue d^un intérêt général, une personne
fictive qu'il traite partiellement comme si elle était
(i) V. notammenl Laurent, Droit civil, t. I, nos 287-288 et s.
Baudrj'Lacantinerie et Houques-Fourcade. Des personnes^ t. I,
I 296, — Ducrocq, Cours de droit administratif, 7® éd., t. IV,
n^' 1372, — Trouillot et Chapsal, Le Contrat d'association, p. 78
et 8* — Beaucoup d'auteurs français, sans insister sur l'idée de
ûction, emploient pour désigner la personne morale des termes qui
supposent cette idée : par exemple le terme de personne fictive ou
celui d'être de raison (exemple : Aubry et Rau, § 54, 5e éd., t. I,
p,268). Laurent est, de tous les auteurs, celui qui a le plus vive-
ment insisté sur Tidée de fiction. Mais pour lui la fiction ne va pas
jusqu'à Tassimilation des personnes civiles aux personnes natu-
relles ; les premières n'ont, que certains droits, ceux qui leur sont
reconnus expressément par la loi ; elles ne sont pas réellement pro-
priétaires. L'assimilation est inexacte et prête à des erreurs dan-
gereuses. Il est resté, d'ailleurs, seul ou & peu près, & soutenir un
système aussi restrictif. La plupart des auteurs entendent la fiction
dans le sens d'une assimilation, au moins partielle, des deux caté-
gorieq de personnes. ,^
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tA NOTION DtE PERSONNALITÉ MORALE 17
réelle (1). Par\là il rend possible Texistence de droits
appartenant à cette personne qu'il imagine, et les fait
rentrer dans ses règles générales.
7. Il résulte de celte conception première que TEtat
reste le maître absolu de la fiction dont il se sert. La
personnalité morale ne répond pas à la réalité. Elle n'est
qu'une faveur accordée par la loi à certains groupe-
ments qui lui en paraissent dignes. Sans doute cette
faveur peut être octroyée sous diverses formes: le légis-
lateur peut se réserver le droit d'examiner dans chaque
cas particulier, s'il y a lieu de l'accorder ; il peut délé-
guer ce même droit à l'autorité administrative ; il peut
aussi l'accorder à l'avance à tous les établissements qui
(i) C'est ainsi que la théorie de la fiction est le plus souvent pré-
sentée : Savigny, Traité de droit romain^ trad. Guenoux, t. II,
p. 223 et s. — Unger, System des ôsterr. Privatrechts, t. I,
p. 314, et Kritische Uberschau, VI, 166 : « Le droit fait des fictions
pour ne pas accepter des notions en contradiction avec ses règles
fondamentales, et qui apparaîtraient comme des anomalies indis-
ciplinées ; par ce moyen, le droit courbe les faits sous sa règle au
lieu de se courber sous les faits. » Puchta (Vorlesungen, p. 56 et
Kleine Schriften) parle, non de fiction^ mais de création légale.
Au fond ridée est la même, cette création ne pouvantêtre que celle
d'un être purement fictif. Elle est seulement présentée d'une ma-
nière plus choquante. — V. sur ces deux manières d'entendre la
théorie de la fiction, l'ouvrage deZitelmann qui contient le meilleur
exposé des doctrines modernes sur ce sujet (Begriff und Wesen
der sogennariten juristischen Personen, § 3, p. 12 et suiv.). —
Bierlïng {Zur Kritik derjurist, Grundbegriffe, t. II, n^» 172-173)
admet qu'il y a une double fiction: l'une consistant à considérer la
collectivité comme un sujet de droits distinct de ses membres ;
l'autre consistant dans les rapports de la collectivité et desesmem
bres, à considérer l'ensemble des membres moins un comme la
collectivité elle-même. Il nous. semble bien que la première de ces
fictions entraine implicitement la seconde, en sorte qu'en réalité
elles se ramènent & une seule.
MIGHOUD 2
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18 CHAPITRÉ P^ÈMlEft
se formeront sur un certain type, et se soumettront à
certaines règles. Mais comme il ne s'agit que d'une
faveur, elle reste, par essence, purement arbitraire.
Aucun groupement, même licite, ne peut élever la pré-
tention de ravoir par la Nature ; il lui faut la Grâce ; et
cette Grâce pourra lui être retirée comme elle lui a été
donnée. En général TEtatne la donnera qu'aux groupe-
ments qui lui sont agréables et la refusera aux autres.
La personnalité morale sera donc conçue comme quel-
que chose de tout à fait diflférent du droit d'association;
elle sera un attribut que Ton accordera à quelques asso-
ciations seulement. D'autre part, elle sera indépendante
du groupement même qui Taura obtenue. On traitera la
personne morale comme si elle était absolument dis-
tjncte des membres qui la composent ; elle pourra sub-
sister, au moins dans l'opinion la plus fidèle à la logique
du système, quand le groupement aura entièrement
disparu (1) ; et la volonté de ses membres ne suffira pas
pour entraîner sa suppression en tant qu'être moral (2).
Nous devons nous borner pour le moment à celte vue
générale de la doctrine de la fiction. Elle suffit au but
que nous nous proposons. — Nous réservons à des
développements ultérieurs l'élude des conséquences de
détail du système ; ce que nous voulons faire dès à
présent, c'est seulement la discussion du principe lui-
même.
8. 1° La première objection qu*on doit lui opposer,
— et elle eât fondamentale, — c'est qu'il ne résout
(1) Savigny, op, cit., p. 279 (au moins pour le cas où la corpo-
ration repose sur un intérêt public et permanent).
(2) Savigny. op, cit,y p. 278. — V. du reste sur ces conséquen-
ces : Gierke, Genossenschaftsrecht, t. III, p. i8f.
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LÀ NOTION DE i»BRSONNALIT£ MORALB iÔ
rien ; c'est qu'il est impuissant à donner la clef J i pro-
blème posé (1). Le fait à interpréter juridiquement, c'est
le fait de biens n'appartenant pas à des individus, fait .
que Ton constate à toutes les époques de l'histoire, et
dont aujourd'hui encore notre état social ne peut se
passer. Dire que ces biens appartiennent à une personne
fictive, c'est dire, en termes à peine déguisés, qu'ils
n'appartiennent à personne. Si l'existence d'un droit ne
se comprend pas sans un sujet qui en soit le titulaire, on
n'explique pas cette existence en l'attribuant à un sujet
fictif; au contraire, on avoue parla même qu'il n'a pas
de sujet réel. Autant, comme l'a dit un auteur (2), accro-
cher son chapeau à un portemanteau que l'on feint dans
la muraille. La fiction peut servir en droit à simplifier^
à faciliter l'explication de certaines théories juridiques;
par elle-même elle ne résout rien, et là où manque une
condition essentielle, elle est impuissante à la suppléer.
Aussi est-ce bien le système de la fiction qui a engen-
dré directement les doctrines, étranges au premier
abord, d'après lesquelles les biens en question devraient
être considérés purement et simplement comme des biens
sans maître, et les droits qui y sont relatifs comme des
droits sans sujet. Les auteurs qui ont développé ces
systèmes se sont bornés à écarter la fiction comme
inutile, et à déclarer qu'il fallait voir ce qu'il y avait
derrière elle. En cela ils avaient raison. Mais, le voile
(1) Cette première objection a été développée par un grand nom-
bre d'auteurs ; notamment : Zitelmann, op. cit. % 3 ; Meurer, Der
Begriff und Eigenthûmer der heiligen Sachetiy t. I, p. 66 et
suiv. etc. — Mestre, Les personnes morales et le problème de la
responsabilité pénale^ 1899, p. 437 et suiv.
(2) Brinz, Pandekten, 3« édition, 1. 1, p. 226.
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âO CHAPITRE PREMIER
une fois soulevé, ils n'ont pas su voir ce qu'il cachait,
parce qu'ils conservaient celle idée préconçue que
l'homme seuj est une personne réelle. Gardant ce point
de départ et supprimant la fiction, il ne leur restait plus
aucun point d'appui pour les droits dont il s'agit ; ils en
étaient réduits à les laisser en quelque sorte en lair, et
à s'écarter de fcetlc idée fondamentale qu'un droit ne se
conçoit pas comme existant sans un sujet auquel il
appartienne» Si éloignée que soit cette conception de nos
habitudes d'esprit françaises, au fond elle ne diffère pas
essentiellement du système de la fiction ; entre les deux
il n'y a que Tépaisseur d'un mot (1). — Aussi est-il
facrle de suivre les transitions d'une doctrine à l'autre.
Certains auteurs, lels que Bôhiau (2), marquent cette
transition en donnant à la fiction une forme particulière :
la personne morale n'est en réalité qu'une masse de
biens, un patrimoine sans maître : ce patrimoine est
traité juridiquement comme s'il avait un sujet humain ;
il n'est pas une personne, mais on lui fait jouer le rôle
d'une personne suivant l'expression romaine : Personœ
vice fungitur. — «D'autres, par exemple Windscheid (3),
ne se refusent pas à employer l'expression courante de
(1) Cette parenté entre les deux théories a été déjà plusieurs fois
indiquée, y. note dans Meurer, op. cit. t. I, p. 54. Le mêntie auteur
p. 53, classe Laurent parmi les partisans du système des droits sans
sujet et au fond ce n'est pas sans raison. — M. Planiol, dans une
note du recueil de Dalloz (92, 2, 513), emploie également des for-
mules qui paraissent ramener la théorie de la fiction à celle des
droits sans sujet. Mais il a précisé sa doctrine dans son Traité de
droit civil. V. infrà n® 26 ; et il a déclaré (3e éd., p. 978, noie 1)
que sur ce point il avait été mal compris.
(2) Bôhiau, Rechtssubject und Personenrolley^, 16 et suiv.
(3) Windscheid, Pandekten, % 49, notes 4 et 5. , .
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hk NOTION DE PERSONNALITÉ MORALE 21
personne juridique; mais ils font remarquer qu'en réa-
lité les droits dont il s'agit sont sans sujet, et que si on
admet une personnification, c'est par suite du penchant
de la nature humaine à personnifier ses concepts. On
dit par exemple de Topinion publique qu'elle a remporté
une victoire ; du commerce qu'il est entré dans une voie
nouvelle. La personnification juridique est quelque
chose d'analogue à ces personnifications courantes. On
doit l'admettre à cause de ses avantages pratiques,
parce qu'elle permet d'embrasser dans une même expo-
sition théorique, et de désigner des mêmes noms, les
droits appartenant à une personne et les droits sans
sujet ; elle n'a pas d'autre portée.
Les auteurs qui ont le plus nettement et le plus
bruyamment rompu avec la personnification, Brinz par
exemple, et Bekker, dont nous analyserons plus loin les
idées, ne vont en réalité pas au delà de la doctrine ainsi
émise. Ils se bornent à supprimer le mot personne. Ce
n'est pas ici le lieu de discuter ces théories. Mais il
résulte des observations que nous venons de présenter
que le système de la fiction s'expose aux mêmes objec-
tions qu'elles, puisqu'en somme il n'en diffère pas. Il
conduit notamment, comme elles, à la mainmise univer-
selle de TËtat sur les biens dont il s'agit, ces biens
n'ayant pas de propriétaires réels. ^
9.2*'Une autre objection à faire au système se trouve
dans l'impossibilité où Ton est de l'appliquer au droit
public. La notion de personnalité s'est développée en
droit romain uniquement sur le terrain du droit privé.
Les jurisconsultes romains n'ont jamais employé le nom
de personne pour désigner l'Etat en tant que sujet des
droits de souveraineté. Pour eux, être une personne,
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2Î CHAPITRE PREMIER
c'était seulement èive capable de droits privés, tels que
les droits patrimoniaux et les droits de famille. L'Etat
était en dehors et au-dessus des personnes : et si à une
époque plus ou moins tardive on l'a considéré comme
une personne en tarit que fisù^ on ne Ta considéré que
comme une personne 'de droit privé. On Ta, dans ce
domaine, assimilé atix^ individus et on n'a nullement
cherché à embrasser danis cette conception les droits de
puissance publique qui; lui appartiennent (1). Cette
notion a été tnaîn ténue, au commencement du siècle der-
nier, par Savigny et son école, qui pnt exercé, en France
même, une si grande influence sur la théorie de la per-
sonnalité morale. Elle Ta èi^^ en partie par fidélité
aux idées romaines, en partie par des raisons d'un autre
ordre. L'école ne répugnait pas alors, par réaction
contre les excès révolutionnaires,, à un retour vers des
théories qui attribuaient la souveraineté, non à TEtat,
mais à la personne physique du prince. Elle pouvait donc,
à la rigueur, considérer comme supWflue la notion de
personnalité morale en droit public, et se borner, pour
séparer le patrimoine du prince du patrimoine de TEtat,
à conserver la notion de fisc, qui est une notion de droit
privé (2).
Mais nous devons aujourd'hui élargir Hdée, et voir
dans la notion de la personnalité une notion générale
commune au droit public et au droit privé (3). Cela nous
(1) y. sur ces points les dëveloppements de Gierke,daDs Genos-
senschaftrsechty t. lit, p. 34 et suiv.
(2) V. sur ces points les excellents développements de M. Ruf-
fini: « La classificazione délie persone giuridiche »(dans les Studii
Francesco Schupfery 4898, p. 333 et s.).
(3) V. sur celte idée fondamentale : Bernatzik, dans Archiv fur
ôffentliches Hecht, t. V, p. 176 et suiv, — Gpr. : Beseler, System
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LA MOTION 0£ PERSONNALITÉ MORAL£ 23
esl imposé par une nécessilé logique. Tout droil doit
être rattaché à un sujet capable de le posséder el de
l'exercer, ou par lui-même ou par des représentants. Si
cela esl vrai du droit de propriété et des autres droits
privés, cela est vrai aussi des droits de souveraineté qui
appartiennent à TËtat. L'idée de sujet de droit, c'est-à-
dire de personne, est identique dans les deux domaines.
Cela ne veut pas dire sans doute qu'il faille traiter la
personne du droit public comme celle du droit privé, ni
que les droits qui appartiennent à Tune soient de même
nature que ceux qui appartiennent à Tautre, ni moins
encore que tout être qui sera sujet de droit dans un de
ces domaines sera nécessairement sujet dans Tautre.
Telle n*esl pas la portée de notre conception. Elle signi-
fie simplement qu*un droit ne se conçoit pas sans sujet,
et qu'en droit public aussi bien qu'en droil privé il
importe de distinguer ce sujet de lout ce qu'gn pourrait
confondre avec lui. Il importe notamment d'affirmer que
des gemeinen deutschen Prioatrechts (1873), p. 230 ; Gicrkp, pas-
sim ; Preuss, Gemeinde, Staat, Reich^ als Gebiets Kôrperschaf-
teriy p. 230 et suiv., p. 152 ; Meurer, op cit., p. 111 et suiv. ; Jelli-
nek, System der subjectiven ôffent lichen Rech te, p. 12 etsuiv. ;
Otto Mayer, Deutsches Verwaltungsrecht, t. II, p. 368 et suiv.
Parmi les auteurs français, on pourrait en ciler un grand nombre
à commencer par Housseau (Contrat social, I, VI), qui appliquent
à l'Etat puissance publique l'idée de personnalité. Y. notamment,
parmi les modernes : Esmein, Droit constitutionnel, p. 1 et suiv. :
el la plupartdesinternationalistes.Mais ces auteurs n'ont pas eu, par
la nature même de leurs études, à insister sur V unité de la notion
dans les deux domaines. Cette idée est au contraire indiquée avec
précision par Hauriou, Droit administratif, 5*^ éd., p. 291 et s.
(sur les restrictions qu'il y apporte, v. infrà, cb. III). V. aussi
Sanlaville : « Personnalité du département » (dans Revue géné-
rale <r administration, 1899,2, p. 138). Gpr. Ripert.« Des rapports
entre les pou voira de police et les pouvoirs de gestion » (dans
Revue du Droit public, t. XXII, p. 7).
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24 CHAPITRE PRBMIBR
TËtat est une personne, titulaire des droits de souverai-
neté en même temps que de certains droits patrimoniaux.
10. Si Ton n'admet pas cela, en effet, comment conce-
vra-t-on le droit public ? Devra-t-on déclarer que ces
droits de souveraineté n'appartiennent à personne, qu'ils
sont en quelque sorte placés au-dessus des personnes
juridiques et les dominent? Mais c'est là une interpréta-
tion qui blesse notre sens logique, nous éprouvons impé-
rieusement le besoin de rattacher ces droits, comme tous
les autres, à un sujet. Du reste cela est nécessaire pour
faire entrer la théorie de la souveraineté dans le domaine
du droit.' Nous comprenons un ensemble de droits et
d'obligations se rattachant à un sujet permanent tel que
rhomme ou un groupe humain. Nous ne comprenons
pas une souveraineté in abstracto^ n'appartenant à per-
sonne, et ayant cependant des obligations (1). — Dira-t-
on, au contraire, que les droits en question appartien-
nent, non à l'Etat, mais à l'individu qui les exerce? C'est
là une doctrine qui a été soutenue en Allemagne à une
époque encore toute récente (2), mais que personne,
croyons-nous, ne serait lente de soutenir en France.
Nous ne voulons pas en établir ici une discussion détail-
lée. Nous nous contenterons de faire remarquer que, de
(1) y. plus loin la discussion détaillée de cette idée à propos de
l'ouvrage de M. Duguit {infrà nos 20 et s.). M. Duguit, pour soute-
nir son système a été amené à la négation absolue du droit de com-
mander.
(2) Elle a été principalement soutenue par M. Max Sejdel, dans
ses Grundzûge einer allgemeinen Staatslehre (1873). Elle a
trouvé depuis lors un certain nombre d'adhérents ; V. net. Lingg,
Empirische Untersuchungen su?* allgemeinen Staatslehre (1890).
Contre cette théorie, v. notamment Rehm, Allgemeine S tuais-
lehre, p. 156 et s.
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LA NOTION DE PERSONNALITÉ MORALE 25
ce point de vue tout individualiste, il est impossible de
justifier le droit de commander, et l'obéissance qu'un
homme doit à un autre homme. On ne peut expliquer
cela que par Tidée que ce dernier ne parle pas en son
nom, mais au nom de la collectivité qu'il représente et
qui a des droits supérieurs à ceux de l'individu isolé.
Celle-ci est donc bien un sujet de droit, une personne.
Ajoutons que le système contraire reviendrait, par une
pente glissante, à Tidée de la réunion^ dans la main de
Tindividu qui commande, des droits patrimoniaux et des
droits de souveraineté; il nous ramènerait à la confusion
du droit public et du droit privé et à la théorie de l'Etat
patrimonial, qui, de l'aveu de tous, ne peut plus être
celle des nations modernes.
11. Nous ferons observer d'ailleurs que la notion de
personnalité publique de l'Etat peut seule lui conserver
son unité Seule, elle explique d'une manière satisfaisante
la personnalité fiscale ou personnalité de droit privé, que
tout le monde est d'accord pour lui attribuer. Elle per-
met de considérer l'Etat comme une personnalité unique,
ayant à la fois des droits publics et des droits privés ;
une personnalité à double face, suivant une -expression
que nous avons déjà employée ailleurs (1). Dans tout
autre système, on est obligé de considérer le fisc, ou la
personne privée de l'Etat, comme quelque chose de dis-
tinct de l'Etat lui-même, comme une sorte de fondation
faite par lui (2). Idée étrange assurément : le propre de
(1) V. notre article sur la Responsabilité de VEtat, Revue du
Droit public, n* de juillet-août 1895, t. IV, p. 1 et suiv.
(2) Cette idée de fondation pour expliquer Texistence du fisc est
admise par beaucoup d'auteurs, même par quelques-uns de ceux
qui acceptent l'idée de personnalité publique de l'Etat, par exem-
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26 CHAPITRE PREMIER
la fondation est de se détacher de la personne du fonda-
teur et d'échapper, par cela même qu'elle existe, à sa
libre disposition, au lieu que ce qui caractérise les
deniers de HElat, c'est précisément d'être employés aux
besoins généraux auxquels pourvoit l'Etat puissance
publique. Il y a bien là une seule et même personne : le
Trésor public est pour l'Etat ce qu'est pour un particulier
son porle-monnaie ou son coffre-fort (1).
Il ne faut donc pas, comme on le fait trop couramment
en France (2), réserver le mot de personnalité morale ou
juridique au droit privé. C'est précisément pour cela que
pie Meurer, op. cit,, p. 116. V. au surplus l'exposé et les citations
de cet auteur. — Cette idée est la seule qui puisse rendre compte
de l'existence du fisc pour ceux qui restreignent la personnalité au
droit privé. Elle n'en est pas moins insoutenable.
(1) Cette comparaison très juste a été faite par un grand nombre
d'auteurs. Bâhr, der Rechtstaat, p. 55. — Il est curieux de la
trouver déjà dans les post-glossateurs, qui avaient construit une
théorie de Vuniversitas embrassant à la fois les droits publics et
les droits privés. V. le passage de Lucas de Penna, cité par Gierke
{Ijfenossenschaftsreckt. t. lïl, p. 360) : fiscus et œrarium {quœ idem
sunt), est pars ipsius reipublicœ,sicut fiscus meus, id est, saccus
in quo responuntur pecuniola mea, est pars totius patrimonii.
(2) C'est là l'opinion généralement admise en France, parce
quelle est seule compatible avec la théorie de la fiction. Aussi était-
ce celle de Savigny, op, cit.,, p. 234. Nous la trouvons aujoul'd'hui
admise notamment par M. Ducrocq {Droit administratif, 6® éd.,
t. iï, n<^ 905, et article dans la Revue générale du Droite 1894,
p. 101). — Un auteur italien Giorgi (La dottrina delta persone
giuridiche, t. I, p. 52), prend ici une situation singulière. Il
admet que les êtres moraux peuvent exercer des droits publics
comme des droits privés ; mais pour se conformer à l'usage, il res-
treint le terme de personne juridique au seul droit privé : non e un
bel parlare esatto, mae quello che corre, — On a parfois exprimé
cette idée que le fait d'admettre la personnalité publique de l'Etat
est de nature à augmenter sa puissance. Nous la discuterons plus
loin (V. ci-dessous, ch. III) .
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LA NOTION DE PERSONNALITÉ MORALE 27
nous refusons d'employer le terme personne civile, qui
contient implicitement cette restriction et qui par cela
même éveille un préjugé contre Tunité de la notion.
Nous considérons Vidée de personnalité morale comme
aussi nécessaire en droit public qu'en droit privé; et
cette idée, que les observations précédentes nous parais-
sent déjà suffire à fonder, trouvera sa confirmation dans
les explications que nous donnerons plus loin sur les
systèmes qui, comme celui de M. Duguit ou celui de
M. Vareilles-Sommières, nient l'utilité de cette idée
aussi bien dans Tun des domaines que dans Tautre.
12. Mais s'il en est ainsi, comment voir en la person-
nalité morale une fiction du législateur? Ce n'est pas la
loi qui a créé TEtat, ce n'est pas elle qui lui a conféré les
droits éminents qui lui appartiennent, ni par conséquent
sa personnalité. Celle-ci est une conséquence de l'exis-
tence même de TEtat; que les juristes en aient ou non
conscience au moment de sa formation, elle naît avec
lui. La loi la suppose préexistante et ne fait que la régle-
menter et la limiter. Ce qui est vrai de TEtat est vrai des
autres groupes humains auxquels appartient la person-
nalité; plusieurs de ces groupements sont historique-
ment antérieurs à l'Etat, et la plupart ont une formation
analogue à la sienne. Ils se sont constitués soit par la
force même des choses, soit par la volonté de leurs mem-
bres. La loi n'est intervenue que pour réglementer (dans
certains cas) les rapports juridiques qui leur donnent
naissance, et ensuite les rapports juridiques du groupe
une fois constitué. Elle les prend, comme elle prend
tous les rapports humains, tels que les lui présente
la réalité, et elle se borne à leur donner la formule
légale la mieux appropriée à leur destination.
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28 CHAPITRE PREMIER
On a, il est vrai, essayé de distinguer à ce point de
vue TEtat des autres groupements humains. Savigny a
nommé TEtat une personne morale nécessaire (1) ; et le
plus intrépide adversaire de la personnalité morale,
Laurent lui-même (2), a accepté cette dénomination.
Mais partisans et adversaires ont très bien vu, en
général, qu'il y avait là une concession dangereuse pour
le système de la fiction. Si une seule personne morale
peut naître autrement que par la volonté de la loi, c*en
est fait delà théorie (3).
13. 3^ Nous touchons du reste ici à une autre objec-
tion fondamentale que Ton peut élever contre le système
de la fiction. Il méconnaît le rôle que joue le législateur
dans les rapports sociaux. Par lui-même le législateur
ne crée rien. L'existence matérielle des rapports qu'il
(l)0/î. ct7.,p. 239.
(2) Droit civil international ^ t. IV, n^ 73. Gpr. Principes de
droit civil, t. I, p. 407. V. aussi Tissier, Traité des dons et legs,
n0 91.
(3) D'un côté, M. li\i(ivo(i({{Revue générale du Droit, 4894, p.iOl)
et, dans un esprit diamétralement opposé, M. Van den Heuvel',
Assoc. sans but lucratif, p. 57, ont tous deux insisté sur cette
idée. C'est pour y échapper que M. Ducrocq cherche à démontrer
que la personnalité morale de l'Etat a sa source dans les lois spé-
ciales qui Torganisent et la réglementent. L'idée est admissible
pour Id personnalité de pur droit privé ; mais quelle est la loi qui a
fait de l'Etat un être moral capable de légiférer et de se conférer à
soi môme le droit d'avoir un patrimoine?— M. Boistel a insisté avec
grande raison sur l'objection que nous formulons ici au système de
la fiction : « L'Etat est précisément une de ces personnes morales
dont il s'agit de justifier l'existence ; c'est la plus importante et la
plus considérable de toutes; et il est impossible qu'une explication
soit admissible si les raisons données ne résolvent pas la partie la
plus grave et la plus étendue du problème. » {Conception des per-
sonnes morales. Rapport présenté au Congrès international de phi-
losophie tenu à Genève du 4 au 8 septembre 4904, p. 5).
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LA NOtlOll M PËRSO?<}NALITE MORALB 29
réglemente échappe à ses prises. Il peut seulement con-
sidérer certains rapports comme illicites, et les prohiber;
par là il en empêche indirectement la naissance ; mais
s'ils naissent malgré sa prohibition, il ne peut que les
punir, il ne peut les empêcher d'exister (1). Si des parti-
culiers se réunissent pour affecter à perpétuité certains
biens à un but qui leur est commun, le législateur peut
prohiber ce groupement, le faire tomber sous le coup de
la loi pénale, donner à l'Administration le pouvoir de le
dissoudre. Il ne dépend pas de lui que les associés aient
eu en vue autre chose que ce qu'ils ont voulu : Tafifecta-
tion de certains biens à un but déterminé. S'il considère
le groupement comme licite, sa tâche doit être de don-
ner aux rapports créés par lui la formule qui ei^prime le
plus exactement leur réalité intrinsëquev
Or la loi est infidèle à cette mission quand elle se
refuse — arbitrairement, ou uniquement parce qu'elle
n'a pas de sympathie pour Tobjel, du reste licite, que se
proposent les associés, — à considérer comme un sujet
de droit le groupement qui, dans la pensée de ses mem-
bres, a son avoir propre et des intérêts distincts des inté-
rêts individuels. Cette manière d'envisager Tassociation
ne constitue point une fiction. Ce qui est fictif au con-
traire, ce qui est arbitraire et artificiel, c'est de déclarer
que les parties restent copropriétaires de Tavoir social,
alors qu'elles ne veulent pas l'être (2). Voici par exem-
(1) Cpr. Haupiou, Leçons su?^ le mouvement social, 2* Append.,
p. 461.
(2) M. Vauthier, Etudes sur les personnes morales, p. 385, oppo-
sant lune à Tautre, la conception de Vuntversitas romaine, et
notre théorie actuelle des associations non personnifiées déclare
que la première était plus profonde et plus juste : « Les grands
légistes de Tancienne Rome avaient admis qu'un certain nombre
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3Ô CttAPITRE PtlEMlEA
pie, dans notre régime antérieur à la loi dii 1*^' juil-
let 1901 (1), une société savante approuvée par le
Préfet (ce qui la mettait en règle avec les lois sur les
associations), mais non reconnue comme établissement
d'utilité publique. Celte société a un budget, formé
principalement ou exclusivement des cotisations de ses
membres. A qui appartiennent les fonds qui y figurent ?
Les associés ne les considèrent point comme leur pro-
priété ; il ont eu en vue de les affecter définitivement à
leur œuvre collective. S'ils ont fait sur ces fonds quel-
ques économies, et s'ils cherchent à les placer, les voici
obligés de prendre un détour. Acheter un titre de rente
ou des obligations de chemins de fer au nom de l'asso-
ciation, c'est impossible en droit ; celle-ci n'existe pas.
Les acheter au nom de chaque associé individuellement,
et en faire leur copropriété, c'est impossible en fait ; ils
sont trop nombreux; et puis cela est plein de dangers
pour l'avenir, et ne répond point au but qu'ils se propo-
sent. Que feront-ils donc le plus souvent ? C'est un
membre de l'association qui achètera les titres en son
nom, et qui en restera le dépositaire; l'associatioja ne
paraîtra point, ce sera son trésorier qui sera titulaire du
d'individus, en confondant leurs intérêts, en réunissant leurs volon-
tés, constituent par cela seul un groupe capable de faire valoir ses
droits (Remarquons en passant que ce point est contesté ; nous ne
pouvons l'examiner incidemment). A cette conception nous en
opposons une autre, selon laquelle une association d'êtres humains
reste une agglomération informe et impuissante, à moins qu'un
décret de l'autorité ne l'appelle à l'existence juridique ». M. Vau-
thier considère cette dernière conception comme rendue nécessaire
par un motif politique (la crainte des empiétements de TËglise),
mais comme juridiquement inférieure à l'autre.
(1) La loi du i^^ juillet 1901 échappe en partie aux reproches
que nous adressons ici à la législation antérieure. Y. infrày ch. IV.
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La NOtlON DE PERSONNALITE MORALE 31
droit, sauf à lui en tenir compte. Et sans doute elle
peut vivre sous ce régime, vivre d'une vie précaire et
toujours menacée. Mais n'est-ce pas là que se trouve la
fiction, et non pas dans Fidée que l'association elle-
même est propriétaire? (1)
Que Ton suppose maintenant cette association sollici-
tant et obtenant, après une certaine durée d'existence, la
qualité d'établissement d'utilité publique. Qu'y a-t-il de
changé dans sa situation ? Les parties ont simplement
obtenu qu'on réglât leurs relations conformément au but
qu'elles se proposaient. Ce but n'a pas changé ; les
moyens employés non plus ; les membres sont restés les
mêmes ; les statuts n'ont pas été modifiés ; c'est bien la
(1) C'est cependant cette pratique régularisée et admise comme
un droit, qui a permis aux Anglais de développer sous le nom de
trust des œuvres désintéressées très importantes. V. l'art, précité
de M. Maitland, dans GrûnhuVs Zeitschrif, 1904 (t. 32), notam-
ment, p. 42 et suiv. Nous ne nions pas que ce ne soit chose possi-
ble ; mais nous croyons que c'est une traduction juridique peu
exacte de la réalité, et que ce système compliqué ne se serait
jamais implanté si l'idée plus simple de personnalité morale n'avait
pas trouvé devant elle des obstacles artificiels. Il est à remarquer
d'ailleurs que ce régime est en fait rapproché par la pratique an-
glaise de celui de la personnalité morale, puisque la destination des
biens est énergiquement protégée par voie indirecte. M. Maitland
lui-même montre mieux que tout autre que, si ce régime a pu per-
mettre de vivre à des associations considérables (Inns of Courts,
Jockey Club, Bourse de Londres), qui n'ont pas éprouvé le besoin
de se faire incorporer, ou qui même ont redouté Tincorporation
(grâce à laquelle elles auraient eu la qualité de personnes morales),
il constitue cependant un régime très artificiel. En réalité il n'a
pu se développer que grâce à la bonne volonté des juges anglais
qui ont toujours refusé de regarder ce qu'il y avait sous Venve*
loppe ou derrière le rempart du trust ; et il faut porter la réus-
site du système au compte de Tesprit libéral de la race anglo-
saxonne.
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32 CHAPlTftE PREMIER
mèrae individualité juridique, qui était resiée jusqu^alors
à Tétat latent, et qui obtient désormais sa place au
soleil. Elle est si peu créée par la loi que la jurispru-
dence, interprète de la loi, exige pour la reconnaître
qu'elle ait déjà un certain temps d'existence (1), et que,
même pendant cette période embryonnaire, on a été
impuissant à lui créer un régime juridique dans lequel
ridée de personnalité n'apparaisse pas par quelque
côté (2).
(1) On sait qu'en principe la jurisprudence du Conseil d'Etat
n'admet la reconnaissance d'utilité publique que lorsque rétablis*
sèment qui la sollicite justifie des ressources nécessaires et a déjà
fonctionné en fait pendant une durée de trois ans. Elle n'admet
d'exceptions à cette règle que dans certains cas qui lui paraissent
particulièrement dignes de faveur (V. les notes de jurisprudence
administrative du Conseil d'Etat publiés par MM. Rajnaud et
Lagrange, 1899, p. 175 et 184).
(2) Pour certaines associations non reconnues mais qui ont un
but d'intérêt général (sociétés de tir, sociétés de courses, comices
agricoles, associations protectrices de l'enfance), la jurisprudence
avait fini par reconnaître l'existence d'une sorte de demi-person-
nalité, qu'elle qualifiait d'individualité juridique, et qui leur per-
mettait du moins d'ester en justice. Y. note sous Cass., 30 janvier
1878. S. 78. 1. 21.. et Cass.. 25 mai 1887. D. 87. 1. 289. S. 88,1. 162.
V. aussi Tissier, Dons et legs, n<>42. La Gourde Dijon avait appli-
qué ^ette doctrine à une association de pécheurs à la ligne, ce qui
marquait une tendance, sinon à généraliser la solution, du moins à
admettre facilement qu'il existait un but d'intérêt général (Dijon
15 mars 1899. D. 99. 2. 200. V. aussi Besançon, 29 mars 1899. D.
1900, 2. 40i, note de M. Planiol. Tribunal de Narbonne, 3 janvier
1901. iîeyMe des sociétés, 1901, p. 289 (applique cette doctrine à un
cercle). Il semble que la différence pratique entre cette individua-
lité et la personnalité ne consistait guère que dans l'impossibilité
de recevoir des dons et legs. Au reste la jurisprudence n'a jamais
admis l'extension de cette individualité à toutes les associations.
V.Limoges, 22 janvier 1900.D 1902.2,422.— Même pour les associa-
tions ne jouissant pas de cette faveur et notamment pour les con-
grégations religieuses, la jurisprudence a souvent admis l'existence
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•.r-s.>
LÀ NOTION DE PERSONNALITE MORALE 33
14. Aussi, il suffit du regard le plus superficiel jelé sur
rhistoire, pour se rendre compte que Texislence des
personnes morales a toujours échappé aux prises du
législateur. Il a pu les méconnaître temporairement,
refuser d'en tenir compte, les poursuivre même comme
des ennemies. Jamais il n'a pu les faire disparaître
d'une manière absolue. Invinciblement elles revenaient
à la vie, parce qu'elles correspondaient à un besoin de
l'étal social. 11 est vraiment étonnant que celle leçon
d'histoire ait été «si mal comprise, et qu'on l'ait même
parfois interprétée à rebours. Un auteur, avant de
raconter, dans un ouvrage d'ailleurs très remarquable,
la destruction de tous les corps et communautés par nos
Assemblées révolutionnaires, fait l'observation suivante:
« Cette page de notre histoire comporte un enseigne-
ment : elle montre combien Texistence des personnes
morales est artificielle et contingente, puisque le jour
où elle cesse de paraître utile et où elle pourrait devenir
dangereuse, l'Etat les anéantit et s'empare de leurs
biens » (1). On dirait vraiment que ces lignes ont été
d'une société de fait dont Texistence produit certains effets juri-
diques. Par exemple l'associé qui a acquis pour le compte de l'as-
sociation, ni ses héritiers, ne peuvent revendiquer le bien acquis
comme leur appartenant en propre. Req. l'r juin 1869. D. 69. 4.
313. — Civ. Gass., 30 mai 1870. D. 70. 1.277. —Montpellier,
17 avril 1893. D. 94. 2. 329. — Les libéralités qui sont faites aux
membres sont annulées comme faites à la congrégation par per-
sonne interposée, ce qui suppose l'existence latente d'une person-
nalité morale, etc. (v. la critique de ce système dans la note
de M. Beudant. D. 79. 2. 225; mais le système qu'il y subs-
. tilue n'échappe pas lui-même à tout reproche de ce genre). —
Enfin la loi reconnaît depuis longtemps l'existence des congréga-
tions au point de vue fiscaL\. p. ex. Req. 21 nov. 1898. D. 99. 1.41.
(2) Tissier, Dons et legs, n^ 18.
MICHOUD 3
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^3i CHAPITRE PREMIER
écrites en Tan III, au momenl où la Révolution venait
d'achever son œuvre de destruction. Même à celte date,
elles eussent été inexactes, car la personnalité des com-
munes tout au moins avait résisté à l'épreuve. Ecrites
deux ans plus tard elles eussent déjà reçu des événe-
ments un démenti complet, car le législateur avait déjà
rappelé à la vie quelques-unes des personnes qu'il avait
essayé de supprimer (i). Et comment ne pas voir que le
xix*" siècle a reconstitué autant de[personnes juridiques,
et plus sans doute, que la Révolution n'en avait
détruit? L'œuvre du législateur a été inefficace parce
qu'il n'a pas eu conscience de son vrai rôle. Tout-
puissant en la forme, il est toujours obligé de revenir
tôt ou tard à une saine interprétation des rapports
sociaux, quand il s'est trompé sur leur compte.
15. Nous ne voulons pas dire par là, bien entendu,
que le législateur soit obligé de reconnaître la person-
nalité morale à tout groupement qui a la prétention de
l'obtenir. Nous admettons d'abord, ce qui est l'évidence
même, qu'il est compétent pour déclarer le groupement
illicite, et qu'il peut dans ce cas user des moyens qui
sont en son pouvoir pour l'empêcher de se former.
Nous admettons aussi qu'il peut, même en considérant
le groupement comme licite, refuser de lui reconnaître la
personnalité, à litre de mesure de police, afin de l'em-
pêcher d'arriver à un développement qui pourrait deve-
nir un danger pour l'ordre public. Nous croyons que de
sa part cette mesure n'est ni très digne, ni très fran-
(1) Loi du 16 vendémiaire an V, et du 29 pluviôse an V, pres-
crivant que les hospices reprendraient la propriété de leurs biens
non vendus, et réorganisant leurs commissions administratives. —
Loi du 7 frimaire an V, créant les bureaux de bienfaisance.
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La notion de pëusonn alité morale 3S
che (i) ; mais elle ne dépasse pas ses pouvoirs; et il est
possible que dians certains cas elle constitue une demi-
mesure assez opportune. Ce que nous demandons, c'est
que le législateur se rende bien compte de la qualité en
laquelle il agit. £n faisant cela, il ne remplit plus sa
mission normale d'interprète du droit ; il intervient à
titre de pouvoir de police pour empêcher, pour gêner
tout au moins Tune des manifestations de la vie sociale,
et non pour l'interpréter.
Nous devons ajouter que TElat n'a pas seulement dans
les sociétés humaines le rôle de législateur. ïi est lui-
même, comme nous Pavons dit plus haut, une personne
morale ayant à la fois des droits publics et des droits
privés. Comme tel, il peut avoir dans la naissance de la
personne morale un rôle plus actif que celui dont nous
venons de parler. Comme législateur, il se borne à la
reconnaître. Comme personne morale déjà existante, il
peut participer à sa création soit en jouant à son égard
le rôle de fondateur (c^est ce qu'il fait quand il crée un
établissement public), soit en entrant lui-même à titre
d'associé dans le groupement qui la constitue. D'autre
part, étant chargé des intérêts généraux de la société,
l'Etat peut provoquer entre les particuliers la formation
de ce groupement ; il peut le faire, soit par voie d'encou-
ragem.ent, soit au besoin par voie de contrainte. Mais
(1) Cpr. Dans le mAme sens la note de M.Lyon-Caen dans Sirey^
95. 1. 65. — Hauriou, Droit administratif, p. 124, et Leçons sur
le mouvement social, p. 461. — Cette manière de voir n'exclut pas
la possibilité d'établir certaines limitations de capacité à rencon-
tre des associations dont le développement exagéré pourrait deve-
nir dangereux. V. d'ailleurs infrà, nos 56 et s., où se trouve
un exposé plus complet de ce que doit être» suivant nous» le rôle
de rstat en cette matière.
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36 CHAPITIIE PREMIER
ces divers modes de son activité ne doivent pas être
confondus avec la mission qui lui incombe lorsqu'il se
trouve en présence d'un groupement formé en dehors
de lui. Dans ce dernier cas, il doit en principe se bor-
ner à donner aux fails leur inlerprétaiion juridique, et
les mesures de prohibition qu'il peut introduire dans
la loi doivent toujours se justifier par des motifs spé-
ciaux.
Nous dirons donc volontiers, avec un économiste, et
comme conclusion pratique des observations précé-
dentes : « Au lieu de se demander : la loi doit-elle
reconnaître aux corporations le droit de posséder : il
faut au contraire se demander : y a-t-il des raisons
impérieuses pour que la loi restreigne ou même annule
ce droit de posséder collectivement ? » (1). La question
ainsi posée reste entière et nous réservons au législa-
teur tous ses droits. Mais nous ne voulons pas qu'on
renverse la question et qu'on présente comme le droit
commun ce qui n'est que l'exercice, exceptionnel de sa
nature^ d'un pouvoir de police ;
15 bis 4^ Signalons encore un point, d'importance capi-
tale, sur lequel le vice du système de la fiction se montre
à découvert par les conséquences auxquelles il conduit.
Dans ce système, la personne morale, unité idéale et fic-
tive, est absolument indépendante des personnes physi-
ques qui la manifestent à l'extérieur. Non seulement elle
est quelque chose de plus que la collection de ces per-
sonnes (idée que tout le monde doit admettre, bien que
certains systèmes ne lui fassent pas suffisamment sa
(1) Opinion exprimée par M. Horn, à la Société d'économie poli-
tique en 1861 . — Journal des Economistes y t. XXX, 1861, p 469 et
suiv.
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LA NOTION DE PERSONNALITE MORALE 37
part), mais elle est placée en quelque sorte en dehors de
ces personnes, et celles-ci sont traitées comme lui étant
tout à fait étrangères. Dans les rapports juridiques qu'ils
peuvent avoir avec elle, ses membres sont donc des tiers.
Ont-ils droit à jouir personnellement d'une part de ses
biens, à recueillir certains fruits sur les immeubles qui
lui appartiennent? On traitera leur droit comme un
droit sur la chose d'aulrui. Sont-ils tenus envers elle à
certaines prestations? On ne fera pas de différence entre
celles qu'ils doivent en tant que membres du groupe et
celles que doivent des tiers, ou qu'eux-mêmes peuvent
devoir pour d'autres motifs. Agissent-ils au nom du
groupe? On les traitera comme s'ils représentaient un
tiers, et on comparera là personne morale à un pupille
représenté par son tuteur. La. personne morale pourra
disparaître sans leur volonté, et continuer de vivre mal-
gré leur volonté contraire ; si elle disparaît, on les con-
sidérera comme absolument étrangers aux biens qu'elle
laisse, ceux-ci seront regardés comme vacants. Toutes
ces conséquences découlent naturellement du système
de la fiction. Elles sont cependant, pour une bonne pari,
si contraires à la réalité, que sur beaucoup de points la
pratique a dû les abandonner (1). C'est qu'en faisant
(1) Ex. : On admet très généralement en France la personnalité
des sociétés de commerce ; elle n'est plus contestée en pratique.
On est bien obligé pourtant de ne pas considérer comme vacant le
patrimoine de la société quand celle ci disparaît.Comment justifier,
du point de vue de la fiction, le partage des biens entre les asso«
ciés ?
Les droits des habitants sur les biens communaux, p. ex. les
droits d'affouage ne peuvent du point de vue de la fiction être con-
sidérés que comme des droits sur la chose d'autrui. Mais l'idée est
si manifestement insuffisante que beaucoup d'auteurs l'ont aban-
donnée (V. Rep. Dalloz, Vo Forêts, n» 1765).
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38 CHAPITRE PRBMIBR
ainsi abstraction des personnes physiques qui composent
la personne morale, on oublie l'élément principal du
problème et on le simplifie outre mesure. Aucune per-
sonne morale ne se conçoit sans les membres physiques
qui forment en quelque sorte son corps. On doit donc
chercher une théorie qui maintienne Tunité de la per-
sonne morale, mais sans perdre de vue que c'est une
unité complexe, et que les personnes physiques qui la
composent ne sont pas pour elle des tiers. Elle est une
unité, mais elle est aussi une collectivité ; et on en aura
une idée insuffisante si on se borne à l'envisager au pre-
mier point de vue (1).
Ce n'est point encore ici le lieu d'essayer une cons-
truction juridique qui concilie les deux idées : notre but
dans les explications précédentes était uniquement de
La jurisprudence a mdmis la responsabilité de la personne
morale pour la faute de ses représentants beaucoup plus largenoent
que ne le comporterait la théorie normale de la représentation
d'une personne par une autre (V. notre article sur la Responsabi-
lité de VEtat, Revue du, Droit public y n^ de mai-juin i895, t. IIÏ,
p. 408 et suiv.).
Enfin nous croyons qu'en droit public il est impossible de se
rendre un compte exact des rapports entre l'individu et l'Etat si on
les traite comme deux tiers absolument étrangers l'un à l'autre.
Mais cette idée est trop complexe pour que nous puissions ici la
développer incidemment. C'est seulement dans la seconde partie de
cet ouvrage, en étudiant la vie intérieure des personnes morales,
que nous pourrons insister sur ces divers points.
(1) C'est un des mérites de l'école dite germaniste (dont nous
sommes loin, comme on le verra,d'accepter toutes Içs conclusions),
d'avoir insisté sur ces idées. V. Gierke, Crenossenschafts théorie ^
notamment p. 174 et suiv., et Preuss. Gemeindes Staat Reich.,
p. 166 et suiv. Nous nous réservons de discuter plus tard leur point
de vue.
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LA NOTION DE PERSONNALITÉ MORALE S9
montrer Tinsoffisance pratique du système de la fiction.
Nous verrons plus loin comment on doit y suppléer.
II
16. Si l'on rejette.ce système, et si on conserve comme
point de départ l'axiome que Thomme seul est une per-
sonne, on est amené à nier complètement Texistence et
la nécessité des personnes morales. Pour expliquer la
situation juridique des biens qui forment leur patrimoine
et des droits qui sont exercés par leurs représentants, il
reste deux voies ouvertes : on peut considérer ces biens
et ces droits comme n'appartenant à personne ; on peut
les considérer comme appartenant aux individus qui
composent Têlre moral.
17. 1"* La première voie est celle où se sont engagés,
à la suite de Brinz et de Bekker (1), les partisans de la
théorie des droits sans sujet. Les Romains, nous dit
Brinz (2), ne disent point : La cité est une personne, mais
seulement : là cité tient laplace^ d'une personne avouant
par là qu'elle n'en est pas une. Dans leur division des
personnes, il n'y a ni personne morale, ni personne ficr
tive, mais uniquement des hommes, c'est seulement
dans leur division des choses que nous voyons appa-
(4) Brinz, Pandekten, % 59 et suiv. § 432 et suiv. (3e éd., t. I,
p. 222 et suiv. t. IIÏ, p. 453 et suiv.) ; Bekker. Zum Lehre von
Rechtssubject, dans Jahrbûcher fur die Dogmatik [1873] t. XII,
p. 1 et suiv. ; Demelius, Jahrb. fur Dogmatik, t. IV, p. 113 et
suiv. Parmi les auteurs plus récents, on peut citer coname se ratta-
chant presque entièrement à cette théorie. Rumelin, Methodisches
ûber juristische Personen {Prog, zur Feier des Geburtsfestes
des Grossherzoges Friedrichs . Fribourg-en-Br., 1891).
(2) Op. cit., t. I, p. 224 (§ 60).
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40 CHAPITRE PREMIER
ratlre ce que nous appelons aujourd'hui les personnes
juridiques. Les Romains ne procèdent donc pas en créant
une seconde catégorie de personnes; ils se bornent à dire
que certaines choses, bien que soumises au droit n'appar-
tiennent cependant à personne, sont res nullius. Les
modifications que les modernes ont introduites dans
cette conception ne sont nullement un progrès, car dire
que l'Etat et les Villes sont des personnes, cela est bien
permis à la fantaisie, mais non à la science. Les moder-
nes n'ont fait en somme qu'introduire dans le langage
juridique une métaphore populaire ; et c'est ensuite pour
justifier cette métaphore, qu'ils ont posé l'axiome : sans
une personne, pas de patrimoine. Ce principe, une fois
admis, les a entraînés, soit à recourir à la création d'une
personne fictive, soit à essayer de démontrer la réalité
de la personne morale. Toutes ces tentatives sont vaines.
Il n'est pas besoin de se mettre en frais de recherches
pour trouver la personne. Un bien peut, non pas seule-
ment appartenir à quelqu'un, mais aussi appartenir à
quelque chose, à un but, qui n'est pas pour cela une
personne. Le patrimoine de la personne morale est en
réalité le patrimoine du but (Zweckvermôgen). Celte idée
de but se trouve dans les Universitates^ telles que TEtat.
les Communes et les Corporations, comme elle se trouve
dans les fondations, et notamment dans les piae causae.
Seulement dans ces dernières, il est plus visible que le
patrimoine est dominé exclusivement par le but ; pour
les premières c'est YUniversitas elle-même, Etat, Com-
mune ou Corporation, qui forme le but auquel ^le patri-
moine est affecté. C'est ce but que les conceptions cou-
rantes ont personnifié, en rattachant la personnification
à ce qu'il y avait en lui de plus visible ; la Ville, le Dieu>
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^""^'•i \ *
LA NOTION DE PERSONNALITÉ MORALE 41
la Corporation ; et quelquefois en la rattachant au bien
lui-même : le Temple, TEglise, THôpital, le Fisc. Plus la
fantaisie s'est donnée sur ce point libre carrière, plus il
est nécessaire de s'en tenir à la réalité, c'est-à-dire, à la
notion de patrimoine sans maître, simplement affecté à
un bnt.
18 Bekker a rendu cette théorie plus subtile et plus
fine en creusant, au point de vue philosophique, la notion
de sujet de droit. On peut, dit-il (1), avoir à l^égard d'un
droit deux situations acquises très distinctes : la disposi-
tion et la jouissance (2). La disposition, c'est le droit de
se comporter en maître, de défendre la chose en justice,
de l'administrer, elc. ; la jouissance, c'est le droit de
jouir matériellement des avantages qu'elle procure. Ces
deux situations sont souvent séparées ; la première ne
peut appartenir qu'à un être doué de volonlé ; la seconde
peut appartenir non seulement à un homme incapable de
vouloir, tel qu'un fou ou un infans, mais même à un
animal ou à une chose inerte. On peut donc disposer au
profit d'un animal ou d'une chose, à condition de pour-
voir à l'administration du bien donné ; car l'animal et la
chose ne peuvent avoir que la Genuss et non la Verfii-
gung. Sont-ils de véritables sujets de droit? Bekker
(1) Op. cit., p. \ et suiv. V. pour la discussion du système de
Bekker, Bieding, Zur Kritik der juristischen Grundbegriffe, t. II,
nos 163 et suiv. M. Max Schwab a poussé à son extrême limite
l'idée émise par Bekker et a soutenu que le sujet du droit était
celui auquel la loi reconnaissait le droit à la jouissance de l'objet
(Genuss) (Rechtssubjekt und Nutzbefuffniss.hêAe 1901, p. 41 et s.).
11 en conclut que l'homme seul est sujet de droit. Pourquoi pas
l'animal ? Parce que les lois sur la protection des animaux n'ap-
partiennent pas au droit privé (eod. 1. p. 50). Réponse insufflsante.
(2) On peut traduire ainsi les mots Genuss et Verfûgung qu'em-
ploie l'auteur.
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42 CHAPITRE PREMIER
déclare que cela importe en somme assez peu et il se
défend de les personnifier ; il se borne à dire : la chose,
l'animal peuvent jouir ; et le Droit, dans certaines limi-
tes, doit admettre les dispositions en leur faveur, bien
qu'il soit en principe fait pour l'homme, parce qu'au
fond, ce qu'il protège dans ces dispositions, c'est bien la
volonté humaine; et celle-ci est dig-ne de protection tou-
tes les fois qu'elle n'est pas contra bonos mores.
19. L'objection le plus souvent opposée à ces théo-
ries, c'est que la notion de droit sans sujet implique
contradiction. Cette objection est évidemment fondée de
la part de ceux qui définissent le droit subjectif : un
pouvoir attribué à une volonté, et qui voient dans l'être
à qui cette volonté appartient, ou dans la volonté elle-
même, le véritable sujet du droit. Il est clair qu'avec
cette définition ce dernier ne peut se concevoir sans une
volonté dont il dépende, par conséquent sans sujet. Mais
nous chercherons à démontrer plus loin que la définition
est incomplète, et que si un droit suppose une volonté
qui l'exerce, celte volonté n'appartient pas nécessaire-
ment au sujet. Dans cette opinion l'objection est moins
évidente; elle subsiste cependant: si le fondement du
droit n'est pas dans la volonté, il est dans l'intérêt même
qui est protégé sous le nom de droit subjectif, intérêt
qui ne peut être qu'un intérêt humain. Dans ce système
l'existence d'un sujet reste logiquement nécessaire,
parce qu'un intérêt suppose un intéressé (1).
Sans insister pour le moment sur ce point (qui ne
(1) Remarquons que la question n'est pas de savoir si on peut
concevoir un droit séparé de son sujet, s'il peut en être abstrait
par la pensée, mais de savoir* s'il peut avoir une existence réelle
sans un sujet auquel il appartienne.
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LA NOTION DE PERSONNALITE MORALE 43
pourra être bien compris que lorsque nous développe-
rons notre théorie) nous devons faire remarquer dès à
présent le côté dangereux de la théorie des droits sans
sujet. M. Vauthier Ta qualifiée d'inquiétante (1), en
observant que si le droit se rattache à son but, et non à
l'homme lui-môme, celui-ci pourra être dépossédé au
profit du but et que c'est là une tendance purement
socialiste. Ainsi présentée, la critique nous paraît exa-
gérée. Car les auleurs de la théorie ne prétendent pas
rappliquer à toute espèce de biens. Elle n'est pour eux
qu^nne explication juridique des biens appartenant aux
personnes morales : ils n'y soumettent pas ceux qui
appartiennent aux personnes physiques. A côté du
pertinere ad aliquid^ Brinz admet le pertinere ad ait-
quem ; il ne renonce donc nullement aux droits indivi-
duels. Le danger de la théorie, bien que plus restreint,
n'en est pas moins réel. Comme la doctrine de la per-
sonne fictive, et plus qu'elle encore, parce qu'elle écarte
le voile qui masquait les conséquences du système, elle
laisse les droits dont il s'agit (ceux des personnes mora-
les) dans une situation toute précaire. S'il n'y a pas de
sujet, d'ayant droit, qui l'Etat trouvera-t-il en face de
lui pour los défendre ? J'entends bien qu'il y a le but, et.
que TEtat ne pourra s'emparer des biens qu'à la condi-
tion de conserver leur affectation. Mais du moment
qu'aucune personne, autre que lui-même, ne tend à
atteindre le but, qui l'empêchera d'y renoncer et d'em-
ployer les biens à tout autre objet? C'est lui dans ce
système, qui reste le maître souverain de l'affectation ;
les personnes physiques* qui ont créé le patrimoine de la
(1) Op, cit., p. 275, note 2.
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44 CHAPITRE PREMIER
personne morale, qui l'ont développé, qui ont proposé ce
but à son activité, sont purement et simplement évin-
cées, mises de côté comme si elles n'existaient pas. Le
lien entre le droit et les personnes se trouve rompu. Il y
a d'un côté des droits sans sujet, un patrimoine sans
maître, dont TEtat pourra s'emparer sans que personne
puisse élever une contradiction légitime ; de l'autre une
corporation sans patrimoine, un ensemble de personnes
dont l'immixtion dans l'administration des biens ne sera
tolérée par l'Etat qu'autant qu'il la jugera utile. C'est la
mainmise de l'Etat sur tous les patrimoines ayant une
destination supérieure à Tutililé particulière de l'indi-
vidu : c'est le monopole de TEtat pour tout objet d'utilité
générale, ou même collective (1).
20. 2® Les théories dont nous venons de parler ne se
préoccupent que du droit privé. Dans un ouvrage des
plus remarquables (2), notre collègue, M. Duguit, a réso-
lument porté la question sur un terrain plus large, il a
(i) Remarquons que Tarbitraire de l'Etat, dans ce système est
absolu. Il peut créer, comme il peut supprimer, les patrimoines
sans maître par sa seule volonté. II suffît qu'il leur assigne un but,
et théoriquement ce but peut être aussi étranger que possible à
tout intérêt humain. Bekker nous parle des droits que Ton peut
attribuer au chien Tiras et à la chienne Bellone, Rûmelin de ceux
que Ton peut attribuer au chiffre 1891. Le danger de créations
pareilles est sans doute pratiquement nul. Mais leur simple possi-
bilité théorique suffît à faire douter du système. - Au fond d'ail-
leurs la théorie des droits sans sujet ne fait que substituer à la
fiction traditionnelle une fiction nouvelle ; car après avoir pro-
clamé la possibilité de droits sans sujets elle est obligée de ratta-
cher ses droits à quelque chose^ de les considérer comme appar-
tenant à ce quelque chose, et ce ne peut être là qu'une fiction. Cpr.
Bierling, o/>. cil , n^ 168.
(1) Léon Duguit, Etudes de droit puhliCy l. LÈtat, le droit objec-
tif et la loi positive. \\, UEtat^ les gouvernements et les agents.
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LA NOTION DE PERSONNALITE MORALE 4^
nié Tutilité de la personnalité morale, et par là nié la
nécessité de relier les droits à des sujets, tant en droit
public qu'en droit privé. Sa thèse, qui a déjà rencontré un
certain nombre d'adhérents (1), et qui laissera certaine-
ment une trace importante dans notre littérature juridi-
que, déborde d'ailleurs de beaucoup le cadre de notre
ouvrage. Elle a sa base en effet dans une philosophie
générale du droit, que Fauteur fonde sur Tidée de soli-
darité, et sur- une théorie nouvelle des relations entre
gouvernants et gouvernés. Il nous est impossible ici de
la discuter d'une manière complète. Il est cependant
essentiel de l'apprécier dans ses grandes ligne3.
Tout ce que l'observation sociale nous révèle, dit
M. Duguit, c'est, d'une part, Texistence de la solidarité
sociale, d'oti découle des règles de droit objectif aux-
quelles tout individu doit se conformer, d'autre part,
l'existence de volontés individuelles ^ qui ont droit à se
réaliser quand elles sont conformes à ces règks de droit
objectif, qui n'y ont aucun droit dans le cas contraire.
Il est inexact de concevoir suivant la notion courante,
le droit subjectif comme un rapport entre deux sujets.
C'est sfmplement un pouvoir appartenant à une volonté
quand elle est conforme à la règle de droit. Le mot
droit subjectif doit d'ailleurs être évité et remplacé par le
terme de situation juridique subjective qui a l'avantage
de ne pas éveiller l'idée de rapport entre deux sujets.
Ceci posé, la notion de personnalité morale —
comme d'ailleurs beaucoup d'autres notions juridiques
courantes — devient tout à fait inutile. Si la volonté
(1) Notamment M» Jèze. Les principes généraux du droit ad»
miniatratif (Extrait de la Revue générale d'administration) y
1904.
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46 CfiAPITRfi PREMIER
des représentants d*un groupe produit des effets plus
étendus que la volonté d*un individu ordinaire, ce n'est
pas à raison de la personnalité du groupe, c'est parce
qu'il est conforme à la règle de droit que ces effets plus
étendus se produisent. Spécialement, TElat ne doit pas
être considéré comme une personne morale ; l'envisager
ainsi, c'est tomber dans Tabstraction et la fiction ; en
réalité TEtat n'a aucune existence réelle ; il n'existe que
des gouvernants et des gouvernés, les premiers se dis-
tinguant des seconds uniquement parce qu'ils sont les
plus forts. lien résulte que la volonté des gouvernants
n'a pas, par elle-même, plus de valeur que celle des
gouvernés; si elle produit des effets plus étendus, c'est
parce qu'il est conforme à la règle de droit que ces
effets se produisent : cette volonté, étant déterminée par
un but social, doit produire des efï'ets sociaux, et par
exemple engager dans l'avenir non seulement la per-
sonne même qui Ta manifestée niais encore ceux qui la
remplaceront dans ses fonctions. Le pouvoir d'imposer
cette volonté par contrainte s'explique encore plus sim-
plement sans qu'il soit besoin de recourir à la notion
de souveraineté appartenante une personne morale ; ce
pouvoir n'est qu'un pouvoir de fait^ résultant de ce que
les gouvernants sont les plus forts ; iln^est légitime que
lorsqu'il agit conforménnent au droit objectif.
21. Sans discuter à fond les idées fondamentales de
cette théorie, ce qui nous conduirait à présenter, à
l'exemple de l'auteur, toute une philosophie du droit,
nous nous bornerons à indiquer deux points sur lesquels
elle nous paraît inacceptable. Nous ferons observer tout
d^abord qu'elle a pour point de départ le désir avoué de
bapnir du droit tout ce qui est fiction ou abstraction et
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La NOtlOM DE t'ERSONNALlTÉ MORAtti 4Ï
de? s'en tenir à la simple observation des faits. L'auteur
ne cesse de revenir sur celte idée, et s'il rejette la
notion de personnalité, ce n'est pas tant parce qu'il la
juge inutile, que parce qu'il la juge artificielle : « Nous
croyons naïvement, dit-il (1), que c'est un roi^ un
empereur, un parlement, une majorité, qui veulent et
commandent. Erreur I les faits ne sont rien ; les juristes
sont au-dessus d'eux, ils n'ont point à en tenir compte ;
ils vivent dans un monde qui leur est propre, dans une
sphère inaccessible aux profanes ; le monde extérieur
n'est rien ; les juristes ne connaissent que le monde des
juristes.... Essayons donc de nous débarrasser une* fois
pour toutes de ces fantômes, de ces abstractions, de
prendre les choses comme elles sont, et de voir ensuite
quelles conséquences juridiques on peut et on doit en
tirer. Adoptons les théories juridiques aux faits et non
pas les faits aux théories juridiques ».
Nous ne croyons pas nous tromper en croyant que le
livre de M. Dugult est en grande partie inspiré directe-
ment par celte devise, et en ajoutant que le succès de
ses idées lui est dû pour une grosse part. Et en vérité
c'est une tendance très louable que de chercher dans nos
théories juridiques à diminuer la pari d'abstraction et
de fiction, et à serrer d'aussi près que possible la réa-
lité. Mais il importe de/se rendre compte que l'abstrac-
tion ne disparaîtrajamais de notre science : une théorie
juridique ne peut pas ne pas abstraire, c'est de son
eesence même. Une théorie juridique est un produit de
noire esprit, par laquelle nous cherchons à classer les
faits de la vie réelle, pour déterminer à quelle règle
(l)T.l, p. 240.241.
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48 CHAPITRE PREMIER
générale ils seront soumis. Or, pour cela, nous sommes
bien obligés d'employer des formules abstraites, saisis-
sant dans les faits les caractères généraux qui les
rapprochent et permettent de Tes grouper. Ce sont ces
caractères communs qui nous fournissent les concepts
juridiques, tels que ceux de personne, de droit sub-
jectif, d'obligation, etc., sur lesquels nous opérons (1)/
Il serait facile de démontrer que M. Duguit n'échappe
pas plus qu'un autre à cette nécessité. A la notion
d'Etat, par exemple, il substitue la notion de gouver-
nants et de gouvernés. C'est là substituer simplement
une abstraction à une autre abstraction ; car, dans la
réalité des choses, les gouvernants ne sont pas distincts
des gouvernés comme il Timagine; nous sommes tous à
la fois Tun et l'autre, et il faut un effort d'abstraction
pour nous considérer suivant les cas, tantôt à un point
de vue, tantôt à l'autre. La vraie question n'est donc
pas de savoir si l'idée de personnalité morale est une
abstraction (elle Test certainement, mais pas plus que
toute autre idée juridique), mais si cette abstraction
répond mieux aux besoins de la technique juridique
que celle qu'on propose de lui substituer.
22. Or, la technique que nous ofiFre M. Duguit nous
paraît évidemment insuffisante. Elle ramène tous les
phénomènes de la vie juridique à des actes de volonté
individuelle subordonnés à une règle de droit, et cette
conception, en soi, n'est pas inexacte (réserve faite de la
manière dont l'auteur comprend la règle de droit). Mais
(1) Ces concepts n'ont aucune existence objective. Ils désignent
seulement la manière dont notre esprit se représente des rapports
entre les hommes. Y. Jellioek, Allg» Staats-lehre^ p. 145 et suprà,
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La NOtlON i)E t>ËRSONNÀLIT£ MORALE 4d
elle ne permet pas, à elle seule, de dégager les consé-
quences des faits juridiques. Soit, par exemple, , un
contrat passé par X... : à la suite de ce .contrat, cer-
tains actes de volonté de X... vont devenir conformes à
la règle de droit, alors qu'antérieurement elles ne Tous-
sent pas été, et inversement. Nous traduisons : X... va
avoir des droits et des obligations résultant du contrat.
Comme résultat, toutes les théories sont d accord. Mais
par quel procédé la théorie de M. Duguit déterminera-t-
elle quel est le X... qui va avoir ces droits et ces obliga-
tions ? C'est toujours une personne physique, sans
doute, qui passe le contrat ; mais une seule et même per-
sonne physique peut en passer dans mille conditions diver-
ses : pour elle-même, pour l'Etat dont elle est un agent,
pour la commune ou le département qu'elle administre,
pour la société commerciale qu'elle dirige, pour le cer-
cle ou l'association qu'elle préside, pour le mineur dont
elle administre les biens, pour le tiers qui lui a donné
un mandat^ etc.; et toutes les fois qu'elle ne passe
pas le contrat pour elle-même, ce n'est pas elle qui est
obligée, mais une série d'autres personnes physiques
(par exemple les divers représentants successifs de
l'Etat, de la commune, de l'association). Comment
déterminera-t-on ces personnes sans recourir à l'idée de
personnalité, et sans déterminer quel est le suiet de
droit auquel est imputable le contrat ? M. Duguit se
contente de nous dire que le contrat produira tous les
effets voulus par la règle de droit, et nous n'y contredi-
sons pas, mais nous nous permettons de trouver la
réponse un peu courte. Sans doute il ne nie pas la con-
tinuité et Vunité de l'Etat ; mais il ne donne pas à ces
MIGHOUD 4
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SO CHAPITRE PREMlEU
faits leur expression juridique {\)\ il ne construit pas
une technique du droit qui nous permette de nous orien-
ter au milieu des phénomènes complexes de la "vie. Il
nous faut pour cela recourir aux idées de personnalité
juridique, de représentation, de sujet actif et passif du
(1) Nous reviendrons plus loin (ci-après, eh. III, § (), sur la
notion de Vunité de l'Etat pour en montrer Tiraportance, et en
môme temps pour la défendre contre certaines tentatives de dé-
membrement qui se sont produites dans la doctrine. En ce qui con-
cerne la continuité de l'Etat, malgré le changement des personnes
qui le représentent, la théorie de la personnalité en est aussi la
seule expression juridique précise. M. Duguit (p. 333) cherche à'
démontrer que cette idée a sa source dans le droit monarchique
c'est-à-dire dans le droit d'une époque où l'idée de personnalité
de TEtat n'était pas encore nettement dégagée. Mais l'ab-
sence d'une théorie assise sur la personnalité de TEtat a pré*
cisément eu cette conséquence que la perpétuité de l'Etat n'a été
reconnue que péniblement, et qu'il a fallu prendre des détours pour
en introduire les conséquences dans la pratique. Lebret au xviie
siècle (Souveraineté du roi, L. IV, ch. IX), admet encore que le
roi n'est point tenu de payer les dettes de son prédécesseur, si ce
n'est t pour les lois de la charité, de l'équité et de l'honneur m, et
parce qu'il est tenu dé « décharger la conscience » de ce prédéces-
seur. On trouve à divers endroits des procédés empiriques cher-
chant à combler le vide laissé par l'absence de la théorie de la per-
sonnalité ; p. ex. on fait conflrmer par le prince, d'une manière
expresse, les actes de son prédécesseur, ou on permet de poursuivre
les sujets pour les dettes du prince (V.Stobbe, Handbuch des deuts-
chen Privatrechts,^^ éd. t I,§ 50, notes 2à4).Pour la commune on
emploie des procédés analogues (eod. l. note 6, et Gierke, Genos-
senschafUrechty t. II, p. 770 et s.). Combien l'idée de person-
nalité est à la fois plus simple et plus juste ! M. Duguit explique
pour son compte la perpétuité de l'Etat (p. 350)en disant que « l'acte
d'un gouvernant produit des effets durables parce que le but qui le
détermine se rattache le plus habituellement à un intérêt perma-
nent et dont la permanence est considérée comme légitime ».
Sans doute ! Mais c'est précisément ce fait qu'exprime juridique-
ment la notion d'une personnalité permanente. Gp. ci-dessus, n<* 4
et ci-dessous, n° 2î9.
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La NOttON DB PERSONNALITE MORALE 51
droit, en un mot à une série de théories traditionnelles/
que ridée unique du règne du droit objectif ne saurait
remplacer.
Assurément on devrait écarter toute cette technique et
chercher à la remplacer par une autre si elle procédait
d'une analyse inexacte des faits sociaux. Mais M. Du-
guit n'a point démontré et ne pouvait pas démontrer
/cette inexactitude. C'est lui qui donne au contraire une
analyse incomplëtepu même inexacte sur certains points.
Nous ne voulons ici insister que sur un seul.
23. Dans sa théorie le droit de commander disparait.
L'idée à'imperium n'est qu'une survivance des régimes
monarchiques (1). Toutes les volontés étant égales entre
elles, celle des gouvernants n'a pas plus de valeur juri-
dique que celle des gouvernés, et si les premiers peuvent
employer la contrainte, c'est uniquement parce qu'en
fait ils sont les plus forts. Leur contrainte se légitime
non par un droit de commander qui leur appartiendrait
en qualité de gouvernants, mais seulement par la con-
formité à la règle de droit de la volonté qu'il s'agit de
faire exécuter. M. Duguit ne peut pas soutenir une autre
thèse, car il lui paraît évident comme à nous que le droit
de commander ne peut appartenir à un individu en son
propre nom ; il ne peut donc que faire disparaître Tidée
de souveraineté.
Il esf à peine besoin de montrer le danger social d'une
telle théorie. Elle reconnaît en principe le droit pour
chacun, non seulement d'examiner la conformité au
droit de la volonté gouvernante, mais aussi d'employer
({) V. t. I, p. 336 et s. « En affirmant le droit de commander,
on ne s'aperçoit pas qu'on ne fait que maintenir les principes de
la monarchie absolue. . . »
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èi CHAPITRE PREMIEl^
la force — s'il le peut — pour faire prévaloir sur celle
volonté sa volonlé propre, lorsqu'il la juge plus con-
forme à la règle de droil. C'est là une Ihéorie propre-
ment anarchique que nous croyons incompatible avec
les nécessités sociales. Vneautojnté est nécessaire pour
proclamer et interpréter le droit ; et il esl nécessaire
qu'elle puisse imposer sa manière de le comprendre et
de rinterpréter. — Mais il y a plus : à supposer que
la règle de droil pût, sans l'intervention d'une autorité,
être connue et acceptée de tous, la théorie de M. Du-
guit sérail encore insuffisante. Elle suppose en effet que
tout ordre des gouvernants peut être conçu comme
V exécution d'une règle de droit ; en d'autres termes,
que l'autorité abstraite et impersonnelle du droit suffit
non seulement pour limiter^ mais pour dicter les actes
des gouvernants. M. Duguit combat comme une erreur
ridée que l'Elat peut agir librement, et non point en
vertu d'une règle supérieure qui l'y contraint : « Cette
idée est fausse et dangereuse, nous dit-il, tout acte de
TElat lui est imposé par la règle de droit : il ne peut
faire que ce que lui impose la règle de droit, et il doit
faire tout ce qu'elle lui impose » (1). Il est évident que,
si cela n'est pas admis, le principe d'autorité redevient
nécessaire pour nous contraindre à obéir aux ordres que
l'Etat donne librement, dans la limite du droit, mais sans
avoir pour but d'observer une de ses règles. On com-
prend que je sois obligé de m'incliner devant la con-
trainte d'une volonté même égale à la mienne, si elle a
pour objet de réaliser une règle impérative du droit, non
devant une contrainte de cette nature^ qui aurait pour
(1)T. I, p. 305.
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LA NOTION DE PERSONNALITÉ MORALE 53
objet de réaliser une décision libre, sans doute conforme
au droit, mais cependant plus ou moins arbitraire, de
cette volonté.
Or il nous semble que l'analyse de M. Duguit est ici
inacceptable et qu'elle ne traduit nullement la réalité des
faits. Elle revient à l'ancien système qui fait de TEtat uni-
quement l'organe du droit, alors qu'en t'ait il commande
pour d'autres motifs que celui de faire régner le droit :
pourdéfendre la société qu'il représente contre les atta-
ques extérieures et intérieures ou, contre les événements
de la nature (tels qu'épidémies ou inondations) ; pour y
faire régner la prospérité matérielle et en développer, en
perfectionner la vie morale, etc. Tout le rôle civilisateur
de l'Etat est contraire à la théorie d'automatisme juri-
dique de M. Duguit. Nous voulons bien que l'on rattache
cette mission civilisatrice à un effort vers une réalisation
plus complète du droit (1). Mais cet effort nécessite évi-
demment une série d'actes d'appréciation qui ne sont
point des actes imposés par une règle de droit, qui sont
au contraire des actes libres pour lesquels il est impos-
sible de se passer du droit de commander. On revient
dès lors à la nécessité d'expliquer ce droit, et nous
croyons qu'on ne peut le faire qu'en y voyant un droit de
la collectivité exercé par l'organe qui la représente (2).
24. 3M1 y a une autre voie pour expliquer Texistence
des phénomènes habituellement groupés sous le nom de
personnalité morale, sans donner à la personne morale
le caractère de réalité. Elle s'écarte de la précédente dans
. {{) Comme le fait par exemple M. Boistel, Cours de droit natu-
rel, t. II, nos» 393 et s.
(i) La discussion de la théorie de M. Duguit sera complétée ci-
après dans le Gh. III.
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54 CHAPITRE PREMIER
un sens diamétralement opposé : au lien de considérer
les biens comme sans mailre et les droits comme sans
sujet, el par conséquent de faire abstraction des per-
sonnes physiques qiii les gèrent ou qui les exercent, on
les regarde comme appartenant purement et.simplement
à ces personnes. La personnalité morale devient chose
inutile, parce que tous les phénomènes que Ton a cou-
tume d*y rattacher ne sont que des modalités des droits
des personnes physiques. L'homme seul existe et a des
droits ; la personnalité des êtres moraux n'est qu'une
apparence ; une analyse plus profonde permet de mon-
trer qu'elle ne constitue qu'un vain artifice des juristes,
une sorte d'échafaudage que Ton peut supprimer quand
on s'est rendu compte qu^au fond tous les droits qu'il
soutient appartiennent à des individus.
L'auteur qui le premier a développé cette thèse est
M. Van den Heuvel. Après avoir insisté, comme Lau-
rent, sur le caractère étrange de la fiction qui crée une
personne, alors que Dieu seul a le pouvoir de faire jaillir
du néant les personnalités qu'il lui plaît de créer (1), cet
auteur nous montre que toutes les personnes morales,
y compris l'Etat, peuvent se ramener à des sociétés ou
associations (2). Pour prouver que la fiction est inutile,
il suffit de démontrer que les règles spéciales du contrat
d'association, pour l'explication desquelles elle a été
inventée, peuvent se justifier autrement. Or, si Ton exa-
mine, par exemple^ les règles de la société commerciale,
la mieux étudiée de toutes les formes de l'association,
(1) De la situation légale des associations sans but lucratifs
p. 35.
(2) Op, cit,, p. 33. L'auteur qui se place ici sur le terrain du
droit idéal, emploie à peu près indifTëremment les mots société et
association.
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LA NOTION DE PEBSONNÀLITÉ MORALE 55
on constate que tous les effets de la prétendue personna-
lité civile se ramènent à cette idée que le fonds social
n'est pas indivis entre les associés, mais est réputé
appartenir à l'être moral société. De cette idée même on
tire trois conséquences, qui sont les seuls résultats réels
de la personnalité civile : 1° le droit des associés est
considéré comme mobilier même quand la société pos-
sède des immeubles ; 2° la société ayant pour patri-
moine propre Taclif social, celui-ci sert de gage aux
créanciers sociaux, à Texclusion des créanciers person-
nels des associés (conséquence d'où découlent un certain
nombre d'autres, notamment l'impossibilité de compen-
ser les dettes et créances personnelles des associés avec
les dettes et créances de la société) ; 3^ enfin, dans les
procès, la société est représentée par son gérant.
Expliquez ces trois règles sans le secours de la fiction,
nous dit M. Van den Heuvel, et vous aurez démontré par
là même que l'idée de personnalité morale est inutile.
Or, ^u fond rien de plus Facile. La dernière s'explique
simplement par Tidée de représentation en justice ; elle
ne contient pas autre chose qu'une dérogation à la vieille
règle que nul ne plaide par procureur, et cette dérogation
est, au moins en théorie, et même semble-t-il, au point
de-vue spécial du droit français, parfaitement admissible.
Le gérant qui plaide au nom de la société représente en
réalité les associés eux-mêmes. — Quant à la première
(caractère mobilier du droit des associés), c'est une règle
admise par des considérations d'utilité pratique ; on a
voulu simplement débarrasser les sociétés des entraves
qu'auraient apportées à la transmission de leurs actions
les précautions minutieuses dont se trouvent entourées
les transmissions immobilières. — Reste la seconde, qui
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56 ^ CHAPITBB PREMIER
est la plus importante. Mais qu'est-elle autre chose
qu'une simple séparation des patrimoines, analogue à
celle qui se produit en d'autres matières sans que jamais
on ait songé à y introduire l'idée de personnalité? Si je
contracte une dette, sans poser des conditions particu-
lières à mon engagement, le créancier aura pour gage
tous mes biens présents et futurs; mais pourquoi ne
pourrais-je pas, s'il y consent, restreindre ou augmenter
son gage? En apportant certains biens dans la société, je
suis censé les aflFecter spécialement aux obligations que
je contracterai comme associé. C'est une convention très
naturelle, pourvu que les tiers en soient suffisamment
prévenus. La loi en la sanctionnant ne fait qu'appliquer
le principe de la liberté des conventions, en y ajoutant
une présomption générale de volonté de la part des
associés (1).
Ainsi, les personnes morales ne sont au fond que des
associations en faveur desquelles la loi a admis, pour
favoriser leur développement, certaines règles déroga-
toires au droit commun. Ce sont des associations privi-
légiées. L'auteur reconnaît que toutes les associations ne
sont pas soumises à ce régime, et il insiste même à
diverses reprises sur cette idée, qu'aucune association
ne peut jouir des faveurs dont il s'agit^ si elles ne lui ont
pas été accordées par des dispositions spéciales de la
loi (2). Mais ce régime suffit, suivant lui, à expliquer
(1) Van den Heuvel, op. cii,, p. 42 et suiv. — M. Marcel Mongin
{Revue critique, 1890, p. 697), a repris toute cette thèse, en la for-
mulant plus rigoureusement. Mais cet auteur restreint sa démons-
tration aux sociétés, et ne prétend pas conclure d'une façon absolue
à l'inutilité de la personnalité morale. Nous retrouverons plus loin
ses explications (infrà, nos 66 et suiv).
(2) Van den Heuvel, op, cit. y p. 63, p. 91 et suiv.
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LA NOTION DE PERSONNALITE MORALE 57
toutes les règles applicables aux personnes morales ;
toutes, même PÉtat et la commune, ne sont autre chose
que des associations de cette nature (1). Les biens que
Ton considère comme leur appartenant ne sont en réalité
que la copropriété de leurs membres ; seulement c'est
une copropriété soumise à certaines règles particulières.
25. M. de Vareilles-Sommières, dans le premier ou-
vrage qu'il a consacré à la théorie de la personnalité
morale (2) n'allait pas tout à fait jusqu'à la thèse de
M. Van den Heuvel. Il se bornait à soutenir que les
associations non douées de personnalité ont le droit de
posséder, et à leur accorder une situation de fait qui
ne les éloignait pas beaucoup des associations person-
nalisées (3). Il admettait encore qu'à côté d'elles le légis-
(1) 76., p. 38, p. 53. — L'auteur applique également sa thèse
aux fabriques d'églises qu'il considère comme représentant l'asso-
ciation des fidèles de la paroisse (p. 54).
(2) Publié d'abord en 1892 dans la Revue catholique des institu-
tions et du droit. Paru ensuite en brochure sous ce titre : Le con-
trat d* association (1893).
(3) M. Yves Guyot a soutenu dans la Revue politique et parle-
mentaire (décembre 1898, p. 356 et suiv.) une thèse tout à fait
analogue à celle qu'admettait au début M. de Vareilles-Sommières.
Opposant V association contractuelle à V association corporative,
il propose d'organiser les syndicats professionnels sur le premier
type, en écartant pour eux la personnalité morale comme inutile
et dangereuse. Ils constitueraient de simples société civiles non
douées de personnalité, mais capables de posséder par délégation
de leurs membres (p. 571). Il ne va pas jusqu'à soutenir que le
système serait applicable à toutes les personnes morales. Il dit au
contraire : « La personnalité civile doit être réservée à l'Etat et
aux communes ». —Le système de l'association purement con-
tractuelle, non personnalisée, mais pouvant affecter au but de
l'association des biens appartenant aux associés, a d'ailleurs joué
un rôle important dans l'élaboration de la loi du l«r juillet 1901.
C'était le système du projet de loi déposé par M. Waldeck-Rousseau
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58 CHAPITRE PREMIER
laieur pouvait établir par fiction des associations de cette
dernière espèce, et que cette fiction, qui était pour elles
un « utile ornement », avait pour conséquence de leur
donner plus de force et de stabilité. Mais depuis lors,
dans le très remarquable ouvrage qu'a couronné Tlnsti-
tut (i), il a franchement repris la thèse de M. Van den
Heuvel en la précisant et en lui donnant des développe-
ments nouveaux. Pour lui comme pour son prédécesseur
toutes les personnes morales sont des associations. Les
droits que la doctrine courante considère comme étant
ceux de la personne morale sont en r'éalité les droits
des associés. Ceux-ci sont les vrais co,-propriétaires du
patrimoine social. Seulement ;ls sont soumis, quant à
Texercice de leurs droits, à un régime spécial qu'on peut
appeler le régime personnifiant^ et qui se caractérise par
les traits suivants: 1^ Un associé ne peut pas, sans le
consentement de tous (ou ce qui revfent au même sans
le consentement deTadministrateur fondé de pouvoirs de
tous) soustraire à la masse commune, par des aliénations,
sa part dans les objets communs ; 2^ Un associé ne peut
pas poursuivre ni recevoir séparément le paiement de
sa part dans le montant d'une créance sociale ; 3*^ Un
associé ne peut pas être poursuivi isolément soit par
qui considérait la personnalité civile comme une fiction, et la fai-
sait dépendre d'une reconnaissance d'utilité publique donnée par
décret, mais admettait, pour les associations, la possibilité de pos-
séder en fait les biens dont leurs membres restaient coproprié-
taires. Le môme système avait inspiré aussi le contre projet de
l'abbé Lemire, qui l'admettait seulement avec plus de largeur. Ces
systèmes n'ont pas triomphé. Mais ils peuvent avoir leur impor-
tance pratique pour expliquer la situation des associations non
personnalisées (V. infrà, ch. IV).
(1) Les personnes morales (1902).
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LÀ NOTION DE PERSONNALITE MORALE 59
voie judiciaire, soit par voie extrajudiciaire, pour sa
part dans une dette sociale. Le résultat de ces trois
règles, c^est que, dans les rapports de rassociation avec
les iiers, tout se passe comme si les associés ne for-
maient qu'une personne unique propriétaire du patri-
moine social. De là pour l'esprit la tentation, d'abord de
comparer Tassociation à une personne, ensuite, et peu à
peu, de glisser de la comparaison à la fiction et de décla-
rer qu'elle est une personne fictive. En réalité, elle n'est
pas plus une personne fictive qu'une personne réelle ;
il n'existe en elle pas d'autre personne que les individus
associés. La fiction de personnalité morale est cependant
légitime, à condition de bien se rendre compte de ce
qu'elle est: elle n'est pas Tœuvre du législateur, elle est
Pœuvre inconsciente de tous. Elle est « la résultante dans
l'esprit humain d'un régime social... la projection sur
notre écran intellectuel de l'association soumise au
régime décrit ». A distance les associés apparaissent
comme un seul homme, comme une personne unique
ayant pour tout patrimoine l'avoir social. Cette manière
de la considérer ne change rien à la nature des choses
et ne produit aucun effet juridique. Elle a seulement une
utilité « d'ordre artistique et pédagogique. » — « L'utilité
de la fiction c'est de peindre et de résumer élégamment
un état de choses, de lui donner du relief et de la cou-
leur, de simplifier la description d'une situation com-
pliquée; c'est d'être un excellent procédé de conception
et d'exposition ; c^est de rendre des services à la science
et à renseignement ; c'est d'alléger le langage et même la
pensée. Telle est l'utilité, toute l'utilité de la personna-
lité morale » (1).
(i) Les personnes morales j p. 225, n^ 484. Les explications pré-
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60 CHAPITRE PREMIER
La conséquence du système est que la personne mo-
rale n'est nullement une création législative, mais que
la situation particulière qui résulte de ce qu'on appelle
Vulgairement sa personnalité découle du régime même
auquel les associés se sont soumis. L'auteur applique
son système à tous les groupements doués de person-
nalité, depuis TEtat et la commune jusqu'à l'associa-
tion de droit privé et à la fondation. Il est toutefois
obligé, pour rester fidèle à son principe de nier délibé-
rément la personnalité des établissements publics. Pour
lui, ils ne sont « sauf peut-être quelques rares exceptions,
que l'Etat, le département, la commune, accomplissant
une de leurs fonctions avec un rouage spécial et une
caisse spéciale » (1).
26. De cette doctrine se rapproche beaucoup celle qui
a été soutenue par MM. Planiol (2) et Berthélemy (3),
qui ramènent la personnalité morale à la notion de pa-
trimoine collectif . Elle n'en diffère que par l'introduction
de ce mot nouveau, qui lui permet d'opposer plus nette-
ment Tune à l'autre la copropriété ordinaire et la
copropriété d'une nature spéciale qui appartient aux
membres du groupe personnalisé. Mais au fond elle ne
s'en écarte pas essentiellement, car M. de Vareilles-
Sommières admet bien, lui aussi, qu'il sagitj non d'une
copropriété ordinaire^ mais d'une copropriété soumise
à des règles spéciales.
cédentes résument la théorie exposée dans les nos 333 à 365 de
Fouvrage.
(1) M., p. 667, n» 1542.
(2) Droit civil, l'e éd. t. 1, p. 259 et s.; 3e éd. p. 977 et s.
nos 3005 et s.
(3) Droit administratif, 2« éd. p. 39 et s.; 3e éd. p. 29 et s.
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La NOtlON DE PERSONNALITÉ MORALE * èi
D'après M. Planiol, l'idée de personnalité naorale n'est
autre chose qu'une « conception simple, mais superfi-
cielle, qui cache aux yeux la persistance, jusqu'à nos
jours, de* la propriété collective à côté de la propriété
individuelle » (i). « Nous pouvons, dit de son côté
M. Berthélemy (2), être, de trois manières, propriétaires
d'un champ ou d'un troupeau : individuellement, c^est-à-
dire chacun pour une part divise, pour un nombre déter-
miné de bêtes ; indivisément, c'est-à-dire chacun pour
une quote-part du champ ou du troupeau; collective-
ment, c'est-à-dire à nous tous envisagés comme n'étant
qu'un ». « Quand je dis, ajoute-t-il, que TEtat est une
personne morale, je ne veux pas exprimer autre chose
que ceci : les Français sont collectivement propriétaires
de biens et titulaires de droits ». M. Planiol insiste d'ail- •
leurs, à très juste titre, sur la nécessité d'admettre, pour
la gestion des patrimoines collectifs, un régime spécial,
ayant comme caractère principal d'être un régime uni-
taire, c'est-à-dire de soustraire le patrimoine collectif
aux volontés individuelles des membres^ ce qui le diffé-
rencie nettement du patrimoine possédé à Tétat d'indivi-
sion (3).
27. Ces théories qui ont pris en France un si grand
développement, se trouvaient déjà comme en germe
dans l'explication que Ihering avait esquissée plutôt que
développée dans V Esprit du droit romain (4). Pour lui
(i) Plaûiol, op. oit,, Ire éd. n» 675.; cpr. dans la 3e éd., nos 3007
et 3017.
(2) Berthélemy, op. cit., 2e éd. p. 43.; 3e éd. p. 32.
(3) Planiol, ire éd., nos 723 et s.
(4) Trad. Meulenaere, t. IV, p. 430. Les ouvrages de M. Max
Schwabe (Die juristische Person and das Mitgliedschaftssecht,
Bâle 1900. Rechtssubjekt und Nutsbefugniss, Bàle 1901. Die
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?7**-
62 CHAPITHB PHEMIEft
déjà, les véritables sujets de droit dans là personne
morale, c'étaient les individus isolés : ^c La personne
juridique comme telle est incapable de jouir, elle n'a ni
intérêt, ni but; elle ne peut donc avoir de droits que là
où ils atteignent leur destination, c'est-à-dire là où ils
peuvent être utiles à leurs ayants droit. Un droit qui
ne peut jamais atteindre ce but est une chimère inconci-
liable avec ridée fondamentale du principe du droit.
Pareille anomalie ne peut exister qu'en apparence : le
sujet apparent du droit cache le véritable... Non, les
véritables sujets du droit, ce ne sont point les personnes
juridiques conîrae telles, ce sont leurs membres isolés.
Celles-là ne sont autre chose que la forme spéciale dans
laquelle ceux-ci manifestent leurs rapports juridiques
avec le monde extérieur ». Le principe ainsi formulé
s'applique sans peine aux associations ; pour elles, les
véritables ayants droit, ce sont les associés. Quant aux
fondations, Ihering admet comme étant les sujets du
droit les destinataires de la fondation^ c'est-à-dire les
malades, orphelins, indigents, etc., qui profitent en fait
des biens à elle affectés (1).
28. Nous faisons à toutes ces théories une première
Korperschaft mit und ohne Personlichkeit, Bâle 1904), se rat-
tachent aux théories que nous venons d'analyser.
(i) Dans un autre passage du même ouvrage (t. III, p. 56-57),
Ihering explique que la personne morale n'est au moins pour le
droit privé qu'un instrument technique destiné à corriger le man-
que de détermination des sujets. — Ailleurs, p. 72, il considère
l'application de la notion de personne aux êtres juridiques comme
V extension artificielle d'une notion naturelle^ procédé qu'il juge
proche de la fiction. — Ihering n'est donc pas aussi radical que
les auteurs français dont les doctrines ont été analysées dans les
précédents numéros. Il admet bien l'utilité technique de l'idée de
personnalité morale et même sa nécessité.
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■TTppf/
LA NOTION ÙE t^ERSONNALITS MORALB 63
objection que nous avons déjà adressée & la théorie de la
fiction et qui, d'après nous, est fondamentale : ce sont des
théories de pur droit privé, qui n'expliquent en rien
Yexistence, Vunité et la perpétuité des personnes mora-
les de droit public. Dans la personne morale, elles ne
voient jamais qu'un patrimoine. Alors même donc
qu'elles seraient suffisantes pour expliquer la situation
juridique des associations de droit privé, elles sont^
comme la théorie de la fiction, impuissantes à expliquer
l'Etat. M. Van den Heuvel s'élève quelque part, et à très
juste titre, contre l'idée de considérer l'Etat comme une
fiction. Il n'est pas plus exact de le considérer comme un
gigantesque contrat d'association dans leqtiel les parti-
culiers ont mis en commun certains biens afin de les
soustraire à l'action de leurs créanciers personnels et de
les soumettre à une gestion unique. « Qui donc, dit très
bien M. Capilant (1), définirait l'Etat : une masse de
biens qui appartiennent à tous les nationaux? » Sans
doute les auteurs de ces systèmes ne disent pas que
l'Etat ne soit que cela; mais dans sa vie juridique ils
séparent arbitrairement le côté patrimonial de tout le
reste; alors que le patrimoine n'est pour lui qu'un moyen
pour atteindre des fins supérieures, ils en font le seul
élément de la personnalité (ou de ce qu'on entend d'ordi-
naire sous ce mot). M. Planiol va jusqu'à dire que les
prétendues personnes morales n'en sont pas, même
d'une manière fictive, mais sont des choses (2) ; et il
insiste sur cette idée qu'un groupement quelconque ne
(i) Introd, à U étude du droit civil, 2° éd., p. 170.
(2) Droit civil, l^e éd., n^.675. Dans sa 3^ éd., M. Planiol, con-
séquent avec sa doctrine, classe l'étude des personnes morales dans
la partie de son ouvi:age consacrée à Tétude des biens.
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Il
64 CttA.Pl1*Rfi t^REMlEtt
peut avoir ce qu'on est convenu d'appeler la personnalité
que parce qu'il a des biens^ en sorte que « personnalité »
est synonyme de « masse de biens ». M. de Vareilles-
Sommiëres revient également à plusieurs reprises sur
ridée qu'une association qui n'a pas^ de biens n'est pas
personnifiable, et il en donne même cette explication
vraiment curieuse qu'une association qui n'a pas de
biens « n'a pas de rapports avec les tiers » (1). Cela seul
suffit à montrer jusqu'à quel point, dans l'esprit de ces
auteurs, l'idée de personnalité est restreinte au domaine
du droit privé. M. Berthélemy, de son côté, dans un pas-
sage que nous discuterons plus loin (2), se déclare l'ad-
versaire de toute personnification de TEtat puissance
publique. En cela il ne fait que suivre la pente de sa
théorie, qui ne lui permet pas d'envisager dans son unité
indivisible la personnalité de TEtat ; et c'est là pour nous
un vice irrémédiable de cette théorie comme de toutes
celles qui lui sont analogues.
29. Ce n'est pas le seul. Même en la restreignant au
domaine du droit privé, l'explicalion nous paraît insuffi-
sante parce qu'elle est en partie inexacte. Sans doute
nous croyons, avec ces systèmes, que les membres delà
personne morale ne sont pas, pour elle ni pour son patri-
moine, des tiei's^ comme ils le sont dans le système de la
fiction. Par cela seul qu'il s'agit d'une personne collective
nous ne devrons pas faire dans nos théories abstraction
des personnes qui la composent. Mais de là à considérer
le patrimoine de l'être moral comme étant la propriété
des membres (sous une forme ou sous une autre) il y a
(1) V. Personnes morales, nos 1105 et s., 1125 et s. '
(2) V. ci-après, ch. III.
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tÀ Notion bË pèrsoNNalîtë mouale 6â
loin. A la différence de la théorie de la fiction qui ne voit
que le groupe, les théories dont nous parlons ne voient
que l'individu. Elles oublient qu'il y a, dans le groupe
lui-même, un intérêt collectif, distinct de l'intérêt indivi-
duel, à ce point qu'il lui est fréquemment opposé, et que
cet intérêt n'est pas seulement celui du groupe tel qu'il
est actuellement composé, mais celui d'un groupe permor
nent, qui représente les générations futures en même
temps que la génération présente. L'une des consé-
quences du système serait de permettre dans tous les cas
aux membres actuels du groupe de se partager ses biens ;
c'est la doctrine que la Révolution française a appliquée
aux biens communaux, et qui explique la délinilion de
ces biens donnée dans la loi du 10 juin 1793 et repro-
duite dans l'article 542 du Code civil : biens auxquels les
habitants d'une ou plusieurs communes ont un droit
acquis. Les lois révolutionnaires en avaient lire la consé-
quence pratique qqand elles avaient, ordonné d'abord,
plus tard permis et encouragé, le partage des biens com-
munaux entre les habitants (1). C'en serait fait aujour*
d'hui du patrimoine communal si ces mesures avaient
été complètement appliquées. Il a été sauvé parce qu^on
est revenu à une plus juste appréciation de la situation
juridique et que derrière les habitants de la commune on
a su voir l'intérêt de la commune elle même. L'arti-
cle 542 n'est plus^d'accord aujourd'hui — fort heureuse-
ment — avec les idées qui ont prévalu dans nos lois sur
la nature du patrimoine communal (2).
(1) V. les lois du 14 août 1792 et 10 juin 1793.
(2) M. Van den Heuvel cite à Tappui de son opiûioD, la dëiiDi-
tion de l'art. 542 ; et M. Planiol approuve cette définition (Ire éd.,
n® 921). Mais la plupart des auteurs la déclarent inexacte. — Cpr.
MICHOUD 5
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66 CHAPITBB PREMIER
30. Toujours sur le terrain du droit privé, on doit
encore objecter à ces diverses théories qu'elles ne don-
nent pas Vexpression juridique exacte de la réalité des
faits. Considérer les associés comnae propriétafres, c'est
déjà contraire aux faits dans les associations à but désin-
téressé qui admettent ce que M. de Vareilles-Som'mières
appelle le régime personnifiant; car dans presque toutes
les associations de ce genre les clauses sont combinées
de telle sorte que jamais l'associé ne retirera, pour son
propre patrimoine, un bénéfice provenant du patrimoine
social (1). Tout se passe comme si l'associé n'était pas
propriétaire; d'où l'on doit conclure qu'il ne l'est pas, et
qu'il y a une véritable fiction à ramener à l'idie de copro-
priété des individus ce qui est en réalité la propriété du
groupe lui-même. II faut, pour expliquer ainsi la situa-
tion juridique, introduire dans l'analyse de cette situa-
tion des clauses sous-entendues très compliquées, clau-
ses qui sont purement fictives, et qui n'arrivent même
pas à rendre compte de toutes les difficultés (2).
Ducrocq, Droit administratif , V éd., t. IV, nos 1376-4378. « Non,
certainement, tes biens du domaine de l'Etat et ceux du domaine
communal, n'appartiennent ni ne doivent appartenir aux citoyens
ou habitants. Ils n'appartiennent et ils ne doivent appartenir qa'à
l'être moral. Etat ou commune, qui représente à la fois la géné-
ration actuelle et toute la série des générations futures.» M. Planiol
(Droit civil, 3* éd.. p. 977, note 1), répond à l'objection faite au
texte, que la propriété collective, à la différence de la propriété
indivise, ne comporte pas 1<î partage. Mais pourquoi ? Un système
qui ne voit d'autres sujets que les individus est impuissant à
l'expliquer et M. Planiol ne l'essaie même pas.
(1) V. sur ce point les explications détaillées que nous avons
fournies dans notre compte rendu du livre de M. de Varellles-Som-
raiéres, Revue du droit public, t. XX, p. 342 et s.
(2) V. ce même compte rendu, p. 344.- Nous avons montré dans
ce passage combien de clauses sous-entendues, souvent inaccepta*
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LA NOTION DE PBt<âONNALIT£ MORALE 6Î
Le système devient encore plus difficile à appliquer
(indépendamment même du lien à maintenir entre le
droit public et le droit privé), quand il s'agit des biens
de l'Etat ou des communes. Comme Ta fait très bien
observer M. Capilanl (I), les biens de ces personnes
morales sont loin de profiter toujours exclusivement aux
membres de la collectivité qu'elles représentent. Le droit
d'user des voies publiques communales n'appartient pas
seulement aux habitants de la commune, mais à tous ;
le droit de visiter le Louvre ou d'y étudier n'appartient
pas seulement aux Français, mais aux habitants du
monde entier. Le droit des membres du groupe n'est
donc « qu'une apparence, qu'un fantôme », puisque
bien loin d'avoir une parcelle de la propriété de ces
blés, il fallait introduire dans le pacte social pour expliquer la
situation juridique des associés. V. aussi Valéry. « Contribution à
l'étude la personnalité morale » (dans Revue génér. du droite
1903, p. 32 et s.). Cpr les explications de M. Maitland (art. pré-
cité dans Gîiinhufs Zeitschrift (t. XXXI, p. 52), sur la propriété
des associés au profit desquels existe un trust (par exemple les
membres d'un club) : « c'est une propriété d'une bien merveilleuse
espèce. Premièrement, elle est pratiquement inaliénable; seconde-
ment, elle est en fait soustraite à l'action des créanciers de l'asso-
cié ; troisièmement, elle ne fait pas partie de ses biens en cas de
faillite ; quatrièmement, cette propriété cesse s'il ne paie pas sa
cotisation annuelle ; cinquièmement, elle cesse s'il est exclu du
clu,b conformément aux statuts ; sixièmement, sa part est res-
treinte par toute réception de nouveaux membres; septièmement,
il ne peut demander le partage ; huitièmement, pour tout expli-
quer, nous devons accepter un certain nombre de contrats tacites,
dont nul n'a conscience au moment où ils s'accomplissent; car, à
chaque élection de membres, il faut feindre un contrat entre le
nouveau menlbre et les autres. •> I/auteur montre que tout cela a
produit en droit anglais un régime excellent. Mais en serait-il de
même partout?
(1) Introd. à V étude du droit civily 2e édit., p. 169.
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^.^Î^-V^r
68 CHAPITRE iPREMlER
biens, ils n'en ont pas niême la jouissance exclusive.
Enfin Ions ceux de ces S3'stèmcs qui mettent à leur
base ridée, d'association et non pas l'idée plus simple
de collectivité et de groupement (notamment celui de
MM. Van den Heuvel et de Vareilles-Sommières), sont
impuissants à expliquer la personnalité morale des éta-
blissements publics. Poureux/ces derniers ne peuvent
être autres que « TEtat, le département ou la commune
accomplissant une de leurs fonctions avec un rouage
spécial et une caisse spéciale » (1). Il n'y a plus en eux
qif'une personnalité apparente, une pure fiction que ces
collectivités pourront faire disparaître quand elles le
voudront et auxquels il est illogique d'accorder des
droits qu'ils puissent défendre on justice contre la com-
munauté dont ils émanent. Nous ne croyons pas que
cette notion corresponde aux besoins actuels, et nous
nous réservons de le montrer avec plus de détail en
traitant de la création de ces établissements (2).
m
31. La personne morale n'est pas une personne
fictive. Elle n'est pas non plus un simple artifice derrière
lequel on trouve, soit des patrimoines sans maître, soit
des individus. Il reste qu'elle soit une personne réelle.
C'est notre thèse; mais il y a encore bien des manières
diverses de la comprendre, et ce sont elles, que nous
devons maintenant examiner.
(i) De Vareilles Sommières, op. cit., p. 667, n^ iS42.
(2) V. pour compléter ces critiques notre compte rendu précité
du livre de M. de Vareilles-Sommières, Revue du droit public^
t. XX, p. 339-357.
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LA NOTION DB P£RSOIÎMALlT£ MORALB 69
Commençons par rappeler Tidée que nous avons
énoncée dès le début : en soutenant la réalité de la per-
sonne morale, nous ne voulons pas dire qu'elle conslilue
une personne au sens philosophique du mol. La notion
que nous cherchons à dégager est une notion puremeni <
juridique. Tout le problème consiste donc à savoir
quels sont les êtres que Ton doit considérer comme
capables de droits; et, pour le résoudre, il faut savoir
nécessairement ce que Ton entend par droit (au sens
subjectif du mot).
32. D'après la définition Jla plus ordinairement donnée,
le droit subjectif est une puissance attribuée à une volonté
par le Droit objectif y une faculté de vouloir reconnue par
le Droit {{). Celte définition, comme nous le montrerons
plus loin, li'esl pas inexacte en elle-même, mais elle est
incomplète parce qu'elle indique seulement la consé-
quence du droit subjectif, non son fondement et sa
raison d^être. Elle éveille Tidéc, fausse selon nous, que
la volonté libre est elle-même le fondement du droit, et
que l'ordre juridique n'a pas d'autre objet que de prolé-
ger ses manifestations, en empêchant qu'elles ne heur-
tent la liberté d'autrui(2). Pour ceux qui admettent cette
(1) Cette définition ou d'autres qui n*en diffèrent que par les
' mots, se trouvent dans un grand nombre d'auteurs. ~ V. notam-
ment : Savigny, Système, T. l. §IV, p.7 ; Windscheid, Pandectes,
§ 37 ; Arndts, Pandectes, § 21 ; Capilant, Introduction à V étude
du droit civil, U^ édit., p. 18 ; Meurer, op. cil.^ p. 36 ; — Zitel-
mann, op, cit., p. 612. — Les Allemands emploient ici le mot Wol-
s lendûrfen qui est à peu près équivalent aux mots faculté de
vouloir. — Gierke, Deutsches Privatrecht, § 27, donne une défi-
nition qui au fond concorde avec les précédentes. Elle est seule-
ment plus complexe, parce qu'il y fait rentrer à la fois le côté actif
et le côté passif du droit.
(2) On sait que c'est là la doctrine de Kant qui définit le Droit :
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'.î?-^
70 CHAPITRE PREMIER
idée, il est clair qu'un droit subjectif ne peut exister
qu'au profit d'un être doué de volonté personnelle et
libre. La personnalité juridique supposera donc Texis-
lence d'une volonté de cette nature ; elle coïncidera
avec la personnalité philosophique.
Si Ton prend ce point de départ, il faudra, pour
arriver à démontrer que des êtres collectifs ont une per-
sonnalité réelle, prouver qu'il y a en eux une volonté
semblable à celle de l'homme, et respectable pour les
mêmes motifs. Il ne suffira pas de faire cette preuve par
approximation ; il faudra moFitrer que cette volonté est
libre comme la volonté humaine, puisque cette liberté
seule explique les prérogatives qu'on lui attribue.
Il est à remarquer cependant que les auteurs qui
basent sur cette définition leur théorie de la personnalité
morale n'essayent pas tous de faire celte démonstra-
tion. C'est le cas notamment pour plusieurs des repré-
sentants de l'école dite germaniste. D'après eux la per-
sonne morale est une perso me collective réelle, parce
qu'elle a une volonté collective, distincte de la volonté
des individus. Mais ils se contentent sur ce point d'une
simple affirmation (1) ; ils ne montrent point le proces-
Tensemble des conditions dans lesquelles la liberté de chacun peut
coexister avec la liberté de tous, d'après un principe général de
liberté. V. infrày nos 46 et s., la réfutation de l'idée que la volonté
libre est le fondement du droit.
(1) C'est notamment le cas de Gierke. Dans les longs et beaux
développements qu'il consacre à la théorie, on ne trouve nulle part
un essai de démonstration de la volonté collective. Il se contente
de dire : « La capacité de vouloir et d'agir des corporations est une
réalité existant dans et avec 'enr personnalité. Pour nous, le droit
leur attribue la personnalité précisément parce qu'il voit en elles
les sujets d'une volonté collective une et continue. Ici, comme dans
l'individu nous voyons la base de la subjectivité dans une volonté
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LA NOTION DE PERSONNALITÉ MORALE 7i
SUS de cette volonté, ni les qualités qui peuvent la ren-
dre respectable. Une simple affîrmalion ne suffit pas
cependant; car l'existence de cette volonté collective
n*est rien moins qu'évidente." Aussi en a-t-on essayé
plusieurs démonstrations qu'il est intéressant de passer
en revue rapidement.
33. 1*^ On peut chercher tout d'abord une démonstra-
tion de la volonté des groupes dans la théorie organique
des sociétés. Les partisans les plus avancés de cette
théorie, ceux qui en poursuivent les conséquences avec
le plus de logique, attribuent formellement aux sociétés
— qui pour eux sont des organismes — des volitions
semblable^ à celles qui se produisent dans Torganisme
humain. Les hommes, cellules des orgapismes sociaux,
jouent dans le mécanisme de la volition sociale, le
même rôle que les cellules du corps humain dans le mé-
canisme de la volition individuelle. La Société a son
cerveau, comme, l'individu. La décision qu'elle prend
est Tœuvre des cellules de ce cerveau, comme la déci-
sion que prend l'homme est l'œuvre des cellules du
cerveau humain. Dans un cas comme dans l'autre, il
. peut y avoir, entre lescellules, lutte pour l'adoption d'une
idée : la décision est prise quand certaines d'enlr'elles ont
réussi à faire prévaloir leur opinion : « Notre être étant très
complexe, plusieurs volitions se forment à la fois. Elles se
*ivrent des combats acharnés dans nos centres nerveux.
qui est la force interne, principe des actes extérieurs ». (Genos-
senschaftstheoriey p. 608). — On a souvent compté cet auteur
parmi les partisans de la théorie organique et lui-même ne distin-
gue pas suffisamment sa théorie de la théorie organique propre-
ment dite. Elle ne se confond pourtant pas avec elle. V. Jellinek,
Allg, Staatslehre,^. ili'Vit
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7a CHAPITRE PRIÉMIER
Celle qui Temporle est celle qui a emporté le plus de
partisans. A un certain moment, quelques cellules font
pencher la balance. De môme, dans nos assemblées
législatives, quelques députés assurent le triomphe d'une
proposition au détriment d'une autre » (1). Et qu'on
objecte pas que les cellules de noire cerveau ne sont ni
libres, ni conscientes, qu'elles n'ont pas de volonté pro-
pre, alors qu'il en est différemment des hommes qui
formeni le cerveau social, et que ceux-ci peuvent- pré-
tendre à bon droit avoir pris eux-mêmes la décision que
Ton attribue à la Société. On répondrait qu'entre la
cellule et l'homme il n'y a que des différences de degrés,
que les cellules sont douées de conscience dans une .cer-
taine mesure, et que l'homme n'a de plus qu'elles que
l'illusion de la liberté (2). Chez l'homme, comme dans la
Société, les volitions se forment par l'action réciproque
des cellules les unes sur les autres, action déterminée
elle-même par la structure de l'organisme et par les
influences extérieures.
Si on aimel cette doctrine, et si on consent à l'éten-
dre à tous les groupements humains, — c'est un point
sur lequel ses adeptes ne s'accordent pas pleine-
ment (3) — on sera conduit à accorder au groupe- le
même traitement juridique qu'aux individus. Ils sont
doués de volonté dans la même mesure qu'eux ; leur
(i) Novicow, Conscience et volonté sociales, p. 112-113.
(2) Worms, Organisme et société [Ih.hs^ 1896), p. o9.
(3) Worms, p. 30, op. cit,y déclare sa théorie applicable à la
Société, qui saisit Thomme entier, et non aux groupes secondaires
on associations, formés en vue d*un butspécial. Mais il ajoute que
ces derniers aussi rappellent, quoique de plus loin, un organisme
animé, et que sa démonstration sera peut-être susceptible d'être
étendue un jour à ces groupements secondaires. — M. Espinas a
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y^s^fw^r*^-^
LA NOTION DE PERSONNALITE MORALE 73
volonté a le même degré de réalité, ui p'us ui moins. De
la notion d'organisme découlera donc la notion de per-
sonnalité juridique. Tout organisme pouvant être consi-
déré comme produisant une volonté sera apte à' devenir
une personne morale.
34. Nous ne voulons point faire ici une discussion
détaillée de cette doctrine qui, à notre connaissance, n'a
été développée dans toute sa rigueur par aucun juriste.
Il importe cependant de montrer pourquoi elle ne peut
nous mener au but (1;.
a. Elle suppose tout d'abord admise cette idée que les
groupements sociaux sont des organismes. Or on sait
que celte notion, dont les sociologues ont fait pendant
longtemps la base de leur sience nouvelle, est aujour-
d'hui répudiée par un grand nombre d'eutr'eux (2). Il y
étendu beaucoup plus frnnchement la notion d'organisme aux
groupements secondaires. — M. Fouillée (Science sociale contem-
poraine, p. 227) a montré les exagérations auxquelles conduit
Côtle doctrine quand on veut l'étendre à tout groupement.
(1) V. une bonne réfutation de la théorie organique dans JelH-
nék,Allgemeine Staatslehre, p. 132 et s. L'auteur fait ressortir
tout d'abord toutes les difficultés qu'offre la notion môme d'orga-
nisme. Il montre ensuite qu'il y a entre l'Etat et les organismes
vivants des ressemblances et des différences, et que la théorie or-"
ganiqué de l'Etat ne peut aboutir qu'à des analogies^ qu'il est dan-
gereux de prendre pour des identités. Le danger des fausses ana*
logies est d'ailleurs bien plus grand en cette matière que l'avantage
que peuvent offrir à la science les analogies exactes. Enfin la doc-
trine de l'organisme ne rend pas compte de l'activité réfléchie et
consciente de son but, qui est nécessaire à l'Etat. — Cpr, pour la
réfutation de la théorie organique : Boistel, Cours de Philosophie
du droit j t. II, p. 51 et s. (surtout n^ 33 i^) : Charles Benoist, La
crise de l'Etat moderne, p. 161 et s. — Maurice Deslandres, La
crise de la science politique, p. 49 et s. (à propos de la méthode
sociologique) .
(2) V. sur ce point la discussion approfondie qui a eu lieu au
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74 « CHAPITRE PRBMIER
a sans doute, enlre les groupemenls sociaux et les orga-
nismes biologiques^^ des ressemblances frappantes ; mais
les différences ne sont pas moins nombreuses, et il est
au moins douteux qu'il y ait utilité à les réunir sous une
dénomination commune. Comme on Va. dit avec quel-
que raison (I), il y a là au fond qu'une querelle de mots,
et tout dépend, en dernière analyse, du sens plus ou
moins étendu que ['on donne au mot organisme. On a
pu, au moins transitoirement, trouver quelque avantage
à employer, à titre de méthode scientifique, un système
de comparaison entre les sociétés et les organismes bio-
logiques : voilà, semble-t-il, tout ce quMl est possible de
concéder à cette théorie fameuse.
35. 6. Mais, concédât-on le mot, on ne se trouve
guère plus avancé quant aux conséquences que Ton peut
en lirer sur le terrain juridique. Pour faire sortir Fidée
de personnalité philosophique de l'idée d'organisme (2),
il faut en effet quelque chose de plus que la simple con-
statation de ressemblaùce entre la Société et les êtres
mois de juillet 4897, dans le Congrès de Vlnstitut International
de sociologie {Annales de VInst, intern. de socioL, U IV, p. 170
et suiv.}. La théorie organique des sociétés y a rencontré au moins
autant d'adversaires que d'adhérents. V. notamment les observa-
tions de M. Tarde, p. 237 et suiv. - Le même auteur a cru pouvoir
dire en rendant compte de ce congrès : « La tâche propre du der-
nier Congrès de sociologie aura été de faire disparaître, comme un
échafaudage devenu gônant,après avoir pu n'être pas sans quelque
utilité, ridée de Vorganisme social, » {Revue internationale de
r Enseignement supérieur, t. 34, p. 259).
(1) Bernatzik, dans Archiv. fur ôffentl. Recht. t. V, p. 276. —
Bruno Schmidt, Der Staat, p. 22.
(2) Nous nous plaçons toujours dans la définition du droit sub-
jectif donnée plus haut, définition avec laquelle la personnalité
juridique coïncide avec la personnalité philosophique.
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LA NOTION DE PERSONNALITÉ MORALE 75
vivants. Il faul démontrer qu'il y a dans les organismes
sociaux une volonté propre au même sens que dans l'or-
ganisme humain... Or, pour établir celle assimilation,
il faut aller jusqu'à un déterminisme absolu, dont la
conséquence, si on voulait l'admettre, serait précisément
d'enlever à la volonté humaine tout ce qui pourrait en
faire le fondement du droit.
En effet,, la théorie que nous avons esquissée plus haut
suppose qu'il n^ ^y soit dans la volonté humaine, soit
dans la volonté collective, rien autre chose qu'une com-
binaison de cellules. Pour peu que l'on admette dans
l'homme un élément indépendant des phénomènes phy-
siques ou chimiques qui se succèdent dans son orga-
nisme^ cet élément, si réduit qu'on veuille le supposer,
suffit à distinguer nettement Thomme du groupe, et à lui
donner un degré de personnalité auquel ce dernier ne
saurait prétendre. M. Fouillée, par exemple, qui a pris
dans ces questions une position intermédiaire, admet au
moins dans Thomme Yidée d^un moi unique, idée qui
n'est qu'une résultante, mais qui se réalise en se conce-
vant, en croyant à sa propre réalité (I), et qui n'existe
pas dans l'organisme social. Cela lui suffit pour conclure
très légitimement que la Société^ qui à ses yeux est un
organisme physiologique f n'est point cependant une zWi
vidualité psychologique {2). Il lui dénierait sans doute
la faculté d'avoir, au sens naturel du mol, une volonté
propre ; il né pourrait en effet lui reconnaître ce degré
atténué de liberté qu'il admet chez l'individu, liberté qui
consiste à pouvoir agir sur son développement ultérieur
(i) Science sociale contemporaine^ 3* éd , p. 222.
(2) /rf., p 245.
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76 CUÀPITBE PBEMIER
par ridée une fois conçue. Il faut, pour avoir même la
liberté ainsi entendue, une conscience centralisée comme
celle de l'homme ; la conscience dispersée qu'il recon-
naît dans l'organisme social n'y sufÇt pas, parce qu'elle
n'existe que .dans les éléments de l'organisme et que ce
dernier n'a pas un moi central qui puisse concevoir J'idée-
force.
A plus forte raison en est-il de même si Ton admet,
avec les écoles de philosophie spiritualiste, qu'il existe
dans l.^homme, derrière la série changeante des phéno-
mènes, une substance permanente qui assure la conti-
nuité et la réalité du moi humain. M. Fouillée lui-même
explique (i) que rien n'empêche de supposer dans
ITiornme un fond de réalité persistante, quelque chose
comme un chef d'orchestre mystérieux dont l'action
assure Tharmonie et la coordination des phénomènes :
il déclare seulement que c'est là une hypothèse métaphy-
sique «»n dehors du domaine de la science. Il nous
paraît évident qu'aucune hypothèse semblable n'est pos-
sible sérieusement pour l'organisme social. Et l'assimi-
lation de la volonté du groupe avec celle de l'individu
devient tout à fait impossible si Ton admet, comme nous le
faisons, quil y a dans Thoinme une âme, distincte du
corps, et capable de se décider librement. Pour ceux qui
ont celle croyance (que nous n^avons pas ici à discuter),
ridée de personnalité philosophique reprend toute sa
valeur. La définition qu'il faut donner de la personne au
point de vue philosophique est celle de saint Thomas :
rationalis naturœ individua substantia^ et cette défini-
tion ne peut s'appliquer à la société. Il y a alors entre la
(l) /cf., p. 224.
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Là NOTIOK dé PERSONNALITE MORALE 77
I
volonté du groupe el celle de Tindividu une différence
de nature qui est essentielle : la volonté de Tindividu
est une détermination libre qui lui appartient en propre
(bien que les influences du monde extérieur et de son
organisation physique aient contribué à la former) ; celle
du groupe n'est qu'une résultante des volontés des indi-
vidus ; dans le processus qui aboutit à la former, il n'y
a rien autre que ces volontés.
Sans doute des esprits subtils et enclins aux rêveries
métaphysiques ont pu chercher l'assimilation dans une
autre voie, et se demander s'il n y avait pas une' âme des
sociétés, comme il existe une âme humaine. L'école
organique allemande, fort distincte par ses origines
de notre école sociologique, paraît parfois admettre
cette idée (1). Mais il nous semble inutile de nous y
attarder.
36. 2^ Parmi les auteurs qui essaient^ de démontrer
la réalité de la personne morale, en la basunt sur la
volonté, il en est un grand nombre qui prennent un
autre point de départ que l'assimilation des groupes
sociaux aux organismes biologiques. Tel est notamment
le cas des auteurs qui ont développé ce qu'on a appelé la
théorie de la volonté (Willenstheorie). Celui qui l'a
exposée, à ce qu'il nous semble, avec le plus de préci-
sion, Zitelmann (2), laisse de côté les données sociolo-
(i) Bluntschli, Théorie générale de l'Etat, L. I ; n«8 5, 6, 7.
V. aussi Psychologische Studien ûber Staat MwrfiTir^c^e (Zurich^
1844).
(2) Zitelmann, Begrtff und Wesen der sogenannten juristis-
chen Personerif p. 62 et saiv. La théorie de Zitelmann a été aussi
développée par Meurer, Begriff und Eigenthûmer der heiligen
Sachen, p. 84 et suiv. Mais ce dernier auteur dans un outrage
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78 CUÀPItRË PltBMtEil
giquea, et préseiUe une théorie tout idéaliste. Il parle
bien d'unité organique, maïs îi entend par là simplement
Tunilé des diverses parties concourant à former un tout
C'est ce qu'il appelle le principe de l'unité dans la plu-
ralité. Un ensemble d'individus, nous dit-il, devient, dès
qu'il est uni organiquement, un être réel nouveau, dis-
tinct des individus qui le composent, mais ayant en lui
la qualité commune à tous ces individus (1). Cette loi est
fondamentale, et on peut la formuler scientifiquement :
si deux grandeurs A et B, se réunissent purement et
simplement, elles ne forment pas pour cela une indivi-
dualité nouvelle, et leur réunion donne simplement
(A + B). Mais si, à la réunion de ces deux grandeurs,
vient s'ajouter une force d'unité organique, A et B for-
ment une troisième grandeur G, différente ^de l'une et
de l'autre, et qui a les qualités communes à A et à B.
Cette troisième grandeur n'est point une fiction ; elle a
une existence aussi réelle que celle de ses parties. La
postérieur (Die juristischen Personen nachdeutschem Reichsrechû
Stultgard, 1901), déclaré y renoncer (p. 3), et, tout en maintenant
ridée de réalité de la personne morale, il la base aujourd'hui d'une
autre manière, dans laquelle, à ce qu'il nous semble, il se rapproche
beaucoup plus qu'il ne l'avoue de la théorie de la fiction. Il nie en
effet d'une manière complète Vunité formée dans la personne
morale par la pluralité- des sujets et se contente de dire que le
droit tf*aite le groupe comme une unité (v. p. 3 et § 5, p. 42 et s.),
(i) Il est curieux de retrouver cette même idée dans une des let-
tres de jeunesse deTaine (Lettre à Prévôt-Paradol du 11 septem-
bre 1849. Correspond., 1. 1, p. 101-102). Il explique dans cette lettre
que l'Etat est un être ou un individu réel et vivant, et non pas une
abstraction. C'est « un grand être, composé de tous les individus
de riitat considérés sous un aspect commun, et par suite indiscer-
nables en tant que tels, et formant ainsi une unité absolue... Cet
être est hyimsiiny puisque tous ses éléments sont humains. Il est
donc exactement dans le même cas que les individus )>.
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ti NOtlÔN bE PERSÔNNÀLÎtE MORÀLfi 79
formule du principe esl donc : A + B = C, par oppo-
sition à : A + B = (A 4- B).
Le principe ainsi posé, Zitelmann Tilluslre par des
exemples empruntés à tous les ordres de connaissances.
Le corps humain esl autre chose qu'une certaine quantité
d'oxygène, d'hydrogène, d'azole, autre chose qu'une cer-
taine qaanlié d'os, de sang, de chairs. Il y a en lui un prin-
cipe d'unité, résultant de cette force inconnue dans son
essence, mais perceptible dans ses effets, qu'on appelle la
vie. Il a du reste la qualité commune aux parties qui le com-
posent : comme elles, il esl malière. — Le composé chimi-
que est autre chose que la réunion des composants, le
principe d'unité, ici, n'est plus la vie ; c'est l'affinité chi-
mique ; la qualité des parties qui se retrouve dans le
tout est d'être matière chimique. ^ De même une œuvre
d'art est autre chose qu'un assemblage de sons et de cou-
leurs ; son principe d'unité est dans le but, qui est la
recherche du beau. — Une maison est autre chose qu'un
assemblage de poutres et de pierres ; ici, encore^ c'est
le but qui est le principe d'unité. — Parcourez tous les
ordres de sciences, et partout la même idée sera appli-
cable.
C'est à cette idée qu'il faut recourir pour expliquer
l'existence des universitates personarum^ ou personnes
collectives. Ce qui est uni en elles, ce ne sont point les
hommes. Ceci est essentiel dans la théorie ; car, si on
voit dans l'homme lui-même Tunité composante, on
arrive à conclure que le tout, ayant la qualité commune
aux parties, est lui-même un être humain. Non ; ce qui
est uni, ce sont les personnes, c'est-à-dire les volontés.
Ce n'est pas l'homme, en effet, qui est le véritable sujet
du droit, c'est la volonté humaine. Comme l'a dit un
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rvv^.-V^Barsï'-^
80 CâAPltRB t^REMtEA
autre partisan de la théorie (i), la notion juridique delà
personne est tout entière d;ins la volonté ; pour le Droit,
ce que Ton nomme personne physique n'est pas autre
chose que la personne juridique^ cucec un superflu physi-
que. Les volontés ainsi groupées ont en elles un principe
d'unité qui est la communauté du hut ; leur réunion
constitue donc un tout organique distinct des parties qui
le composent, et qui a la qualité commune à chacune
d'elles,.c'est-à-dire que, comme elles, il est une volonté.
37. La démonstration, comme on le voit, s'achève
dans les formes. A son terme, comme à son point de
départ, on trouve une volonté, c'est-à-dire, nous dit-on,,
un sujet de droit. Le malheur est que tout cet appareil
scolastique ne repose sur rien de réel. Il est faux que
le droit ne considère en l'homme que la volonté ; ce
qu'il a en vue, c'est bien Thomme tout entier, avec ses
besoins, ses aspirations, ses désirs, avec son corps et son
âme ; le droit n'est pas fait pour une entité abstraite et
métaphysique ; il est fait pour Thomme réel. A supposer
donc que la mystérieuse opération d'alchimie psycholo-
gique décrite par Zitelmann donne le résutat qu'il
attend, elle ne nous mène pas au but. Ce qu'elle nous
donne, ce n'est pas un être réel, mais une volonté, c'est-
à-dire simplement un attribut appartenant à un être;
Quel est le sujet de cette volonté ? Nous ne le voyons
pas. — 11 nous semble évident, du reste, que sur le
résultat même de l'opération, Zitelmann se fait de sin-
gulières illusions ; le prétendu principe que la qualité
commune aux parties se retrouve nécessairement dans
le tout conduirait parfois à de bien étranges conséquen-
(i) Meurer, Begriffund Eigenthûmer, p. 74.
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Là KoTIO^ DB PERSONNALITE MORALE Si
CCS ; en tout cas il aurait besoin d'être démontré. Mais
il nous paraît inutile d'insister sur ce point. L'objection
fondamentale à nos yeux, c*est que la théorie est fausse
parce qu'elle est basée uniquement sur la volonté, et
que sur ce fondement unique on ne peut construire soli-
dement,
La théorie précédente n'est du reste applicable qu'aux
corporations. Pour les fondations, Zitelmann en a une
autre : ici la volonté qui est le sujet du droit est celle du
fondateur lui-même ; celui-ci a objectivé sa volonté par
rapport à la fondation ; il Ta en quelque sorte cristallisée
en transformant sa faculté de vouloir en une obligation
de vouloir, ou mieux en une impossibilité de vouloir
autrement (4). Elle subsistera donc, toujours dirigée
vers le but qu'il lui a assigné, et suffira pour animer la
fondation pendant toute sa durée. — Mais on a
répondu (2) (et l'objection est si convaincante qu'il nous
paraît inutile d'y insister), qu'une volonté détachée
de l'homme ne peut être sujet de droit : « La volonté
n'a de force que comme faculté de vouloir ; comme série
de volitions successives, elle n'en a pas. » Si le sujet
de droit est la volonté (ce que pour notre part nous con-
testons), en tout cas ce ne peut être la volition. Sinon
on arriverait à multiplier les sujets de droit d'une
manière tout à fait arbitraire. Or, le système aboutit
bien à personnaliser, non )a volonté vivante du fonda-
(1) Le Wollendûrferiy nous dit Zitelmann, s'est transformé en
Wollenmûssen^ ou mieux en Nichtanderswollenkônnen.
(2) V. la réfutation de M. de Lapradelle. Théorie et pratique
des fondations, p. 436. A nos yeux cette réfutation n'est vraiment
décisive qu'en ce qui concerne la théorie des fondations ; elle ne
l^est pas en ce qui concerne la théorie des corporations que nous
avons analysée plus haut.
MIGHOUD 6
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82 c&àpitre premier
leur, mais un acte de cette volonté/ une volition, et le
résultat est de lui donner une efficacité qu'on peut
considérer comme contre nature. La volilion d'une
volonté morte ne doit pas avoir les mêmes pouvoirs
qu'une volonté vivante (1).
38. 3** En France, la théorie de la personnalité
morale basée sur la volonté a trouvé sa première expres-
sion dans Rousseau (2). Le contrat social, acte d«
volonté des contractants, en même temps qu*il établit
l'Etat, fonde sa personnalité. C'est ce que Rousseau
explique très nettement comme conclusion du chapitre
même dans lequel il explique en quoi consiste le con-
trat social : « A Tinstant, nous dit-il, au lieu de la per-
sonne particulière de chaque contractant, Qet acte
d'association produit un corps moral et collectifs com-
posé d'autant de membres que l'assemblée a de voix,
lequel reçoit de ce même acte son unité, son moi com-*
mun^ sa vie et sa volonté » (3). Le mobilb de ces
volontés individuelles est un intérêt commun à tous les
contractants ; d'où résulte qu'il n'y a de contrat social
formé que par l'unanimité des adhésions :«Il n'y a qu'une
(1) Gierke considère la théorie de Zitelmann sur les fondations
comme se rapprochant de la vérité (Deutsches Privatrecht^ t. I,
p. 648, note 18), et il voit lui-même dans la volonté du fondateur
Vdme de la fondation (id. p. 647). Mais il ajoute que son corps est
représentépar le groupe humain organiséen vue de la réalisation de
cette volonté. Cela seul l'éloigné beaucoup de la théorie de Zitelmann.
Le fait qu'il cherche dans la volonté son point de départ l'entraine
seulement à donner trop d'importance au groupe qui administre la
fondation et pas assez au groupe des destinataires.
(2) Ce point a été très bien mis en lumière par M. Achille Mestre
dans la Revuedu Droit public, t. XVIIl, p. 447 et s. Il serait d'ail-
leurs facile de rattacher les idées de Rousseau sur ce point à celles
de ses prédécesseurs, par ex. dé Hobbes. De cive, ch.V,no8 8 et 9.
(3) Contrat social^ L. I, ch. VI.
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LÀ NOtlON DE t>ERSOPfNALITÉ MORALE 83
loi qui exige de sa nature un consentement unanime, c'est
le pacte social ; car Tassociation civile est Tacte du monde
le plus volontaire... Si donc, lors du pacte social il s'y
trouve des opposants, leur opposition n'invalide pas le
contrat, elle empêche seulement q'u'ils n'y soient com-
pris ; ce sont des étrangers parmi les citoyens. Quand
TEtal est institué, le consentement est dans la résidence ;
habiter le territoire, c'est se soumettre à la souverai-
neté » (1). Cette conception de l'Etat, Rousseau paraît
bien, toutes proportions gardées, et d'ailleurs sans y
insister, l'appliquer à toute association ; il constate en efiet.
que toute société politique est composée d'autres sociétés
plus petites et que « tous les particuliers qu'un intérêt
commun réunit en composent autant d'autres perma-
nentes ou passagères (2) ». Ces sociétés ont, comme le
corps social, leur volonté ; on sait que Rousseau en est
d'ailleurs l'adversaire, et qu'il est un des premiers inspi-
rateurs de la défiance des législateurs modernes pour
les groupements particuliers, les « associations partiel-
les » qui se font « aux dépens de la grande » (3). Il veut
qu'on les interdise, mais il ne voit nullement dans la
personnalité de ces groupements une concession de
l'Etat; pour eux comme pour ce dernier, la personnalité
est spontanée et résulte de l'union des volontés ; l'Etat
intervient, non pour accorder ou refuser la personnalité,
maispourjpermettreouinterdirelegroupementlui-même.
A côté de ces personnes morales, nées de groupe-
(4) W.,L. IV,ch. 11.
(2) De VEconomie politique. Œuvres, t. 111, p. 281 (V. Mestre,
op. aV., p. 453).
(3) Contrat social^ L. II, ch. 111. Il ajoute que « s*il y a des
sociétés partielles, il faut en multiplier le nombre ». Mais en prin-
cipe c'est bien l'interdiction qui a toutes ses préférences.
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-, ■\^-.^-'^!^r^.
84 CHAPITRE PREMIER
ments volontaires, il en est d'autres qui sont suscitées,
par l'Etat lui-même pourseconder ses vues ; ce sont celles
que nous appelons aujourd'hui établissements publics
(par exemple, suivant Rousseau, les sociétés savantes).
Parmi elles, il classe le gouvernement lui-même en qui
voit une personne distincte de l'Etat, « corps intermé-
diaire établi entre les sujets et le souverain », « nouveau
corps dans l'Etat, distinct du peuple et du souverain, et
intermédiaire entre Tun et Tautre » (1). Mais, même
pour ces personnes morales non spontanées, ^élément
essentiel de la personnalité est encore la volonté. Le
gouvernement, par exemple, a une « volonté de corps » ;
en sorte que « nous pouvons distinguer dans la personne
du magistrat trois volontés essentiellement différentes :
premièrement la volonté propre de l'individu qui ne tend
qu'à son avantage particulier ; secondement, la volonté
commune des magistrats qui se rapporte uniquement à
l'avantage du prince, et qu'on peut appeler la volonté de
corps, laquelle est générale par rapport au gouverne-
ment et particulière par rapport à l'Etat ; en troisième
lieu, la volonté du peuple ou la volonté souveraine,
laquelle est générale tant par rapport à TEtat considéré
comme le tout, que par rapport au gouvernement consi-
déré comme partie du tout » (2).
Rousseau a donc une conception unique de la person-
nalité morale ; il la base sur la volonté générale qui se
forme au sein d'un groupement par la réunion des
volontés des membres du groupe. Il nous fait du reste
toute une théorie de cette volonté générale, qui n'est
autre chose que la somme des volontés individuelles en
(4)/rf.,L.III,ch. I.
(2)/rf., L. IIÏ, ch. II.
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LA NOTION DE PERSONNALITE MORALE 85
tantqu^elles regardent à f intérêt commun et après qu'on
en a élagué les éléments divergents, « les plus et les
moins qui s'entre-détruisent » (1). Mais au fond il ne
nous donne aucune théorie complète sur la personnalité
morale ; car il ne nous explique pas comment, de cette
fusion des volontés aboutissant à ce qu'il appelle la
volonté générale^ naît une personne distincte (2). Malgré
les comparaisons organicistes qui reviennent souvent sous
sa plume, il ne parait pas admettre au sens propre du mot,
la théorie organique (3) ; et il ne voit pas, dans l'Etat
ou les associations, autre chose que leurs membres, con-
sidérés, à vrai dire, sous un certain angle. L'explication
que la théorie organique ne lui fournit pas, il ne l'essaie
d'ailleurs même pas par une autre voie. Sa théorie est
donc certainement insuffisante. Mais il est incontestable
qu'on peut le considérer comme le précurseur des auteurs
qui, chez nous, ont essayé récemment de baser sur la
volonté une théorie complète delà personnalité morale.
39. L'une des théories les plus remarquables essayées
dans ce sens est celle qui a été présentée par M. Hau-
riou (4). L^dée fondamentale qu'il introduit dans le débat
est celle de la réalité du phénomène de la représenta-
tion. Passant en revue ce phénomène dans ses diverses
(i) Id,t L. II, ch. III. — « Il y a souvent bien de la différence
entre la volonté de tous et la volonté générale ; celle-ci ne regarde
qu'à l'intérêt commun ; l'autre regarde à l'intérêt privé, et n'est
.qu'une somme de volontés particulières ; mais ôtez de ces mômes
volontés les plus et les moins qui s'entre-détruisent, reste pour
somme des différences la volonté générale ».
(2) Cpr. Mestre, op, ait,, p. 457, note 1.
(3) V. sur ce point les explications de M. Mestre, p. 464 et s.
(4) Dans un article de la Revue générale du Df*oity i898, p. 5
et dans ses Leçons sur le mouvement social, p. 92 et s., et 2® Ap-
pend., p. 144 et s.
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86 GHAPITRB PREMIER
manifestations, il montre qu'il ne repose point sur une
fiction, mais bien sur un fait réel qui est la fusion de la
volonté des représentants avec celle des représentés.
Dans une œuvre collective notamment, il se dégage, sur
toute décision à prendre, une volonté humaine qui, par
le jeu des forces intérieures du groupe, devient maîtresse
des autres volontés et s'impose. Cette fusion des volontés
n'est sans doute point parfaite. Le Droit, pour consi-
dérer la volonté ainsi dégagée comme une volonté uni-
que et persistante, est- obligé de donner à ce phénomène
une continuité et une importance qu'il n'a pas entière-
ment dans la réalité. Mais ce sont là les procédés fami*
'liers au Droit. Partout, et même dans la notion de per-
sonnalité individuelle, il opère par voie d'abstraction en
mettant en relief certains phénomènes qui sont réels,
mais qui dans la réalité sont plus complexes ou plus
intermittents que les abstractions juridiques auxquelles
ils correspondent : « La personnalité juridique indivi-
duelle nous apparaît continue et identique à elle-même ;
elle naît avec l'individu, elle est du premier coup consti-
tuée ; elle demeure toujours la même pendant Texis-
tence ; elle soutient sans défaillance, pendant des années,
des situations juridiques immuables; elle veille pendant
que l'homme sommeille ; elle reste saine pendant qu'il
déraisonne ; parfois elle se perpétue après la mort, puis-
qu'il y a des successeurs qui sont continuateurs de la
personne. Or, dans la réalité des choses, les volitions
des hommes sont intermittentes, changeantes, contradic-
toires ; non seulement elles ne persistent pas dans le
mêmepbjet, mais elles y varient constamment. Sur cette
physionomie agitée, tumultueuse, bouleversée par tousles
caprices et toutes les passions, qu'est la face volontaire
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LA NOTION DE PERSONNALITE MORALE 87
de l'homme, le Droit a appliqué un masque immo-
bile » (1). Les volitions de îa personne morale, comme
celles de la personne physique, ne sont pas toujours les
mêmes, et ne sont pas toujours en acte. Il suffit qu'elles
existent, qu'elles soient l'œuvre de la réalité ; le Droit
s'emparera d'elles et en fera la base de la personnalité
juridique collective : « La part de la fiction n'est pas
plus grande d'un côté que de l'autre et d'ailleurs cette
fiction n'est point l'œuvre de l'autorité publique, mais
celle du millieu social » (2).
Il y a dans ces observations une grande part de vérité.
•Mais remarquons tout d'abord qu'on ne peut guère les
appliquer qu'aux associations purement volontaires.
Dans celles-ci il y a toujours, derrière les résistances que
peut provoquer chez une partie des membres une déci-
sion prise en leur nom, au moins une volonté persistante
commune : celle de continuer l'œuvre collective. Par là
les meaibres mêmes qui ont combattu la décision Tac-
ceptent implicitement, puisqu'ils ne cessent pas de faire
partie de la société. On peut donc, sans s'éloigner des
faits, parler de fusion de volontés, et d'unanimité. Mais
il n'en est déjà plus de même daos les groupements poli-
tiqueS:» tels que l'État et la Commune, qui ne sont pas
purement volontaires. Là où l'unanimité n'est jamais
obtenue, et où les décisions du groupe ne s'imposent que
par la force à la minorité, il y a une très large part de
fiction à dire que toutes les volontés se confondent en
une union réelle. Et cette part s'élargit encore si Ton
(1) Article précité, p. 149 et Leçons sur le Mouvement social^
p. 149.
(2) Article précité, p. 136.
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88 CHAPITRE PREMIER
considère les foiidalions. M. Hauriou lui-même (1)
avoue qu'il y a, en ce qui les concerne, quelque difficulté
à apercevoir le groupe des représentés derrière le groope
des représentants formé par les administrateurs de l'éta-
blissement. 11 n'y a d'autres représentés que les bénéfi-
ciaires de la fondation, malades, pauvres, étudia^nts, etc.
Il faut donc admettre que c'est la volonté de ces bénéfi-
ciaires qui, fusionnée avec celle des administrateurs,
forme la volonté de l'être moral! Mais qui ne voit que
c'est là de la fiction pure, une fiction bien plus grave que
celle que l'on trouve à la base de la personnalité indivi-
duelle, puisqu'elle consiste, non pas seulement à donner
à la volonté d'une personne une continuité plus grande,
mais à lui attribuer une volonté qu'elle n'a pas?
D'autre part, la théorie ainsi construite soulève une
autre objection. En admettant ce phénomène réel de
fusion des volontés, pourquoi attribuera-t-on la volonté
ainsi formée au groupe, et non pas à chacun des mem-
bres (^ui le composent ? On dit bien que « ces vôlitions
s'organisent en un faisceau, de manière à produire une
unité » (1). Mais dans la réalité elles restent des vôli-
tions individuelles conformes entr'elles. L'opération est
toute semblable à celle qui s'accomplit dans mille cas
divers où il y a fusion de volonté sans qu'on ait songé à
parler de personnalité morale : décisions prises en com-
mun par des copropriétaires, par des créanciers d'une
faillite, par les époux dans la société conjugale, par les
membres d'une société non personnalisée, par les mem-
bres d'un parti politique organisé, etc. Le système ne
(4) Article cité, p. 133.
(1) /ô., p. 434,
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LA NOTION DB PERSONNALITE MORALE 89
fournît aucun critérium qui permette de distinguer les
phénomènes de ce genre de celui de ia personnalité juri-
dique. C'est qu'en réalité il se borne à essayer de démon-
trer que pratiquement^ socialement la volonté des repré-
sentants doit être considérée comme celle du groupe
lui-même. 0» cela est vrai non seulement dans les grou-
pements personnalisés, mais dans tous les groupements
organisés. Et cela d'ailleurs ne suffit pas, au point de vue
d*un système qui base la personnalité sur la volonté, à
démontrer ia thèse ; elle ne le serait que si on prouvait
Texistence réelle d'une volonté distincte.
M. Hauriou est revenu sur la question dans ses Leçons
sur le Mouvement social (1). Mais il ne nous semble pas
avoir modifié sensiblement sa théorie. Il appuie l'unité
de la volonté corporative sur ce qu'il appelle Vuniié
représentative^ c'est-à-dire la concordance des représen-
tations mentales existant à l'intérieur de la corporation.
« Il faut qu'à l'intérieur de la corporation et autour d'elle
dans le milieu social, il se produise une unanimité de
représentations mentales d'où jaillisse la conception des
droits corporatifs. Ces représentations mentales ne peu-
vent qu'être l'œuvre de la solidarité représentative. Les
membres de la corporation se font une idée de l'associa-
tion, de son but^ de ses intérêts, des droits qu'il lui faut,
des actes nécessaires pour exercer ces droits. Sur tous
ces points, l'unité représentative s'accomplit, non point
en vertu de l'unité de l'organisme, mais par unanimité...
Les droits réalisés sont ceux voulus par l'unanimité des
volontés fondues en une représentation mentale unique.
Dès lors je conçois qu'ils puissent être attribués à une
(1) P. 92 et suiv., et 2* Appendice, p. 144 et suiv.
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90 GIM^PITRfi PRBMIBR
personne morale unique ». C'est là exprimer, en termes
différents, IMdée de fusioû des volontés par la représen-
tation. Seulement, dans ces tîauvelles ei^piications^ l'au-
teur mélange, avec cette théorie de Tanammîté, la théo-
rie organique. Quand Tunanimit^ u'est pas obtenue, la
contrainte devient nécessaire ; elle wl fournie par l'or-
ganisme social, dans Tinlérèt de Torg^aisme lui-même,
c'est pour cela que, lorsque l'unanimité ne peut être
obtenue en fait, on vole à la majorité, et que la décision
prise par la majorité eàt censée prise pa.r tous. Mais
n'est-ce pas là détruire le système? Si la contrainte de
l'organisme apparaît, c'est précisément parce que la
fusion des volontés n'existe pas ; ce n'est plus qu'artifi-
ciellement, par fiction, que l'on peut considérer la volonté
des personnes qui composent la majorité comme celle de
l'être moral. M. Hauriou fait en somme ici lui-même à
sa théorie Tobjection que nous présentions plus haut (1).
41. 4° M. Boislel (2) a creusé la question plus profon-
dément par cela seul qu'il est parti, dans ses spéculations,
de la définition même de la personnalité, et qu'il a dû
en conséquence montrer que les personnes morales cor-
respondaient' à cette définition. Pour lui, si l'homme est
une personne « c'est qu'il a sur ses actes un pouvoir
suprême de direction que n'ont pas les autres êtres » (3).
La personnalité n'est pas autre chose que la liberté eu
(1) Gpr. dans le sens de M. Hauriou, la thèse de M. Achille
Meslre sur les Personnes morales et le problème de leur res-
ponsabilité pénale {^esh^ 4899, notamment p. 191 et suiv.),
(2) Cours de philosophie du droit, t. Il, p. 23 et s,, et Concep-
tion des personnes morales (Rapport présenté au 2e Congrès inter-
national de philosophie tenu à Genève du 4 au 8 septembre 1904.
Genève, Kùndig, éditeur).
(3) Conception des personnes morales, p. 6.
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LÀ NOTION DE PERSONNALITE MORALE 91
prenant bien soin de ne pas entendre ce mol dans le
sens de « liberté d'indifférence », mais dans le sens de
faculté de se diriger soi-même suivant une lumière
supérieure (1). C'est Vactivité volontaire de l'homme
activité réfléchie, éclairée par la raison, activité dans
laquelle il est lui-même le maître de la direction
suprême de ses actes, qui constitue sa personnalité ; car
c'est précisément par là qu'il est susceptible d'avoir des
droits et des devoirs. Ces mots n'auraient pas de sens à
son égard s'il n'élait qu'un être passif subissant aveu-
glément les forces de la nature,
La définition du moi personne étant ainsi donnée, la
question e^t de savoir si elle ne peut pas s'appliquer à
autre chose qu'aux individus humains. Or, dit Tauteur,
elle s'applique également à des groupes de personnes^
« pourvu que comme groupe elles soient douées des
mêmes puissances d'action et d'un pouvoir semblable
d'imprimer à ces puissances une direction effective » (2).
Et il essaie de démontrer que les groupes qualifiés de
personnes morales remplissent cette condition. La plu-
part de ces personnes en effet se ramènent au type de la
société, c'est-à-dire de la collaboration volontaire de plu-
sieurs personnes vers un bien commun, par des moyens
communs. La société ainsi comprise est « une puissance
directrice, intelligente et libre, d'un ensemble de forces
naturelles » (3), par conséquent une personne ; et ce qui
constitue cette personne, c'est « le faisceau de volontés
des associés, en tant que ces volontés se dirigent d'accord
vers le but social » (4).
(i)/rf.,p. 9.
(2)/rf., p. J3.
(3)/rf.,p. 45.
(4) Id.y p. 16.
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y^ CHAPITRE PREMIER
42. Nous sommes absolument d'accord avec M. Boislel
sur le sens philosophique du mot personne. Nous consi-
dérons comme 1res juste l'analyse si fine qu'il présente
du dédoublement de la volonté des associés, et des
moyens mis en œuvre pour donner à leur volonté la
part qui lui revient dans la direction de j'àctivité com-
mune. Mais il ne nous semble pas qu'il réussisse à dé-
montrer l'existence de la personnalité sociale. Au con-
traire ses prémisses auraient dû le conduire à admettre
que dans la société, les seules véritables personnes sont
les associés eux-mêmes ; car ce n'est pas la société qui
a le pouvoir directeur, l'activité libre et intelligente,
telle qu'il Ta définie, ce sont les associés. Le point où
nous commençons à nous séparer de lui se trouve dans
l'une des phrases que nous citions plus haut. Les
groupes de personnes, nous dit-il, devront jouer le
même rôle que les personnes physiques, « pourvu que
comme groupe, elles^ (c'est-à-dire les personnes grou-
pées) soient douées dés mêmes puissances d'action... »I1
aurait dû dire, croyons-nous pour déntiontrer sa thèse ;
les groupes de personnes seront eux-mêmes des per-
sonnes, si ces groiipes'soni doués de la même puissance
d'action. Mais cette démonstration n'est évidemment pas
possible. Les volontés dirigeantes, ce sont toujours celles
des associés ; et le fait qu'elles se dirigent en commun
vers un but commun n'en change pas la nature. Fais-
ceau de volontés, soit ! Mais npn volonté ayant une
existence propre et distincte de celle des associés.
Cette manière de concevoir la personnalité n'aboutit
d'ailleurs pas plus que celle de M. Hauriou à indiquer
d'une manière satisfaisante la limite du concept. Il y a
faisceau de volonté dans toute société ou association
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LA NOtlON t)E PERSONNALITE MORALE 03
quelle qu'elle soit ; toute société ou association est donc
personne morale. M. Boistel ne recule pas devant cette
affirmation qu'il applique notamment à la société conju-
gale {{). Mais il ajoute que, dans certaines sociétés, cette
personnalité n'existe qu'entre les parties, dans les rap'
ports des associés entre eux^ et non à l'égard des tiers ; et
il donne pour preuve de cette personnalité partielle (en
droit positif français), les textes du Code civil sur les
sociétés (art. 1845-1847, 1850-1852), qui parlent de dettes
et de créances entre la société et les associés. Or ces
termes ne sont point démonstratifs de la pensée du légis-
lateur, car le mot société peut fort bien y être une
expression abrégée pour désigner les associés ; il ne
prouve pas plus que les mots dette sociale^ obligation
contractée pour le compte de la société^ qui se trouvent
dans les textes relatifs aux rapports de la société avec
les tiers (art. 1862-1864). Au' fond, il nous paraît peu
hogique d'admettre la personnalité à l'égard de certains
rapports juridiques seulement, et précisément pour les
rapports internes dans lesquels elle joue assurément un
rôle moins important que dans les rapports externes.
43. Toutes ces théories échouent à nos yeux parce
qu'elles veulent trop prouver. Elles ne posent pas seule-
ment urre thèse appartenant à la technique juridique,
elles entreprennent de démontrer que les groupements
ont une personnalité philosophique analogue à la per-
sonnalité humaine. Dans cette voie on ne peut aboutir.
Il faut séparer nettement le point de vue juridique du
point de vue philosophique, Jellinek, avec qui nous
(1) V. C40ur8 de philosophie du droit, t. II, n»8 315 et 344 et s.
V. aussi Cours de droit commercial, 4" éd., p. 126-127.
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94 CttÀPtTRÈ t^REMIBti
sommes tout à fait d'accord sur cette idée (1), n'arrive
cependant pas^ suivant nous, à la véritable solution
parce qu'il conserve une trop grande part à la volonté
dans la notion qu'il se fait de la personne juridique.
Vo}'ant en elle un élément essentiel de la personne, qui
doit se trouver en elle-même^ il est réduit à dire qu'il
s'y trouve non pour le philosophe mais pour le juriste,
et cela nous paraît, malgré ses ingénieuses explications,
insuffisant, parce que cela consiste simplement à substi-
tuer une fiction à la réalité. Voici l'exposé que l'auteur
nous fait de sa théorie dans l'ouvrage où, à propos de la
personnalité de l'Etat il l'a développée le plus complète-
ment, le System der subjectiven 6 ffent lichen Rechte (2).
Il y a, nous dit-il, suivant le point de vue auquel on
se place des notions différentes d'un même objet, notions
qui ne doivent point se contredire mais qu'on ne peut
confondre sans commettre un vice de méthode. Pour le
physiologiste et le psychologue par exemple, une sym-
phonie de Beethoven n'existe pas comme objet distinct;
elle n'est qu'une succession de mouvements produisant
une succession de sensations. Pour l'esthéticien au
contraire, elle est une chose distincte, qui existe au
moins dans le monde des sentiments esthétiques^ et
qui doit être étudiée comme telle. Il en est de même des
institutions juridiques. La question qui se pose au
juriste n'est pas de savoir si elles existent dans le monde
physique comme des êtres individuels; il se demande
seulement comment on doit les concevoir dans le monde
des relations humaines, auquel seul elles appartiennent.
(4) V. not. Allgemeine Staatslehre, p. 460-461.
(2) Notamment p. 43 et s., p. 28 etc.
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• x'.»viV':»
LÀ NÔtlÔN DE PERSONNALITE MORALE 9S
Rieu de plus dangereux que de confoudre les deux gen-
res de notions : « Le synchrélisme mélhodique compte
parmi les vices scientifiques de noire époque. La jmé-
thode des sciences naturelles, la recherche empirique,
rinvestigation biologique entrent en scène, et nous ap-
portent des découvertes sensationnelles. D'un côté, on
avertit le juriste que l'Etat, n'ayant ni tête tii jambes,
ne peut pas être une personne. De l'autro on découvre
comme une vérité destinée à faire époque, que l'Etat
forme avec les bacilles, les fougères, les mammifères,
les associations et les corporations, une grande catégo-
rie d'individus semblables dans leur essence. » Le
monde juridique n'est pas un monde physique. C'est un
monde d'êtres qui n'existent que dans la pensée de
l'homme, qui toutefois ne sont pas des fictions, mais
des abstractions, c'est-à-dire des notion^ générales déri-
vées du monde réel à peu près comme les notions ma-
thématiques. On n'a jamais nié l'existence du point ou
de la ligne, ni traité \l2 comme une fiction, sous pré-
texte que ce ne sont pas là des choses visibles et saisis-
sables. Le juriste n'a pas à rechercher quelle est l'es-
sence physique de l'Etat, mais seulement ce qu'il est dans
le monde juridique.
Or, en se plaçant à ce point de vue tout relatif, on
trouve dans TElat (comme dans tout© personne collec-
tive), deux caractères. En premier lieu il est une unité de
personnes (1). L'idée d'unité est dans le monde pratique
une idée toute subjective : la seule unité réelle serait
(1) L'auteur qui parle ici spécialement de l'Etat, ajoute : « ayec
un fondement territorial » . Nous supprimons ces mots pour em-
brasser dansr la démonstration toutes les personnes collectives.
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96 GfiAPlTRE t>RfiAllEft
l'alôme; les unités dont nous admetlons Texistence ne
sont telles que dans notre esprit ; elles se composent
d'éléments distincts, soit dans le temps, soit dans Tespace,
éléments que nous réunissons par la pensée à raison d*un
caractère commun qui leurappartient.DansIe monde juri-
dique, ce caractère commun, c'est le but. On le retrouve
dans toutes les parties du domaine du droit: si le droit
envisage une chose déterminée comme un objet distinct,
c'est parce que, comme telle, elle peut servir à l'un des
besoins de l'homme. Pour le physicien ou le chimiste, il
n'y a pas des tables, des* chaises, des maisons, mais
seulement du bois, de la pierre, ou du métal C'est le but
qui individualise ces objets. C'est le but aussi qui indi-
vidualise, au point de vue du droit, les actions humai-
nes, qui fait par exemple qu'un délit ou un acte juridi-
que sera considéré comme une chose unique, alors
même qu'il se compose d'actes isolés par le temps.
C'est le but enfin qui donne l'unité à des successions ou
à des réunions d^individus: la succession des fonction-
naires remplissant un emploi, ou des sentinelles mon-
tant la garde à la porte du général; la réunion formée
par une famille, une association, une corporation. Au
point de vue absolu, il n'y a là que des hommes qui se
succèdent, ou qui entrent en relation les uns avec les
autres; au point de vue juridique, il y a là de véri-
tables unités, agglomérées, maintenues, cimentées, par
l'unité du but.
L'État qui constitue ainsi une^unité constitue aussi
une personnalité. C'est encore là une notion purement
juridique (1), qui n'exprime autre chose que la capacité
(i) Jeliinek insiste sur cette idée (du reste admise en dehors de
lui parla plupart des auteurs), que Fidée de personnalité juridique
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La NOTIOII de PBltSÔNNALkTB MORALE 9l
d'être sujet de droit. Si elle existe au profit de rhomme
individuel, ce n'est pas en vertu de la nature elle-même^
c'est seulement en vertu du droit, et à la suite d'un long
développement historique. Jellinek admet, comme les
auteurs précédents, que le sujet de droit doit avoir néces-
sairement une volonté personnelle. Mais à ses yeux
l'Etat comme toute personne collective, est capable d'a-
voir une volonté qui n'a rien de fictif. Nous concevons,
dit-il, celle volonté comme une volonté distincte, en
vertu de la même nécessité intellectuelle qui nous fait
admettre l'unité de la personne collective. Du moment
que cette unité existe, nous devons lui attribuer, au
moins au point de vue de la raison pratique, les actes de
volonté qui la dirigent vers son but. Ces actes seront
donc dans le monde physique des actes de volonté des
individus (\), mais dans le monde juridique des actes de
volonté de la collectivité. Il n'est pas besoin pour^cela
qu'une loi le reconnaisse. Si nous les considérons
corame tels, c'est en vertu d'une nécessité de notre
esprit qui s^applique à toute unité d'individus organisée
en vue d'un but, alors môme qu'il s'agirait d'une asso-
ciation de malfaiteurs ou de tout autre groupement illi-
cite. Mais cette personnalité de fait ne devient une per-
sonnalité juridique qu'en vertu du Droit, qui fait, de
l'organe de la volonté de fait, un organe juridiquement
reconnu.
doit rester une notion purement juridique. A ce point de vue, il
n'existe pas de personne naturelle ; Thomme comme les êtres col-
lectifs, ne devient une personne juridique que par l'établissement
du règne du droit.
(ty Jellinek est très ferme sur ce point, et combat nettement la
théorie de la volonté de Torganisme. C'est nous qui soulignons ce
passage particulièrement caractéristique.
mCHQUD 7
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d8 GH4P1Tt<E PRRMlËti
44. Cette théorie a le mérile de poser nettement la
question sur son véritable terrain, et de renoncera une;
démonstration métaphysique de la personnalité. NouS)
sommes d'accord avec elle sur cette idée essentielle quô;
la notion qu'il s'agit de dégager est une notion pure- ;
ment juridique. Elle a seulement le tort, à nos yeux, de
maintenir comme indispensable, dans la notion de per-
sonne, celle d'une volonté lui appartenant en propre.
Elle s'oblige par là à démontrer que les personnes col--
lectives sont douées de volonté, et cette démonstra-
tion, en réalité, elle ne la fait pas. Elle équivaut à dire;
que les personnes morales n'ont point de volonté^
mais que, par une conception naturelle de notre esprit,
nous lui attribuons la volonté des personnes physiques*
Les partisans de la fiction ne disent guère autre chose,,
et s'abstiennent seulement d'insister sur le caractère
nécessaire de l'opération. Aussi les Germanistes repren-
nent-ils sévèrement Jellinek, en faisant observer que ce
n'est pas mettre de côté la fiction que de l'exprimer en
termes différents (1). D'autre part, la théorie de Jellinek
s'expose au reproche si souvent encouru par les juristes
d'oublier les faits de la vie réelle pour se jeter dans le
(1) Preuss, dans Archiv, fur ô/fentliches Recht, 1889, p. 80 ; et
dans Gemeinde Staat., . p. 154. V. une discussion détaillée de la
théorie de Jellinek dans V Handworterbuch dei^ Staatswtssens
chaften de Conrad (2« éd., t. VI, p. 9t4, au mot Staat). Edgard
Lôning, l'auteur de cet article fait observer que la théorie confond
la notion ou représentation de la personne avec son objet Ce
n'est pas la notion d^ personne qui est douée de personnalité,
c'est l'être, quel qu'il soit, auquel s'applique cette notion. Il ne
suffit donc pas de dire que le juriste se fait une notion particu-
lière de la personne ; il faut dire quelle est cette notion et montrer
qu'elle s'applique aux groupes dont il s'agit de démontrer la per-
sonnalilé. Celte démonstration, en réalité Jellinek ne la donne pas.
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LÀ KOTIO)<r DB PfeRSONNÀLITË MORALE^ Od
monde des abstractions. Elle ne montre pas comment
Tabslraction, qui est nécessaire, se relie a la réalité.
Elle permet de soutenir que les faits sont, ici, non seu-
lement interprétés, mais transformés. Par quel coup de
baguette magique, en effet, la volonté des individus
devient-elle la volonté du groupe? On ne nous l'expli-
q-ue pas, sinoîi en nous disant qu'il est nécessaire prati-
quement que le Droit la considère comme telle, et,
étant donné le point de départ, cela ne nous satisfait pas.
IV
45. Si Ton tombe dans toutes ces difficultés d'où il est
impossible de sortir, c'est, croyons-nous, qu'on- a pris un
faux point de départ d'ans la définition du droit subjectif
telle que nous l'avons donnée plus haut(i). Comme défi-
nition descriptive elle n'est point inexacte, elle exprime le
résultat tangible que produit, au profit de son titulaire^
le droit subjectif, résultat qui est de donner à sa volonté
(ou à la volonté qui le représente) un certain pouvoir que
la loi protège. Mais elle n'exprime pas le fondement et
Tessence même tlu droit. Il est pas vrai que ce fondement
se trouve dans la volonté. La puissance reconnue à celle-
ci par la loi n'est qu'une conséquence, conséquence qui,
il est vrai, se produit nécessairement, mais qui peut se
(i) La théorie que nous développons dans les pages suivantes
est, au moins quant au point de départ, celle qui a déjà été émise
par certains auteurs : Beroatzik, dans Archiv. fur ôffentlichè
Rechtj 4890 (t. V), p. 169 et suiv. ; Karlowa, dans Grûnhufs
Zeitschrift^ t. XV (1888), p. 381 et suiv. ; Rosin, dans Anna/en
des deutschen Reichs, 1883, p. 28tt et suiv. Nous jugeons peu utile
de préciser les points de détail qui nous séparent de ces auteurs,
ou qui les séparent entre eux.
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tOO CbAPITRE PREMiEI^
produire au profit d'une autre volonté que celle du titu-
laire du droit.
46. i* Pour prouver cette assertion, on peut invo-
quer tout d'abord, comme Ta fait Ihering (1), la situa-
tion des êtres humains dénués ou à peu près dénués de
volonté, tels que le fou ou Vin/ans, L'absence de volonté
chez eux n'a jamais empêché de leur reconnaître une
personnalité et de leur attribuer des droits. Elle à eu
seulement pour effet d'obliger le législateur à déléguer
l'exercice de ces droits à des représentants légaux. Par
quoi cependant s'explique cette personnalité ? On a dit
que la volonté de ces personnes existait au moins en
germe, Tenfant pouvant grandir, et le fou arriver à la
guérison (2). Mais la réponse est manifestement insuf-
fisante, car elle mènerait à conclure que leur personna-
lité, elle aussi, n'existe qu'en germe, et que les droits qui
lui sont rattachés doivent disparaître rétroactivement —
comme ceux de l'enfant conçu et non encore né — si le
germe ne se développe pas. On a dit aussi, et l'objection
paraît au premier abord plus sérieuse, qu'en réalité
ces personnes ne sont nullement dénuées de volonté :
« L'enfant et le fou, dit M. de Lapradelle (3), présentent
dès maintenant une réflexion et une volonté, l'une nais-
sante, l'autre malade, mais dont la faiblesse chez le pre-
mier, et l'altération chez le second supposent l'existence,
car on ne qualifie pas le néant. » Et l'observation est très
exacte, mais elle ne résout pas la difficulté. Car ce
n'est pas cette volonté naissante ou malade ^ui peut
(i) EspHt du droit romain. Trad. Guenoux, t. IV, § 70,
p. 319 320.
(2) Roguin, La règle du droit, p. 395.
(3) Théorie et pratiqve des fondations y p. 429.
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-^fO^^ ■« •• ,
LA NOTION OB PERSONNALITÉ MORALE iOt
être le fondement des droits qu'on leur reconnaît ; Ta
preuve en est qu'on n'accorde à cette volonté aucun effet,
et que lorsqu'elle vient à se manifester, la loi n'en tient
pas compte, mais lui substitue une volonté étrangère. Si
Ton ne cherche pas ailleurs que dans la volonté la rai-
son d'être du droit, on est obligé logiquement de dire
que le titulaire du droit n'est autre que celui dont la
volonté est protégée, par conséquent le représentant,
toutes les fois que la représentation n'est pas purement
volontaire. Et alors le fou, Vinfans^ et d'une façon géné-
rale tout incapable frappé d'incapacité absolue, ne peu-
vent plus être que des personnes fictives, sur qui on
transporte artificiellement le bénéfice de droits qui en
réalité appartiennent à d'autres (1),
47* Mais on peut, en quittant ce terrain un peu étroit,
arriver à une démonstration plus complète. Même chez
l'être juridique par excellence, chez l'homme adulte et
maître de ses droits, ce n'est pas la volonté en elle-même
et pour elle-même qui est protégée. Elle n'en serait pas
toujours digne, puisqu'elle peut se déterminer soit pour
le bien, soit pour le mal (2). Aussi tout acte de volilion
(4) Certains auteurs n'ont pas reculé deyant cette logique. Bier-
ling, Zur Kritik der juHstischen grundbegriffe (4883), t. Il,
no 165.
(2) Fouillée, Idée moderne du droit, p. 203. Tout en critiquant
le libre arbitre, M. Fouillée démontre que ce libre arbitre, s'il
existe, n'est pas digne d'être protégé pour lui-même :« Cette faculté
attribuée à l'homme de vouloir une chose quand il pourrait vouloir
l'opposé n'est qu'une force à double effet, comme la force de la
vapeur, qui peut faire aller une locomotive aussi bien en arrière
qu'en avant ; mais la locomotive est-elle plus sacrée et plus invio-
lable parce qu'on y peut renvoyer la vapeur et appliquer la force
motrice à deux fins. . . ? »
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102 CHAPITRE PREMIER
n'esL-il pas protégé. Le Droit distingue parmi les mani*
feslations d'une même volonté ; il donne aux unes sa
sanction, il la refuse aux autres. Pourquoi cela ? Parce
que, ce que le Droit veut protéger quand il sanctionne
une volonté, ce n^est pas Pacte de volition en lui-même,
c'est son coutenu. On ne peut pas vouloir sans vouloir
quelque chose (i) ; c'est ce quelque chose qui est Tobjet
de la protection légale, non pas uniquement parce qu'il
est voulu, mais parce qu'il est conforme à l'idéal, quel
qu'il soit, que le législateur s^est formé de Tordre et de
la justice. La loi protège, non la volonté, mais l'intérêt
que cette volonté représente.
48. Avant de répondre aux objections que cette doc-
trine peut soulever^ il importe de bien la préciser. L'in^
térét est l'élément fondamental du droit ; le titulaire du
droit est l'être collectif ou individuel, dans l'intérêt de
qui ce droit est reconnu. Mais cela ne veut pas dire que
la v£»Ionté ne soit pas aussi dans le droit un élément
(1) JeUinek. System dersubj. offent. Rechte, p. 40. On arrive
à un résultat un peu analogue, au nôtre si Ton admet, avec
M. Boistel (Cours de philosophie du droit, no 79, et passim),
que le droit a sa base dans l'acte de volonté protégé par la loi
morale. Le fondement du droit n'est plus, comme dans l'école
libérale pure, la liberté d'indifférence, mais uniquement la liberté
tendant au bien. Au fond, dans ce système, c'est bien plus le
contenu de la volonté que la volonté elle-même qui est élevé par
la loi à la dignité de droit positif. Sans doute on peut dire — et
nous l'admettons — que le législateur doit reconnaître comme
droit toute activité libre protégée par la loi morale. Mais comme
il est seul compétent en fait pour déterminer les idées morales
dont il s'inspire, cela équivaut à dire qu'il protège les intérêts qui
lui paraissent en harmonie avec l'idéal qu'il se fait de Tordre et de
la justice. Il les protège du reste comme nous l'expliquons à la
suite du texte, en donnant aux volontés humaines le pouvoir de les
réaliser.
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LA NOTION DE PERSONNALITÉ MORALE 103
essentiel; elle est seulemenl un élément plus secondaire^
parce qu'elle n'est pas la cause du droit et qu'elle ne
réside pas nécessaireo^enl dans son titulaire. Toutefois
elle ne peut être complètement absente ; il ne serait pas
exact de dire purement et simplement, comme Ta fait
M. Ihering (1), que le droit est un intérêt juridiquement
protégé. Il y a des intérêts répondant à cette définition
qui ne sont pas pour cela élevés à la dignité de droits :
rintérêt des fabricants et des ouvriers protégés contre la
concurrence par un droit de douane ; l'intérêt des indi-
(\) Esprit du droit romain^ t. IV, p. 326 et 337. Cpr. RoguiA,
La règle du droit, p. 85. Cet auteur élimine complètement l'élé-
ment î?o/on^e. Quant à Ihering, il fait lui-même, p. 337, l'observa-
tion que nous signalons sur les intérêts qui, bien que protégés par
action réflexe, ne sont pas pour cela des droits, il a seulement le
tort de ne pas tenir compte de ces intérêts dans la définitioQ qu'il
répète à deux reprise. — M. Hauriou a donné du droit subjectif
une définition analogue à celle d'Ihering ; un intérêt individuel
socialement garanti. Cette définition {Précis de droit adminis-
tratif, p. 3n, note 3) n'est pas nod plus assez précise. — Un de
ses élèves, M. Barthélémy (Essai d'une théorie des droits sub-
jectifs des administrés, 4899, p. 21), a défini le droit subjectif :
celui dont la réalisation peut être obtenue par un moyen juridique
à la disposition du sujet. La définition est à nos yeux excellente,
si Ton ajoute : ou de son représentant. Le moyenjnridiquequi est le
signe de l'existence du droit subjectif, c'est, pour cet auteur comme
pour Ihering, l'action en justice. Pour nous ce n'est point exact.
L'action en justice est la sanction la plus habituelle du droit ; elle
n'en est pas la seule sancliop possible. Il peuc y avoir, et il y a en
fait dans les législations positives, d'autres moyens juridiques à la
disposition du sujet, par exemple ceux que peut invoquer le créan-
cier d'une obligation naturelle. V. au surplus ce que nous disons
plus loin de l'intérêt protégé par le droit naturel. V. aussi en ce
qui concerne les droits appartenantàTËtat vis-à-vis desos organes
constitutionnels, droits qui ne sont pas sanctionnés par une action
mais par des moyens spéciaux. Romano Santi : Nozione e natura,
deg II organicostituzionali délie Stato{?SL\evme\S9S),^. 64 et suiv.
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104 CHAPITRE PREMIER
genls à recevoir des secours de TAssistance publique
dans les législations qui n'admeUent pas le principe du
droit personnel à Tassistance ; l'intérêt des particuliers
à jouir des avantages que leur présentent certaines par-
ties du domaine public, et autres semblables. Que man-
que-t-il, dans ces divers cas, pour que nous nous trou-
vions en face d^un droit subjectif ? Il manque une volonté
à qui la puissance soit donnée de réaliser ou de ne pas
réaliser le droit suivant son bon plaisir ; qui soit chargée
de le défendre si on l'attaque, et de faire les actes néces-
saires ^à son exercice ; en un mot, une volonté qui le
représente. Tant que la loi ne reconnaît pas une volonté
de cette nature, elle ne protège l'intérêt que d'une façon
indirecte ; elle ne le protège pas pour lui-même, mais
en considération d'un autre intérêt général ou particu-
lier... On ne peut pas dire dans ce cas qu'elle voit, dans
l'ensemble des êtres intéressés plus ou moins directe-
ment au but qu'elle vise, une personne juridique, parce
que ces êtres ne peuvent ni par eux-mêmes, ni par leurs
représentants, invoquer la protection légale. Ce sont là
dé simples intérêts garantis par V effet réflexe d'un droit
appartenant à l'Etat ou à une autre personne ; on leur a
donné le nom de droits-reflets (i) ; en réalité ce ne sont
(t) Barthélémy, op. cit.^ p. 16. C'est la traduction iogénieuse,
quoiqu'un peu libre, de Texpression allemande : Reflexrecht. Ihe-
ring a signalé ces effets réflexes de certains droits, ou actions
réflexes juridiques, dans son Esprit du droit romain (Trad. Meu-
lenaère, t. IV, p. 337) ; il les a étudiés dans les Jahrbûcher t. X,
p. 245 et suiv..., article reproduit dans ses Gesammelte Aufsàtze^
t. If, p. 79 et suiv.). Enfin la distinction du Reflexrecht et du droit
subjectif .a été magistralement étudiée au point de vue du droit
public par Jellinek [System der subjectiven ôffentl. Rechte, p. 63
et suiv,),
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LA NOTION DE PERSONNALITE MORALE 105
pas de véritables droits. Pour qu'il y ait droit il faut une
protection directe et immédiate. Nous définirons donc
le droit subjectif : V intérêt (T un homme ou d'un groupe
d hommes y juridiquement protégé au moyen de lapuis*
sance reconnue à une volonté de le représenter et de le
défendre (1). Nous ajouterons que le titulaire du droit
est Têtre (collectif ou individuel) dont Tintérét est ainsi
garanti, alors même que la volonté qui le représente ne
lui appartiendrait pas en propre au sens métaphysique
du mot. Il suffit que cette volonté puisse lui élvçi sociale-
ment ou pratiquement attribuée pour que la loi, sans
s'écarter de son rôle qui consiste à interpréter les faits
sociaux, doive la considérer comme la sienne.
48 bis. Ces explications répondent par avance à
quelques-unes des objections qui ont été adressées à
notre théorie depuis sa première publication. M. de Va-
reilles-Sommières (2) a essayé d'en faire sortir des con-
séquences compromettantes : il en résulterait, dit-il, que
Yinfans sans père vivant et sans tuteur n'est pas une
personne, puisqu'aucune volonté ne le représente ni
ne protège ses intérêts ; il en résulterait, d'autre part,
que les bêtes protégées par la loi Grammont sont des
personnes, puisque « les agents de police judiciaire
sont chargés de protéger l'intérêt évident qu^ont ces
pauvres bêtes à n'être pas l'objet de sévices inutiles. »
(i) Cpr. la définition du sujet de droit dans Bernatzik, op.cit,,
p. 233, et celle du droit subjectif, eod. 1. p. 263. V. aussi, Santi,
Romano, La theoria dei diritti publici subjectivi, dans Orlandoi
Traita ta di diritto amminisirativo, t. I, p. 123.
(2) Les personnes morales, no» 206 et s.,. où Tauteur discute les
explications précédentes déjà présentées par nous en 1899, dans la
Revue de droit public.
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106 CHAPITRE PREMIER
A cela nous répondons, sur le premier point, que VinfanSy
même sans luleur actiiely est bien une personne, par
cela seul que la loi contient les dispositions nécessaires
pour lui organiser une représentation juridique dès que
ses intérêts Texigeront. Si elle ne l'avait pas fait, et si la
coutume ne suppléait pas à son silence, il serait très
exact de dire que Y infans n'est pas une personne juri-
dique. Il ne le serait pas plus que resclave des sociétés
antiques. — Quant au second point, il nous parait évi-
dent que les bêles protégées par la loi Grammont ne le
sont point pour elles-mêmes^ pas plus que les fleurs
alpestres protégées par les règlements de police. Elles le
sont dans un intérêt humain, à la requête d'hommes qui
se sont émus des instincts sanguinaires que les mauvais
traitements infligés aux animaux révèlent dans le cœur
de rhomme. Ce qui prouve bien que ce texte et les
textes semblables ne reconnaissent aux animaux aucun
droit, c'est qu'ils n'interdisent que les mauvais traite-
ments inutiles et non ceux qui servent aux fins supé-
rieures de rhumanité, tels, par exemple, que la vivi-
section. Aussi ne dotent-ils pas les animaux d'une
représentation attitrée, mais au contraire donnent com-
pétence pour les protégera tout fonctionnaire compétent
pour concourir à la répression des crimes et délits.
L'avantage que ces « pauvres bêtes » retirent de la loi
Grammont est l'un de ces effets réflexes du droit objec-
tif (ou du droit de l'Etal), que nous avons distingués
plus haut des droits proprement dits.
Il en est de même, suivant nous, dans tous les cas où
des droits semblent appartenir à des animaux où à des
objets : par exemple, dans les fondations en faveur des
animaux (ours de Berne), ou d'un objet inaninmé (Man-
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La notion de PERSONNALITE MORALE 107
neken Pis de Bruxelles); L^intérêt que la loi protège en
faisant respecter ces fondations est celui du groupe
d'hommes qui juge utile à ses propres fins leur entretien
ou leur conservation. Permis au Mauneken Pis d'avoir
des rentes^ une garde-robe bien fournie, et un valet de
chambre ! Il n'a tout cela (fue parce que des hommes s'in-
téressent à lui. Ce sont ces hommes que la loi entend
protéger et non lui-même. L'intérêt élevé à la -dignité
de droit est toujours un intérêt humain^ celui d'un
homme ou d'un groupe d'hommes (1).
49. Nous avions d'autre part, dès 1899, prévu et
essayé de réfuter à l'avance une autre objection fonda-
mentale, celle que l'on avait déjà opposée à la définition
d'Ihering. Cette définition et par conséquent la nôtre
semble au premier abord, si l'on a sur la base du droit
individuel certaines idées, faire disparaître les droits
de la personne humaine vis-à-vis de l'Etat, et donner à
ceitti-ci un pouvoir illimité pour déterminer les intérêts
qu'il juge dignes de protection. Si l'homme, a-t-on dit,
est un sujet de droit naturel, s'il a des facultés inalié-
nables sur lesquelles l'Etat nç peut porter la main,
c'est qu^il est doué de raison et de volonté, que cette
volonté est responsable, et qu'elle doit avoir les moyens
de réaliser sa vocation divine vers le perfectionnement
moral. « Aujourd'hui tout homme est une personne,
dit Laurent ^(2). Pourquoi? Parce que tous les hommes
ont pour mission de devenir parfaits, comme leur
Père dans les cieux ; c'est la parole de Jésus-Christ,
el c'est aussi la doctrine des philosophes. Cette œuvre
(1) Gpr. sur les droits en apparence reconnus aux animaux.
Roguin. La règle de droit, vl^ 218.
(2) Avant-projet de revision du Code civil belge, t. I, p. 379.
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108 CHAPITRE PREMIER
de perfectionnemenl indéfini implique la jouissance
des droits qui mettent Thomme à même de dévelop-
per les facultés physiques, intellectuelles et morales
dont Dieu Ta doué. Il est d'évidence que cette notion
de la personne ne s'applique qu'à l'homme, dont la
vie est une existence infinie, consacrée à son déve-
loppement. Les corporations n'ont point de vie réelle;
elles n-ont qu'une existence fictive ; donc elles ne sau-
raient être des personnes. » Si nous voyons dans Tinté-
rêt le fondement du droit, que deviennent ces droits de
la personne? L'un des plu^ éminents représentants de
l'École libérale (1) a reproché à la doctrine de l'intérêt,
telle qu'elle était formulée par Ihering, d'aboutir à leur
négation et de ne plus laisser au droit d'autre fonde-
ment que la loi positive : (( Ihering conteste que les
droits de la personne aient une réalité indépendante et
nécessaire ; il ne les reconnaît pas en dehors d'une
sûreté juridique acquise ou, ce qui revient au même, en
dehors d'une concession de la loi ; ce ne sont pour lui
que des intérêts juridiquement protégés... Quelle réalité
le droit a-t-il s'il n'existe pas en dehors d'une sûreté
juridique acquise, en d'autres termes d'une concession
et de l'appui de TsCutorité? »
50. L'objection est juste peut-être si on la dirige
contre l'ensemble de la théorie dlhering. Elle ne l'est
plus si on l'adresse à sa définition du droit, que nous
avons reproduite en la complétant.. Cette définition,
prise en elle-même, est très compatible avec la notion
de droit naturel, quelle que soit du reste l'idée que l'on
se fasse de ce droit. Un intérêt juridiquement protégé,
(i) Beudant, Le droit individuel et V Etat y p. 210.
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^WTWv
LA NOTIOK^ DK PKRSONNiLLlté MORALE lOd
c*esl à tios yeux un intérêt protégé par le droit objectif j
et il n^cst nullement nécessaire d^entendre par là un
intérêt protégé par le droit positif. Pour notre part, nous
voyons dans l'Etat Tinterprèle et non le créateur du
droit. Celui-ci existe en dehors de lui, tout au moins en
tant qu'idée-force que l'Etat ne saurait méconnaître
impunément (1 ) ; par là même il n'est pas entièrement
dénué de sanction, bien que cette sanction soit impar-
faite. L'intérêt que le droit naturel protège mérite donc
déjà le nom de droit subjectif. Il va sans dire d'ailleurs
que ce droit subjectif n'arrive à sa complète réalisation,
et n'est revêtu d'une protection réellement efficace que
lorsqu'il est reconnu par l'Etat. C'est l'Etat seul qui peut
mettre à la disposition du ?ujet le moyen juridique des-
tiné à assurer cette protection. Aucun système, aucune
définition ne peut écarter ici la brutalité du fait. Mais il
n'en résulte pas que l'Etat crée ou concède le droit ; il
le reconnaît et prend sa défense. Toute la difficulté est
de savoir quels droits il doit reconnaître ; et à ce point
de vue la doctrine qui base le droit sur la volonté ne
fournit pas plus de lumières que celle qui l'identifie avec
l'intérêt digne d'être protégé.
Et en effet, en prenant l'intérêt comme base de notre
définition, donnons-nous plus libre jeu à son arbitraire
qu'avec la définition courante? Nullement. Au contraire,
nous élargissons la notion, et nous arrivons à classer
(1) Nous réduisons ici à son minimum Tidée de droit naturel
afin de ne pas être obligé d'entrer dans une discussion accessoire
sur Texistence et le fondement de ce droit. Nous croyons que
notre théorie sur la personnalité morale peut s'adapter à toutes les
opinions possibles sur l'existence ou la non existence du droit
naturel, attendu qu'elle n'est au fond qu'une théorie appartenant
à la partie technique du droit.
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HO CtoAPITRE PhBMlEtt
parmi les droits que TEtat doit reconnaître, d'abord les
droits de i^individa, puis d'autres encore que la thèse
contraire laisse dans l'ombre, parce qu'elle est trop
exclusive.
51. D'abord les droits de l'individu : le premier intérêt
qui puisse demander la protection légale, c'est bien en
effet celui de la personne humaine. Le Droit est fait
pour Fhomme ; il a pour mission de le placer dans les
conditions extérieures les plus favorables à son bien-
être physique et à son perfectionnement moral et intel-
lectuel : pour cela il doit lui laisser, dans la mesure du
possible, le libre exercice des facultés nécessaires à son.
développement. C'est là Tintérêt primordial que le légis-
lateur doit avoir en vue et qu'il protège par la recon-^
naissance de la personnalité humaine. L'homme est par
conséquent le premier des centres d'intérêts auquel la
personnalité doit être reconnue. Remarquez seulement
que si par là sa volonté est protégée, elle ne Test pas en
elle-même et pour elle-même ; elle est considérée
comme un moyen et non comme un but; le bot, c'est
rhomme lui-même, ITiomme tout entier et non telle ou
telle de ses facultés. Cette idée seule peut à la fois
expliquer la protection accordée à certaines manifesta-
tions de sa volonté et déterminer les limites de cette pro-
tection. Baser le droit uniquement sur la liberté que^l'on
doit laisser à la volonté, c'est se condamner à en respecter
toutes les manifestations du moment qu'elles ne portent
pas atteinte à la liberté d'autrui (1) ; et nous croyons
(1) Beudant, (op. cit., p. 14^), tout en soutenant que le droit, en
thèse, se confond avec la liberté idéale, c'est-à-dire illimitée (ce
•qui est Tessence môme de la théorie», ajoute : « Le droit positif^
qui est l'hypothc^se, c'est-à-dire la pratique, n'adaiet qu'une Jiberté
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iUA. NOTION DÉ PEnSONNALITÉ ÂtOftALB il!
qu'aucune société ne peut se foncier sur celle idée uni-
que. Dans loutes les législations on trouve certaines
dispositions qu'elle est impuissante à expli<juer. Pour-
quoi donne t-on au père un droit de puissance sur son
fils, et au mari une autorité sur sa femme? Pourquoi
interdit-on certains faits immoraux, qui ne portent
atteinte à aucune liberté, tels que l'inceste, les exhibi-
tions scandaleuses, les outrages à la pudeur? Pourquoi
réprime-t-on l'alcoolisme ? Pourquoi d'autre part n'ac-
corde-t-on pas d'action en justice pour sanctionner tout
accord de volonté? (1) Toutes ces questions, et autres
semblables, ne trouvent aucune réponse dans la formule
libérale pure. Pour y répondre, il faut placer plus haut
limitée, et Hmilée doublement ; par le respect dû au droit d*autrui
et par les nécessités socia-les reconnues par la loi ». — La première
de ces limitations résulte implicitement de la théorie elle-même ;
la liberté de chacun n'est respectable qu'autant qu'elle s'accorde
avec la liberté de tous. Cette limitation figure dans tous les exposés
du système, notamment dans Tarticle 2 de la Déclaration des
droits de Thomme et dans la formule de Kant : « Agir extérieure-
ment de telle sorte que Tusage de sa liberté puisse s'accorder avec
celle des autres suivant une loi générale de liberté », formule qui
aboutit adonner du droit objectif la définition rappelée plus haut:
« L'ensemble des conditions dans lesquelles la liberté de chacun
^peut coexister avec la liberté de tous d'après un principe général de
liberté». — Mais la seconde limitation (nécessités sociales recon-
nues parla loi) nous paraît contradictoire avec le principe posé ;
car le principe équivaut à dire qu'il n'y a pas d'autre nécessité
sociale que d'assurer la liberté de chaque individu dans la mesure
où elle est compatible avec celle des autres. S'il y en a d'autres, il
faut dire quelles elles sont ; et alors on sera amené forcément à
une théorie différente de la pure théorie libérale ; il faudra les
baser sur une autre idée que la liberté de la personne humaine.
(4) Ihering {Esprit du droit romain, t. IV, p 329, note 505)
demande fort justement pourquoi, dans ce système, on ne bâtit
pas une action à raison d'une première valse promise et refusée.
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lia GHAPlTkB PRË^iEtt
le but du droit ; il faut le voir, non 'dans la volonté
humaine, mais dans Thomme lui-même. Il est un sujet
de droit, non parce qu'il veut, mais parce qu'il vit (l),et
parce que le législateur, dans la période de civilisation
où nous nous trouvons, a conscience qu'il ne peut
arriver au complet développement de son être que par
une large protection accordée à sa volonté. Cette pro-
tection ne va pas jusqu'à couvrir sans distinction toutes
les manifestations de cette volonté, à cette seule condi-
tion qu'elle ne heurte pas la volonté d'autrui. Elle cou-
vre seulement celles qui ont pour but un intérêt humain
que le législateur considère comme digne d'être pro-
tégé (2).
52. S'il en est ainsi, l'homme envisagé en tant qu'in-
dividu ne devra pas être la seule personne protégée par
le droit. L'homme est un être social. Sa destinée ne
peut être remplie que s'il associe ses efforts à ceux de
SOS semblables. Isolé en face de la nature, il ne peut
rien par sa seule force individuelle. Pour que l'humanité
arrive au degré de civilisation où nous la voyons parve-
nue, il a fallu, pendant des siècles, le travail collectif et
suivi des générations qui se sont succédé. Si le droit
(l) Otto Mdijer, Deutsches Verwaltungsrecht, t. II, p. 367.
{t) On voit, par les développements précédents, que nous ne
repoussons point la théorie du droit naturel qui considère comme
ridée primordiale du droit celle du respect de la personnalité hu-
maine, dans les limites de la loi morale. Cette théorie peut s'adap-
ter, comme toute autre d'ailleurs, à notre théorie de technique juri-
dique. Mais nous combattons l'idée que, dans chaque droit subjectif
envisagé séparément, on doive trouver une volonté spéciale du sujet
de droit. Le respect de la personnalité humaine, largement entendu,
nous conduit à respecter les intérêts légitimes que les hommes
poursuivent collectivement, alors même qu'on ne peut considérer le
groupe qu'ils forment comme doué de volonté naturelle.
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•^rapî^rw»:^
LA NOTION i)E PEftSONNALITE MORALE 113
veut correspondre aux besoins de rhumanité, dégager
la formule exprimant aussi exactement que possible les
rapports existant dans la société humaine, il ne doit pas
seulement protéger Tinlérêt de l'individu, il doit garantir
aussi et élever à la dignité de droits subjectifs les inté-
rêts collectifs et permanents des groupements humains,
11 doit donc permettre à ces groupements d'être repré-
sentés par des volontés agissant en leur nom ou, en
d'autres termes, les traiter comme des personnes mora-
les. Reconnaître le groupement comme licite, c'est par
là-nlême reconnaître l'intérêt qu'il poursuit comme
digne d'être protégé ; c'est parconséquent reconnaître
implicitement sa personnalité juridique.
53. 2*^ Mais pour cela deux conditions sont néces-
saires, conditions qui correspondent aux deux éléments
que nous avons dégagés dans le droit subjectif : un inté-
rêt distinct des intérêts individuels; une organisation
capable de dégager une volonté collective qui puisse
représenter et défendre cet intérêt.
a) Un intérêt distinct des intérêts individuels. Pour
qu'il soit utile de reconnaître la personnalité juridique
d'un groupe, il faut qu'il représente un de ces intérêts
collectifs et permanents dont nous venons de parler. Ce
sont ceux-là seulement que la personnalité individuelle,
est impuissante à incarner parce qu'ils la dépassent soit
dans l'espace, soit dans le temps ; ils ne peuvent être
représentés que par un groupe embrassant un certain
nombre d'individus, et ayant une certaine permanence.
Le premier intérêt, qui puisse prétendre à cette protec-
tion est celui de chaque nation indépendante groupée
sur un territoire déterminé ; c'est cet intérêt qui est re-
présenté par la personne morale Etat. Il est infiniment
MIGHOUD S
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114 G&APÏTRÉ PREMIER
complexe, car il embrasse tous les droits qui sont desti-
nés à assurer la vie et la prospérité de la nation. Il ne
doit donc pas être borné arbitrairement à l'intérêt
qu'offre pour celle-ci la conservation d\m patrimoine
privé. Ainsi que nous Tavons déjà dit, la personnalité
morale de l'Etat offre deux faces : personne morale de
droit public, il exerce les droits qui -se rattachent à l'idée
de souveraineté et dirige les services d'intérêt générai
nécessaires à la collectivité dont il est le représentant
juridique ; personne morale de droit privée il exerce les
droits patrimoniaux qui ont en somme lamême destina-
tion que les premiers, qui n'en diffèrent pas par le but
en vue duquel ils sont reconnus, mais uniquement par
leur mode d'exercice. Il saule aux yeux d'ailleurs que
dans ces deux domaines l'Etat a bien des intérêts collec-
life et permanents distincts de ceux des membres qui le
composent. Il peut demander à ces membres des sacri-
fices qui peuvent aller parfois jusqa^au sacrifice de leur
vie. C'est pour donner un centre à ces intérêts, pour leur
assurer une représentation que la personne morale prend
naissance d'une façon habituellement toute spontanée (1 ).
Au-dessous de l'Etal, nous trouvons d'autres intérêts
collectifs et permanents qui ont, comme les siens, une
base territoriale, c'est-à-dire qui ont pour objet les besoins
d'une population occupant un territoire déterminé. Ce
sont les intérêts locaux représentés par la commune : ils
consistent notamment à défendre l'agglomération contre
les dangers qui la menacent ; à y faire régner l'ordre,
la sécurité et la salubrité ; à gérer enfin et à préserver
contre toute atteinte le patrimoine collectif de l'agglo-
(1) Sur la naissance de TEtat, v. infrày ch. III.
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LÀ NOtlON DB PERSONNALITE MORALE ii^
mératîon. Ici encore comme pour l'Etat, la personnalité
sera à double face, à la fois de droit public et de droit
privé ; la personne morale qui est unique, aura en même
temps des droits de puissance publique et des droits
patrimoniaux.
Ëxiste-t-il des intérêts collectifs et permanents autres
que ceux de l'Etat et de la commune? Oui, sans aucun
doute. Notre première condition est remplie d'une ma-
nière évidente par les diverses associations à but idéal,
telles que les associations religieuses, scientifiques, lit-
téraires ou charitables. Obliger les intérêts que ces
groupes ont en vue à s'abriter derrière la personne in-
dividuelle de chaque associé, c'est visiblement aller con-
tre le but de l'association. Celle-ci ne cherche pas une
augmentation du patrimoine de ses membres; les con-
sidérer comme tjopropriélaires des fonds consacrés à
l'œuvre commune (ainsi que le font MM. Van den Heuvel
et de Vareilles-Sommières), c^est véritablement dénatu-
rer leur intention. Le fonds appartient au groupe consi-
déré dans son unité; ce groupe poursuit la réalisation
d'un intérêt qui survivra aux membres actuels, et qui
probablement sera étranger aux personnes qui recueil-
leront leurs biens.
On peut, au contraire, éprouver plus de doute à dé-
clarer que notre première condition est remplie par les
sociétés civiles et commerciales, qui n'ont d'autre but
que renrichissement pécuniaire de leurs membres ; et il
est vraiment singulier que notre législation et notre pra-
tique, si réfraclaires à Tidée de personnalité^ en ce qui
concerne les associations à but idéal^ l'aient au contraire,
pour les sociétés de gain, si facilement acceptée. Il y a,
dans ces sociétés, non pas précisément un intérêt collec-
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' ^^vrt^pt^
M 6 CHAPITHE PREMIER
tif, mais des iatérêls individuels qui se rencontrent et
s'associent parce que leur union les rendra plus forts*
Chacun y a en vue non pas le même but, mais un but
semblable, car chacun y a en vue son enrichissement
personnel (1); aussi l'intérêt que chacun a dans la so-
ciété fera-t-il partie de son patrimoine et sera-t-il transmis
à ses héritiers. L'idée de personnalité collective est donc
ici moins essentielle que dans les groupes précédents,
et Ton sait que, sauf pour certaines sociétés importan-
tes, les Romains ne l'avaient pas admise. Toutefois nous
la croyons indispensable au moins pour quelques-unes
d'entre elles. Nous traiterons cette question si débattue
un peu plus loin, en étudiant les limites du concept de
personnalité (2).
Les intérêts précédents ne sont point encore les seuls
qui soient aptes à être représentés par une personne
morale. Dans tous les cas que nous venons de passer en
revue, l'intérêt est celui d'un groupe qui s'organise,
spontanément ou quasi-spontanement (3), en vue de '
produire la volonté collective nécessaire à l'exercice du
droit ; la seconde condition de la personnalité morale
que nous développerons plus loin y est remplie en même
temps que la première, et par le groupe intéressé lui-
même. Mais il existe des intérêts collectifs et perma-
nents pour lesquels il n^en est pas de même, parce que
les intéressés ne peuvent, ou ne veulent se grouper, ou
simplement parce qu^ils négligent de le faire. Il est pos-
(4) Gpr. Karlowa, op, cit., p. 397.
(2) V. infrà nos 65 et s.
(3) Nous ajoutons ce dernier mot pour comprendre dans le même
cadre les associations dont la naissance môme est provoquée e^
parfois imposée par l'autorité publique. .
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TTPt^T*^ •
LA NOTION DE PERSONNALITE MORALE 117
sîble que TEiat prenne lui-même en main ces intérêts, et
reste seul à les représenter. Mais il peut aussi admettre
qu'ils seront représentés par une personne morale dis-
tincte, à condition qu'ils recevront l'organisation néces-
saire. Il y a alors une personne morale provenant d'une
fondation (1), en employant ce mot dans son sens le plus
général (2) ; et elle peut être l'œuvre, soit de l'Etat lui-
même, soit d'un simple particulier. Mais de quelque
manière qu'elle s'accomplisse, elle ne diffère de la pre-
mière catégorie de personnes morales que par son orga-
nisation. Au point de vue de la condition primordiale
que nous examinons en ce moment, la situation est la
même, il s'agit de représenter sur la scène juridique
l'injtérêt collectif et permanent d'un groupe ; et c'est
encore ce groupe lui-même qui sera au fond le véritable
titulaire du droit. Dans la fondation charitable, par
exemple, le sujet de droit sera le' groupe des pauvres ou
des malades auxquels la fondation s'adresse ; dans la
fondation religieuse, le groupe des fidèles d'une circon-
scription déterminée ; dans la fondation artistique, le
groupe des personnes qui, dans un certain territoire,
s'intéressent à telle ou telle manifestation de l'art (3).
(1) Nous ne preDODS pas ici parti, sur la question de savoir si la
distinction entre la corporation et la fondation a ou doit avoir un
intérêt juridique. Nous nous bornons à analyser le processus de
la naissance de la personne morale.
(2) La fondation peut aussi avoir lieu sans donner naissance à
une personne morale .
(3) Comme on le voit, nous ramenons la personnalité juridique
des fondations à l'idée de droits appartenant à des groupes hu-
mains, mais non à Tidée de droits appartenant à une corporation;
le groupe amorphe auquel on donne ainsi une représentation n'en
test pas une ; il peut seulement s'en rapprocher plus ou moins. V.
infrà, nos 76 et s.
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"H'^
118 CHAPITRE PREMIER
Ces groupes, par eux-mêmes, sont indéterminés ; cela
n'empêche point qu'on ne puisse les douer de personna-
lité ; cela fait seulement obstacle à ce que la volonté
nécessaire pour Texercice des droits se dégage sous la
forme d'association. Il faudra donner au groupe, pour
qu'il puisse être personnalisé, une organisation venue
du dehors; la volonté qui Tanimera sera, s'il est permis
de s'exprimer ainsi, transcendante et non imma-
nente (1).
54. b) La seconde condition nécessaire à la naissance
de la personnalité morale correspond au second élément
que nous avons trouvé dans le droit subjectif: ^élément
volonté, qui n'est pas le fondement de la personnalité,
mais qui est essentiel pour que la personne puisse agir et
exercer les droits qu'on lui attribue. Il faut que le groupe
qui aspire à la personnalité ait une organisation capable
de dégager une volonté collective qui le représentera
dans les rapports juridiques. Cette volonté ne sera tou-
jours métaphysiquement que la volonté d'individus iso-
lés, mais socialement, c'est-à-dire pratiquement, elle
devra ou pourra être regardée comme formant la volonté
du groupe.
La formation de cette volonté, peut d'ailleurs se pré-
senter sous des formes très diverses. Dans l'Etat elle se
produit spontanément ; elle est un fait dont le droit est
obligé de tenir compte tel que le lui présente la réalité
(1) Ces expressions sont enapruntées à Gierke. art. Juristische
Person dans la Rechtslexikon d'Holtzendorff t. IT, p. 422 ; et
Genossenschaftrecht, t. IF, p. 422. — V. aussi Rosin, das
Recht der ôffentl, Genoss., p. 22, qui cite ces deux passages.
Nous développerons plus loin ces idées. Cpr. sur les diverses ma-
nières de concevoir la fondation. Rfeurer, Die jurist, Personen^
§24.
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LA NOTION DE PERSONNALITÉ MORALE 119
La volonté collective s'y dégage soit par le consentement
de tous, soit par la force ; au point de vue moral, la pre-
mière formation est assurément préférable ; au point de
Vue juridique cela importe peu. Il suffit, pour que la
volonté dirigeante soit considérée comme celle du
groupe, qu'elle réussisse à s'imposer d'une manière ou
de l'autre, par la persuasion ou par la contrainte, au
groupe entier. C'est là le fait social qui achève la person-
nalité de l'Etat quand les autres conditions de son exis-
tence sont d'ailleurs réunies (1). Le droit n'a pas ici de
pouvoir d'appréciation, il ne crée rien ; il ne peut que se
borner à reconnaître la personnalité ainsi constituée.
Elle s'impose à lui, s'il ne veut méconnaître les faits,
parce qu^elle a les éléments essentiels de la personnalité
juridique. , .
Pour les groupements inférieurs, la volonté se forme
également d'une manière toute spontanée dans les asso-
ciations qui se constituent librement. Il est bien exact ici
de parler, comme le fait M. Hauriou, de véritable unani-
mité ; car l'unanimité existe au moins sur le point essen-
tiel qui est la formation même de l'association ; les
divergences de détail sur la direction à lui donner
deviennent secondaires; chaque membre accepte impli-
citement les décisions formées conformément à la consti-
tution qu'il a acceptée, et qu'il continue d'accepter puis-
qu'il ne cesse pas de faire partie de la société. Il se
(1) De ces autres conditions. Tune est nécessaire pour qu'il naisse
une personne morale : c'est la condition développée plus haut
(existence d'un groupe ayant des intérêts collectifs et permanents).
Les autres sont les conditions nécessaires pour que la personne
ainsi créée soit un Etat et non une personne juridique d'une autre
nature : c'est d'une part une base territoriale et d'autre part une
certaine tndépendance du groupe vis-à-vis des groupes voisins.
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T'-;^
1^ CHAPITRE PREMIER
dégage donc encore ici une volonté qui doit être consi-
dérée au point de vue social comme la volonté du
groupe ; et le droit trouve toutes réunies les conditions
de la personnalité morale.
Si maintenant nous considérons les personnes morales
qui ne rentrent pas dans l'un des deux groupes précé-
dents, nous nous convaincrons de suite que la formation
s'y produit souvent d'une manière différente. Nous ren-
controns d'abord certaines associations qui ne sont pas
purement volontaires ; par exemple la commune, le
département ou la province, par exemple aussi nos
associations syndicales de propriétaires dans lesquelles,
en vertu d'une disposition légale, il existe, quant à la
formation même de l'association, un droit de contrainte
de la majorité sur la minorité. Nous trouvons ensuite les
fondations, soit qu'elles proviennent de TEtat lui-même
ou de la commune, soit qu'elles proviennent d'un parti-
culier.
Dans les associations forcées, il y a encore un groupe-
ment visible où se trouvent réunis les véritables inté-
ressés ; mais l'organisation et la volonté qui en dérive
ne proviennent pas entièrement d'eux. Elle pourra être
très artificielle. Nos communes ont longtemps été gou-
vernées par des maires nommés par le pouvoir central,
et même par des conseillers municipaux que désignait le
préfet. Nos départements sont encore aujourd'hui admi-
nistrés par le préfet. On ne peut soutenir sans doute que
ce soient là des organisations idéales. Mais, du moment
qu'elles existaient ou qu'elles existent encore, on devait
ou on doit les considérer comme douées de personnalité.
Elles en présentent les deux traits : intérêt collectif et
permanent, volonté organisée, Seulement cette volonté
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'7W
LA NOTION DB PBRSONNALItB MORÀLB 121
est ici organisée par la loi et non par les intéressés. Des
deux éléments essentiels, la loi a trouvé le premier exis-
tant en dehors d'elle, elle a elle-même constitué le
second.
II en est de même, mais avec une action de l'Etat
encore bien plus apparente, dans les fondations créées
par l'Etat. Nous entendons par là quelques uns (1) au
moins des établissements que notre droit administratif
désigne sous le nom d'établissements publics : ce sont
des services publics doués de personnalité par une dispo-
sition légale. Ici encore TEtat a trouvé tout prêt l'élé-
ment premier : l'intérêt collectif et permanent d'un
groupe. Cet intérêt était jusqu'alors représenté par lui-
même- ou par un groupe inférieur tel que le département
ou la commune, ou bien il n^était pas représenté du
tout. L^Etat le dote d'une représentation spéciale et lui
reconnaît la personnalité morale, après l'avoir pourvu
lui-même du second élément essentiel. Ici du reste, à la
différence du cas précédent, le groupement intéressé
n'est plus visible ni strictement délimité. Force est bien,
si l'on veut lui conférer la personnalité, de lui donner
son organisation du dehors (2).
(1) Nous disons qaeJques-ans, parce que plusieurs de nos établis-
senients publics ont une origine différente ; ou bien, comme les
hospices, ils proviennent historiquement dans une large mesure de
l'initiative privée ; on bien, comme les établissements ecclésiasti-
ques, ils sont l'œuvre de l'Eglise. L'Etat ne les a pas créés, mais
seulement transformés en services publics en leur laissant une
personnalité ; on peut dire qu'il les a, non point engendrés, mais
adoptés.
(2) On peut prendre comme exemple la personnalité morale des
musées nationaux, créée par la loi du 16 avril 1895^ art. 52 à 56.
Le groupe intéressé est ici extrêmement vaste et mal délimité ;
c'est celui de toutes les personnes qui, en France, s'intéressent aux
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122 'CHAPITRE PREMIER
Quant aux fondations privées, elles reçoivent égale-
ment leur organisation du dehors, mais non point de
l'Etat; elles la reçoivent du fondateur, et TEtat se borne
à la permettre, en réglementant les conditions dans les-
quelles il sera possible d'user de cette psrmission. Là
encore l'organisation e&t essentielle, et pour que l'œuvre
soit apte à vivre comme personne morale, il faut qu'elle
lui soit donnée par le fondateur directement, ou, d'après
ses indications, par les exécuteurs de ses volontés (1).
55. Dans tous les cas que nous venons de passer en
revue (sauf pour l'Etal et pour les associations purement
volontaires), la volonté est plus ou moins artificielle.
Non seulement elle n'est pas la volonté du groupe au
sens métaphysique du mot ; mais encore elle ne. lui est
attribuée que par le dehors ; elle ne naît pas dans le
groupe lui-même. Si on peut la lui attribuer légalement
sans faire violence aux faits sociaux, c'est que l'on peut
présumer que le groupe lui-même y consent (2). Mais en
somme il nous paraît évident qu'il y a ici une volonté
légale du groupe bien plus qu'une volonté naturelle. Il
y a représentation du groupe par certaines personnes
sans que cette représentation s'explique par la volonté
manifestée des membres du groupe. Dans tous les cas du
reste, même dans les premiers, la volonté naturelle n'est
jamais à nos yeux que celle des personnes physiques, et
arts. La loi lui a donoé sa représentation et sa volonté ; mais Tin-
térêt collectif et permanent existait en dehors d'elle. Le législateur
n'aurait pas songé à créer cette personnalité morale si personne
en France ne s'intéressait aux arts.
(i) Cpr. pour compléter les explications que nous donnons ici
sur la notion de fondation, celles qu*on trouvera plus loin, n^ 77.
(â) C'est pour cela que nous disons volontiers, même dans ce cas,
que la volonté peut socialement être attribuée au groupe.
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LA NOTION DE PERSONNALITE MORALE 123
il y a un phénomène de représentation de la personne
morale ; la seule différence, e'est que dans les premiers
cas ce phénomène se rapproche bien davantage de la
réalité.
56. 3® Les deux conditions que nous venons de pas-
ser en revue sont nécessaires et suffisantes pour donner
naissance à un être collectif qui a en lui-même toutes
les qualités d'un être capable d'avoir des droits et des
obligations. Mais il est évident que cet être n'est pas par
cela seul une personne morale pour le milieu juridique
dans lequel il prend naissance. Il faut pour cela que ce
milieu juridique accepte sa personnalité. Pour Tindividu
lui-même, dont la personnalité juridique est aujour-
d'hui reconnue comme découlant de son existence
même par les législations de tous les peuples civilisés,
cette condition a été nécessaire. L'esclave romain avait
en lui toutes les qualités inhérentes à la personne, et
cependant il n'était pas une personne juridique. Il en est
de même aujourd'hui des groupements qui remplissent
les deux conditions indiquées et que le drgil ne recon-
naît pas (1).
Pour TEtat, cette reconnaissance provient de la com-
munauté internationale. Pour tout autre groupement,
elle provient de l'Etat lui-même.
En faisant celte reconnaissance pour les groupes qui
lui sont subordonnés, l'Etat ne fait pas une opération
d'une autre nature qu'en reconnaissant la personnalité
(i) On a proposé d'appeler personne morale la collectivité rem-
plissant les conditions de la personnalité, mais non reconnue ; et
personne juridique la personnalité reconnue. V. Castelein. Droit
naturel, 1903, p. 510, n^ 6, terminologie qui pourrait prêter à
quelque confusion. Vr ci-dessus r\9 i.
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124 CHAPITRE PREMIBR
humaine. II a seulement ici, par la force des choses^ un
plus large pouvoir ; et cela pour deux raisons qu'il est
facile d'apercevoir.
57. D'une part, Tètre humain est pour le droit un
être simple, une molécule juridique indécomposable qui
lui est fourni par la nature elle-même. Sa naissance est
un fait dans lequel le droit n^a pas à intervenir- Au con-
traire Têtre collectif résulte de l'existence, entre person-
nes soumises au droite de certaines relations qui appels-
lent une réglementation juridique. L'Etat, organe du
droit, aura donc, préalablement à la reconnaissance de
la personnalité collective, à régler ces relations et à
vérifier si les règles piosées par lui ont été observées. Il
pourra, par exemple, régir le contrat d'association fait
en vue de la formation d'une personnalité collective par
des dispositions sur^ la forme dans laquelle doit être
constatée la volonté des associés, sur la capacité néces-
saire pour faire partie de l'association, sur la protection
des intérêts individuels des membres vis-à-vis du
groupe, sur la publicité à faire pour avertir les tiers, etc.
Il pourra aussi interdire la formation do groupements
en vue de buts qu'il considère comme dangereux pour
Tordre pnblic ou contraires à la morale- Il pourra de
même régler les formes à employer par un fondateur
pour affecter ses biens àperpétuité à un objet déterminé ;
il pourra interdire la fondation comme l'association s'il
la juge dangereuse ou immorale. Dans ces deux domsd-
nés son pouvoir de fait va jusqu'à la possibilité d'inter-
dire d'une façon absolue la création du groupement, et
par conséquent jusqu^à la subordonner à la néces-
sité d'une autorisation de sa part. La question de
savoir s'il doit faire usage de ce droit n'est autre que la
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LA NOTION DE PERSONNALITE MORALE 125
question de la liberté d'association, ou de la liberté
de fondation. Elle est en elle-même très distincte de la
question de personnalité morale, parce qu'elle doit se
résoudre par des motifs étrangers à la technique juridi-
que. Pourtant elle lui est étroitement liée, parce que sa
solution, comme nous Tavons déjà laissé pressentir (1),
et comme nous allons essayer de le montrer, entraîne
partiellement la solution de la question de personnalité.
58. D'autre part, en effet, quand s'est formé, confor-
mément au droit, le groupement apte à être personna-
nalisé, TEtat a, vis-à-vis de lui, une plus grande liberté
d'appréciation que vis-à-vis de l'individu humain,
parce que nos mœurs n'ont pas encore admis à Tégard
des groupements licites et régulièrement organisés en
vue de la personnalité, que PEtat ait une sorte d'obliga-
tion morale de reconnaissance (2). Il y a là une longue
tradition, en partie due à l'influence longtemps domi-
nante du système de la fiction, en partie due à l'usage
excessif que l'Etat a longtemps fait de son pouvoir vis-
à-vis des groupements d'origine privée. Veillant avec un
soin jaloux à conserver sa toute-puissance, redoutant les
dangers qui résulteraient pour elle du surcroît de force
que le groupement pourrait prêter aux résistances pri-
vées, il a été amené à interdire les groupements d'une
manière presque absolue. Il n'a laissé subsister que ceux
qu'il associait étroitement à sa mission; il n'a plus
{[) €i-dessu8, n9 5.
(2) 11 est à remarquer que le droit international tout incomplet
qu'il soit encore, est sur ce point plus avancé que le droit interne.
11 lie la reconnaissance d'un Etat à Fexislence de certains faits, qui
sont ceux que nous avons reconnus comme constitutifs de sa per-
sonnalité.
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i26 Chapitre premier
voulu reconnaître officiellement des groupements pri-
vés, mais seulement des groupements d'utilité publique.
Impuissant cependant à supprimer entièrement les pre-
miers, parce qu'on ne supprime pas à volonté les mani-
festations de la vie sociale, il les a tolérés et leur a
laissé, en les surveillant de près, une existence de fait,
sans vouloir admettre leur personnalité. Au fond, ce
n'est là qu'un expédient ; c'est une demi-mesure, illogi-
que et boiteuse, contra rationem juris; elle a pu être
opportune aune époque où elle représentait tout ce que
l'Etat pouvait supporter de liberté pour les associations.
Mais la vraie liberté, en cette matière, consiste à donner
aux associations dont l'existence n'est pas reconnue
nuisible, le régime juridique qui correspond à leur cons-
titution intime, c'ast-à-dire, pour la plupart d'entre elles,
le régime de la personnalité morale.
Cette idée, qui est très importante, et qui, depuis
quelques années a fait des progrès pratiques indéniables,
ne doit cependant pas être exagérée dans l'application.
Nous verrons que les limites du concept de person-
nalité juridique sont très difficiles à déterminer en
matière d'association (en prenant ce mot dans 4e sens
large où il embrasse même les sociétés de gains). Les
associations à personnel variable et à longue durée ne
peuvent guère se passer de personnalité. Mais les asso-
ciations modestes, à personnel fixe ou presque fixe,
peuvent trouver un régime, acceptable à tout prendre,
dans la notion de société modifiée, avec propriété en
main commune, telle que nous essjaierons de la dégager
plus loin. Il en est de même des associations à personnel
variable quand elles sont destinées, comme cela arrive
pour beaucoup de petites associations, à n'avoir presque
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Là notion DB l>EftSONKALITB MORALE 127
aucun rapport avec les tiers (1) Il appartient à TEtat de
fixer pratiquement 'la limite entre les domaines dlappli-
cîition des divers concepts juridiques et, par conséquent,
dans une certaine mesure, de choisir, parmi les asso-
ciations, celles qui doivent être placées en-deçà ou au
delà de la limite du concept de personnalité. Dans les
transitions insensibles que nous offrent les phénomènes
de la vie juridique, c'est à lui qu'il appartient de tracer
le trait décisif qui doit mettre fin aux incertitudes et,
de ce chef encore, il a vis-à-vis de la personnalité des
groupes, plus de latitude que vis-à-vis de la personnalité
de rindividu.
Les réflexions précédentes s'appliquent aux fonda-
tions privées, en ce sens que, pour elles aussi, lorsque
TEtat a reconnu Tutilité de la fondation, le véritable
régime qui lui est propre est bien celui de la personna-
lité morale. Mais on peut admettre cette idée, sans être
partisan de la liberté. Il y a, comme nous le montrerons
plus loin, des objections beaucoup plus graves à la
liberté des fondations qu^à la liberté des associations.
D'autre part, les fondations, elles aussi^ peuvent vivre,
avec une sécurité moindre et de moindres chances de
durée, sous un régime autre que celui de la personna-
lité. Mais celle-ci reste nécessaire pour toute fondation
à laquelle on veut assurer un long avenir ; et nous
croyons que, dans le domaine de la fondation aussi bien
que dans celui de l'association, la solution normale
consiste à reconnaître la personnalité de toutes les fon-
dations que le fondateur a conçues comme personnes
(i) V. sur ce point (sur lequel nous reviendrons plus loin), les
explications de Max Schwale : Die Kôrperschaft mit und ohne
Personlichkeit (Bâle, 1904), p. 55 et s.
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yli^r
1^8 CHAPITRE PREMIER
morales distinctes, toutes les fois qu'on leur reconnaît
le caractère licite.
On peut donner aux explications précédentes une autre
forme qui n'en change pas la substance en disant, avec
Gierke (1), que le rôle de l'Etat en matière de constitu-
tion de la personnalité morale, n'est pas de créer ^ mais
de reconnaître (2)^ et qu'en remplissant cette tâche il est
simplement Vorgane du droit. Aucune personne morale
ne peut exister dans TËtat sans être reconnue conime
telle par lui, parce qu'aucune règle de droit ne peut être
appliquée par ses organes s'il ne Ta faite sienne. Mais
c'est bien une règle de droit qui classe parmi les sujets
de droit les groupements dont la constitution intime
correspond à la notion de sujet; et en reconnaissant la
personnalité de ces groupements TEtat ne fait q\x appli-
quer cette règle de droit. Cette idée n'est pas absolument '
incompatible avec la possibilité d'exiger, dans certains
cas au moins, une reconnaissance spéciale, portant sur
chaque personne morale individuellement, et non sur
toute une catégorie ; car on peut présenter cette exigence
comme devant permettre à l'Etat de vérifier, dans cha-
que cas particulier, si le groupe qui aspire à la person-
nalité remplit les conditions exigées pour cela par le
droit. Pourtant, avec cette théorie il est naturel d'abou-
tir, dans la plupart des cas, à un régime dans lequel
l'Etat fixera, par avance, les coaditions nécessaires pour
être considéré comme personne morale, et attachera la
personnalité à l'observation de ces conditions sans aucune
(i) Genossenschaftstheorie, p. 15 et s., notamment p. 21.
(2) Sauf la possibilité pour lui d'être, comme nous l'avons indi-
qué plus haut, l'un des facteurs sociaux qui participent à la coéation
de l'être moral. V. ci-dessus, n^ 15.
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LA NOTION DE PERSONNALITE MORALE 1^9
vérification de sa part ; ce sera le système de la régle^
mentation légale (Normativbestimmungen des Alle-
mands) substitué à celui de Taulorisation préalable,
lequel ne conservera de raison d'être que dans certains
cas où il pourra paraître bon de vérifier, non la person-
nalité du groupement^ mais son caractère licite (1). C/est
bien dans ce sens, «lous le verrons, que paraissent
s'orienter la plupart des législations actuelles, même la
nôtre.
59. Pour préciser le sens de notre théorie, il importe
d'examiner avec quelque détail la situation des person-
nes chargées d'agir au nom de la personne morale.
L'étude de ce point délicat nous montrera d'ailleurs en
même temps comment la conception théorique peut
influer sur les solutions pratiques.
Les partisans du système de la fiction ne font d'ordi-
naire aucune différence — au moins en droit privé —
entre le représentant d'une personne morale et le repré-
sentant d'une personne physique. La personne morale
étant conçue comme un être fictif, entièrement indépen-
dant du groupe dont elle synthétise les intérêts, les rela-
tions entre elle et son représentant ne peuvent être
conçues que comme relations entre personnes étrangè-
res Tune à l'autre. Le représentant de la personne
morale sera, ou son mandataire^ ou son représentant
(i) Ou, si ron veut, les dangers que le groupement peut présen-
ter pour Tordre pablic. C'est pour cela que nous considérons
comme préférable un régime d'autorisation préalable pour les fon-
dations.
MICHOUD 9
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130 CHAPITRE PRËMIEit
légal (dans le même sens que le tuteur et le représen-
tant légal du mineur) (1). C'est d'ailleurs cette seconde
idée qui est la plus facile à accepter. Un mandat pro-
prement dit est bien difficilement admissible, parce que
pour donner un mandat il faut déjà une volonté, et
qu'en dehors du représentant lui-même la volonté de
Têtre moral devient introuvable. Si Pon veut, par exem-
ple, considérer comme des mandataires d^une association
les membres de son conseil d'administration, il fau
regarder comme un mandat leur nomination faite par
l'assemblée générale ; mais ce mandat n'est pas donné
par l'association personne morale, parce que l'assemblée
générale n'est point l'association elle-même, universitas
ipsa ; on ne pourrait la considérer comme telle que par
une pure fiction ; en réalité elle est déjà elle-même
quelque chose qui i^eprésente l'association, et il faudrait
trouver un premier mandat à elle donné par cette der-
nière ; chose manifestement impossible, puisqu'avant
d'avoir un organe, elle ne peut faire aucun acte ayant
une valeur juridique. On ne peut donc s'appuyer sur la
théorie du mandat qu'à condition de se contenter d^ana-
logies approximatives.
Au contraire l'idée d'une représentation légale^ ana-
logue à celle du tuteur pour le mineur est acceptable
dans son principe pour toute personne morale autre que
fEtat; c'est celle que les partisans du système de la
fiction doivent le plus naturellement admettre. En auto-
risant l'être fictif, la loi (ou le pouvoir administratif à
(i) Nous ne parlons ici que du représentant direct ; même dans
le système de la fiction, il est possible de distinguer ce représen-
tant direct de Tagent, préposé, commis ou serviteur, qui'n*est lié k
la personne morale que par un louage de services.
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'v^*-»."
LA NOtlON DE PERSONNALITÉ MORALE ISl
qui elle a donné compétence pour cela), détermine les
conditions de son fonctionnement, et par conséquent
celles dans lesquelles seront désignés ses représentants.
Elle pourra confier leur désignation aux intéressés eux-
mêmes; elle pourra aussi la faire elle-même, directe-
ment ou indirectement, peu importe. La théorie de la
fiction, ici comme sur tous les autres points, donne à
l'Etat pouvoir absolu. Quant au détail, la représentation
ainsi comprise se modèle tout naturellement sur la
représentation des incapables. On donne un représentant
h la personne morale comme on en donne un à Vin/ans
ou au fou, et pour une raison semblable, pour suppléer
à Tinsuffisance de sa volonté. Le seul défaut logique de
cette conception est qu'il est impossible de l'appliquer jà
TEtal, à qui il faudrait déjà une volonté pour se nom-
mer à lui-même ce représentant.
60. En face de cette théorie, les Allemands en ont
imaginé une autre, beaucoup plus subtile et élégante,
plus vraie aussi, croyons-nous: la théorie de V organe (1).
(i) Elle a son origine dans l'école germaniste et elle a été expo-
sée magistralement par Gierke. V. Genossenscha fis théorie, p. 614
et s., Deutsches Privatrechtj p. 472 et 497, et aussi l'article dans
Schmoller' 8 Jahrbuch, 1883, p. 1139 et s. Elle est admise par les
antres partisans de Técole, notamment par Preuss, Gèmeinde
Staatyeic. p. 157 et Stàdtische Amtsrecht in Preussen (1902), p. 56
ets.et parRegelsbergérPawû?eA;/e/iJ,p.322 ets— Mais elle est admise
aussi par des auteurs très éloignes de la théorie de Gierke, notam.
ment : Laband, Archiv. fur civilistische Praxis, t. LXXIII,
p. 187 ; Bernatzik. Archiv. fur ôffentL Recht,, t. V, p. 237-238 ;
Karlovva, ^rwwAw/'* Zeitschift, 1868. p. 420 et s. ; Dernburg, Pan-
dectesy 4e éd., p. 157; Jellinek, Allgem. Staatslehre, p. 512 et
System der subj. ôffentL Rechte., p. 29 et s., 136et s., 212 et s. —
Les partisans de la théorie organlciste protestent d'ailleurs contre
remploi du mot organe par leurs adversaires. V. Preuss, Uber
Organpersônlichkeity dans Schmoller's Jahrbuch, t. XXVI,
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t32 CHAPITRE PREMIER
Entre la notion d'organe et celle de représentant légal il
y a, dit par exemple Laband (1), une différence spéci-
fique: la qualité de représentant peut découler soit d'un
acte juridique, soit de la loi ; la qualité d'organe découle
au contraire de la constitution même de la personne
morale. Dans la représentation il y a un rapport juridi-
que entre deux sujets de droit, dont l'un agit pour
Tautre ; les actes du représentant sont bien ses propres
actes, mais on leur fait produire le même effet juridique
que s'ils étaient ceux du représenté. Quand il y a organe,
au contraire, c'est la personne juridique qui agit elle^
même ; son organe n'est pas quelque chose qui soit dis-
tinct d'elle ; il est une partie d'elle-même dont elle se
sert comme la personne physique se sert de la bouche
ou de la main ; car l'organisation juridique dont il est le
produit appartient à l'essence de la personne morale ;
elle est comme son corps juridique, sans laquelle elle
est incapable d^existence. Lorsque le maire d'une ville
donne mandat à un avoué de plaider pour elle en jus-
tice, le maire est un organe, l'avoué un représentant.
61. De cette idée générale, on a déduit diverses con-
séquences. L^action du représentant n'embrasse jamais
toute la vie juridique du représenté. La personnalité de
ce dernier n'est jamais complètement supprimée et elle
se manifeste par des actes qui, sous certains rapports,
ont une valeur juridique, même dans les cas où la repré-
sentation est le plus étendue. Au contraire l'organe de
t902, p. 103 et s. Mais les deux idées n'en doivent pas moins être
considérées comme tout à fait distinctes.
Pour la France, v. notamment dans le sens de la théorie de l'or-
gane, Mestre, Personnes morales, p. 211 et s. ; Saripolos, La
démocratie et V élection proportionnelle, p. 550 et s.
(1) Archiv. fur civilist. Praxis, t. LXXIII, p. 187,
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LA NOTION DE PERSONNALITÉ MORALE 133
la personne morale incarne sa vie juridique tout entière ;
il n y a pas, en dehors de lui, un sujet de droit pouvant
manifester une volonté différente de la sienne ni faire
un acte ayant une valeur juridique quelconque. Son
droit de représentation est donc nécessairement plus
étendu que celui du représentant orditiaire. Il embrasse
non seulement les actes juridiques mais aussi les actes
de pur fait. Sans doute le développement considérable
que le droit moderne a donné à la représentation a atté-
nué la différence ; mais là même où ces deux théories
concordent quant au résultat, elles ne concordent pas
quant au point de départ, et il subsiste des hypothèses
pratiques où la différence est appréciable. La personne
morale peut par son organe prendre et exécuter des
décisions pour lesquelles on ne conçoit pas la représen-
tation par une volonté étrangère. Elle peut régler sa pro-
pre existence, exercer une fonction publique, commettre
un délit (sauf à discuter si le délit peut avoir pour elle,
comme pour les personnes physiques, une sanction pé-
nale). Elle peut, toujours par son organe, se trouver en
état d^ignorance ou de connaissance entraînant des effets
juridiques; elle peut être de bonne ou de mauvaise foi,
être dans Terreur, recevoir une notification, prêter un
serment, faire un aveu judiciaire. La conscience et la
volonté de son organe sont, dans tous les cas, considérés
comme étant sa propre conscience et sa propre volonté,
à cette seule condition que Torgane ait agi en cette qua-
lité et dans les limites de sa compétence (1).
D'autre part, pour la plupart des partisans de la théo-
rie il résulte encore de la notion ci-dessus exposée, que
(1) V. principalement sur ces divers points Gierke, Bernatzik et
Karlowa, op, et loc, citatis.
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134 CHAPITRE PREMIER
Torgane ne possède, comme tel, aucune personnalité dis-
tincte de celle de la personne morale. « Il n'y a pas, dit
Jellinek (1) en parlant de l'Etat, deux personnalités en
présence, celle de TEtat et celle deTorgane, qui auraient
entre elles des rapports de droit quelconques ; TEtat ot
l'organe sont une unité. L'Etat ne peut exister qu'au ^
moyen de ses organes ; si Ton fait abstraction de ces '
derniers, il ne reste pas TElal support des organes, il ne
reste qu'un néant juridique. Le représenté et le repré-
sentant sont et restent deux personnes distinctes; la per-
sonne juridique et l'organe sont et restent une seule
personne ». Il va sans dire que-la personne physique
qui exerce les fonctions d'organe conserve sa personna-
lité, et peut avoir avec la personne morale des rapports
juridiques ; elle peut notamment avoir des droits à la
qualité d'organes et aux conséquences, pécuniaires ou
autres, qui en dérivent. Mais l'organe collectif ou indivi-
duel n'est pas en tant qu'organe une personne distincte.
Entre plusieurs organes d''une même personne morale
et notamment de l'Etat, il peut y avoir des difficultés de
compétence, mais point de droits subjectifs s'opposant
les uns aux autres. Alors même que ces difficultés pour-
raient êtr^ résolues par une lutte prenant des formes
judiciaires (comme dans notre conflit d'attributions), ce
ne sont jamais que des difficultés entre les divers servi-
ces d'une même personne^ et elles ne portent que sur
cette partie du droit objectif qui règle l'organisation
intérieure de cette personne (et en particulier de l'Etat,
pour lequel la question se pose le plus souvent). C'est en
effet pour des raisons étrangèi^es à Vintérêt de V organe
[U Allgemeine Staatdehre, p. 512,
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LA NOTION DE PERSONNALITÉ MORALE 435
lui-même (par exemple pour protégerle droit des particu-
liers à une discussion judiciaire devant le tribunal com-
pétent), que TafiFaire est débattue en forme contradictoire
devant une autorité constituée en tribunal ; ce n'est pas
la compétence de Torgane que la loi entend protéger de
cette manière, et en réalité elle ne considère pas cette
compétence comme un droit.
Sur ce point cependant, certains auteurs, notamment
Gierke et Preuss, se séparent de la théorie dominante.
Dans leur doctrine les droits de la personne morale n'ex-
cluent pas absolument les droits de l'organe ; il y a une
sorte de compénétration réciproque de droits, qui donne
à l'organe une certaine personnalité, distincte de celle
de la personne qu'il représente (1).
62. A cette théorie il a été fait, tant en France qu'en
Allemagne des objections qu'il est impossible de ne pas
discuter. M. Duguit, qui la repousse d'abord parce qu'elle
suppose comme point de départ, la personnalité, non
admise par lui, de l'Etat et des autres êtres collectifs,
cherche à la combattre en outre en se plaçant sur le
terrain même où elle a pris naissance. « Si ce sont là des
organes, dit-il (2), il faut qu'il y ait derrière eux une
volonté dont ils soient les organes ; ils n'existent comme
organes que par cette volonté; mais cette volonté est
une volonté collective qui n'existe elle-même que par
ses organes. Finalement, est-ce la volonté de l'Etat qui
existe par les organes, ou sont-ce les organes qui exis-
tent par la volonté de PEtat? Impasse de laquelle on ne
peut sortir ».
(i) V. sur ce point les explications données, infrà, n* 64 62s,
p. 144, note 1.
(2) UÉtati les gouvernants et les agents^ p 51.
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136 CHAPITRB PREMIER
Cette objection est celle-là même que nous faisions
plus haut à ridée de mandat. Nous disions : pour donner
le mandat il faut déjà une volonté. M. Duguit dit: pour
créer l'organe il faut déjà une volonté. Mais ici l'objec-
tion ne porte plus. L'organe est conçu comme faisant par-
tie essentielle de la personne morale ; il n'est pas créé par
elle; il est créé ^ en même temps quelle, par les forces
sociales qui ont produit sa naissance et en même temps
déterminé sa constitution. Il n'y a pas eu un instant de
raison pendant lequel la personne morale, née sans orga-
nes, s'est recueillie pour les créer. Elle n'a existé juridi-
quement qu'au moment où elle a eu des organes. Le
mode de nomination et les pouvoirs de ceux-ci ont été
déterminés non par elle^ mais par les premiers statuts,
œuvre des personnes physiques ou morales préexistan-
tes qui ont concouru à sa formation, — ou, s'il n'y a
pas de statuts, par les coutumes qui se sont formées à
l'intérieur de la collectivité, el qui lui ont peu à peu
donné l'organisation nécessaire à la vie juridique. Dans
les deux cas, l'origine' de l'organe remonte à une cause
plus élevée que la volonté de la personne morale. Sans
doute^ le plus souvent ni ces statuts ni ces coutumes ne
nomment directement l'organe ; ils se bornent à établir
leur mode de nomination ; mais dans ce cas les person-
nes qui participent à cette nomination (par exemple : les
électeurs dans l'Elal ou la commune, les membres de
l'assemblée générale dans une association) devront déjà
être considérées comme des organes de la personne
morale, régulièrement établis par la constitution pour
nommer d autres organes. Sans doute aussi les statuts
(ou la coutume) peuvent confier à un organe le soin de
modifier les règles constitutives ; dans ce cas, ce sera
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LA. NOTION DE PERSONNALITE MORALE 137
bien la volonté de la personne morale elle-même qui
créera ces règles, mais alors il n'y à plus à cela nulle
impossibilité, puisqu'elle est déjà constituée et a des
organes réguliers chargés d^établir ce changement (!)•
On a présenté d'autres objections à la théorie do
l'organe. Elle n'est pas logique, a-t-on ^dit ; elle exclut
des conséquences qui cependant découleraient de son
principe ; elle devrait admettre Tabsorption complète de
la personnalité de Torgane par celle de l'être collectif,
et, comme conséquence, l'impossibilité absolue de
rapports juridiques entre la personne physique chargée
du rôle d'organe et la personne morale qu'elle repré-
sente (2). Mais la théorie, telle au moins que nous la
comprenons, consiste précisément dans la distinction
entre l'organe, comme tel, qui ne, peut avoir ni rapport
juridique avec l^être moral qu'il représente, ni droit sub-
jectif contre lui, et la personne physique investie de la
qualité d'organe, qui peut au contraire avoir l'un et
l'autre. Ce n'est pas lui répondre que de déclarer cette
distinction illogique ; c'est simplement la dénaturer en la
poussant à l'absurde.
63. Nous croyons donc qu'en elle-même la théorie est
(i) Ces considérations répondent aussi à la seconde objection
présentée par M. Duguit (op. cit., p. 51-52) : pour établir la Cons-
titution dit-il, il faut que l'Etat puisse manifester sa volonté ; il y a
donc cercle yicieux, puisque cette volonté ne peut être exprimée
que par l'organe créé conformément à la Constitution. En réalité
la constitution de l'Etat n*est pas son œuvre ; elle est Tœuvre des
forces qui, à un moment donné de son histoire, se disputent là
direction politique. On ne doit considérer comme l'œuvre de l'Etat
que les modifications constitutionnelles votées conformément à
une Constitution antérieure.
(2) Scblossmann, Organ und Stellvertreter^ dans Ihering's
Jahrbucher, t. XUV, 1902, p. 300-301.
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i38 CHÂPITRB PREMIER
acceptable. Toutefois elle ne Test que sous le bénéfice
de deux observations importantes :
i° Le mot organe ne peut et ne doit être employé
qu^à titre de comparaisoriy et il importe de se rendre
compte qu'entre l'organe corporel de la personne physi-
que et Torgane de la personne morale, il y a analogie
mais nullement identité (1). L'analogie consiste en ce
que Tun et Tautre font partie intégrante de la personne,
que celle-ci ne se conçoit pas sans eux, et que leur rap-
port avec les autres éléments de cette personne est déter-
miné par sa constitution elle-même, La personne morale,
comme la personne physique, est en effet im tout orga-
nisé^ dont toutes les parties concourent à un même but ;
l'organisation, qui lui permet d^agir et de manifester sa
volonté, lui est essentielle. Mais à côté de cette ressem-
blance fondamentale^ il y a des différences nombreuses,
parmi lesquelles il en est une capitale au point de vue
juridique : dans la personne physique, ce n'est pas
l'organe, c'est la personne même qui a en elle la volonté
et l'intelligence ; l'organe n'est qu'un instrument passif;
séparé de la personne il n'est qu'une matière inerte.
Dans la personne morale au contraire, l'organe est un
être vivant qui possède, pour son compte, la volonté et
l'intelligence; s'il n'est pas lui-même une personne en
tant qu'organe^ il est une personne en tant qu individu;
et cette qualité subsiste même lorsqu'il se sépare de la
personne morale ; elle en est indépendante (2). De plus,
(1) U en est de ce mot organe, comme du mot organisme dont
il a été question plus haut. Si Ton peut dire que les personnes mora-
les présentent des analogies avec les organismes physiologiques, on
doit bien se rendre compte qu'il y a entre eux des différences fon-
damentales (V. suprà, n^ 34).
(2) Cela est vrai môme lorsque la personne morale envisagée est
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LA NOTION DB PERSONNALITE MORALE i39
la personne morale n'a de volonté et d'intelligence que
par lui \ ce qu'on appelle sa volonté, ce n'est pas autre
chose que la volonté même de Torgane, volonté pro-
duite par le même processus psychologique et physiolo-
gique que si l'organe voulait pour lui-même. II en
résulte : a) que parmi les actes de l'organe, il faudra
nécessairement distinguer deux catégories : ceux qui lui
restent personnels et ceux qui seront attribués à l'être
moral' qu'il représente. Le but de l'acte, la compétence
de l'organe^ voilà des questions à examiner pour savoir
à qui Tacte doit être attribué, questions tout à fait
étrangères aux relations entre la personne physique et
son organe ; b) que les relations entre la personne phy-
sique investie du rôle d'organe et la personne morale
doivent elles-mêmes être réglées par le droit ; car si
l'organe en tant que tel n'est pas une personne, l'indi-
vidu qui en joue le rôle a, vis-à-vis de la personne
morale des droits et des obligations. Encore des ques-
tions absolument étrangères aux organes de la personne
physique.
2^11 faudrait se garder de croire, comme pourraient
le suggérer quelques-uns des développements consacrés
à cette matière par les partisans de la théorie (1), que la
TEtat, et même pour ceux qui admettraient que le Droit Cet par
conséquent la personnalité juridique) sont de pures créations de
TEtat ; car même dans cette hypothèse la personnalité de l'indi-
vidu qui change de nationalité ne disparaît pas.
(1) Jellinek s'est exposé au reproche que nous faisons ici, en
disant : « derrière la volonté du représentant, il y a le représenté ;
derrière la volonté de l'organe, il n'y a rien. » (System der subj,
ôffentl. Rechte, p. 214). En réalité derrière la volonté de l'organe,
il y a la personne morale elle-même, avec laquelle l'organe ne se
confond nullement. Mais ce qui est exact, c'est que derrière la
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140 CHAPITRE PREMIER
personne morale soit tout entière dans ses organes. Il
n'est pas inexact sans doute de dire^ comme Jellinek le
fait dans le passage cité plus haut, que si Ton fait
abstraction des organes de TËtat, celui-ci n'est plus
qu'un néant juridique. L'organisation étant essentielle
pour que TEtat puisse être conçu comme une personne,
le droit ne le connaît plus s'il manque d'organisation et
par conséquent d'organe. Mais cette organisation n'est
pas le seul élément de TËtat pas plus que de toute autre
personne colleclive. Le groupe organisé^ tel est, selon
nous l'être réel que, dans le domaine du droit, nous
appelons personne morale ; et on ne tient pas compte
de tous les faits quand on dit que ce groupe ne peut agir
que par ses organes ; en fait il peut agir par d'autces
voies, et manifeste souvent son existence par des actes
qui n^émanent pas des seuls organes. On peut même
dire que son but est d'ordinaire atteint au moyen d'actes
auxquels participent tous les membres du groupe :
réunions d'une société scientifique, littéraire ou d'agré-
ment ; distribution de secours par les membres d'une
association de bienfaisance; exercices de course, de
tir, etc., par les membres d'une société sportive, etc.(l).
Ces actes de fait peuvent même avoir des conséquences
juridiques toutes les fois que la loi attache des consé-
quences de cet ordre à un simple fait : les faits de pos-
session de la part des habitants de la commune, par
volonté de l'organe il n y a pas une autre volonté^ qui puisse léga-
lement s'exprimer ; car la personne morale ne peut vouloir que
par son organe (Cpr. Preuss, Uber OrganpersÔnlichkeity dans la
Jahrbuch de Schmoller, t. XXVI, (1902), p. 135.
(1) Cpr. sur ce point, Schlossmann, article précité dans Ihering's
Jahrbûcher, t, XLIV, p. 304 et s.
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LA NOTION DE t»ERSONNALlTE MORALE iM
jexemple, ne peuvent être considérés comme indifférents
dans les cas où la prescription est invoquée pour ou con-
tre elle (1). Mais il reste exact que l'organe seul a qua-
lité pour faire au nom de la personne morale des actes
juridiques.
64. Sous le bénéfice de ces deux o^^servations nous
admettons la théorie deTorgane. Elle est très supérieure
à la théorie de la représentation légale, parce qu'elle
rend un compte exact de Torigine de Torgane et de la
véritable source de son pouvoir. Au lieu de tout rappor-
ter à la loi, c'est-à-dire à une force étrangère, elle mon-
tre l'organe naissant avec la personne morale elle-même,
et ne faisant qu'un avec lui. Plus conforme par là à la
réalité, elle devra dans la pratique mieux rendre compte
des phénomènes juridiques qu'elle est chargée d'expri-
mer, A ce point de vue sa supériorité consislje surtout à
expliquer le fait, pour nous indéniable, que la représen-
tation de la personne morale présente plus d'étendue
que celle de la personne physique.
La différence à ce point de vue peut, à nos yeux, se
formuler ainsi : le représentant ne peut jamais faire,,
pour le compte du représenté, un acte impliquant la
(1) Notre jurisprudence n'admet pourtant pas que l'usage d'un
chemin par les habitants suffise à amener pour la commune, l'ac-
quisition de la propriété par prescription. Elle exige en général des
actes de l'autorité municipale enlevant à Tusage des habitants le
caractère de précarité et de tolérance. Mais cet usage n'en est pas
moins l'un des éléments qui influent sur la question de propriété.
D'autre part des faits de possession des terrains communaux par
les habitants suffisent à en conserver la propriété à la commune
(V. Béquet, v^ Commune, n^ 2359). Ce n'est pas d'ailleurs ici le
lieu d'entrer dans un développement de droit positif sur ces divers
points.
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142 CttAt^ItRË t>REMlBtl
conscience ou la volonté personnelle de ce dernier; l'or-
gaae d'une personne morale peut, au contraire, accom-
plir pour le. compte de cette personne des actes de cette
espèce toutes les fois qu'il ne s'agit pas d'actes inconei-
liaibles avec la nature de la personnalité morale (comme
serait, par exemple, le mariage). Ce principe se justifie
théoriquement par l'idée que sans lui les actes de ce
genre seraient impossibles, la conscience et la volonté
de l'être moral n'exislant que dans son organe, et que
cette impossibilité conduirait à lui faire, dans le domaine
du droit, une situation tantôt défavorable, tantôt privi-
légiée, incompatible avec la notion d'égalité entre les
personnes qui est une règle fondamentale du droit privé.
Il se justifie aussi pratiquement par ce fait que les
organes d'une personne collective faisant partie inté-
grante de la collectivité, peuvent être considérés socia-
lement comme exprimant la volonté prépondérante dans
le groupe ; si on ne peut pas voir là une volonté collec-
tive au sens métaphysique du mot, on peut y voir au
moins une synthèse des volontés individuelles des mem-
bres du groupe, synthèse que le droit traite comme une
volonté collective, parce qu'elle est la seule représenta-
tion juridique possible des intérêts collectifs qu'il entend
proléger.
A aucun de ces deux points de vue le représentant
proprement dit ne peut être traité de la même manière ;
il y a toujours derrière lui la volonté au moins possible
du représenté; celui-ci presque toujours est capable
d'une certaine volonté personnelle, et là même où l'on
pourrait dire qu'il ne Test pas (comme dans le cas de
Vinfans)^ cette incapacité absolue n'est que transitoire, en
sorte qu'il n'y a aucun intérêt social à permettre à son
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Là notion de PERSONNALITE MOAàLË 143
représentant des actes exigeant conscience personnelle.
D'aulre part, entre le représenté et le représentant qui
sont deux personnes distinctes il n'y a pas nécessaire-
ment union de volonté ; quand cette union n'est pas
constatée par un mandat formel, la loi ne doit admettre
la représentation que d'une manière limitée, dans la
mesure où elle est rendue nécessaire par l'intérêt même
du représenté ou par les nécessités sociales.
L'organe, à la différence du représentant, incarne
donc toute la volonté de Têtre collectif. Il peut, comme
le disent les auteurs que nous citions plus haut, à condi-
tion de rester dans la limite de ses fonctions, et de ne
pas enfreindre les prohibitions légales, régler l'existence
même de la personne morale, changer son but, la dis-
soudre^ statuer sur le sort de ses biens en cas de disso-^
lution, fixer son domicile ou sa résidence. Les actes
illicites qu'il accomplit dans l'exercice de sa fonction
sont imputables à la personne morale elle-même et
engagent sa responsabilité au moins civile (i). Sa bonne
ou sa mauvaise foi sont considérées comme la bonne ou
la mauvaise foi du groupe lui-même toutes les fois
qu'elle présente de l'importance au point de vue juri-
dique, par exemple en matière de prescription ou d'ac-
quisition des fruits par le possesseur de bonne foi (2). Il
(1) Ce n'est pas ici le lieu d*approfondir l'application de ces
diverses idées, ni de rechercher si le groupe peut encourir une res-
ponsabilité pénale. V. sur ces points notre étude sur la responsabi-
lité de l'Etat dans Revue de droit public, t. III, p. 401 et s.
(notamment n<^» 6 et s.) ; et la thèse de M. Mestre, Les personnes
morales et le problème de leur responsabilité pénale, VdiVis y 1899.
Nous retrouverons ces questions dans le second volume de cet
ouvrage.
(2) Il n'y a donc pas lieu de tenir compte de la bonne ou de la
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144 CfiÀPtTtlE t>REMlSR
peut, dans les limites de son pouvoir, prêter un serment,
ou faire un aveu engageant la personne morale. Si la
personne morale a des droits politiques, tels que le
droit de vote, ce sera son organe qui les exercera. Il y
a, sur tous ces points, une assez grande différence entre
Torgane et le représentant pour qu'il soit nécessaire de
les distinguer nettement l'un de Tautro, distinction
impossible cependant aux auteurs qui nient la person-
nalité des êtres collectifs.
64 bis. L'organe, tel que nous venons de le définir,
n'est pas, en tant que tel, une personne morale ayant des
droits distincts de ceux de la personne qu'il représente
ou des autres organes de cette même personne (1). Car
mauvaise foi des membres des groupes alors qu*ii en serait autre-
ment s'il s'agissait d'un groupe non personnalisé, tel qu'une société
vivant sous le régime que nous décrirons plus loin sous le nom
de régime de la main commune (V. Dalloz, Prescription, n^ 937).
(1) Preuss (Uber Organpersonlichkeit, dans le Jahrbuch de
Schmoller^i, XXVI (1902), p. 136-137), développant une théorie
déjà admise par Gierke, dans Schmoller's Jahrbuch, 1883, p. 1143
et Genossenschaftstheorie, p. 157, admet qu'il existe une certaine
personnalité de l'organe, en tant que tel ; cette personnalité pos-
sède certains droits subjectifs, consistant dans la faculté de faire
les actes rentrant dans la compétence de l'organe. Pour lui, la
compétence est bien un droit subjectif, mais un droit subjectif avec
qualification particulière, de même que l'organe est une personne
avec qualification particulière ; bref, la compétence est le droit
subjectif de la personne-organe comme telle. Suivant lui, cette
conception ne détruit pas l'unité de la personne morale et notam-
ment de l'Etat ; il attribue en effet à la théorie organique dont il
est le défenseur, le mérite d'avoir dégagé la notion de « pluralité
réunie en unité organique )>. « De même que l'unité de la per-
sonne collective Etat n'est pas l'opposé, mais l'ensemble, le total
des personnes -membres qui la composent, de môme l'unité de la
compétence totale de l'Etat n'est pas l'opposé, mais l'ensemble, le
total des compétences partielles de ses organes ». Le sujet des
fdroits de l'Etat, c'est assurément l'Etat ; mais on ne contredit pas
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tÀ NOTIO!^ De t>ER80NNALITE MORALE 14$
il n'existe que pour cette personne, et, quand le droit .
sanctionne un de ses actes, les intérêts qu'il a en vue de
protéger sont les intérêts de cette personne, et non ceux
de Torgane. Les conseils, assemblées ou collèges qui
jouent le rôle d'organe n'ont donc aucune personnalité ;
c^est en réalité aux individus qui les composent qu'ap-
partient la qualité d'organes, c'est-à-dire le droit de vou-
loir au nom de la personne morale ; seulement la volonté
de chacun de ces individus n'est susceptible de produire
son effet de droit que lorsqu'elle s'accorde avec la
volonté des autres membres de l'assemblée ou de la ^
majorité d'entre eux. C'est ce que Ton appella l'organi-
sation collégiale de l'organe (1).
cette notion en déclarant que le sujet d'une partie organique des
droits de J'Ëtat est la « personne-organe », qui elle-même est une
partie organique de la personne-Etat. ~ Citant Bernatzik, qui,
dans VArchiv. fur ôffentliches Recht (t. V, p. 317), avait fait re-
marquer que le droit de punir, de tuer, de priver de la liberté,
devait être considéré comme appartenant à TEtat et non au tribu*
nal, Preuss lui répond qu'en réalité l'Etat a ce droit, mais que le
tribunal Ta aussi, et que ce ne sont pas deux droits opposés Tun à
l'autre ; car les droits du tribunal X ou du tribunal Y ne sont que
des parties organiques du droit de l'Etat.
Cette théorie, très ingénieuse assurément, est difficilement accep-
table ; au fond elle ne fait guère que dissimuler la contradiction
en l'abritant derrière le mot « organique », qui se prête admira-
blement à exprimer les plus gros mystères. Ici le mystère consiste
à savoir comment le même droit peut appartenir & la fois à deux
sujets. Avec la théorie de la volonté, qui est celle de Preuss et de
Gierke, on serait conduit à dire que le droit appartient non à l'Etat
mais & l'organe ; car au fond rien ne peut masquer le fait que
c'est dans Torgane que la volonté réside. Pour nous qui définissons
le droit par l'intérêt, il n'y a aucune difficulté à voir le véritable
sujet du droit dans la personne morale représentée ; ce sont bien
ses intérêts qui sont protégés et non ceux de l'organe.
(1) Y. une notion semblable de l'organe collégial dans Duguit,
L'Etat, les gouvernants et les agents, p. i48,
M1CH0UD 10
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116 CHAPltRE PftEMlEft
Une personne morale peut d'ailleurs avoir plusieurs
organes distincts. Il y a alors entre ces divers organes
un partage d'attributions : chacune représente la per-
sonne morale dans un cercle d'action déterminé, et en
dehors de ce cercle perd la qualité d'organe. Ce cercle
d'action s'appelle la compétence. L'organe n'étant pas
une personne, la compétence n'est pas pour lui un droit
subjectif ; elle est d'ailleurs réglementée, au moins en
général, non dans l'intérêt de la personne physique qui
joue le rôle d'organe, mais dans l'intérêt de la personne
morale elle-même. Il en résulte qu'entre deux organes
d'une même personne morale, il ne peut d'ordinaire y
avoir procès, lutte juridique, sur leur compétence respec-
tive. Nous verrons toutefois qu'il peut y avoir exception
à ce principe à raison de certains droits appartenant non
à l'organe, mais à l'individu qui en joue le rôle.
Enfin, entre les divers organes d^une même personne
morale, il peut y avoir des relations de subordination et
de hiérarchie. Il est même indispensable, en cas de plu-
ralité d'organes, qu'il y ait un organe supérieur chargé
de ramener à l'unité les manifestations de volonté des
divers organes, au cas où elles seraient contradictoires.
Dans ce cas les organes inférieurs ont bien qualité,
comme les plus élevés, pour élaborer et manifester la
volonté de la personne morale ; mais la décision émanée
d'eux n'a pas un caractcre définitif tant qu'elle est sus-
ceptible d'être annulée ou réformée par un organe supé-
rieur. La personne morale fait ici ce que fait une per-
sonne physique qui, après avoir pris une décision sur un
objet peut, mieux informée, revenir sur cette décision ou
la modifiier. Dans les deux cas il s'agit d'une révision
de l'affaire qui se produit à l'intérieur de la pei^onne :
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La notion bfi FBRSONNÀUTB MORALB 14?
la seule différence,' c'est que dans Tinvidu le procassas
de cette révision, se passant dans son intelligence,
échappe à notre vue, au lieu que dans la personne morale
les divers stades de la délibération mettent en rapport
les unes avec les autres plusieurs personnes physiques,
et peuvent être saisis par la réglementation juridique.
Mais cette réglementation juridique sera en principe,
comme en matière de compétence, dans l'intérêt de la
personne morale elle-même, et ne conférera aucun
droit subjectif à ses organes.
L^absence de personnalité de Torgane n'empêche
cependant pas toujours que l'individu à qui appartient la
qualité d'organe ne puisse avoir un droit subjectif. Si en
effet l'organe n'est pas distinct de la personne morale,
l'individu qui enjoué le rôle en est distinct ; il a, vis-à-vis
d'elle des droits et des obligations. Très fréquemment, il
parait avoir, même contre elle, un droit à la qualité
cT organe. Nommé à une fonction, dans les formes pré-
vues par la constitution de la personne morale, il parait
avoir, par cela même, le droit d'être reconnu comme
investi de cette fonction, et d'en accomplir les actes.
Cette apparence se présente par exemple, lorsqu'il a été
nommé pour un temps déterminé, comme cela arrive, en
droit privé, pour les administrateurs d'une société, en
droit public pour la plupart des grands organes de TEtat :
Président de la République, députés, sénateurs, etc. Elle
se présente avec plus de vraisemblance encore lorsqu'il
s'agit d'organes nommés à vie et irrévocables, ou d'or-
ganes héréditaires, comme c'est le cas pour le roi ou
l'empereur dans les Etats monarchiques, pour les élec-
teurs dans tous les pays où des assemblées électives
participent au Gouvernement. Les individus qui ont ces
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i4k CHAPITRE PREMIER
diverses qualités peuvent revendiquer en général, sinon
par une action judiciaire proprement dile^ au moins par
des voies de droit, la qualité d'organes qui leur appar-
tient. Toutefois, nous ne pensons pas qu'en règlç géné-
rale le droit qu'ils peuvent invoquer soit un véritable
droit subjectif. La qualité d'organe leur est en effet accor-
dée, non dans leur intérêt propre, mais dans l'intérêt de
la personne morale. D'autre part, le droit à la recon-
naissance en qualité d'organe se différencie très diffici-
lement du droit à la compétence, qui certainement n'ap-
partient pas à l'organe. Jellinek a, il est vrai, dans une
théorie subtile et savante, essaye de concilier la néga-
tion du droit à la compétence et l'affirmation du droit à
la qualité' d'ogane (i). Il fait du droit à la qualité d'or-
gane un étatj un Zustand^ qui peut être invoqué in abs-
tractOy et qui, comme tel^ est intangible, mais dont le
contenu (c'est-à-dire la compétence) est susceptible de
varier indéfiniment sans que pour cela le status soit
perdu. Mais cette distinction ne lève pas la difficulté ;
car si le status peut varier indéfiniment on peut le faire
décroître jusqu'au point où il ne contient plus aucune
prérogative, et alors c'est lui-même qui disparaît. Il
(1) V. dans JelJinek, System der subj. ôffentl, Recht., p. 112-
113, la définition de VEtat ou status, (Zustand) et du droit,
et pour Tapplication de cette doctrine à rélecteur,môme ouvrage,
p. 129, 130 et 139, et pour son application à l'organe en général,
id., p. 212 et suiv. Dans cette théorie tout le droit de l'organe se
résume dans le droit à être reconnu dans cette qualité, Anspruch
àuf Organschaft, auf Anerkannung seiner Individualitàt als
Trœgers staatlicher Competenzen ; c'est cette reconnaissance,
cette Anerkennung à!\iïï droit abstrait qui remplace pour l'individu
chargé du rôle d'organe le droit d'accomplir les actes de sa fonc-
tion.
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LA NOTION DE PERSONNALITE MORALE 149
n'est donc pas sérieusennient garanti si son contenu n'est
pas garanti en même temps ; et cela devient évident lors-
qu'on l'applique à une fonction, commecelled'électeur,qui
ne contient qu'une seule prérogative. Jellinek est obligé
de dire que le droit qui appartient à l'électeur n'est pas
le droit de vote, mais le droit d'être reconnu en qualité
d'électeur (1). Il nous paraît évident que quoi qu'il en
dise, il ne peut y avoir là qu'un paradoxe ; comme Ta
répondu Laband, il ne peut y avoir de droit à la recon-
naissance d'un non-droit. Four que le droit à être reconnu
comme organe soit autre chose qu'un mot, il faut qu'il y
ait dans la qualité d*organe un contenu positif.
Le droit de Torgane, dans les cas les plus fréquent?,
n'est donc point un droit subjectif, mais un simple effet
réflexe du droitdela personne morale elle-même (Reflex-
recht). Il n'y a pour l'individu un droit subjectif à la
qualité d'organe que dans les cas exceptionnels où cette
qualité lui est reconnue dans son intérêt, et non dans
l'intérêt de la personne morale. En droit privé, par
exemple, un fondateur peut réserver à telle personne,^
aux membres de telle famille, etc., le soin d'administrer
la fondation ; le gérant d'une société en commandité a
(4) Jellinek, System, p. 152. « Le droit de \ oi^ (Wahlrecht), si
paradoxal que cela puisse paraître, ne consiste donc point dans le
droit de voter (Recht zù wàhlen) ». Laband, Le droit public de
V Empire allemand, trad. française, t. I, p. 495-496, note 1,
répond que c'est bien au premier chef un paradoxe. On ne peut en
effet considérer comme un droit le droit à être reconnu en une
qualité qui ne constitue pas elle-même un droit. — Jellinek a
repris sa théorie dans Allgemeine Staatslehre, p. 381 et s., et
p. 512 et s. Il a essayé, p. 382, note 1, de répondre à l'argumenta-
tion de Laband, mais sans succès nous semble-t-il. Y. d'ailleurs
toute cette controverse exposée dans Duguit, UEtat, les gouver-
nants et les agentSt p. 114 et s. ,
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150 CHAPITRE PREMIER
le droit dans son intérêt propre de gérer les affaires de la
société ; ^administrateur statutaire d'une société ano-
nyme, désigné par les statuts sous la condition formelle
que sa désignation ne sera point soumise à l'assemblée
générale (loi de 1867, art. 2n, al. 2 à 5) a un droit sem-
blable (1). Dans les cas de ce genre, le droit à la qualité
d*organe est incontestable. En droit public on peut admet-
tre que TEtat reconnaît un véritable droit à certains de
ses organes, par exemple, dans certaines monarchies,
au monarque. On peut même admettre que, dans TEtat
démocratique, il y a un véritable droit pour l'électeur
à prendre part par le vote, comme organe créateur d'un
autre organe, aux affaires de l'Etat ; car ce droit lui est
reconnu aussi bien dans son intérêt que dans celui de
la collectivité ; nous reviendrons sur ce point en parlant
de l'Etat.
En outre, même là où le droit a la qualité d'organe, ne
peut être considéré que comme un réflexe du droit de
la personne morale, il sera possible qu'il puisse être
défendu, dans Fintérêt de cette personne morale^ par
des voies juridiques dont la mise en mouvement sera
confiée à IWgane. C'est ainsi que notre législation per-
met aux organes du département ou de la commune
d'attaquer les actes de l'autorité supérieure qui portent
atteinte à l'exercice de leur mandat (2). Dans le^ cas
de ce genre, même si en la forme l'action paraît apparte-
nir à l'organe personnellement, il faut la considérer
comme donnée pour garantir non le droit de Torgane,
mais le droit de la personne morale elle-même.
(1) Moins fort cependant, carradministrateur, même statutaire,
est révocable.
(2) V. infrà.
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LA NOTION DB PERSONNALITÉ MORALE i5i
Enfin, il est à peine besoin d'ajouter que de la qua-
lité d'organe peuvent découler pour Tindividu qui en est
investi, des droits de nature pécuniaire vis-à-vis de la
• personne morale : droit au traitement, à la pension, elc.
Il n'y a pas lieu ici d'insister sur ce point, qui à notre
avis ne présente pas de difficulté sérieuse (1).
VII
65. La limite d'application du concept de personne
morale est, en- droit privé, difficile à préciser. Tous les
groupements organisés, poursuivant un but en commun,
ne sont pas des personnes morales. Il est possible, en
effet, de poursuivre un but commun, avec des efforts
concertés, sans créer un être juridique distinct. Dans ce
cas, ce n'est pas là collectivité qui est le sujet des droits
constituant le patrimoine affecté au but, ce sont. ses
membres. On dit alors qu'il n'y a pas personne morale,
mais société ou association dénuée de personnalité.
En droit romain, les deux types étaient séparés par un
abîme : la personne morale {corpus, collegium, univer-
sitas) ne pouvait nullement se confondre avec la simple
societasy par la raison que celle-ci, simple contrat pro-
(1) M. Duguit, UEtat, les gouvernants et les agents^ p. 559
et s., refuse de rattacher ces droits à la situation même de
l'organe ; pour les fonctionnaires de l'Etat il les fait découler de
l'acte de volonté que fait le fonctionnaire à chaque échéance, en
signant les feuilles d'émargement. Ceci se rattache chez lui à sa
théorie sur l'origine des droits subjectifs, qui ne pourraient naître
que d'un acte de volonté. Ce n'est pas ici le lieu de discuter cette
théorie. Dans l'espèce, elle aboutit à un résultat inacceptable, car
le fonctionnaire a droit acquis à son traitement alors même, par
exemple, qu'il mourrait avant d'avoir signé les feuilles d'émarge-
ment. *
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152 chàpitrb premier
diicteur d'obligations, n'avait d'efiFet qu'entre ses mem-
bres, à t intérieur de l'association et non à l'égard des
tiers (i). Il n'y avait donc pas, dans la societas, la forma-
tion d'un patrimoine séparé, gage exclusif des créanciers
sociaux, ni les iaipparences de personnalité morale qui se
présentent dès qu'onadmet une formation de ce genre ; le
patrimoine social restait incontestablement en état de
copropriété entre les associés, et cette copropriété ne
résultait même pas du contrat lui-même; il fallait (sauf
en matière de société universeUe), pour qu'elle existât,
que'Tapport fût réalisé par un des modes normaux de
transfert de la propriété ; le contrat de société, comme
tous les autres contrats, était simplement productif d'o-
bligations (2). Cette manière de concevoir la société est
encore, pour les sociétés civiles, celle de nos anciens
auteurs et, croyons-nous, celle des rédacteurs du Code
civil (sauf application des nouveaux principes sur le
transfert de propriété). Mais vis-à-vis de cette notion de
la société les besoins du commerce avaient, dès une épo-
que déjà ancienne, créé d'autres types se rapprochant
bien davantage de la personnalité morale. Du moment
que la société a une existence externe, et que les stipula-
tions du contrat passé entre les associés ont pour effet de
créer à la masse des biens mis en commun un régime
spécial dont les effets se font sentir aux tiers, on rap-
proché la société de Vuniversitas au point qu'elle en
devient parfois malaisée à distinguer. En France, on a
commencé par appliquer sans discussion aux sociétés
commerciales, qui présentent ce caractère, la qualifica-
(1) V. Girard. Manuel de droit romain^ 2* éd., p. 564 et 5d5
note 1.
(2) V. Girard, op. cit., p. 565, note 2.
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LÀ NOTION DE PERSONNALITE MORALE 153
tien de personne morale. Leur donner cette qualification
dans la pensée des auteurs, c'était seulement les décla-
rer soumises à un certain régime juridique dont le prin-
cipal élément était Vaffectation exclusive du patrimoine
social au but social^ avec toutes les conséquences qu'elle
entraîne (droit de préférence des créanciers sociaux sur
le patrimoine social, impossibilité pour les créanciers
personnels de saisir ce patrimoine, impossibilité de com-
pensation entre créances sociales et dettes personnelles).
A côté de cet élément principal, on rencontrait d'ailleurs,
dans le régime des sociétés commerciales/cerlaîns autres
traits caractéristiques qui semblaient, eux aussi, découler
de la notion de personnalité : possibilité pour la société
d'ester en justice en son nom personnel par l'intermé-
diaire de son gérant ; caractère mobilier de la part d'as-
socié, même quand le patrimoine social comprend des
immeubles. Les auteurs étaient d'accord pour admettre
que ce régime, pris dans son ensemble, ne pouvait
s'expliquer que par l'idée de personnalité (1). Et quand
ils discutaient la question de personnalité des sociétés
civiles, c'était encore simplement l'existence de ce
régime qui était en discussion (2).
(i) V. Lyon-Caen el Renault, Précis de droit commercial (1884),
t. ï, n" 280 et s., et Traité, t. Il, nos 126 et s., 2e éd., p. 101
et s. — Paul Pont, Sociétés civiles et commerc, t. I, n® 124. —
Aubry et Rau, 4« éd., t. I, § 54, notes 20 à 26. Pour montrer que
ce régime s'applique aux sociétés commerciales (chose d'ailleurs
incontestable), on se base sur une tradition déjà ancienne (elle
remonte au moyen âge) et sur les textes qui admettent d*une
manière formelle quelques-uns des traits du régime indiqué,
potamment l'article 529 du Gode civil et l'article 69 6° du Gode
de procédure.
(2) Contre la personnalité entendue en ce sens : Thirj, Revue
critique, t. V, p. 412 et s. Aubry et Rau, 4e éd., t. IV, § 377,
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154 CHAPITRE PREMIER
66. Mais voici que certains auteurs se sont avisés de
soutenir, il y a peu d'années, que ce régime pouvait
s'expliquer tout entier sans avoir recours à la notion de
personnalité. M. Mongin, qui le premier en France a
posé nettement cette thèse (i), a cherché à expliquer une
à une toutes les règles de ce régime, en les ramenant à
une simple interprétation de la volonté des parties ; et il
a conclu que, sur ces divers points, les sociétés dénuées
de personnalité pouvaient être assimilées aux sociétés
que la tradition considérait comme des personnes mora-
les. Depuis lors, M. SaleiUes a essayé de montrer que
les règles de la commandite commerciale pouvaient se
ramener, non à Tidée de personnalité morale, mais à
ridée plus simple et plus naturelle d'un patrimoine dW-
fectation formant une copropriété en main commune,
c'est-à-dire continuant d'appartenir aux associés mais
soumis à un régime d'administration unitaire (2). Enfin,
note 16. Paul Pont, op, cit,, nos 125-126. Baudry-Lacantinerie et
Wahl, Société, Prêt, Dépôt, n^ 11. Boistel, Droit commercial,
n» 163. Laurent, t. XXVI, n^ 181. De nombreux arrêts anciens ont
statué dans ce sens. — En faveur de la personnalité, Troplong,
Sociétés, n'> 58. Dalloz, Rép., vo Sociétés, n° 182 et les auteurs qu'il
cite. La jurisprudence paraît aujourd'hui orientée en ce dernier sens.
Req., 23 février 1891, D., 91. 1. 337 ; S., 92. 1. 73, et la note de
M. Meynial ; 2 mars 1892, D., 93. 1. 189 ; S., 92. 1. 497 et la
seconde note du môme auteur.
Les adversaires de la personnalité des sociétés civiles ont d'ail-
leurs souvent la personnalité de celles qui avaient revêtu les for-
mes commerciales. Aubry et Hau, § 377, note 17.
(1) Revue critique, 1890, p. 712 et s. Avant M. Mongin, M. Van
den Heuvel avait, en Belgique, donné des explications analogues,
mais en en tirant des conséquences beaucoup plus radicales
(V. suprà, n° 2i).
(2) Etudes sur l'histoire des sociétés en commandite, n^ 54 et s«
dans Annales de droit commercial, 1897, p. 32 et s. — Junge
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LA NOTION DE PERSONNALITE MORALE 155
M. Thaller, généralisant la. méthode et l'appliquant à
toutes les sociétés commerciales, s*est efforcé de rame-
ner toutes les particularités qu'elles présentent à cette
idée qu'elles constituent des associations à existence
externe^ dont les stipulations sont soumises à la publi-
cité et s'imposent par là même aux tiers comme aux
associés eux-mêmes (1). Les explications données par
ces divers auteurs se rapprochent singulièrement de
celles qui sont présentées par MM. Van den Heuvel et de
Vareilles-Sommières (2). Elles en diffèrent en ce qu'au
lieu d'être présentées comme applicables à toutes les
personnes morales, elles sont données comme vse limi-
tant aux sociétés ou même à certaines d'entre elles.
Elles intéressent donc non plus l'existence du concept
de personne morale, mais sa limite, et à ce litre elles
sont des plus utiles à discuter.
Cette question de limite a d'ailleurs fait l'objet de tra-
vaux importants à l'étranger, principalement en Alle-
magne et en Italie. Mais la question n'y a pas porté uni-
quement sur la nature des sociétés commerciales. Elle a
donné lieu à des discussions plus complexes. L'idée pre-
mière, que sous des formes diverses on retrouve dans
toutes ces discussions, c*est qu'entre le régime de la
personnalité juridique, et celui de la societas romaine,
on peut imaginer, à condition de modifier quelques-
unes des règles de la societas, ou de recourir à des prin-
cipes nouveaux, un ou plusieurs régimes intermédiaires^
Van(ienotte,i4nwato de droit commercial, 1898, p. 437 et s, Gény,
Méthode d interprétation, n° 70. et Saleilles, Bulletin de la
Soc. de législ. comp., 1900, p. 125 (biens communaux).
{{) Traité élément, de droit commercial, 3e éd. nos 274 et s.
(2) V. suprà, nos 24 et 25.
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156 CHAPITRE PREMIER
qui rapprocheront le groupement de la personnalité
juridique, sans que son patrimoine cesse pour cela d'ap-
partenir aux associés individuellement (1).
67. Le plus impçrlant de ces régimes intermédiaires
est celui de Ibl propriété en main commune (Gesammte
Hand), qui est en Allemagne d'origine ancienne, qui a
donné lieu à bien des discussions, mais qui est aujour-
d'hui précisé par le Code civil allemand, et appliqué par
lui à des groupes bien déterminés, notamment aux so-
ciétés civiles (§§705 et s., particulièrement §§71 2 à 722),
et à la communauté conjugale (§§ 1437 et s.). Aux yeux
de la plupart des auteurs ce régime ne suffit pas d'ail-
leurs à expliquer les règles des sociétés commerciales.
Pour les uns ces sociétés sont toutes des personnes
morales (2). Pour d'autres, elles appartiennent, au moins
en partie, à un type intermédiaire entre la société avec
Gesammte Hand e[ la personne morale du droit romain ;
Gierke et son école y voient des Genossenschaften du
droit allemand dans lesquelles il y a une sorte de partage
de la propriété entre Têtre collectif et ses membres (3).
(1) Sur les divers systèmes, si nombreux qu'il est presque impos-
sible de les analyser complètement, cpr.,pour compléter les expli-
cations données au n® suivant : Bourcart. De Vorganisation et
des pouvoirs des assemblées générales dans les sociétés par
actions (1905), n^ 40. L'auteur y analyse le.s divers systèmes en
prenant pour guide l'oUvrage de Renaud. Das Recht der Actien-
gesellschaften.
(2) P. ex. Eccius, Die Stellung der offenon Hundelsgesells-
chaft als Prosess partei dans Zeitschriftfûr das gesammte Han-
delsrecht, t. XXXII, p. 1 et s.
(3) La théorie de la Genossenschaft a été introduite dans la doc-
trine allemande pour combler le vide existant entre la corporation
et la societas (en entendant ces deux mots au sens romain). Elle
a commencé par considérer la Genossenschaft comme uji type
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Là KOTION DB {PERSONNALITE MORALE IS*?
Sohm y voit aussi des Genossenschaften,ma\» en donnant
à la notion de Genossenschaft un autre contenu que
intermédiaire entre ces deux extrêmes. Mais dans sa dernière forme
telle que Gierke l'a présentée, elle constitue plutôt une sorte d'élar-
gissement de la notion de corporation, qui permet d'admettre
Texistence d'une série de corporations à type différent, allant depuis
la pure corporation romaine jusqu'à un type de corporation tout
voisin de la societas. Gierke conserve bien en principe l'idée que la
corporation est un sujet de droit et la société un simple rapport
de droit. Mais d'une part, il admet dans la corporation une sorte
de combinaison organique des droits de la collectivité et des droits
de l'individu ; la collectivité est, en un certain sens, propriétaire
du patrimoine commun, ce qui n'empôcbe pas Tindividu de Tôtre
aussi d'ime certaine manière. Par là il donne à la notion de corpo-
ration, comme il le dit lui-môme (Genossenschaft stheorie, p. 306)
une extraordinaire élasticité. Il permet d'y ramener à la fois les
groupements où lesdroitsdu groupe dominent de bien haut les droits
de l'individu et ceux au contraire où le groupe n'a d'autre but que la
réalisation des fins particulières de ses membres (tels que les sociétés
commerciales ou quelques-unes d'entre elles). D'autre part, Gierke
admet, grâce au principe de la Gesammte ffand, que la société,
elle aus$i, peut présenter des types divers, allant depuis la societas
romaine jusqu'aux confins de la corporation. Ainsi disparaît entière
mentTabime que le droit romain avait creusé entre les deux notions.
Il disparaît si bien que la ligne séparalive devient fort incertaine, et
cette incertitude a été l'une des grosses objections opposées au sys-
tème de Gierke. Il établit une opposition entre la société et la
Genossenschaft sans indiquer à quel signe elles se distinguent Tune
de l'autre (V. Laband, Zeilschrift fur Handelsrecht, t. XXX,
p. 488 et 8.). Mais Gierke voit là un avantage, celui de serrer le
plus près la réalité (V. sa réponse à Laband dans Genossenschafts
théorie^ p. 308, note i). 11 est impossible pour lui de ramener à
un seul les caractères qui distinguent la corporation (entendue avec
son sens large de Genossenschaft). de la société (entendue au sens
arge dans lequel on y comprend la société avec Gesammte Hand).
C'est V ensemble des caractères du groupement qu'il faut examiner
pour en faire le classement, et il arrivera que deux groupements,
identiques dans leur apparence extérieure, pourront être classés,
l'un parmi les sociétés, l'autre parmi les corporations, suivant que
cela sera expédient au point de vue pratique. Gierke déclare tout
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liS8 CÈLAPITRÉ PREMIER
celui de Gierke, et en admettant que la propriété y est
tout entière aux associés, la collectivité ne retenant pour
elle que Y administration du patrimoine (1). D'autres
auteurs y voient des groupements ayant une personna-
lité juridique purement formelle^ différant de la person-
nalité proprement dite par ce fait que les associés et
non le groupe sont en réalité propriétaires du fonds
social (2). D'autres enfin distinguent, accordant la per-
sonnalité à quelques sociétés commerciales et non aux
autres; et parmi ceux-là il y a encore des divergences,
les uns voyant le critérium de la personnalité dans la
consistance variable de l'association, d'autres, dans le
fait que les associés ne sont pas tenus personnellement
des dettes sociales, d'autres, dans la structure intime et
l'organisation de la société (3).
à fait arbitraire le critérium admis iiar Laband (robligation aux
dettes pour Jes associés). En un sens analogue, v. Regelsperger,
Pandekten, % 80> lïl. Parmi les caractères déterminants, Gierke
paraît cependant attacher une importance particulière à l'organisa
tion corporative (V. cod. op., p. 35 et s.).
(i) Sohm, Die Deutsche Genossenschaft, dans Festgabe fur
Winscheidy Leipzig, i888. — V. notamment dans cet article,
p. 27 et s., la comparaison entre la Gesammthand et la Genos-
senschaft, p. ^3 et s, la comparaison entre la Genossenschaft et
la personne morale,
(2) Gareis, Das deutsche Handelsrecht (6* éd., 1899), p. i76
et s. — Gareis et Fuchsberger, Z>a5 A llg. Deutsche Handelsgesetz-
' buch (1891), p. 210. — Unger. System der cestei^reichen PHva-
trechts, % 43. — Meurer, Die jurist. Personen (1901), § 8,
notamment p. 77 et s. — Gierke considère cette idée à' unité
formelle, unité collective, comme équivalente, si on la distin--
gue de la personnalité morale, au principe de la Gesammte Hand
(Genossenschafts théorie, p. 341, note 3).
(3) Les divers systèmes sur ce point ont été passés en revue par
hB.hdinA,Beitràge £Ûr Dogmatik des Handelsgesellschaften (dans
Zeitschrift fur das gesammte Handelsrecht, UXKX, p. 469. et s.;.
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La notion de i>ersonnàlite morale 1^9
En Italie^ il règne parmi les auteurs une confusion
analogue. Certains d'entre eux, fidèles au système clas-
sique français, voient dans toutes les sociétés commer-
ciales des personnes morales (1)* D'autres construisent
pour elles une théorie analogue à celle de la Gesammte
Hand du droit allemand (2). D'autres enfin admettent à
leur égard une sorte de personnalité relative, n'existant
qu'à V extérieur^ ce qui est l'équivalent de la personnalité
formelle admise par les auteurs allemands (3).
Pour s'orienter au milieu de cette foule d'opinions
contradictoires (4), il faut chercher à résoudre les trois
— Lui-même admet la personnalité des sociétés dans lesquelles
les associés sont personnellement tenus des dettes sociales, non
des autres.
(1) C'est en Italie comme chez nous, le système classique : V.
Giorgi, Persone giuridiche, 2e éd., 1. 1, nos 27 et s. ; t. IV, nos 153
et s. ; Fadda et Bensa, notes sur Windscheid, t. I, p. 802 et s. ;
Vivante, La personalita giuridica délie societa commerciali
(Extrait de la Rivista di diritto commerciale, i^e année) ; Vighi,
La personalita giuridica délie societa commerciali, 190Q.
(2) Manara, Délie societa di commercio irregulari a del loro
fallimento, 1898.
(3) V. dans Manara, op. cit., nos 11 et 12, l'analyse de la dis-
cussion du Code de commerce italien, où Ton voit apparaître ce
système ; Vigliani oppose la personne juridique, qui a des droits
propres indépendants' de ceux de ses membres à Yêtre collectif,-
qui n'a pas de droits propres, mais seulement les droits combinés
des associés. — Pescatore considère les associés comme coproprié-
taires dans leurs rapports internes, en sorte que la personnalité
n'existe qu'à l'extérieur, — Le même Pescatore (Filosofia et dot-
trine giurid,, Turin, 1879, II, p. 140 et s.) distingue dans ses
ouvrages les êtres juridiques en absolus et relatifs. Beaucoup
d'auteurs, tout en voyant dans les sociétés commerciales des per-
sonnes morales, en font une catégorie à part en opposant les
coi^i morali, aux simples enti collectivi (Vivante Dirito com-
merciale, 4893, 1. 1, no 287.
(4) Les législations diverses ne sont pas assez explicites pour
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460 CHàPITÀE PtlEMiEtt
questions suivantes : 1° Peut-on admettre un régime
intermédiaire entre celui de la personne morale et celui
de la societas romaine, et en quoi peut consister ce
régime ?2<> En quoi ce régime diflérera-t-il de celui de la
personne morale? 3<> Quels sont, parmi les groupements
dont la nature est douteuse, ceux qui peuvent y être
soumis et ceux auxquels, au contraire, la notion de per-
sonnalité est indispensable?
68. 1® Peut-on admettre un régime intermédiaire
entre celui de la personne morale et celui de la societas
romaine, et eu quoi peut consister ce régime?
En théorie pure, il ne nous paraît pas douteux que
l'existence de ce type intermédiaire soit possible et dési-
rable. La personnalité juridique classique est un type
rigide, dans lequel le patrimoine apparaît comme appar-
fournir sur ce point des indications sûres. Quelques-unes attribuent
expressément aux sociétés commerciales la personnalité morale
(C. de comm. espagnol de 1885, art. 116, § 2), ou une individualité
juridique distincte de celle des associés (loi belge du 18 mai 1873,
art. 2). Le Code suisse des obligations reconnaît expressément la
personnalité morale aux sociétés anonymes et aux sociétés en
commandite par actions (art. 623 et 676). Le Gode de commerce
italien (art. 77, § 3) reconnaît aux sociétés commerciales la qualité
d'être collectifs, distincts de la personne des associés, mais seule-
ihent à V égard des tiers, ce qui laisse la porte ouverte aux dis-
cussions sur la vraie nature juridiqueile ces groupements. D'autres
législations assez nombreuses, se contentent comme la nôtre de
donner des règles pratiques d'où l'on peut induire, avec plus ou
moins de certitude la personnalité. Par exemple, Gode de com-
merce allemand de 1897, art. 124, 161, 210. « La société par
action a comme telle des droits et des devoirs ; elle peut acquérir
des immeubles et d'autres droits réels sur des immeubles, actionner
et être actionnée en justice. » De même le Gode suisse des obliga-
tions pour les sociétés en nom collectif et en commandite simple
(art. 559 et 597). Gpr. sur ces notions de droit comparé, les expli-
cations de M. Bourcart, op. cit., n« 6.
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LA NOTION DE PERSONNALITE MORALE 161
tenant à Têtre moral et non à ses membres. Même en lui
donnant, comme le fait Gierke, et comme nous le faisons
nous-mêmes dans une certaine mesure, une interpréta-
tion plus souple, dans laquelle on lient compte de la nature
collective de Têtre moral, et de la situation particulière
dans laquelle il se trouve vis-à-vis de ses mem-
bres, il reste que ceux-ci ne sont point des coproprié-
taires du fonds social. D'autre part, le régime de lacopro-
priété classique, qui est celui de la pure societas, est un
régime très imparfait, ne répondant nullement au rôle
actif que les sociétés sont appelées à jouer dans le monde
actuel. On conçoit très bien la possibilité de modifier ce
régime sans renoncer pour cela à Tidée que le patri-
moine est la copropriété des associés ; on conçoit aussi
que, pour certains groupements, cette analyse serrera de
plus près la réalité que celle qui cherche à y trouver un
être juridique distinct des membres.
Le trait principal de ce type intermédiaire, auquel on
peut donner le nom connu de propriété en main com-
mune, est celui que nous avons déjà dégagé : affectation
exclusive du patrimoine commun au but social, affectation
rendue publique et par là opposable aux tiers. Cela suffit à
expliquer (au moins théoriquement, et en faisant abstrac-
tion des textes ou des traditions rfes diverses législations
positives), plusieurs des règles pour lesquelles Tancienne
doctrine avait Thabitude de voir dans la personnalité mo-
rale, la seule explicî^tion possible. «Elle suffit notamment,
dit notre collègue, M. Josserand, dans un travail dont les
conclusions se rapprochent beaucoup des nôtres sur ce
point (1), à soustraire les biens mis en commun à toute
(1) Essai sur la propriété collective, dans le Livre du Cente-
MIGHOUD 11
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162 C&APITRË PREMIER
impulsion individuelle de la part des ayants droit, qui ne
pourront ni les aliéner ni les hypothéquer, même pour
partie, et qui ne pourront pas davantage, en assumant
des obligations, les faire pénétrer dans le gage de leurs,
créanciers personnels. Sociaux par leur destination, les
biens placés sous la main commune ne sauraient rece-
voir qu'une impulsion sociale et constitueront donc le
gage exclusif des créanciers sociaux..... Pour la même
raison, il ne faudra pas parler de compensation entre un
rapport obligatoire personnel à un associé et un rapport
qui figure activement^ou passivement dans le patrimoine
collectif L'autonomie du patrimoine collectif suffit à
assurer ces résultats et d'autres encore, sans qu'il soit
besoin de faire appel à Tidée de personnalité ». L'exis-
tence de cette copropriété en main commune n'est liée à
aucun mode d'administration particulier. Théorique-
ment, on doit admettre qu'en dehors de toute conven-
tion contraire les actes d'administration ou de disposi-
tion du patrimoine commun ne pourront être faits que
parla communauté elle-même, c'est-à-dire par l'unani-
mité des membres copropriétaires. Mais, pratiquement,
on trouve dans beaucoup de groupements dont le patri-
moine est en main commune des règles d^administra-
tion conventionnelles du légales, qui donnent le droit
exclusif d'aliéner ou d'administrer à certains représen-
tants du groupe. Le régime de propriété en main com-
mune yom^ à une administration centralisée donne alors
au groupe un aspect qui se rapproche beaucoup, à pre-
mière vue, de celui d'une corporation ou groupement
naire du Code civil, p. 357 et s. Le passage cité est à la page 365
(p. H du tirage à' part).
(1) Ib.,p. 376 (p. â2 da tirage à part).
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Là notion de PERSONNALITE MORALE l63
personnalisé. Mais en réalité il n'y a là qu'une appa-
rence, et la situation de radminislrateur d'une société
de ce genre, qui n'est qu'un simple mandataire des
autres associés, diffère notablement, nous l'avons vu,
de la situation de l'administrateur d'une personne mo-
rale, qui est un organe.
L'unité d'administration peut aller théoriquement jus-
qu'à l'unité de la représentation en justice ; et il n'y
aura même à cela nulle difficulté dans les législations qui
n'admettent point la règle : nul ne plaide par procureur.
Dans celles qui maintiennent ce principe, le groupe ne
pourra être représenté en justice par son administrateur
qu'en vertu d'une exception à la règle générale. Cette
exception est assurément possible ; mais elle n'aura
d'autre eifet que de supprimer la nécessité de mentionner
tous les membres du groupe dans les actes de la procé-
dure. Elle ne peut avoir pour effet de rendre les mem-
bres de ce groupe étrangers au procès ; car c'est bien
leur droit qui est déduit en justice^ et non le droit d'une
personne juridique distincte d'eux-mêmes.
D'autre part, quel que soit le mode d'administration
des biens placés en main commune, on peut admettre
que les actes faits par les copropriétaires sur le patri-
moine social sont entièrement nuls quand ils ne sont pas
faits en conformité des règles d'administration admises
par le pacte social. La vente ou la constitution d'hypo-
thèque qu'un associé ferait au sujet d'un bien social pour
ses besoins personnels serait donc entièrement nulle, et
ne dépendrait pas des résultats du partage. En d'autres
termes, on n'appliquera pas à la copropriété en main
commune la règle de l'article 883 du Code civil, qui n'y
aurait nulle raison d'être.
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i64 CHAPITRE PREMIBk
II y a plus de doute, à notre sens, sur le point de
savoir si la société établie sous ce régime peut être
Tobjet d'une déclaration de faillite distincte de la faillite
de ses membres. Nous croyons pourtant qu'en Ihéorie
pure on peut l'admettre sans.se mettre en contradiction
avec ridée fondamentale du régime. Du moment que l'on
introduit une séparation des patrimoines ayant pour con-
séquence Taffectation exclusive du patrimoine social aux
créanciers sociaux, il n'est pas illogique d'admettre une
liquidation de ce patrimoine par des procédés semblables
à ceux de la faillite d'une personne. Toutefois, dans
la plupart des cas, sinon dans tous, la faillite d'une société
de ce genre entraînera la faillite d'au moins une partie de
ses membres ; car, puisqu'il n'y a point de personne
morale, il faut bien que quelques-uns au moins parmi
eux soient tenus in infinitum sur leurs biens personnels.
Et cela montre qu'il y a quelque chose d'artificiel dans
l'application de la faillite à une société de ce genre.
JNous admettons aussi la possibilité théorique de faire
au nom du groupe une inscription sur les registres
constatant les actes translatifs de propriété ou consti-
tutifs de droits réels. Le groupe peut apparaître là dans
son unité, puisqu'il s'agit de constater que le bien entre
dans le patrimoine soumis à un régime spécial, ou qu'il
en sort. Mais là encore, des doutes sont possibles ; et on
doit considérer cette facilité donnée au groupe, quand
elle existe, comme une faveur qui lui est faite, une
mesure de simplification peu logique, la vérité étant
dans la propriété des membres.
On peut admettre enfin, mais toujours à titre de
mesure de simplification plus ou moins fictive, Tappli-
cation au groupe de la règle de l'article 529 du Gode
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LA NOTION DE PERSONNALITE MORALE 165
civil, qu'on a si souvent regardée comme un signe
caractéristique de la personnalité morale. Logiquement,
les membres du groupe, n'étant que des copropriétaires,
doivent être regardés comme ayant dans leur patrimoine
des meubles et des immeubles dans la proportion où ils
figurent au patrimoine social. Mais le législateur peut,
dans un but économique, appliquer à des immeubles les
règles juridiques des meubles et réciproquement. S'il a
pu permettre de considérer comme immeubles les
actions de la Banque de France, on ne voit pas pourquoi
il lui serait interdit d'assimiler à des meubles les actions
d'une société, même propriétaire d'immeubles. À ce
point de vue, on peut admettre que Farticle 529 ne prouve
rien au point de vue de la personnification des sociétés
auxquels il s'applique. Mais il n'en est pas moins vrai
que sa disposition n'est conforme à la logique du droit
que pour les groupements personnifiés ; pour les autres,
elle est une fiction admise par le législateur utilitatis
causa.
Cet aperçu théorique du régime des biens placés en
main commune montre qu'il y a là une institution qui
n'est point spéciale aux pays germaniques. Elle est réa-
lisée suivant nous dans certaines sociétés commerciales;
peut-être aussi (nous le verrons plus loin) (1) dans les
associations non douées de personnalité. Pour les socié-
tés civiles, on peut éprouver des doutes sérieux. On les
classera sous cette étiquette si l'on admet pour elles
l'interprétation que M. Mongina donné de l'article 1860,
avec toutes ses conséquences (2). Elles resteront sous
(1) V. infrà, ch. IV.
(2) L'article 4860 déclare que Tassocié non administrateur ne
peut aliéner ni engager les choses qui dépendent de la société.
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i66 CHAPITRE PREMIER
le régime de la societas romaine, peut-être avec cer-
taÎDes modifications, si on repousse cette interprétation.
Mais c'est là une discussion que nous ne croyons pas
avoir à approfondir ici.
70. 2* En quoi ce régime diffère-t-il du régime de la
personnalité morale?
Il est incontestable que la société dont le patrimoine
est en main commune ressemble t)eaucoup à une personne
morale. Elle en est cependant séparée par une différence
fondamentale: dans la personne morale le patrimoine
n'appartient plus aux membres, mais à l'être moral;
dans la société en main commune il est la copropriété
des membres (copropriété modifiée par des règles spé«
ciales). La société reste un simple rapport de droit ne
donnant naissance à aucun sujet de droit nouveau d'où
résulte que les droits et obligations qui composent le
patrimoine ont pour sujet les associés eux-mêmes. La
personne morale est un sujet de droit qui est, là où elle
existe, seule titulaire des droits et obligations du groupe.
Cette règle, dit M. Mongin, ne peut pas signifier que Tassocié n'a
pas le droit d'aliéner la totalité du bien commun ; car cela était
évident, donc inutile à dire. Elle signifie qu'il ne peut pas même
aliéner sa part dans le bien commun. — Cette interprétation con-
traire à la doctrine de Pothier est déjà douteuse (V. Paul Pont,
Sociétés^ rio 588). — M. Mongin admet en outre que la règle ainsi
établie est opposable aux tiers, et c'est ce qui lui permet d'en tirer
joutes les conséquences qui rapprochent ô ses yeux la société civile
de la personnalité morale (iofpossibilité pour les créanciers per-
sonnels de se payer sur l'avoir sociaJ) ; il crée ainsi au profit
des associés une sorte de droit réel sur le fonds social. Mais
cela encore ne va point sans difficulté. Si l'on admet cette thèse les
sociétés civiles ont, comme les sociétés commerciales non douées
d'une véritable personnalité, le régime de la main commune avec
administration unifiée. Si on ne l'admet pas, il n'y a plus dans la
société civile que l'indivision et la societas romaine.
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LA NOTIQN DE PERSONNALITÉ MORALE i€)7
Cette différence ne peut être effacée par aucune des
modifications que Ton peut concevoir au régime de co-
propriété. Il en résultera notamment que dans la société
avec main commune^ la capacité de^ membres du groupe
influera sur la validité des actes sociaux : si parmi eux
se trouve un mineur, les biens sociaux seront, dans la
mesure où ils sont sa propriété, soumis au régime des
biens des mineurs; ils ne pourront être aliénés que sous
les conditions fixées parla loi pour cette aliénation; ils
seront protégés contre la prescription au profit d'un tiers
parla règle de suspension de Tarticle 2252 ; ils ne pour-
ront pas être achetés par son tuteur (article 4596), etc. Si
une libéralité est adressée à la société, ce seront en réalité
ses membres qui en bénéficieront et il faudra tenir compte
de leur personne au point de vue des incapacilésde rece-
voir, de l'obligation du rapport, etc. — Sur tous ces
points la théorie de la personnalité morale aboutit à
des résultats diamétralement différents (1).
(i) On sait quelles difficultés se sont élevées sur la question de
savoir si les sociétés de gain pouvaient recevoir des libéralités.
M. Labbé, qui a soutenu énergiquement la négative {Sirey, 81. 2.
249, et Revue critique, 1882, p. 345 V. dans le même sens Tis-
sier, Dons et legs, no 87), s'est appuyé notamment sur l'idée que
les droits de la société n'étaient pas nettement séparés, des droits
des associés, et qu'en conséquence en gratifiant la société on gra-
tifie en réalité les associés eux-mêmes. Il en conclut que c'est à
ceux-ci seulement qu'une libéralité peut être adressée, parce que
c'est dans leur personne qu'il faut apprécier les questions de capa-
cité, de rapport, etc. L'objection atnsi faite à la capacité des socié-
tés est exacte pour les associations auxquelles convient le régime
de la main commune, inexacte pour les autres. Dans les sociétés
qui forment de véritables personnes morales (telles que les sociétés
anonymes), il n'y a pas de danger qu'en gratifiant la société on ait
en vue de gratifier les associés personnellement. Gpr. Thaller.Note
dans Dalloz, 1896, 4. 145. — La plupart des auteurs ainsi que la
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166 CHAPITRE PREMIER
De même, si la société avec main commune este en
justice, fût-ce avec la possibilité de constituer pour cela
un mandataire unique, il faudra admettre que les associés
sont en réalité parties au procès, car ce sont leurs droits
qui sont en cause, même lorsqu'ils sont défendus par un
mandataire. De là, comme conséquence, la faculté pour
l'adversaire de les récuser comme juges (art. 378, Proc.)
l'impossibilité pour eux de déposer comme témoins, le
droit de reprocher comme tels leurs parents et alliés. De
là encore Timpossibilité pour eux de former tierce-oppo-
sition au jugement (art. 474, Proc.) et le droit de leur
déférer le serment sur les faits qui sont à leur connais-
sance, même si ce n'est pas par eux que la société est
représentée en justice (art. 1359). Sur tous ces points
encore il faut introduire l'idée de personnalité pour arri-
ver à d'aulres solutions (1).
jurisprudence«admettent aujourd'hui la capacité des sociétés en
cette matière. On doit l'admettre en précisant : que dans les socié-
tés qui forment réellement des personnes morales c'est la société
qui est la gratifiée réelle, tandis que dans les autres les gratifiés
réels sont les associés.
(1) La jurisprudence sur ces divers points ne parait pas suivre de
principes bien arrêtés. Elle admet aujourd'hui, d'une façon for-
melle, à déposer dans les affaires intéressant une commune les
habitants et les conseillers municipaux de cette commune. Gass.,
1« juillet 1890, D., 90, 1. 35o ; 6 mai 1896, D., 96. l, 493 ; Alger,
14 mars 1900, D., 1901, 2. 238. Elle admet aussi le maire et le
curé à déposer dans un procès intéresant la fabrique. Req. 23 jan-
vier 1877, D., 78. 1. 70. Elle ne fait exception, pour ces diverses
personnes, que si elles ont au procès un intérêt distinct, ou si elles
peuvent, à raison des délibérations auxquelles elles ont pris part,
être considérées comme ayant délivré un certificat sur le fait h. éta-
blir, ou exprimé une opinion équivalente à un certificat. Il y a au
contraire des décisions permettant de reprocher comme témoins
les actionnaires d'une société qui est partie en cause. Douai 28 jan-
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Là notion de PERSONNALITE MORALE 169
De même encore, dans une société avec main com-
mune, les dommages causés aux tiers par les fautes des
représentants de la société devront être appréciés d'après
les règles qui régissent les relations entre individus. Les
associés ne seront tenus des fautes de leurs représen-
tants que si on peut considérer ces représentants comme
leurs préposés au sens de Farticle 4384, C. civ.,
c'est-à-dire s'ils les. ont choisis directement ou indirec-
tement et conservent sur eux un certain contrôle. Mais
alors ils en seront responsables in infinitum^ même sur
leurs biens personnels; car si l'on peut admettre la
facullé de limiter, par un contrat dûment publié, les
conséquences des engagements contractuels pris par un
inandataire ou un administrateur, il paraît impossible
d'admettre que Ton puisse s'affranchir des conséquences
de la faule de son préposé, alors que la loi Ta établi d'une
manière impérative en vertu d'une présomption de faute
du commettant. — Au contraire nous croyons que la per-
sonne morale peut être considérée comme commettant
une faute personnelle^ quand la faute provient de son
organe et qu'elle peut alors être poursuivie non en vertu
de Parlicle 1384, mais en vertu de l'article 1382. Mais
cette responsabilité n'atteindra pas les membres du
groupe en tant que tels. Le patrimoine social sera donc
seul affecté au paiement de Tindemnité (1).
Nous croyons encore qu'il est impossible d'appliquer
aux sociétés avec main commune la règle permettant de
constituer un usit fruit diU profit d'une personne (art 619),
vier 1853, D., 55. 5. 179 ; Cour de justice de Genève, 24 mars 1884,
Dali., SuppL Rép., v» Enquête, n» 237.
(1) Là encore nous renvoyons les détails au second volume de
cet ouvrage.
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i70 CHAPITRE PREMIER '
car l'usufruit suppose nécessairement un sujet sur la
tête duquel il repose et avec lequel il s'éteint. Dans une
société sans personnalité, il ne peut y avoir qu'un usu-
fruit des associés, avec toutes ses conséquences.
Enfin on pourra attribuer à une personne morale une
nationalité et un domicile^ qui seront indépendants de
la nationalité et du domicile des associés. Dans la société
avec main commune on pourra trouver un domicile élu
par les associés, pour une fin limitée ; mais il sera impos-
sible de lui assigner un domicile général, au sens de
l'article 102 du Code civil, et encore moins une nationa-
lité. A tous les points de vue, il faudra avoir égard uni-
quement à la nationalité des membres ; si une société
de ce genre se forme enire membres de nationalité
diverse, cela pourra constituer une complication ; mais
les difficultés qui en résulteront devront être tranchées
par une autre voie que la détermination d'une nationa-
lité sociale.
On voit que, même en faisant la part très large,
comme nous l'avons faite au régime de la main com-
mune, il subsiste encore entre ce régime et la personna-
lité morale des différences importantes. Il nous reste en
conséquence à examiner une dernière question que
n'ont pas à trancher ceux qui confondent les deux théo-
ries.
71. 3® Quels sont parmi les groupes ayant des inté-
rêts collectifs, ceux à qui peut suffire le régime de la
main commune ? Quels sont au contraire ceux à qui la
notion de personnalité est indispensable ?
C'est ici le nœud de la question si délicate de limite.
Pour avoir la solution du problème, il faut remonter
à la théorie générale delà personnalité morale, etrecher-
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LA NOTION DE PERSONNALITE MORALE 171
cher si Ton trouve, dans les groupements dont la nature
est douteuse, les deux caractères indiqués plus haut
comme étant ceux de la personne morale : intérêt collec-
tif et permanent, organisation d'une volonté collective.
Mais ce n'est pas ce second caractère purement formel,
qui peut nous fournir le critérium, car il est susceptible
d'appartenir à tout groupement formé en vue de pour-
suivre un but en commun. Une simple société peut
avoir une organisation modelée sur Torganisalion
corporative, avec des droits de décision appartenant
à une majorité ou à un conseil, délégué de celte
majorité. A la vérité, suivant qu'il y aura ou non per-
sonnalité morale, la situation juridique de ce con-
seil devra être envisagée différemment : simple man-
dataire des associés danë la société non personnalisée,
il prendra dans la personne morale le caractère et les
attributions d'un organe. Il n'en est pas moins vrai
qu'extérieurement aucun signe visible ne nous révélera
nécessairement cette différence de situation. C'est donc
ailleurs, dans le premier et principal caractère de la
personne morale (intérêt collectif et permanent), qu'il
faut chercher la base de la distinction.
Dans tout groupement, cet intérêt collectif n'est que
la synthèse de certains intérêts communs aux membres
du groupe. Celui-ci en effet n'a d'autre motif d'exister
que de permettre à ses membres d'arriver à certains buts
qu'ils ne pourraient atteindre isolément. « Il est bien
vrai, comme nous Pavons déjà dit ailleurs en répondant
à une critique de M. de Vareilles-Sommières (1), qu'en
(1) V. notre compte rendu de son livre sur les Personnes mora-
les. Revue du droit public, t. XX, p. 348.
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472 CHAPITRE PREMIER
dernière analyse Tîntérêt du groupe se ramène à Tiiitérêt
des membres ; eux seuls sont les êtres sensibles et
vivants, capables d'éprouver la jouissance et la souf-
france, et qui réprouveront plus ou moins à la suite
de l'enrichissement ou de l'appauvrissement de l'être
moral ». Mais on ne peut conclure de là que le groupe
n'ait pas d'intérêt distinct de l'intérêt individuel de
ses membres, ou on ne peut tirer cette conclusion
qu'en jouant sur les mots. Si le but que poursuit l'Etat,
par exemple, est en dernière analyse le bien de ses mem-
bres, si ces derniers sont les seuls êtres vivants capa-
bles de ressentir les conséquences de la bonne ou mau-
vaise gestion des affaires communes, si, par conséquent,
en ce qui concerne ce but final, il peut y avoir des avis
différents parmi les membres, mais jamais opposition
d'intérêts, il en va tout différemment lorsqu'il s'agit de
l'acquisition et de la défense des droits destinés à attein-
dre ce but. Ici il y a divergence et il peut y avoir oppo-
sition d'intérêt entre l'Etat et ses membres, parce que
ceux-ci, en dehors du but étatique en vue duquel est
formé le groupement, poursuivent individuellement
d'autres fins qui sont étrangères à l'Etat, et qu'ils ne
peuvent les atteindre qu'au moyen détroits distincts de
ceux de l'Etat ; Tintérêt collectif du groupe se réalise
au moyen des droits (de propriété, de créance, de puis-
sance publique) qui lui appartiennent ; l'intérêt indivi-
duel au moyen de droits semblables, qui peuvent être
en opposition avec ceux de l'Etat. C'est pour cela qu'il
est nécessaire, et conforme à une saine technique du
droit, de considérer le groupe comme un sujet de droit
distinct de ses membres.
72. 11 semble à première vue que dans tout groupe-
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LÀ NOTION DE PERSONNALITE MORALE 173
ment poursuivant un but commun, ou doive admettre
celte construction ; car dans tout groupement de ce
genre, il peut y avoir certaine opposition entre l'intérêt
coUectifetTintérêt individuel. Pourtant il n^en est rien.
Considérons un groupement très simple : l'association
de deux personnes en vue d'un gain à réaliser, aucune
de ces deux personnes ne pouvant disparaître sans faire
tomber l'association et celle-ci n'admettant pas l'adjonc-
tion de nouveaux membres. 11 saute aux yeux que daas
ce cas, l'opposition d'intérêt entre l'association et un de
ses membres se ramène à une opposition d'intérêt entre
les deux associés. Pourquoi ? Parce qu'ici tout droit
acquis par l'association profitera directement aux deux
associés, et à eux seulement ; on pourra pour la commo-
dité du langage, opposer la société aux associés ; mais
au fond, il n'y aura jamais opposition d'intérêt qu'entre
l'un des associés et son coassocié. El la situation reste
la même, quel que soit le nombre des associés^ à condi-
tion que nous laissions subsister deux des termes du
problème : gain à réaliser, fixité du personnel de la
société. Dans une société de dix personnes remplissant
ces conditions, celui qui plaide contre la société plaide '
en réalité contre ses neuf coassociés.
Mais il en est autrement dès que nous changeons l'un
de ces deux termes : dans une association même à per-
sonnel fixe, poursuivant un but idéal, on doit admettre,
nous semble-t-il, l'idée de personnalité morale, parce
que dans une association de ce genre les associés ont
en quelque sorte extériorisé celle de leurs fins qu'ils
poursuivent par le moyen de Tassociation. Ils ont eu la
volonté de lui consacrer un patrimoine spécial qu'il ont
entièrement séparé du leur et sur lequel ils ont renoncé
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474 CHAPITRE PRBMIBR
à jamais prétendre un avantage personnel (sauf peut-
être un droit de succession à la dissolution). Il y a donc
opposition réelle d'intérêts entre ce patrimoine et le
leur. Toutefois cela n'est vrai que lorsqu'il s'agit d'uQ
but entièrement désintéressé (par exemple un but reli-
gieux, charitable ou scientifique). Les associations qui,
sans avoir en vue un gain proprement dit, ont pour objet
rintérêt économique, ou l'agrément de leurs membres,
ne doivent pas être considérées comme des personnes
morales si elles sont à personnel invariable ; car leur
patrimoine, bien que concentré en vue du but à atteindre,
n'en continue pas moins à servir l'intérêt personnel des
membres.
73. On doit admettre aussi l'idée de personnalité
morale dans toute association à personnel variable.
quel que soit le but poursuivi. Ici en effet, même si le
groupement a pour objet l'enrichissement des membres,
il n'est point certain pour chacun de ceux-ci qu'il profi-
tera ou qu'il souffrira personnellement de l'enrichisse-
ment ou de Tappauvrissemenl du groupe. Un acte
accompli pendant que je fais partie de la société pourra
produire ses effels à une époque où j'en serai sorti ; je
n'en supporterai donc pas nécessairement les consé-
quences ; elles pèseront sur ceux, quels qu'ils soient,
qui feront partie du groupe à ce moment ; ce qui revient
à dire qu'ils se produisent vis-à-vis du groupe, et non
pas vis-à-vis des associés individuellement. L'idée de
personnalité morale est donc indispensable, alors que
dans le cas de société de gain à personnel fixe la per-
sonne des associés suffisait à tout expliquer (i).
(1) Cette distinction paraît être ù peu près celle de M. Vareilles-
Sommières. Ce que cet auteur appelle « le régime personnifiant »,
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Là notion DB t»BRSONNAUT^ MORALE i7$
Laband (1) considère le critérium précédent comme
insuffisant, parce que, dit-il, si la différence est en géné-
ral exacte, elle n'est pas constante. La société par actions
reste en effet une personne juridique alors même que
les actions sont déclarées inaliénables, et à Tin-
versé la société en nom collectif ne devient pas une
personne juridique par cela seul qu'elle admet Tadjonc-
tion de nouveaux membres. Mais nous ne croyons pas
l'objection irréfutable. Il faut voir en effet daHs chaque
société le type à laquelle elle appartient, et la classer
dans ce type alors même qu'elle s'en écarterait par des
clauses isolées, à moins que ces clauses n'arrivent
à la dénaturer entièrement. La société anonyme en
général est une personne morale parce qu'elle est
normalement indifférente à la personnalité de ses
membres ; si, par une clause, on déclare les actions
inaliénables, on n'en change cependant pas absolument
la nature, parce qu'on lui conserve toute sa structure
est Décessaire, d'après lui, au fonctionDement de certaines associa-
tions seulement : < Toutes les associations très nombreuses ou sus-
ceptibles de le devenir, toutes celles qui pratiquent largement l'ad-
jonction de nouveaux membres, les associations ouvertes où Ton
entre et d'où l'on sort facilement ; l'Ëtat, la province, la commune,
les associations professionnelles, etc., doivent rationnellement, à
à peine de ne pouvoir fonctionner, adopter pour leurs biens un
régime spécial... le régime personnifiant » (op. cit., n^ 333).Mais
il faut remarquer que dans la pensée de l'auteur, ce régime per-
sonnifiant est en réalité celui que nous appelons régime de la main
commune, la personnalité morale proprement dite n'existant pas
pour lui. Au contraire, pour nous, les associations dont il s'agit
sont précisément celles pour lesquelles le régime de la main com-
mune est insuffisant, et la personnalité morale proprement dite,
seule conforme à la réalité des rapports de droit.
(1) Beitràge sûr Dogmatik des Uandelsgesellschafteriy dans
ZexUchrift fur das Bandelsrechty t. XXX, p. 476 et s.
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176 GÛAPItRE PRBIÉIEA
intime. Inaliénabilité d'ailleurs ne signifie pas ici intrans-
missibilité ; Tactionnaire mort sera de plein droit rem-
placé par ses héritiers ; s'il en était autrement on ne
serait plus en présence d'une véritable société anonyme ;
et cela suffit pour qu'on ne puisse considérer la société
comme un lien n'existant qu'entre personnes détermi-
nées. A l'inverse, une société en nom collectif peut bien
exceptionnellement admettre l'adjonction de nouveaux
membres ; mais ce sera là un fait exceptionnel, accompli
pour des motifs spéciaux au membre nouvellement
admis ; il n'en résulte pas qu'elle devienne par là une
collectivité susceptible de changements indéfinis dans le
personnel.
74. Le même auteur, à la place de ce critérium, en
propose un autre qui compte un assez grand nombre de
partisans, mais que nous ne croyons pas toujours
juste (1). 11 part de l'idée très exacte qu'une personne
morale a un patrimoine lui appartenant alors qu'une
société sans personnalité n'en a pas. C'est là, dit-il, le
seul point décisif ; mais il ne suffit pas à fournir un cri-
térium, parce que les associés peuvent par convention,
tout en restant copropriétaires du patrimoine social,
afïecter ce patrimoine au but social de telle sorte qu'il
leur paraisse désormais étranger. Mais ils ne peuvent
faire cela que pour la partie active de ce patrimoine, et
non pour la partie passive. S'il y a société et non per-
sonne juridique, les dettes sociales sont nécessairement
des dettes des associés^ et ils ne peuvent pas échapper
personnellement aux poursuites des créanciers. D'où
cette conséquence que tout groupement dont les membres
(1) Op. cit., p. 496 et s.
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LA KOTION i)B PERSONNALITE MORALE 17?
ne sont pas ienus personnellement des dettes communes
est une personne juindique. A l'inverse, tout groupement
dont les membres sont tenus des dettes communes est une
simple société ; car le Droit ne multiplie pas arbitraire-
ment les sujets ; là où la personnalité individuelle suffit
à tout expliquer, on ne doit pas faire intervenir la per*
sonnalité morale.
Ce critérium n'est, à nos yeux exact qu'en partie : tout
groupement dont les membres ne sont pas tenus person-
nellement des dettes communes est une personne juridi-
que ; cela est vrai si cet affranchissement des associés
s'applique même aux dettes provenant des délits ou
quasi-délits, car ce sont des dettes dont qn ne peut s'af-
franchir par convention antérieure au fait délictueux où
à la faute (1) ; mais cela est moins sûr lorsque les asso-
ciés ne sont affranchis à Tavànce que des dettes contrac-
tuelles ; car par une convention de société dûment
publiée ils ont pu à l'avance limiter l'effet de ces contrats
aux biens sociaux. D'autre part, la seconde partie du
critérium est inacceptable : il peut y avoir obligation des
associés aux dettes même quand la société est une per-
sonne juridique ; sans doute dans ce cas la société sera
elle-même obligée ; mais on conçoit fort bien qu'à côté
d'elle les associés le soient aussi, en vertu d'une obliga*
tion de garantie qu^ils contractent par le fait même de
leur entrée dans l'association. Les sociétés coopératives
à personnel variable admettent souvent que leurs mem-
(1) Il serait aisé de montrer que toutes les sociétés dans lesquel-
les existe cet entier affranchissement sont des personnes morales
en vertu du critérium même que nous indiquions plus haut. La
clause d'affranchissement absolu des dettes sociales n'est compré-
hensible que dans des sociétés à personnel variable. ■\
MICHOUD 12
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i7d CHAPITRE PRBMIEk
bres sont obligés personnellement aux dettes, et cela ne
détruit en rien à nos yeux leur personnalité (1).
En somme, nous admettons la personnalité morale de
toute association à but idéal ; et parmi les associations
à but égoïste (sociétés de gain et associations qui, sans
avoir un but de gain, ne visent que l'intérêt de leurs
membres)^ nous admettons la personnalité de toutes
celles qui ont un personnel variable ; nous considérons
donc comme personnes morales la société anonyme et la
société en commandite par actions ; au contraire nous
croyons que la société en nom collectif et la société en
(4) Dans les Erwerbs und Wirthschaftsgenossenschaften du
droit allemand (association Schuize-Delitsch et RaifFeisen) succes-
sivement réglées par la loi du 4 juillet 1868 et i"r mai 1889, le
législateur admet aujourd'hui la possibilité de trois systèmes diffé-
rents concernant l'obligation aux dettes des associés : responsa-
bilité directe illimitée ; responsabilité indirecte illimitée (obligation,
vis-à-vis de la société, de versements supplémentaires pour le
paiement des dettes) ; responsabilité limitée. La grande majorité
des auteurs allemands admet Iji personnalité de ces associations
(V. Stobbe Deutsches Privatrechti t. I, § 60.— Gierke^ Deutsches
Privatrecht, § 76, note 10). Il doit en être de même des associa-
tions de- crédit mutuel qui, à leur imitation, se sont fondées chez
nous : caisses Raiffeisen, créées sur l'initiative de M. Louis Durand
(V. thèse de doctorat, Georges, Essai sur la condition juridique
des caisses Raiffeisen, Grenoble 1898, p. 87 et s.) ; autres sociétés
de crédit agricole créées en vertu de la loi du 5 novembre 1894.
D'après cette dernière loi, art. 2, § 3, les statuts règlent l'étendue
et les conditions de la responsabilité qui incombera à chacun des
sociétaires dans les engagements pris par la société. La personna-
lité morale doit, suivant nous, être reconnue aux sociétés formées
en exécution de cette loi, quelle que soit la solution adoptée par les
statuts concernant la question de responsabilité des sociétaires (La
personnalité est admise notamment par MM. Lyon-Gaen et
Renault, Traité, t. II, n^ 1049 S®). Ce qui est vrai en Allemagne
et en France est vrai aussi des sociétés de ce genre créées dans beau-
coup d'autres pays, notamment des caisses WoUemborg en Italie.
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^K^iT'
tA N0Tt0i« Dk PERSONNALITE MORALE 170
commandite simple sont de simples sociétés sans per-
sonnalité juridique, mais placées sous un régime que l'on
peut appeler régime de la main commune avec adminis-
tration unifiée.
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CHAPITRE II
LA CLASSIFICATION DES PERSONNES MORALES
Sommaire : 75. Indication des deux principales classifications (Corpora-
tions et fondations. Personnes morales de droit public et personnes
morales de droit privé).
I. — 76. Notion générale de la fondation. — I. 77. Distinction de
la corporation et de la fondation en droit privé ; son importance plus
ou moins grande suivant la conception théorique qu'on se fait de
l'une et de l'autre ; notion de la fondation personnalisée. — 78. Inté*
rôt de la distinction au point de vue législatif. — 79. Son intérêt au
point de vue du droit positif. — 80. Critérium de la distinction. -^
IL 81. En droit public la distinction s'efface presque, et ne peut ser-
vir de base à une classification. ,
II. — 82. Origine et importance de la distinction entre personnes
morales de droit public et personnes morales de droit privé. — 83. La
limite entre les deux groupes se trouve entre les établissements
publics et les établissements d'utilité publique. — 84. Intérêts prati-
ques nombreux de la distinction en droit positif français. — 85. Inté-
rêts de la distinction au point de vue législatif. — 86. Divers cri-
tériums proposés pour distinguer entre les deux groupes. Il faut
chercher le critérium dans la situation d'ensemble de la personne
morale, et non dans un ou deux caractères précis. — 87. Discussion
du critérium proposé par M. Hauriou. — 88. Application du critérium.
Congrégations religieuses. — 89. Associations syndicales. — 90.. Cais-
ses de secours des ouvriers mineurs. — 91. Comités d'habitation à
bon marché. — 92. Monts-de-piété. — 93. Caisses des écoles. —
94. Caisses d'épargne. — 95. Ordres d'avocats et corporations d'of-
ficiers ministériels. On doit les considérer comme personnes morales
de droit public, mais sans les soumettre à toutes les règles des éta-
blissements publics stricto sensu.
III. — 96. Subdivisions des personnes morales de droit public. Dis-
tinction de l'Etat et des autres communautés territoriales. — 97. Il
ne faut pas chercher le critérium dans l'idée de souveraineté. Indi-
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LA CLASSIFICATION DBS PERSONNES MORALES^ 181
cation du critérium véritable, — 98. Distinction des communautés
territoriales et des établissements publics.
IV. — 99. Subdivisions des personnes morales de droit privé. —
I. Distinction des associations à bût intéressé et des associations à
but désintéressé. Son importance au point de vue législatif. —
100. Distinction dans notre droit positif, des sociétés et des associa-
tions. Gomment elle est comprise par la plupart des auteurs : il faut
pour qu'il y ait société, des bénéfices pécuftiaire^ à réaliser. —
. 101. Critique du système. Il faut ranger parmi les sociétés tous les
groupements ayant pour objet l'intérêt patrimonial de leurs mem-
bres. — 102. Situation intermédiaire des associations h but égoïste
sans intérêt patrimonial. — II. 103. Les associations à but reli-
gieux. — 104. Distinction des associations et des congrégations.
Silence du législateur. — 105. Divers systèmes soutenus. —
106. Les trois caractères essentiels de la congrégation sont : les
vœux, la règle canonique, la vie en commun.
75. Une bonne classification des personnes morales
est essentielle, non seulement pour fixer Tordre à suivre
dans leur étude, mais aussi et surtout pour fournir la
base des différences à établir entre elles. Elle ne peut se
faire qu'en remontant à la nature de chacune des per-
sonnes morales qu'il s'agit de classer, pour rechercher si
la conception même que nous nous en faisons doit
entraîner entre elles des différences fondamentales. C'est
donc une tâche des plus délicates, bien facilitée cepen-
dant aujourd'hui par \es nombreux travaux déjà publiés
sur la matière (1).
Des deux distinctions principales admises par les
(i) Tous les ouvrages spéciaux sur les personnes morales con- '
tiennent au moins des aperçus, et parfois de longs développements,
sur la classification. Nous indiquerons les références les plus im-
portantes à propos de chacune des deux distinctions successivement
étudiées au texte. Gomme étude particulière sur la classification,
on doit signaler surtout : Ruffini. La classiûcazionne délie persone
giuridiche (dans les Studii giuridici dedicati a Francesco
Schupfer, ToviuoyiSQS, p. 315 à 393).
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i82 CHAPITRE II
auteurs, Tune se rapporte à la construction, à la struc^
ture intime de la personne morale : c'est la distinction
en corporations et fondations. L'autre se rapporte au
mode d'activité qu'elle est appelée à déployer : c'est la
distinction en personnes morales publiques et personnes
morales privées. Dans une bonne classification, ces deux
distinctions doivent trouver place. Étudions-les succès^
sivement.
76. Le mot fondation^ dans son sens général, désigne
raffeclation perpétuelle d'un fonds à un bt^t déter-
miné (1). Entendue en ce sens, la fondation n'entraîne
pas nécessairement la création d'une personne morale
distincte. Elle peut s'accomplir sous la forme d*un don
ou legjs adressé à personne préexistante, à charge par
elle d'employer .à perpétuité au but voulu les valeurs
données ou léguées. Quand l'intermédiaire- choisi est
unç personne physique, ce procédé soulève des difficul-
tés graves (2) ; mais quand c'est une personne morale^
telle que TÉtat, la commune, une corporation reconnue,
ces difficultés sont en grande partie supprimées, et le
procédé devient recommandable. M. de Lapradelle estime
même qu^il suffit à tous les besoins de la pratique^ que la
création de fondations douées de personnalité distincte
es.t en somme peu désirable, et qu^en outre elle se con-
cilie mal avec la notion générale de personnalité
nïorale (3). Pourtant la fondation personne morale, est
(i) De Lapradelle, Théorie et pratique des fondations, p. 1 .
(2) Id., op, cit., p. 112 etsuiv.
(3) Id., op. cit., p. 251 et suiv., p. 308 et suiv., p. 410-411.
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*:^B^Figr'
LA CLASSIFICATION DES PERSONNES MORALES 183
née en quelqae sorte spontanément un peu partout,
sans être aucunement encouragée par la théorie ; le fait
qu'elle a pu se développer, en France même, malgré les
mille obstacles que dressaient devant elle la législation
et la doctrine des juristes, montre qu'elle répond en pra-
tique à un besoin réel. Le secret en est-il uniquement
dans cet instinct, inné à Tâme humaine, qui porte
l'homme à se survivre ? Le procédé de la personnifica-
tion ne trouve-t-il faveur que parce qu'il donne à cet
instinct satisfaction plus cjntiëre que le procédé du legs
sub modo? Môme s'il en était ainsi, il serait bon que le
législateur tînt compte de ce sentiment, qui peut contri-
buer puissamment au bien public. Mais en réalité il y a
autre chose encore : la fondation personne morale appa-
raît comme plus solide, plus sûrement affectée au but
voulu par le fondateur, que la fondation par legs sub
modo. Elle aura en effet toujours ses représentants
légaux exclusifs, au lieu que le bien donné ou légué sub
modo se trouve lié au patrimoine de la personne morale
légataire, qu'il n'a pas d'autre représentant que ceux de
cette personne, et qu'il est exposé par là à être un jour
détourné plus ou moins ouvertement de sa destination
pour être employé à d'autres buts poursuivis par elle.
Si ce danger est minime dans les premières années de la
fondation, à raison de l'action en révocation qui appar-
tient au fondateur ou à ses héritiers en cas d'inexécution
des conditions, il peut devenir sérieux quand la fonda-
tion est ancienne et qu'aucun héritier ne se soucie plus
d'en faire respecter l'esprit.
Aussi la plupart des législations admettent-elles en
fait la possibilité de constituer des fondations douées de
personnalité morale. Ainsi comprise, la notion de fon-
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184 CHAPITRE II
dation reste d'ailleurs une pure notion de droit privé.
77. 1. — ' C'est en constatant l'existence des fondations
de cette sorte que Savigny a été conduit à distinguer
parmi les personnes morales deux catégories : les corpo'
rations^ dans lesquelles la personne juridique est consti-
tuée par la réunion d'un certain nombre d'individus; et
les fondations^ dans lesquelles « la personne juridique
n'a pas cette apparence visible, son existence est plus
idéale et repose sur une fin générale qui lui est assi-
gnée » (1). Cette distinction avait été introduite avant
lui dans la science par Heise (2), mais c'est l'autorité de
Savigny qui lui a donné droit de cité définitif. Ainsi
entendue, elle ne se rapporte qu'au droit privé, la notion
de personnalité morale étant, dans le système de Savi-
gny, une notion de pur droit privé, et elle comprend
toutes les personnes morales de droit privé. Les deux
catégories ainsi admises ont d*ailleurs un fondement
juridique unique, la fiction ; mais le sens de la fiction
n'est pas le même dans les deux cas. Dans la corpora-
tion, la fiction consiste à faire reposer le droit non sur
les membres individuellement ni même sur tous les
membres réunis, mais sur un ensemble idéal. Dans la
fondation, elle le fait reposer sur « une abstraction per-
sonnifiée, une œuvre d'humanité qui doit s'accomplir
dans un certain lieu, d'après un certain mode et par des
moyens déterminés » (3). Savigny remarque d'ailleurs
(1) Savigny, Traité de droit romain, trad. Guénoux, t. Il,
p. 240.
(2) Heise, Grundriss eines Systems des gem, Civilrechts, 1807,
§ 98 et 106. V. sur cet historique de la notion, Rufûni, op. cit,,
p. 330 et suiv., et Gierke, Deutsches Privatrecht, § 78, II.
(3) Savigny, op, et loc, cit, y p. 242, note 1.
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LA GLASSlFIGATiaN DBS PERSONNES MORALES 185
qu'entre les deux classes il n'y a pas de ligne de démar-
cation très nette et que souvent la même institution (par
exemple les universités) a, suivant les temps, appartenu
à Tune ou à l'autre.
Cette distinction, devenue classique en Allemagne, n'a
été exposée par les auteurs français qu'à une époque
toute récente, et plusieurs d'entre eux contestent soit sa
base même, soit au moins son utilité (1).
Elle a en effet une importance plus ou moins grande
suivant la base que Von assigne à la personnalité morale
soit des corporations, soit des fondations. Sans entrer
ici dans le détail des théories (2) et de l'influence qu^elles
ont exercée sur la distinction, nous devons marquer en .
quoi consiste pour nous la différence. A nos yeux, la
fondation, comme la corporation, a pour substratum réel
un groupement humain : pour elle, ce groupement est
celui des destinataires, c'est-à-dire de ceux aux besoins
desquels la fondation est destinée à pourvoir (3). C'est
en eux que réside le premier et le principal caractère du •
(i) Elle est exposée dans Vauthier, Etudes sur les pei^sonnes
morales, p. 277 et suiv., 381 et suiv ; Baudry-Lacantinerie et Hue-
Fourcade, />(?« personnes, I,nos 295 et 306. Ces auteurs lui attribuent
des conséquences juridiques. V.* aussi Gapitant, Introduction à
V étude du droit civile %* éd., p. 151.
(2) V. pour ce détail Ruffîni, op, cit., p. 335 et suiv. V. aussi
ci-dessus, les explications données dans le ch. I, et ci-dessous le
ch.lV, §4.
(3) Il ne faut pas exprimer cette théorie en disant que les desti-
nataires sont les propriétaires du patrimoine de la fondation, pas
plus d'ailleurs que Ton ne doit considérer les associés comme les
propriétaires du patrimoine de l'association. C'est seulement l'en
semble des destinataires, envisagé comme unité juridique indépen-
dante de la personne individuelle de chacun d'eux, que Ton doit
considérer comme tel. C'est par là que notre conception de la fon-
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186 CHAPITRE II
droit subjectif, qui est Tinlérèt protégé par le droit.
Quand au second élément, c^est-à-dire la volonté néces-
saire à Texercice du droit, il ne réside plus ici dans le
groupe des intéressés, mais dans rorganisine créé à
Teffet d^administrér la fondation ; et cette voloaté n^est
pas absolument libre, elle est dirigée dans un sens déter-
miné par la volonté du fondateur. La diflférence entre la
corporation et la fondation est donc la suivante : dans la
corporation, l'élément intérêt et l'élément volonté se
trouvent réunis ; c'est le groupe même des intéressés qui
forme l'organisation destinée à dégager la volonté col-
lective du groupe ; dans la fondation, au contraire, les
deux éléments sont séparés ; ils sont reliés l'un à l'autre
par une volonté extérieure au groupe lui-même, celle du
fondateur. On peut donc dire, avec Gierke, que la
volonté est ici transcendante et non immanente ; elle est
donnée du dehors et non du dedans (1).
dation se distingue de celle de M. de Vareilles-Sommières, Les per-
sonnes morales^ n<^ 144 et s.
À. cette conception on a objecté que certaines fondations ont un
objet si large qu'elles s'adressent en réalité à tout le monde; p. ex.
un musée peut être visité partons (v. Stobbe, Handb, desdeutsch.
PrivatrechteSy 3® éd., 1. 1,§ 6t, n^ 10 »). Il est certain que le groupe
est souvent très indéterminé ; il comprend tous ceux qui en fait
ont le désir et la possibilité de tirer parti de la fondation. Cela ne
nous paraît pas démontrer que ce groupe soit insusceptible d'être
considéré comme propriétaire.
(1) V. Gierke, Rechtslexikon d'Holtzendorff, vo Juristische Per-
spn; Genossenschaftstheorie. p. 12 et 13 ; Genossenschaftsrecht,
t. II, p. 962 et s. Cf. Regelsberger, Pandekten, § 75, p. 293. Ces au-
teurs, conformément à leur théorie générale, voient la personnalité
de la fondation uniquement dans la volonté organisée, ce qui relè-
gue tout à fait à Tarrière-plan le groupe des intéressés. C'est à
notre sens une vue incomplète ; mais l'analyse qu'ils donnent de la
volonté dans la fondation est très exacte. Il faut remarquer d'ail-
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LA CLASSIFICATION DES PERSONNES MORALES 167
Dans cette eonception, le groupe des intéressés, sub-
stratum de la fondation, en formé sans doute l'élément
principal, mais non l'élément unique (1). L'organisme,
tel qu'il a été voulu par le fondateur, constitue lui aussi
un élément essentiel ; car il est destiné à représenter le
groupe des intéressés non d'une manière quelconque,
mais conformément aux vues du fondateur. On ne doit
pas dire, par exemple, que les pauvres forment une seule
et unique personne morale, et que leur représentation
par tel organisme plutôt que par tel autre est chose
indifférente (2) ; car en réalité le fondateur, dans une
fondation charitable, n'a pas voulu seulement gratifier
les pauvres; il a voulu les gratifier dans un certain
esprit, manifesté précisément par l'organisation qu'il a
créée ; et sa volonté est aussi respectable sur ce point
que sur la désignation du groupe destinataire. Nous
aurons à tirer les conséquences de cette notion en étu-
diant la suppression des personnes morales.
Cette théorie s'écarte radicalement de toutes celles qui
refusent de voir dans la fondation un groupement humain
ou qui n'attachent à ce groupement aucune importance :
théorie de la fiction, soit que cette fiction ait pour objet
leurs que le fondateur peut confier le gouvernement de la fondation
aux intéressés eux-mêmes ; dans ce cas, le groupement par son
organisation se rapprochera d'une corporation. Mais au fond il n'en
restera pas moins une fondation ; car c'est une volonté étrangère,
et non celle des intéressés, qui aura réglé cette organisation et lui
aura assigné son but.
(1) Comme parait le croire par exemple Ihering, dans le passage
cité plus haut, no27.
(2) La personnalité morale des pauvres admise dans notre droit
signifie seulement qu'il existe'toujours une personne morale toute
prête à recevoir les libéralités adressées aux pauvres sans autre
désignation, ou à telle ou telle catégorie de pauvres.
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*>. -.-F
188 CHAPITRE II
de personnaliser le but (i), soit qu'elle préfère person-
naliser le patrimoine lui-même (2)'; théorie du patri-
moine sans sujet ou Zweckvermoegen (3); théorie qui
personnifie la volonté cristallisée du fondateur (4) ; théo-
ries anciennes qui altribiiaient la propriété à un être
surnaturel (Dieu ou un saint) (5).
Elle s'éloigne également des théories qui, tout en
admettant l'idée d'un groupement, le comprennent
autrement que nous : théories qui ne voient d'autre
groupement que celui des volontés réunies pour admi-
nistrer la fondation (6) ; théories qui cherchent le groupe
personnalisé dans les groupements généraux de l'État
ou de la commune (7) ; théories qui le cherchent non
(1) Savigny, op, et loc. cit. Puchta, Pandekten, § 27.
(2) Unger, Munch. Krit, OberschaUy VI, p. 159 (cité par Regels-
berger, p. Ç93, no 10),
(3) Brinz, Pandekteriy t. ï, § 60 et suiv., t. lïl, § 432 et suiv.
(4) Zitelmann, Begriff und Wesen der jur. Personen, Leipzig,
1873, p. 72 et suiv.
(5) V. Stobbe, § 52, n» 10 S Meurêr, Begriff' und Eigenth, der
heiliger Sacherty I, p. 89.
(6) Regelsberger, Pand., p. 293, partant de la théorie qui voit
dans la volonté le fondenient du droit subjectif, est amené à trou-
ver le sujet de la fondation dans Y organisme qui est appelé à vou-
loir pour elle. Id. Gierke, Genossenscha fis théorie, p. 12.
(7) Théories fort répandues. V. notamment Giorgi, t. I, nos 35 et
suiv. Epinay, thèse, p. 154 et suiv. M. Berthélemy, Droit adminis-
tratifs p. 519, admet aussi cette thèse, mais ne l'applique qu'aux
établissements publics, c'est-à-dire aux fondations de droit public.
y. aussi les auteurs belges cités par de Lapradelle. op, cit., p.442.
Cette théorie est une de celles qui ont été invoquées pour justifier
les confiscations révolutionnaires (v. infrà le chapitre IV). On la.
retrouve à toutes les époques. Nous la trouvons notamment appli-
quée aux fabriques par Portails : « Les fabriques sont des établis-
serpents publics à qui Ton n'a donné que pour un objet d'utilité
publique : elles ne sont point à proprement parler, propriétaires
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LA GLASSIFICÀTIQN DBS PERSONNES MORALES 189
dans rënsemble des destinataires, mais dans Tensemble
dés personnes qui fournissent des ressources à la fon-
dation (1).
78. Notre conception, tout en ramenant les deux caté*
gories à un groupement humain, montre cependant qu'il
y a entre les deux une différence essentielle. Dans la
corporation, lés deux éléments du droit subjectif sont
entre les mains du même, groupe, celui des membres ;
dans la fondation, ils sont séparés, et le lien qui les unit
est l'œuvre d'une volonté unique, celle du fondateur.
Cette volonté a été manifestée au début, lors de la créa-
tion de la personne morale, une fois pour toutes, et tant
(jue la fondation subsiste, elle produit des effets juridi-
ques, elle lie les administrateurs successifs de la fonda-
tion ; elle détermine, pour un temps beaucoup plus long
que la vie du fondateur, et pratiquement pour un temps
indéfini, la destination que ses biens doivent recevoir.
Elle engage donc les générations futures. De là résulte,
suivant nous, que le législateur ne doit pas traiter les
des biens qui leur ont été restitués ; elles n'en ont donc que l'ad-
ministration, l'emploi, S0U9 lu surveillance du magistrat ; elles
gèrent pour l'Etat et à sa charge, puisque les revenus qu'elles
administrent servent à acquitter une dette de l'Etat, car on ne
niera pas que la religion et les temples «ans lesquels elle ne pour-
rait être exercée, sont des institutions intimement liées à la con-
servation des bonnes mœurs et au maintien de Tordre public. »
[Rapport du 10 février 1807, dans les discours, rapports sur le
Concordat de 1801 publiés en 1845, p. 429). La fin de ce passage
montre que cette conception se rattache à l'idée que le monopole
du bien public appartient à l'Etat, idée avec laquelle il est tout
naturel d'admettre en effet que l'Etat est l'universel propriétaire
des biens de fondation. Sur cette idée, v. ci-dessous le ch. IV.
(1) Otto M&yer, Deutsches Werwaltungsî^echt, t. Il, p. 377 et
suiv. Cf. les développements que nous donnerons plus loin sur la
création des établissements publics.
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19Ô ' CttAPltRB il
fondations de la même manière que les associations.
Poqr les unes comme pour les autres, il devra, le plus
souvent, reconnaître la personnalité lorsqu'il les consi-
dérera comme licites. Mais il pourra fort bien ne pas
admettre aussi facilement le caractère licite de la fonda-
tion que celui de l'association. Celle-ci est une force qui
ne subsiste qu'à la condition de rester vivante; elle dis-
paraîtra d'elle-même, ou elle, se transformera, dès que,
sous sa forme première, elle ne correspondra plus à un
besoin réel ; rien dans son organisation ne l'empêchera
d'ailleurs d'évoluer avec la société q«i Tentoure. Au con-
traire, la fondation, créée par une volonté unique, sub-
siste quand celte volonté est morte^ et prétend lui assurer
l'éternité. Il est clair cependant que si l'état social change
autour d'elle, si les idées se modifient, si les besoins
auxquels elle doit faire face disparaissent, elle peut
devenir inutile ou même nuisible. C'est contre les fonda-
tions seulement, et non contre les associations person-
nalisées, que portent la plupart des objections souvent
répétées contre la mainmorte et la multiplication des
œuvres privées à but idéal, not^amment celles que Turgot
a invoquées dans son célèbre article de l'encyclopédie
sur les Fondations (1). L'État ne doit point les proscrire
•
(1) Voici un rapide résumé des arguments de Turgot contre les
fondations : i<^ Elles sont souvent inutiles, dictées par la seule
vanité des fondateurs. Parfois même elles vont contre le but que
ceux-ci se proposent ; ainsi les fondations en faveur des pauvres
ont pour résultat d'en multiplier le nombre : « Je ne craijidrai
point de dire que si on comparait les avantages et les inconvénients
de* toutes les fondations qui existent aujourd'hui en Europe, il n'y
en aurait peut-être pas une qui soutînt l'examen d'une politique
éclairée. » 2^ Alors même qu elles sont utiles au moment de leur
création cette utilité s'affaiblit souvent dans l'exécution; — d'abord
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Là classification dès personnes Morales 191
parce qu'elles permettent de faire face, par Tinitiative
individuelle, à des besoins sociaux auxquels il est
impuissant à pourvoir lui-même ; mais on comprend
qu'il les soumette à son autorisation, parce que la survi-
vance de volonté qu'elles impliquent a quelque choèe
d'anormal, et parce qu'elles peuvent devenir dange-
reuses*. Une fois créées, il doit les conserver sous sa
surveillance, plus étroitement que les corporations, et se
réserver le droit de les faire disparaître ou de les trans-
former lorsqu'elles ne répondent plus à aucun besoin
ou sont hostiles au milieu social qui s'est constitué
autour d'elles (1).
parce que la paresse et la négligence s'y glissent toujours à la lon-
gue : « les fondateurs s'abusent bien grossièrement s'ils s'imagi-
nent que leur zèle se communique de siècle en siècle aux personnes
chargées d'en perpétuer les effets », — ensuite parce que. les fon-
dations sont atteintes par la baisse de la valeur de l'argent : «Il n'y
aurait pas grand inconvénient si ces fondations étaient entièrement
anéanties ; mais le corps de -la fondation n'en subsiste pas moins :
p. ex. si les revenus d'un hôpital souffrent cette diminution, on
supprimera les lits des malades et Ton se contentera de pour-
voir à l'entretien des chapelains. » 3** Parfois l'utilité disparait
entièrement sans qu'on se détermine à supprimer la fondation ;
ex. : maladreries encore subsistantes au xviii' s. ; 4^ Luxe et faste
inutile des grandes fondations ; S" Pour certains besoins elles sont
inutiles, chaque homme devant y pourvoir par soi-même (nourri-
ture, éducation) ; pour d'autres elles sont avantageusement rem-
placées par des associations de particuliers, qui se forment en vue
d'un besoin déterminé, et disparaissent quand ce besoin ne se fait
plus sentir.
Turgot conclut qu'il faut approuver les restrictions mises à la
liberté des fondations parl'Ëdit de 1749.11 ajoute qu'il n'y a aucun
doute « sur le droit incontestable qu'ont le Gouvernement dans
Tordre civil, le Gouvernement et l'Eglise dans Tordre de la reli-
gion, de disposer des fondations anciennes, d'en diriger les fonds à
de nouveaux objets, ou mieux encore de les supprimer tout à
fait ».
(1) Cf. pour ces idées l'exposé de M. de Lapradelle, op. a<.,
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i92 C^klÀPlTkE tt
'79. La distinction présente donc, au point de vue
législatif, des intérêts pratiques indéniables. Elle en pré-
sente aussi dans les diverses législations positives. En
France, avant la loi du l®"* juillet 1901, les deux catégo-
ries étaient cependant en principe assimilées au point de
vue de leur création, de leur capacité juridique et de
leur suppression ; car les ujies comme les autres n^arri-
vaient à la personnalité morale que par une reconnais-
sance d'utilité publique ; une fois constituées, elles
étaient toutes soumises aux mêmes règles générales de
capacité (art. 910 et 937, C. civ., et théorie de la spécia-
lité) ; enfin les unes et les autres pouvaient être suppri-
mées par un décret leur retirant la reconnaissance.
p. 367etsuiv. L'auteur passe en r^vue les diverses législations
pour démontrer que le principe de la liberté des fondations n'est
point dans les tendances actuelles ; il conclut que le droit de sup-
primer les fondations ne suffit point à TEtat et qu'il importe de
loi réserver le droit d'autoriser.
Gierke, qui est cependant un ardent partisan de la liberté cor-
porative, a lui aussi combattu le principe de la liberté des fonda-
tionsj qui se trouvait dans le premier projet de Gode civil allemand
(v. son article dans le Jahrbuch de Schmoller, 1888, p. 171 et s.).
Dans ses divers ouvrages, il expose des idées analogues à celles
que nous défendons au texte. V. notamment : Genossenschafts-
recht, t. n, p.. 967-968 : « La volonté originaire du fondateur se
fixe ainsi pour tous les temps dans le corps de la fondation ; elle
lie pour un avenir fndéterminë un nombre indéfini de volontés
étrangères,dont elle fait de simples organes d'exécution... Visible-
ment il y a dans une institution qui donne à une simple volonté
privée uue valeur immortelle, une extension artificielle et en un
certain sens anormale du pouvoir individuel de vouloir, extension
qui l'entraîne au delà de ses limites naturelles. » — Cpr.- aussi
Kohler. Recht des Stiftungen (dans Archiv, fûrburgerL Recht,
1889, t. 111, p. 228 et s., notamment p. 234). 11 donne pour réser-
ver à l'Etat le droit d'autoriser les fondations, des arguments
analogues à ceux de l'Encyclopédie.
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LÀ CLASSIFICATION DÈS t>BRSONNES MORALES 193
Même sous ce régime cependant, la plupart des auteurs
indiquaient entre les deux catégories une différence
essentielle, concernant le sort' des biens en cas de sup-
pression ; les biens de la corporation, suivant eux,
devaient en principe se partager entre ses membres ; les
biens de la fondation devenaient des biens vacants et
sans maître, qui étaient dévolus à l'Etat. Cette différence
était d'ailleurs contestée.
Depuis la loi du 1®^ juillet 1901, il y a, entre les deux
catégories, une différence de principe. L'association
déclarée, reconnue par cette loi, est une véritable corpo-
ration qui n'a, il est vrai, qu'une capacité limitée, mais
qui, dans la limite où cette capacité est admise par la loi,
acquiert la personnalité sans autorisation^ et ne peut la
perdre que dans certains cas spécifiés à Tavance. Dès
avant cette loi le même principe avait été admis poxxv
certaines catégories d^âssociations (syndicats profession-
nels, sociétés de secours mutuels, associations syndi-
cales). Au contraire les fondations restent toujours sou-
mises, lorsqu'on veut les constituer à l'étal de personnes
morales, au régime de l'autorisation préalable. Notre
législation établit donc aujourd'hui, entre les deux clas-
ses, la différence que nous indiquions plus haut comme
recommandable. Il en est de même du Gode civil alle-
mand, qui subordonne à l'autorisation de l'État la nais-
sance des fondations (§ 80) et non celle des corporations
à but idéal (§ 21) (1). Le projet de Code civil suisse
(i) Le système admis pour les' fondations n'a pas passé sans dis-
cussion. Le premier projet n'introduisait pas le système de l'auto-
risation dans la législation d'Empire, et la réservait seulement
lorsqu'elle était exigée par les lois d'Ëtat. Le système du paragra-
phe 80 fut introduit seulement par la seconde commission. Dans
MICHOUD 13
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194 CHAPITilE It
(art. 90 et s.) admet au contraire pour les fondations le
principe de la réglementation légale (inscription de l'acte
de fondation au registre du commerce) et les soumet
seulement à une certaine surveillance (1).
Quant à la différence concernant le sort du patrimoine
en cas de dissolution, elle n'a jamais eu, suivant nous,
la précision que lui accordent certains auteurs, et elle Ta
moins encore depuis la loi de 1901. Le caractère de fon-
dation ou d'association influera bien dans une certaine
mesure sur le sort des biens ; mais il est loin de former
dans tous les cas le critérium décisif. La question étant
trop complexe pour être traitée ici, nous ne pouvons que
renvoyer à la partie de notre travail qui concerne la dis-
solution des personnes morales.
80. Quoi qu'il en soil, la distinction présente aujour-
d'hui des intérêts pratiques dans la plupart des législa-
tions. En fait, les deux catégories sont en général^ quand
on ne sort pas du droit privé, faciles à distinguer Tune
la commission du Reichstag, on proposa d'admettre la capacité
juridique de toute fondation réalisée par acte fondalif régulier et
inscrite sur le registre des corporations. C'était appliquer aux fon-
dations comme aux corporations le système des Normativbestim'
mungen. La proposition fut repoassée. En deuxième lecture on
repoussa également une proposition admettant le système de Tau-
torisation, mais déclarant que l'autorisation ne pourrait être refu-
sée quand la fondation aurait un but d'intérêt général ou de bien-
faisance, si d'ailleurs sa constitution était conforme aux dispositions
légales, et si le fonds affecté était suffisant (V. sur ces points Meu-
rer, Die jurist, Personennach deutschem Reichsreckt, Stuttgart,
4901, p. 265 et suiv. — Suleilles, Les personnes juind. dans le
Code civil allemand^ p. 96).
(1) La législation hollandaise, en sens inverse de la nôtre, sou-
met à autorisation la personnification des associations et non
celle des fondations, v. Biebuyck. Le régime légal de la personni-
fication civile en Hollande (i^Çi^), p. 24 et s. — V. d'ailleurs sur
Ja législation comparée en cette matière le ch. IV, infrà.
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'•^:
Là GLASSIFICàTIOK DfiS PERSONNES MOtlALfiS 495
de Pautre. Pourtant il n'y a pas entre elles d'opposition
absolue. Entre la corporation pure, se gouvernant uni-
quement par la volonté de ses membres^ et la fondation
pure, entièrement dirigée, quant à son but, par la
volonté du fondateur, il y a une foule de degrés inter-
médiaires possibles. La corporation se rapproche de la
fondation dès qu'elle n'est pas purement volontaire ;
elle s'en rapproche aussi lorsqu'elle vise un but entière-
ment désintéressé. Dans le premier cas, en eiïet, la cor-
poration est au moins partiellement gouvernée par une
volonté supérieure; dans le second, les membres de la
corporation entendent presque toujours obliger leurs
successeurs à ne pas s'écarter du but qu'ils se sout assi-
gné, et par là ils font de l'association quelque chose qui
se rapproche plus ou moins d'une fondation collective.
A l'inverse une fondation, même provenant d'un simple
particulier, peut avoir quelques traits présentant le
caractère corporatif; elle peut, par exemple, être consti-
tuée de telle sorte que les intéressés en aient eux-mêmes
pluiS ou moinsrcomplètement l'administration. Il pourra
donc y avoir hésitation sur la classification à adopter à
regard de certains groupements. En droit privé, ce sera,
nous le répétons, assez rare (i). Quand cela se présen-
(i) On a discuté la question de sav o'ir si la. société par actions
était une corporation ou une fondation. On a signalé, comme devant
la faire rentrer dans cette dernière catégorie, son caractère d'as-
sociation réelle^ qui ne peut exister sans un patrimoine et dans
laquelle la qualité de membre est nécessairement liée à la posses-
sion d'une ou plusieurs actions. Le critérium que nous avons indi-
qué comme distinguant les deux catégories ne permet pas, si on la
considère comme une personne morale, de la ranger ailleurs que
parmi les corporations. V. une discussion détaillée de la question
dansLehmann, Dus Recht der Aktiengeseltêchaften^ t. L § 18.
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•^.T
i96 CHAPITRE l!
lera, il faudra chercher à délerminer le caractère prin-
cipal du groupe, et le traiter d'après ce caractère (1).
Suivant nous on devra traiter comme corporation tout
groupe dont le but est déterminé par la volonté des
membres mêmes du groupe et comme fondation tout
(1) V. sur tous ces points Gierke, Genossenschaftsrecht, t. Il,
p. 970 et suiv. — Gierke fait remarquer, p. 974, que le caractère
un peu incertain de ce critérium est un inconvénient insëparabJe
de toute construction juridique. Il y a nécessairement des groupe-
ments qui sont proches de la ligne séparative. Mais quand une fois
on aura reconnu leur caractère principal, il faudra les traiter
d'après ce caractère ; il y aura des fondations à organisation corpo-
rative (Anstalten mit Korporativen Verfassung), qu'on traitera
comme des fondations ; et des corporations à couronnement fon-
datif (Koerperschaften mit anstaltlicher Spitze), qu'on traitera
comme des corporations. — Cette observation nous paraît devoir
en effet s'imposer à l'interprète. Mais il est évident que le législa-
teur, dans les règles qu'il édicté, doit se modeler d'aussi près que
possible sur la vie, et par conséquent tenir compte des éléments
fondatifs qui se trouvent dans la corporation ou réciproquement.
Nous verrons notamment des applications de cette idée dans la
théorie de la dévolution des biens de la personne morale.
Stintzing, étudiant la question au point de vue du Gode civil alle^
mand, l'a serrée de plus près {Archiv. fur die civilist. Praxis^
t. LXXXVIll (1898), p. 401). Le critérium de la distinction ne peut
se trouver dans le but, car corporations et fondations poursuivent
des buts tout à fait semblables. Le caractère essentiel de la corpo-
ration est de comporter des membres ayant droit, par des assem-
blées générales, de participer à la direction. La fondation s'en rap-
proche lorsque sa charte donne ce droit aux destinataires ; et la
corporation se rapproche de la fondation lorsque les statuts dimi-
nuent les pouvoirs de l'assemblée générale. Mais on peut fixer une
1 mite : les statuts de la corporation ne peuvent enlever à l'assem-
blée générale le droit de dissoudre l'association (Gode civil alle-
mand, § 41). Si ce droit manque,* il n.y a plus corporation, mais
fondation. — De son côté la fondation se tra^isformeaait en véri-
table association si l'assemblée générale des destinataires avait le
droit de la dissoudre ou d'en changer le but.
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LA CLASSIFICATION DES PERSONNES MORALES 197
groupe dont le but est déterminé par une volonlé étran-
gère. Ce critérium est le seul sûr, parce que, corlnme
nous l'avons vu, une corporation peut avoir une organi-
sation presque entièrement corporative et inversement,
en sorte que tout critérium tiré du mode d'organisation
est nécessairement inexact (i).
81. II. — Les explications que nous venons de donner
se rapportent exclusivement aux personnes morales de
drpit privé (en prenant le mot dans le sens que nous
déterminerons plus bas). Mais nous devons nous placer
sur un terrain beaucoup plus large que celui de Savigny,
puisque nous voyons dans la notion de personnalité
morale une notion commune au droit public et au droit
privé. Il faut donc nous demander si la distinction en
corporations et fondations s^applique aux personnes
morales de droit public, telles que l'État, les communes,
les établissements publics, etc.
Qu'on puisse trouver dans ces personnes soit des élé-
ments corporatifs, soit des éléments fondatifs, ce n^est
point douteux- L'Étal souverain organisé démocratique-
ment présente tous les éléments d'une corporation ; c'est
un groupe humain qui détermine lui-même son but ou
ses buts, et qui s'administre librement. 11 en est de même
de la commune douée d'autonomie. A l'inverse nos éta-
blissements publics présentent les caractères d'une fon-
dation faite par TÉlat ou la commune. Ils sont destinés,
comme les fondations de droit privé, à subvenir aux
besoins d^un groupe qui ne participe pas ou qui participe
peu à leur direction. Il serait donc possible de classer les
(1) En ce sens Bernatzik, Archiv fur ô/fentliches Recht, t. V
(1890), p. 250-25.3.
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i98 CHAPITRE II
personnes morales de droit public d'après ce critérium.
Mais on peut douter qu'il présente ici une réelle utilité.
On doit remarquer tout d'abord qu'il serait beaucoup
plus incertain et flottant qu'en droit privé. C'est surtout
à propos des personnes morales de droit public qu'il est
vrai de dire que beaucoup d'entre elles réunissent des
traits appartenant à l'un et à l'autre type. En ce qui con-
cerne rÉlat, on peut trouver des éléments fondatifs dans
tout État où la collectivité des citoyens n'a pas, par
elle-même ou par ses mandataires, la direction complète
des affaires- Gierke a cru pouvoir qualifier à^ Anstallstaat
(État fondation^ État établissement) l'État soumis au
régime du pouvoir absolu [rein obrigkeitlicher Staat)
dans lequel le souverain apparaît comme incarnant l'État
dans sa personne (1) ; et il l'a opposé à l'État moderne,
qui est au contraire la plus haute manifestation de l'idée
de corporation. D'autres auteurs ont vu les traits de
V Anstaltstaat dans l'État non-souverain, alors qu'à leurs
yeux l'État souverain présente le caractère corporatif (2).
11 est clair que, quel que soit le point de vue adopté (et
ils ne sont ni l'un ni l'autre entièrement- inexacts), il y
aura entre le pur Anstaltstaat et le pur Koerperschaftstaat
mille degrés intermédiaires possibles. Il est clair aussi
que, pour la commune, on pourrait faire la même con-
statation; elle n'est modelée entièrement sur le moule
corporatif que lorsque, dans le cercle d'action qui lui
appartient, elle jouit du droit de s'administrer et de se
diriger elle-même; et elle se rapproche plus ou moins
d'un établissement d'État dès que celui-ci intervient dans
(i) Genossenschaftsrecht, t. II, p,S60-S6\. — Deutsches Privat-
recAM 60, p. 474 475.
(2) Rehm. Staatslehre (dans Marquardsen, t. I), p. 161 et suiv.
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LA CLASSIFICATION DES PERSONNES MORALES 199
ses affaires, ce qu'il fait, mais à des degrés très varia-
bles, dans tous les pays civilisés, A un degré inférieur,
les personnes morales que nous désignons sous le nom
d'établissements publics nous apparaissent bien tout
d'abord comme des fondations publiques provenant de
TEtat ou de la commune; mais plusieurs, telles, par
exemple, que les associations syndicales autorisées, sont
organisées en corporations plus ou moins contrôlées et
dirigées par l'État (i). Ainsi, à tous les degrés, nous
trouverions, si nous voulions étendre au droit public la
distinction du droit privé, une grande inéertitude dans
son application.
D'autre part, on peut douter que la distinction puisse,
dans ce nouveau domaine, présenter des intérêts prati-
ques. Il ne semble pas que Ton puisse construire des
théories différentes de TÉlat ou de la commune, unique-
ment en se basant sur leur classification dans la catégo-
rie établissement ou dans la catégorie corporation. Pour
cela les degrés intermédiaires entre les deux types
extrêmes sont trop nombreux et il y a trop d'autres
idées importantes qui entrent en jeu (2). Pour les éta-
blissements publics ce seront toujours des statuts, sou-
mis à l'approbation de l'État, qui détermineront dans
quelle mesure les intéressés participeront à l'administra-
(1) V. encore, sur ce mélange des caractères de la corporation
et de la fondation dans un grand nombre de personnes morales du
droit public, Gierke, Genossenschaftsrecht, t. Il, p. 971-973. —
Stobbe, Deutsches Privatrecht (3e éd., 1893), t. ï. p. 430. — En-
demann, Lehrbuch des bûrgerlichen Rechts, 8* éd., t. I, § 49, n. 3.
L'art. 89 du Code civil allemand nomme séparément les corpora-
tions, fondations et institutions du droit public, mais pour les sou-
mettre à une même règle.
(2) Cf. Jellinek, Allg, Staatslehre, p. 147, n. 2.
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r^i
200 GHAPlTnE II
lion ; et le fait qu'ils y participent plus ou moins ne
change pas grand'chose à l'idée générale que Ton peut
se faire de ces sortes d'établissement.
On peut donc conclure en somme que la distinction
n'a d'importance réelle qu'en droit privé; elle formera
une subdivision importante des personnes niorales de
droit privé. Mais pour trouver une classification com-
plète des personnes morales, il faut remonter à une idée
plus générale. Nous avons cru cependant devoir étudier
en premier lieu la distinction précédente, parce qu'elle
est pour beaucoup d'auteurs une distinction d'ordre
général, et parce que d'ailleurs, si en droit public elle
ne peut fournir la base d'une classification, on ne doit
point cependant Vy perdre de vue, les éléments fondatifs
et les éléments corporatifs se retrouvant en droit public,
et y produisant au moins certains effets partiels.
II
82. Même dans Topinion qui restreint au droit privé
la notion de personnalité morale^ on peut, dans une cer-
taine mesure, distinguer les personnes morales de droit
privé des personnes morales de droit public. Ces der-
nières sont celles qui en deho?'s de leur qualité de per-
sonnes morales (laquelle reste purement patrimoniale)
sont en même temps des institutions de droit public^
telles que TÉtat et les communes. Dans ce système par
exemple l'État n'est considéré comme personne morale
que lorsqu'on l'envisage comme fisc; mais on peut le
qualifier de personne morale de droit public, parce qu'en
dehors de cette qualité, il en a d'autres qui appartiennent
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LA CLASSIFICATION DES PERSONNES MORALES 201
au droit public. Aussi les auteurs même qui soutiennent
ce système font la distinction dont il s'agit.
Mais la distinction prend une bien plus grande impor-
tance et devient tout à fait capitale, lorsqu'on admet
avec nous que la personnalité morale est une notion
commune au droit public et au droit privé. Elle devient
alors, presque forcément, la distinction fondamentale,
d*abord parce qu'à la différence de la précédente elle
embrasse toutes les personnes morales, ensuite parce
que les personnes morales de droit public se distingue-
ront profondément des autres : elles auront des privi-
lèges et des moyens d'action plus étendus ; elles seront
aussi moins libres, par cela même qu'elles appartiennent
au droit public, c'est-à-dire à un domaine dont l'État
garde jalousement la surveillance.
La distinction remonte au moyen âge. M. Ruffini,
dans l'article que nous avons cité, la fait remonter aux
canonistes, et notanxpaent à Innocent IV, à qui les post-
glossateurs, et particulièrement Bartole, l'ont empruntée
en la précisant (1). Les jurisconsultes de la première
partie du xix® siècle, suivant les traces de Savigny, lui
ont substitué la distinction en corporations et fonda-
tions. Mais peu à peu on est revenu, presque incon-
sciemment, à la distinction ancienne, et aujourd'hui elle
a pris dans la littérature juridique une place importante.
Les Allemands, notamment, ici comme partout, ont
apporté leur méthode de minutieuse généralisation, et
ont proposé pour préciser le critérium de nombreuses
solutions pratiques (2).
(^) Ruffini, op, cit. y p. 319 et suiv.
(2) V, principalement Rosin, Bas Recht der ôffeni lichen Genos-
senschaft, p. 1 et s. — Gierke, Deutsches Privatrecht, § 75, et
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202 CHAPITRE II
83. En France la question ne s'est pas posée dès le
début dans ses termes généraux. Dans l'état du droit tel
qu'il existait au commencement du siècle dernier, la
distinction se présentait avec une telle simplicité qu^il
n'était nul besoin d'y insister. Comme nous le démon-
trerons plus loin (1), il n'y avait alors d'autres person-
nes morales de droit privé que les sociétés civiles et
, commerciales. Toutes les autres appartenaient incon-
testablement au droit public ; car, même lorsqu'elles
avaient une origine privée, elles étaient englobées dans
les cadres de l'administration. La personnalité morale
ne leur était reconnue qu'à ce prix. L'habitude se prit
dès lors d'appeler personnes morales (ïintérêt public, ou
plus souvent encore personnes morales adrhinistratives^
toutes les personnes morales autres que les sociétés de
gain ; c'est-à-dire non seulement l'État, la commune et
les établissements publics, mais aussi, quand ils commen-
cèrent à paraître, les établissements d'utilité publique,
e*est-à-dire les groupements d'origine privée, ayant un
but désintéressé, à qui la personnalité était reconnue
par acte individuel de l'Élat. Cetle terminologie se
retrouve encore dans beaucoup d'auteurs récents (2).
Gf^nossenschaftstheorie, p. 646. — Regel sberger, Pandekten,
g 80. — Endemann, Lehrbuch desburg, Rechts, % 49. — Jellinek,
System der subj, ôfféntL Recht, p. 250 et suiv. ,
(1) V. ci-après, ch. IV.
(2) M. Berthélemy, p. ex. dans son Traité de droit administratif,
«lésigne toutes ces personnes morales sous le nom de personnes
morales d'intérêt public (v. ire éd., p. 39-40 ; 3« éd., p. 37 : V.
iLussi l'article de M. Sauzet, sur la Nature de la personnalité
civile des syndicats professionnels, Revue critique, 1888, p. 296 et
3iM. — Le terme de personnes morales administi^atives peut à la
rigueur se justifier, même pour les établissements d'utilité publi-
que, parce qu'ils sont placés sou9 un contrôle administratif asse^
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LA CLASSIFICATION DES PERSONNES MORALES 203
Elle est pourtant injustifiée; elle ne s'explique que
par une survivance des idées que nous venons de rap-
peler. Aujourd'hui il est inexact de considérer les éta-
blissements d'utilité, publique comme des personnes
morales de droit public. Sans doute elles sont soumises
à certaines règles de droit public ; mais elles ont cela de
commun avec toute personne, même physique. Elles
sont soumises à la surveillance de l'État, plus étroite-
ment, il est vrai, que les individus ou les sociétés de
gain, mais c'est une surveillance extérieure, que TÉlat
exerce comme pouvoir de police et qui n'a pas pour con-
séquence d'en faire des 'organismes de droit public. Au
fond ce sont des groupements privés^ agissant conformé-
ment au droit privé, placés vis-à-vis des particuliers dans
une situation d'égalité absolue, libres d'ailleurs de ne
pas se former, une fois formés, libres de ne pas agir (1),
étroit, et qu*à raison de ce fait le droit administratif doit s'occuper
d'eux. Mais cela n'établit pas entre eux et les autres personnes
morales de droit privé (par exemple aujourd'hui les syndicats pro-
fessionnels) de différence fondamentale. Depuis la loi du {"juil-
let 1901, la classification est encore devenue plus évidente. Il n'y a
pas un abîme entre l'association rf«c/ar^g et l'association reconnue
(Tutilitè publique ; celle-ci a seulement une capacité un peu plus
large. Les premiers commentateurs de la loi nouvelle, MM. Trouillot
et Chapsal (Du Contrat d'assoc, p. 103), classent les établisse-
ments d'utilité publique parmi les personnes morales privées.
(1) On devrait pouvoir ajouter : libres de se dissoudre. Cela
cadrerait avec la conception générale de l'établissement d'utilité
publique telle qu'elle résulte actuellement de l'ensemble delà légis-
lation. Cependant les articles 16 et 18 des statuts-modèles de 1893
(Revue des établis», de bienf,^ 1895, p. 331 et suiv.) soumettent
la délibération de l'assemblée générale prononçant la dissolution à
l'approbation du gouvernement. Cette anomalie ne suffit pas à
détruire, à elle seule, la notion de groupement privé que nous déve.
loppons au texte. Elle est d'ailleurs plus nominale que réelle, car
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204 CHAPITRE II
n'ayant ni les privilèges ni les chargés des services
publics. Le véritable passage entre le droit privé et le
droit public se trouve non entre les sociétés de gain et
les établissements d'utilité publique, mais entre ces der-
niers et les établissements publics.
Aussi la distinction entre ces deux classes, pénible-
ment introduite par la jurisprudence et par la doc-
trine (l), a-t-elle fini par prendre dans tous les traités
de droit administratif une place importante. Elle corres-
pond entièrement à la distinction, classique en Alle-
magne et en Italie, en personnes morales de droit public
et personnes morales de droit privée avec cette seule dif-
férence que les établissements publics ne comprenaent
pas toutes les personnes morales de droit public et que
les établissements d'utilité publique ne comprennent
pas toutes les personnes morales de droit privé. En
d'autres termes^ la doctrine française a étudié la dis-
tinction, en se plaçant simplement au point de vue pra-
évidemment le Gouvernement serait tout à fait impuissant à main-
tenir l'existence de fait d'une association reconnue d'utilité publique
dont tous les membres se refuseraient à continuer l'existence. Son
intervention ne peut maintenir l'association que lorsqu'il trouve
une minorité d'accord avec lui dans ce but ; et môme sans cette
intervention cette minorité (si la législation ne lui opposait pas
d'obstacle artificiel) pourrait aussi bien continuer Tœuvre entre-
prise.
La classification des établissements d'utilité publique parmi les
personnes morales de droit privé est admise aujourd'hui par beau-
coup d'auteurs. V. p. ex., Capitant, Introd. à V étude du droit
civil, 2» éd., p. 176. — Hauriou, Droit adm., 5© éd., p. 93-94. —
Trouillotet Chapsal, Du contrat d^assoc, p. 103. — Gpr. les con-
clusions de M. Romieu, commissaire du gouvernement dans l'af-
faire de la Caisse des écoles du Vie arrondissement, tranchée par
Gons. d'Et. 22 mai 1903 (D. 1904. 3,1).
(1) V. infrà le chapitre IV.
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LA CLASSIFICATION DES t^BRSONNBS MottALES ^Ô^
lique, c'est-à-dire en considérant^ dans chacun des deux
domainesi, uniquement le groupe l<e plus rapproché de la
limite. Elle a posé la question d'une manière moins
générale >que la doctrine allemande, mais au^fond c'est
la même question, caria limite qu'il s'agit de déterminer
est la même.
84. Cette limite est très importante, comme le prou-
vent les nombreuses différences de détail, aujourd'hui
classiques, que Ton peut relever enlre les deux groupes.
Bien qu'elles soient très connues, il est nécessaire de les
résumer ici (1). Elles s'expliquent toutes par cette idée
que rélablis.soment d'utilité publique a le caractère privé,
alors que l'établissement public gère un véritable service
public. De là pour ce dernier :
i" Certains privilèges qui n'appartiennent qu'aux ser-
vices publics :
~ a) Soumission aux règles de la comptabilité publique,
d'où résultent pour lui la compétence spéciale du juge
des comptes dans ses rapports avec son comptable, le
droit d'hypothèque légale de l'article 2121 sur les
immeubles de ce comptable, l'impossibilité de faire un
paiement autrement quu sur mandat délivré sur un
crédit régulièrement ouvert et par conséquent l'impossi-
bilité pour les créanciers de poursuivre l'établissement
par les voies ordinaires d'exécution (2);
(1) Sur ces différences v. notamment Ducrocq, Droit administ. ^
6" édit., t. Il, nos 4338-1339. — Aucoc, Gonfèi^ences, t. I, no 210.
— Hauriou, Droit admiiiistr.^ S^éd,, p. 94. — Berthélemy, Droit
administ., 2© éd., p./ 52-53. — Dalioz, Lois administratives
annotées, t. II, p. 1233-1234.
(2) Il y a sur ces divers points quelques exceptions : les chambres
de commerce ne sont pas soumises aux règles ordinaires de la
comptabilité publique, mais à des règles spéciales d'administration
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2Ô6 CâAPITRE tl
b) Travaux de l'élablissement considérés comme Ira-
vaux, publics quand ils sont entrepris dans l^intérèt du
service public qui lui est confié : d« là de nombreuses
conséquences sur les règles à suivre soit vis-à-vis de
Tenlrepreneur des travaux, soit vis-à-vis des tiers qui
souffrent de dommages par suite de leur exécution ;
compétence du conseil de préfecture sur les contesta-
tions; possibilité d'exproprier, sinon directement, au
moins par Tinlermédiaire de TÉlat ou de la commune;
c) Soumission de leurs bois et forêts au régime fores-
tier (art. i, C. for.);
d) Diverses mesures de faveur ; plus grandes facilités
pour emprunter au Crédit Foncier (loi du 26 février 1862);
certaines faveurs fiscales (p. ex. leurs immeubles affec-
tés à un service public sont exempts de la contribution
foncière, exemption qui ne s'étend pas aux immeubles
des établissements d'utilité publique (V. C. d*État,
22 mai 1895; D. 96, 3, 17); règles spéciales sur le
droit de timbre (loi du 23 août 1871, art. 20, § 3, etc.) ;
e) Dispositions de procédure ayant pour objet de les
protéger dans les procès : communication de leurs procès
au ministère public (art. 83 du Code de proc. civ.); dis-
pense du préliminaire de conciliation (art. 49) ; possibi-
fîaancière indiquées dans la loi du 9 avril 1898, art. 21 et suiv.
(V. l'article de M. Guillaumot, dans Rev. génér. (Tadministr,,
1898, t. I, p. 290 et s., et \e Dictionn. génér. d* administra de
Blanche, réédité par M. de Moiiy, p. 241 242). — Les établisse-
ments ecclésiastiques ne sont soumis aux règles de la comptabilité
publique que depuis les décrets du 27 mars i893, et leurs tréso-
riers ne sont soumis à l'hypothèque légale de Tart. 2121 que dans
des conditions un peu spéciales. — Les corporations d'officiers
ministériels, les ordres d'avocats, sont également en dehors de la
règle générale. V. infràt n° 95.
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LA (ÎLASStFICATION DES PERSONNES MORALBS âOÎ
lité de se pourvoir par voie de requête civile, dans les
mêmes conditions que l'État, les communes, les mineurs
(art. i8i).
2^ Certaines incapacités qui sont la contre-partie des
privilèges précédents, et qui s'expliquent comme ces
privilèges eux-mêmes, avec qui ils sont intimement
liés, par le fait qu'il s'agit d'un service public dont
la bonne, gestion n'est pas indifférente à l'intérêt général :
nécessité d'une autorisation pour faire des baux à long
terme (art. 1712 C. c), pour transiger (art. 2045, 3°)
pour acquérir ou aliéner certains biens (loi du 2 jan-
vier 4847, art. 2 et 3); loi du 7 août 4854, art. 9
et 10, etc.); contrôle de l'administration supérieure sur
les budgets ; obligation de communiquer aux agents de
l'enregistrement les registres et pièces de comptabilité
(décret du 4 messidor an XIII, art. 4); règles spéciales
sur l'enregistrement de leurs actes, les uns étant
exempts, les autres soumis à la formalité dans les
vingt jours (1. 45 mai 4848, art, 78 et 80), alors que les
établissements d'utilité publique sont soumis sur ce point
à la même règle que les particuliers, c^est-èi,-dire que
leurs actes ne sont sujets à l'enregistrement qu'au
moment où il en est fait usage, et, dans certains cas
exceptionnels, dans les trois mois de leur date (1. 22 fri-
maire an VII, art. 22 et 23).
Jusqu'à la loi du 8 janvier 4905, ces incapacités com-
prenaient en outre la nécessité d'obtenir une autorisation
pour ester en justice (art. 1032, C. Proc.) ; mais l'article 3
de cette loi ne laisse plus subsister cette règle qu'à titre
tout exceptionnel.
3^ Au contraire, surveillance relative aux dons et
legs moindre que celle qui concerne les établissements
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208 CHAPITRE II
d'utilité publique, parce que l'État a moins à se méfier
de la mainmorte officielle que de la mainmorte libre (loi
du 4 février 1901, art. 4, qui permet aux établissements
publics d'accepter sans autorisation les dons et legs qui
leur sont faits sans charge, condition ni afl*ectation
immobilière).
4® Qualité de fonctionnaires reconnue, au moins à
certains points de vue, à leurs administrateurs ou
agents, alors que jamais cette qualité n'appartient,
comme telle, aux administrateurs des établissements
d'utilité publique. Sur ce dernier point,, la jurisprudence
et la doctrine ont encore de nombreuses hésitations;
mais il est dans la logique des choses que les admi-
nistrateurs des établissements publics soient de plus en
plus considérés comme investis de véritables fonctions
publiques et qu'on en tire peu à peu toutes Iqs consé-
quences (1).
(4) ËD ce sens Ghante-Grellet, dans le Répertoire de Béquet,
\^ Fonctionnaires, nos 72 et suiv. -^ M. Ducrocq, au contraire
{Droit administr., 6« éd., n^ 1333, n" 4), conteste la qualité de
fonctionnaires aux administrateurs des établissements publics,
notamment auxadministrateurs des fabriques, parce qu'ils peuvent
être élus ou désignés par Tévêque, et que « ni l'élection des fabri-
ciens, ni la nomination de Tévêque, ne peuvent faire des fonction-
naires publics ». il la conteste aussi aux membres des commissions
administratives des hôpitaux, des hospices et des bureaux de bien-
faisance, parce qu'ils remplissent une « mission gratuite de dévoue-
ment et de charité ». Mais ces arguments sont bien loin d'être déci-
sifs : ni la nomination directe par le Gouvernement, ni le caractère
rétribué de la fonction ne sont de l'essence de la notion de fonc-
tionnaire public (V. sur les divers systèmes proposés pour préciser
cette notion, la thèse de M. Nézard, Théorie juridique de la fonc-
tion publique. Paris, 4904, p. 26 et suiv.).
La jurisprudence a de nombreuses hésitations, tenant d'ailleurs
en général à ce que la question, au point de vue des textes, ne se
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LA CLASSIFICATION DES PERSONNES MORALES "ZXflf
5^ Les élablissemenls publics étant des administra-
tions publiques, leurs décisions sont des actes admi-
présentepas toujours de la même manière. Ainsi la jurisprudence
a eu à se demander : lo avant 1870, si on devait considérer les admi-
nistrateurs des hospices comme agents du gouvernement au sens
dé l'art. 75 de la Gonstit. de l'an VIII ; elle avait hésité (Heq. 5 nov.
1850,D., 50.1. 329, aff. (motifs) ; Gass. crim. 14nov. 1850, D. 50. 5.
235 nég.) ; 2° si on doit les considérer comme citoyens chargés
d'un se7*vice ou mandat public, au sens de l'art. 31 de la loi £ur
la presse du 19 juillet 1881. La Gour de cassation paraît fixée dans
le sens de la négative (Gass., 27 février 1885, D., 85, 1, 379 ;
20 juillet 1893, D., 97, 1, 341 ; 21 mai 1898, D. 99. 1. 428) ; mais,
outre que beaucoup d'auteurs contestent ceite solution (p. ex.
Béquet, v<* Assist, publique, nos 611 et 612, et Ghante-Grellet,
loc. cit., n^ 73), elle est contestée par des arrêts de Gour d*appel
(Toulouse, 5 juia 1883, eod. 1.) ; d'autre part, la Gour de cassation
admet elle-même, que l'article est applicable au maire diffamé en
qualité de président de ladite commission (Gass. 10 nov. 1892,
D., 93. 1. 21) ; et des décisions judiciaires ont admis que l'art. 30
de la même loi sur la presse s'applique aux commissions envisagées
collectivement (Tribunal de Meaux, 13 février 1884. Dali. Suppl.
v<> Presse-outrage, n° 933). Enfin un jugement récent (Tribunal des
Sables-d'Olonne, 31 décembre 1903, D., 1904. 2. 371) a traité
comme des citoyens chargés d'un service ou mandat public les
membres d'un bureau de bienfaisance, en se basant sur l'attribu-
tion de droit public qui leur appartient (distribution des secours^
Ge jugement admet d'ailleurs que les membres des commissions
administratives des hospices n'ont aucune attribution du même
ordre, ce qui nous paraît tout à fait inexact ; 3<^ si on doit leur
appliquer Tarticle 197 du Gode pénal qui prononce une pénalité
contre tout fonctionnaire révoqué qui continue ses fonctions, et ici
elle a admis l'affirmative (Gass. 30 octobre 1886, D., 87. 1. 507, la
solution* s'applique à un fabricien, mais il ne semble pas douteux
qu'elle ne doive s'étendre à un administrateur d'hospice) ; 4o si
on doit leur appliquer l'art. 177 sur la corruption de fonctionnai-
res ; ici encore elle paraît bien pencher vers l'affirmative, si l'on
en juge par les considérants d'un arrêt de la G. de cass. du
24 février 1893, D. 93. \ . 393, qui applique l'article aux députés et
sénateurs.
Nous croyons qu'il serait préférable de déclarer la plupart de ces
MICHOUD 14
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210 CHAPITRE II
nistratifs, ayant le caractère exécutoire, et soumis aux
voies de recours qui frappent d'ordinaire les actes admi-
nistratifs, notamment, lorsqu'elles contiennent acte d'au-
torité, au recours pour excès de pouvoir (i).
Les différences précédentes n'ont pas d^ailleurs une
constance absolue. On peut admettre qu'il y a un
régime général dos établissements publics, mais que
quelques-uns d'entre eux, tout en étant des personnes
morales publiques, comme les établissements publics
ordinaires, sont, par des dispositions expresses ou
implicites de la loi, soustraits sur certains points à ce
régime commun (2). Ces établissements peuvent-ils
encore être qualifiés d'établissements publics? Oui, au
sens large du mot. Mais peut-être vaudrait-il mieux
réserver ce terme aux établissements publics stricto
sensuy soumis à toutes les règles administratives de la
matière, et dire purement et simplement de ces person-
nes morales que ce sont des personnes morales de droit
articles applicables aux représeataùts des établissements publics,
et nous donnerions la môme solution pour tous les articles du Code
pénal qui prévoient des crimes ou délits spéciaux aux fonction-
naires (p. ex: Fart. 174 sur la concussion). Il faut toutefois faire
exception pour ceux qui ne peuvent viser que des fonctionnaires
compétents pour faire des actes de puissance publique, tels que les
art. 184 et suiv. (et aussi l'art. 224 du G. pénal, comme Ta décidé
la Cour de Paris en en refusant d*appliquer cet article'aux dames
télégraphistes, arrêt du 25 octobre 1904, afî. Sjlviac et Belloche).
D'autre part la qualité de fonctionnaire a encore d'autres consé-
quences au point de vue des relations avec rétablissement lui-
même. Il faut appliquer, croyons-nous, aux agents des établisse-
ments publics les mêmes règles qu'aux fonctionnaires communaux
en ce qui concerne le contentieux des nominations et révocations.
(1) Hauriou, 5« éd., p. 480, n. 1 in fine,
(2) Nous verrons qu'on peut en dire autant des établissements
d'utilité publique.
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LA CLASSIFICATION DES PERSONNES MORALES 211
public. On peut appliquer celle observation, notamment,
aux établissements ecclésiastiques, aux ordres d'avocats
et aux corporations d*officiers ministériels.
85. Quoi qu'il en soit, les différences précédentes,
toutes empruntées à la législation positive, montrent
bien l'importance de la distinction. Mais si nous ces-
sons de limiter la question à la comparaison des deux
groupes voisins, et si nous l'élargissons en comparant
l'une à l'autre les deux catégories plus larges formées
par les personnes morales de droit public, d'une part,
les personnes morales de droit privé, d'autre part, si en
même temps, nous transportons la question sur le ter-
rain législatif, — nous serons bien vite convaincus que
rimportance de cette classification devient tout à fait
capitale. Nous relèverons notamment les deux points
suivants : ^
1® Les personnes morales de droit public n'ont pas
seulement des droits patrimoniaux, mais aussi des
droits appartenant au domaine du droit public : droits
de police, droit de lever les impôts, droit d'expro-
prier, etc.; droits qu'elles ont dans une mesure, très
inégale, mais que toutes possèdent plus ou moins.
Leur étude est donc bien plus complexe que celle des
personnes morales de droit privé. Leurs rapports avec
leurs agents, avec leurs membres, avec les personnes
dont elles ont à s'occuper, sont aussi de nature diffé-
rente (1).
2** En général le législateur ne peut, ni pour leur créa-
(1) L'Institut de droit interDational (session de Copenhague,
1897) a admis que les personnes morajes publiques reconnues dans
leur Etat d'origine sont reconnues de plein droit dans tous les
autres Etats.
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212 CHAPITRE II
tion ni pour leur suppression, adopter les mêmes règles
que pour les personnes morales de droit privé. Même
quand ces dernières se réduisaient, en dehors des socié-
tés civiles et commerciales, aux établisements d'utililé
publique^ leur création ne se faisait pas d*après les
mêmes principes que ceux des personnes morales de
droit public. Elles étaient, en effet, autorisées par
décret rendu en Conseil d'Etat, au lieu que la créalion
des personnes morales de droit public a toujours en
principe nécessité une loi. Aujourd'hui que la plupart
des groupements désintéressés peuvent parvenir à un
certain degré de personnalité sans intervention de l'au-
torité publique, la distinction est encore bien plus tran-
chée ; car jamais les personnes morales de droit public,
dans l'Etat moderne une fois constitué, n'arrivent à la
vie sans Tintervention active de ce dernier. Les grou-
pements privés peuvent, d'autre part, se dissoudre en
principe sans autorisation, alors que les personnes
morales de droit public ne le peuvent pas. Enfin, le
plus souvent aujourd'hui leur suppression par les pou-
voirs publics, et les conséquences de cette suppression
sont soumises à des règles autres que celles qui s'appli-
quent aux personnes morales de droit public (1).
(1) V. pour le développement de ces différences, les divers cha-
pitres suivants. Dans cet ordre d'idées, M. Homieu, commissaire du
Gouvernement dans l'affaire de la Caisse des écoles du VI« arron-
dissement, a fait ressortir une différence pratique entre les deux
catégories ; les lois administratives, qui posent les bases de l'orga-
nisation des services publics (telles que les lois de 1882 à 1886 sur
renseignement) régissent de plein droit la situation des établisse-
ments publics même créés antérieurement à elles ; carces établis-
sements ne sont que des services publics. Au contraire elles ne
peuvent être considérées, à moins de disposition expresse de leur
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LA CLASSIFICATION DES PERSONNES MORALES 213
86. Ceci suffit à montrer que cette classification est
bien celle que nous ne devrons jamais perdre de vue
quand nous traiterons des personnesjuridiques.il serait
désirable que nous eussions, pour Topérer, un critérium
très précis. Mais il nous manque. Ici comme ailleurs les
formes de la vie sont tellement complexes que, tout en
pouvant indiquer les caractères principaux de chaque
classe, nous avons peine à tracer la ligne de démarca-
tion, parce qu'il y a des formes intermédiaires, qui
réunissent en eux des caractères empruntés aux deux
types, et parce que les personnes de droit public n'ont
de droits publics que dans une mesure très inégale. Il
est remarquable que la doctrine allemande et la doc-
trine française se sont trouvées ici dans le même embar-
ras (1). La première après avoir passé en revue les
divers critériums proposés (2), paraît aujourd'hui con-
part, comme régissant les établissements d'utilité publique déjà
existants ; ceux-ci restent régis par leurs statuts, qui sont pour eux
la source de droits acquis. V. Dali. 1904-3-1 et s.
(1) La doctrine italienne s*est trouvée aux prises avec la même
difûculté, et l'on y trouve les mêmes incertitudes dans la solution.
V. G'iovgi, Persone giurid. y I, n® 185, p. 433 ; Brondi, La publiche
amminisir, et la gestione di affari, p. 53 et suiv. ; Fadda et
Bensa, notes sur Windscheid, t. I, p. 792 ; Ruffîni, op, cit.,
p. 384 et suiv. — Ce dernier auleur est l'un de ceux qui ont le
mieux mis en lumière l'importance de la distinction (p. 344 et
suiv.).
(2) Les divers critériums proposés ont été analysés avec beau-
coup de soin par Rosin, Das Recht der Ôffentlichen Genossen-
schaft, p. 1-39. Ses explications sur ce point ont été résumées par
M. Avril. Thèse citée, p. 25, n. 4. — L'analyse de Rosin est
d'ailleurs uniquement applicable à la comparaison des corpora-
tions de l'un ou de l'autre domaine. La distinction entre les fon-
dations de droit privé et les fondations de droit public paraît
avoir soulevé, en Allemagne, beaucoup moins de difficulté. Les
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214 CHAPITRE II
dure qu'il n'existe pas de signe distinctif infaillible,
permettant à lui seul de séparer les deux classes, et
qu'on ne peut opérer la classification qu'après avoir exa-
miné Y ensemble des règles juridiques à appliquer à la
personne morale dont il s'agit (i). En France, M. Du-
crocq, après avoir passé en revue divers systèmes pro-
posés, arrive à une conclusion tout à fait analogue :
« Il faut donc se borner à dire, en raison de la diversité
même des établissements publics, et pour se tenir dans
les termes d'une définition exacte et commune à tous,
au risque d'être plus large, que ce sont des établisse-
ments doués d'une vie propre, qui font partie intégrante
de l'organisation administrative du pays, ou qui lui sont
étroitement rattachés (2). » Termes auxquels on ne peut
certes reprocher un excès de précision.
Il est certain en effet qu'il faut, en cette question, se
montrer prudent, d'autant mieux que la loi positive ne
nous fournit pas d'indication sûre (3), et qu'il ne faut
procès-verbaux de la seconde commissioa de préparation du Code
civil indiquent sur ce point le critérium généralement adopté ; la
fondation privée est celle qui est érigée par acte privé, la fonda-
tion publique celle qui est érigée par un acte de la puissance
publique {Protokole, p. 585-586, et Saleilles, Les personnes jurid,
dans le C» c. allemand, p. 131-132).
(1) C'est notamment la conclusion de Gierke (Deutsches Privât-
rechty% 75,p.621, n. 19); de Regeisberger (Panrf., §80p.319,n. 4);
d'Endemann, op. cit., % 49, n. 2 ; de Jellinek {System, p. 251).
Ce dernier auteur va jusqu'à dire ceci : « C'est souvent chose d'ap-
préciation individuelle, comme partout où la vie montre des
transitions insensibles, que de déterminer la ligne, qui, dans le
flot de ce qui vient à l'existence, sépare le groupe du droit privé du
groupe de droit public ».
(2) Op. cit., n» 1333, note 1, in fine.
(3) Le législateur français a longtemps employé les deux termes
d'établissements /?m6/ic5 et à'utilité publique d'une manière tout
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LA CLASSIFICATION DES PERSONNES MORALES 215
pas cliercher i}n signe unique, formant critérium infail-
lible. Les signes proposés comme tels dans la doctrine
laissent tous à désirer. On ne peut pas ranger dans le
droit public tous les groupements ayant des privilèges
de droit public, parce que de semblables privilèges
peuvent être accordés même à des personnes privées et
que d'ailleurs les personnes publiques ne les ont que
dans une mesure très inégale (i). On ne peut pas non
plus se baser sur le caractère forcé des groupements
publics en Topposant au caractère volontaire des grou-
pements privés; car ni les premiers ne sont toujours
forcés^ ni les seconds toujours volontaires (2). Il faut
à fait indifférente. A cette incertitude il y a d'ailleurs une raison
profonde, c'est que la distinction dont il s'agit ne peut pas et ne
doit pas empêcher la collaboration entre l'administration et Tini-
tiative privée. De là résulte l'existence d'établissements mixtes,
dont on ne sait plus bien s'ils sont publics ou privés ; V. sur ces
établissements mixtes^ et sur les avantages qu'ils présentent, les
excellentes considérations de M. Hauriou dans Sirey, i90o. 3. 33.
Mais cela n'enlève rien, quoiqu'en dise notre émirient collègue, à
l'importance juridique de notre distinction.
(1) Les privilèges tels que : exemption d'impôts, facilités d'admi-
nistration, garanties contre les administrateurs ou les compta-
bles, etc., peuvent varier à l'infini et être accordés à des personnes
morales privées comme aux autres. Par exemple les sociétés d'ha
bitations à bon marché, qui sont des sociétés de gain (encore
qu'inspirés par un but philanthropique) et qui appartiennent cer-
tainement au droit privé, jouissent de diverses faveurs de ce
genre.
(2) Par exemple les églises et les divers groupements qui en
dépendent, bien qu'appartenant au droit public dans la plupart
des législations ne peuvent employer le « compelle intrare » . En
sens inverse on conçoit qu'un groupement, qui reste de nature
privée, puisse englober de force certaines personnes, ou être indé-
pendant de leur volonté. C'est ce qui existe pour la famille^ par-
tout où elle est considérée comme une personne mox^ale.
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216 CHAPITRE II
écarter aussi l'idée, formulée par Ihering, que le carac-
lère des groupements publics est le droit pour tous d'en
faire partie, car cela est loin d'être constant, et d'autre
part des groupements privés peuvent èlre largement
ouverts (i). On ne peut admettre davantage un critérium
tiré du but de l'association, parce que, la plupart du
temps le but poursuivi n'est pas le monopole exclusif
des services publics, Qt qu'il peut être visé aussi bien
par un groupement privé que par un groupement
public (2). Enfin il faut considérer comme insuffisant le
critérium que Rosin indique après avoir passé en revue
tous les autres, critérium qui consisterait à considérer
comme appartenant au droit public les groupements que
l'Elat regarde comme obligés vis-à-vis de lui à accomplir
leur mission. Car les Eglises et les groupements qui en
dépendent ne sont pas dans ce cas ; et d'autre part cer-
tains groupements privés peuvent avoir des obligations
de ce genre (3). D'ailleurs tous les groupements ont des
(t) Aussi les développements d'Ihering (Zweck im Recht, t. I,
p. 296 et suiv. — Trad. Meulenaere, p. 201, n» 138) sont-ils uni-
quement des développements d'ordre philosophique, qui n'ont pas
la prétention de trancher la question en droit positif. 11 insiste sur
le caractère public de toute association désintéressée, dans laquelle
on cherche à faire de la propagande, et l'oppose au caractère privé
des sociétésde gain; il conclut que V association appartient au droit
public, et que c'est chose arbitraire de restreindre la notion de
droit public à l'Etat et à l'Eglise. — Cela implique une conception
de droit public que nous ne pouvons discuter ici.
(2) Le critérium du but ramènerait à l'idée que TEtat a le mono-
pole du bien public, idée qui n'est plus celle de l'Etat moderne. —
On doit ajouter qu'il serait le plus souvent fort incertain si on le
considère en lui-même, abstraction faite de l'appréciation positive
de TErat. C'est bien la considération du but qui détermine l'Etat a
englober rétablissement dans les services publics ; mais lui seul
est compétent pour fixer les buts qu'il se propose.
(3) Par exemple les sociétés anonymes chargées d'un service
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LA CLASSIFICATION DBS PI^RSONNES MORALES 217
obligations vis-à-vis de TEtat ; l'élendue plus ou moins
grande de ces obligations n'est qu'une différence de
quantité, qui n'influe pas directement sur les rapports
juridiques de l'association avec ses membres ou avec les
tiers (I).
Il est plus exact sans doute de dire que les personnes
morales de droit public ont essentiellement des droits de
puissance publique, qu'elles ont vis-à-vis de leurs mem-
bres ou vis-à-vis des tiers des prérogatives de droit
public, au lieu d'être, comme les personnes privées,
placées vis-à-vis d'eux sur un pied d'égalité. C'est par
là, en effel, qu'elles appartiennent au droit public,
qu'elles cessent d'être, au point de vue juridique, des
organismes purement patrimoniaux (2). Ces droits de
puissance publique sont d'ailleurs très inégalement dé-
veloppés. Dans l'Etat, -ils vont jusqu'à la souveraineté:
Dans les communautés territoriales inférieures (commu-
nes, groupes de communes, départements, provinces)
ils comprennent encore, ou peuvent comprendre, des
droits de police assez étendus, le droit de lever des
impôts (au moins dans certaines limites), le droit d!ex-
proprier, etc. Dans nos établissements publics, ces droits
ne se retrouvent pas tous ; ils ont cependant, assez fré-
quemment, le droit de lever des impôts et celui d'expro-
prier indirectement. Ils jouissent, dans les contesta-
tions, assez souvent, An privilège du préalable, tel que
public, comme la Banque de France, et les innombrables sociétés
concessionnaires de services d'intérêt général.
(1) Cf. Jellinek, op. ct't,, p. 252.
(2} Au fond, c'est le système développé par Jellinek. op. cit.,
p. 253 et suiv. — C'est aussi l'opinion de G. Meyer, Deutsches
Verwaltungsrecht (1883», t. I, p. 19.
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218 CHAPITRE II
M. Hauriou Ta décrit (1), privilège qui est un véritable
droit de puissance publique. Enfin ils ont aussi, le plus
souvent, comme juges, les tribunaux administratifs et
non les tribunaux judiciaires. Quand tous ces traits se
trouvent réunis, on doit admettre qu'il y a personne
morale publique; et cette seule règle suffira à classer
d'assez nombreux établissements. Mais^ pris séparé-
ment, chacun de ces droits ne suffit pas à caractériser la
personne publique, et de Texistence de Tun on ne peut
conclure sûrement à Texistence des autres. Quelques-
uns d'entre eux, en effets peuvent appartenir exception-
nellement à des personnes privées : par exemple les
concessionnaires de mines ont un certain droit d'expro-
priation, la Banque de France exerce un monopole, etc.
— C'est donc un critérium qui ne peut se suffire à lui-
même, pas plus que les précédents. On ne pourra classer
sûrement une personne morale dans le droit public que
lorsqu'elle réunira plusieurs des caractères passés en
^ revue : Y ensemble de ces traits démontrera alors que le
législateur a bien entendu le classer dans une région
supérieure à celle du droit privé.
D'autres circonstances pourront aider à cette classifi-
cation délicate : c'est d'abord la part prédominante prise
par une personne publique déjà existante (notamment
l'Etal, et parfois la commune) à la création de l'être
moral qu'il s'agit de caractériser. Nos établissements
publics se présentent le plus souvent comme des fonda-
tions faites par l'Etat ou la commune; en fondant lui-
(1) Droit administratif, 5e éd.. p. 225 et s. M. Hauriou aoalyse
ce privilège, et y trouve les deux prérogatives suivantes : privi-
lège de TexécutioD préalable ; privilège de la création du conten-
tieux par des actes préalables.
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LÀ CLASSIFICATION DES PERSONNES MORALES 219
même, TEtat montre qu'il considère le service comme
Tun de ceux auxquels il doit pourvoir, et la fondation
qu'il crée comme un véritable service public personna-
lisé; et il en est de même de la commune. \j origine de
l'établissement sera donc souvent le signe le moins
équivoque. Mais il est loin^ lui aussi, d'être à lui seul
un signe suffisant, parce que la création est due fré-
quemment à une collaboration de l'action administra-
tive et de rinitiative privée et qu'il est alors malaisé de
déterminer laquelle est prépondérante. Enfin, un der-
nier signe pourra venir confirmer les autres : ce sera
^ingérence que l'Etat se réserve dans la vie intérieure
de la personne morale, soit en désignant lui-même ses
administrateurs, soit en surveillant de près son budget
et ses comptes, soit en soumettant à son autorisation les
actes les plus importants de sa vie civile. Là encore il
n'y a rien d'absolu : des personnes morales privées
peuvent' être soumises à une tutelle administrative
étroite à raison de la méfiance que TÈtat éprouve vis-à-
vis d'elles ; c'est le cas notamment pour les congréga-
tions religieuses. Mais lorsque l'intervention de l'Etat
est poussée jusqu'à un certain degré,* elle trahit d'ordi-
naire la pensée que l'Etat considère l'établissement
comme un véritable service public et qu'il veut, à
raison de ce fait, en assurer le bon fonctionnement.
87. Les explications précédentes fourniront le plus
souvent la possibilité de classer les personnes morales
dont la situation peut paraître douteuse. M. Hauriou a
essayé, en étudiant la distinction des établissements
publics et des établissements d'utilité publique (4), de
(4) Droit administratifs 4e éd., p. 507 ; 5» p. 481.
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220 CHAPITRE II
préciser un peu plus. Suivant lui, on ne doit considérer
comme établissements publics que ceux qui sont ^n^re-
^ew2/^ par TAdministration, celle-ci prenant à sa charge
les trois éléments dont se compose nécessairement tout
service public : personnel, matériel, moyens financiers.
Dans le doute, il faut se prononcer pour le caractère
privé, parce qu'au fond ce sont les personnes morales
privées qui représentent la liberté corporative (1).
Cette dernière règle nous paraît restreindre outre
mesure la notion d'établissement public. La liberté cor-
porative n'est point, nous semble-t-il, intéressée dans
la question, parce que les cas douteux portent exclusi-
vement sur des établissements que leur organisation
positive rattache déjà de très près à l'Administration,
qui ne peuvent en fait prétendre à une réelle liberté, et
îpour lesquels il y a plutôt intérêt à être franchement
considérés comme des services publics, parce que cela
leur assure en fait certains avantages. On peut même
dire, depuis la loi du 4 février 1901, qu'en un certain
sens le classement comme établissements publics leur
procurera plus de liberté, puisque cette loi permet aux
établissements de cet ordre d'accepter sans autorisation
les dons et legs, quand il nV a ni charge, ni condition,
ni affectation immobilière, ni réclamation de la famille,
alors que les établissements d'utilité publique ont dans
(4) Cf. sur ce dernier point Taudière, dans Revue catholique des
institutions et du droit, t. XXIV, p. 412. — M Hauriou est
amené par là à exclure de la catégorie des établissements publics,
à tort selon nous, les comités d'habitation à bon marché, les
monts de-piété, les associations syndicales autorisées (pour les-
quelles cependant il déclare s'incliner aujourd'hui devant la solu-
tion donnée par le Tribunal des conflits).
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LÀ CLASSIFICATION DES PERSONNES MORALES 221
tous les cas besoin d'une autorisation pour acquérir à
titre gratuit.
Quant à la première règle donnée par M. Hauriou,
elle est trop étroite aussi. II n'est nullement nécessaire
qn'un établissement soit pourvu directement par l'Ad-
ministration de ses moyens d'action pour qu'on puisse
le classer comme service public ; beaucoup d'entre eux
(tels, par exemple, que les bureaux de bienfaisance) ne
reçoivent des pouvoirs publics que des subventions
purement facultatives ; d'autres n'ont jamais rien reçu ;
alors que des subventions peuvent être données, parfois
très largement, à de simples établissements privés.
L'existence d'une dotation provenant de l'Etat peut être
seulement l'un des signes à ajouter à ceux que nous
énumérions plus baut; mais ce n'est ni le plus constant,
ni le plus caractéristique. -
Cherchons maintenant à appliquer les explications
théoriques que nous venons de donner aux cas qui ont
fait difficulté dans notre droit (1).
88. I. Congrégations religieuses, — Les auteurs du
milieu du xix® siècle ont souvent qualifié les congréga-
tions religieuses d'établissements publics (2), et le
Conseil d'Etat avait, en 1841, conclu de cette classifi-
cation qu'une autorisation leur était nécessaire pour
(1) Nous devons nous borner aux cas douteux, Ténumération des
établissements publics et des établissements d'utilité publique ne
pouvant trouver place ici (v. sur cette énumération, Hauriou, op.
cit., 5e éd., p. 483 et suiv.).
(2) V. notamment : de Gérando, Institutes de droit administr.,
2° éd., 1842, t. II, p. 18. Dufour, Traité de droit administr.y
2e éd., 1868, t. II, no 124. Revercbqn, Des autorisations de plai-
der, no 148. Laisné-Deshayes, Du régime légal des congrég. reli-
gieuses, 1868, p. 49.
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222 CHAPITRE II
ester en justice (1). Celte solution découlait aiâsez natu-
rellement de la manière dont on avait envisagé les con-
grégations lors de leur reconstitution sous le l®** Empire
et la Restauration (2) : elle était en outre favorisée par
ce fait que la distinction entre les deux catégories d'éta-
blissements était alors incomplètement dégagée. Plus
récemment, dans les difficultés pendantes entre le fisc et
les congrégations, on a vu tantôt l'une, tantôt Tautre des
parties en cause soutenir que les congrégations recon-
nues constituaient de véritables établissements publics.
Les congrégations ont invoqué cette qualité, à côté
d'autres arguments, pour démontrer que le fisc ne pou-
vait faire vendre leurs immeubles sans une autorisation
du chef de l'Etat (3). En sens inverse, le fisc avait anté-
rieurement émis la prétention d'assujettir les congréga-
tions au droit de communication en vertu du décret du
4 messidor an XIII, qui Tirapose aux administrateurs
des établissements publics (4). Mais il est permis de
penser qu'il n'y avait guère là, de part et d'autre,
qu'un argument ad utilitatenis car la classification des
congrégations religieuses parmi les groupes privés ne
peut guère aujourd'hui faire l'objet d'un doute sérieux.
(1) Avis du comité de législ. du 21 mai 1841, reproduit par
Dufour, op. etloc. cit.
(2) V. m/ràles explications données sur ce point dans ch. IV.
(3) V. notre note sous Gass., 21 mars 1899. S. 99. 1. 449.
(4) V. la décision du Ministre des Finances du 22 aoûtl882, ap-
prouvant une note de l'Administration de l'Enregistrement, et
l'instruction de cette même administration du 25 septembre 1882,
D. 84. 3. 55. Le législateur est depuis lors intervenu, par la loi du
29 décembre 1884, art. 9, § 3, pour soumettre directement les
congrégations (abstraction faite de toute idée de classification) au
droit de communication .
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LA CLASSIFICATION DES PERSONNES MORALES 2^3
Elle a déjà élé affirmée par le Conseil d'Etat dans un
avis'du 13 janvier 4835 (1) ; un autre avis, en date du 6
juillet 1864, revenant sur la solution donnée en 1841,
Ta encore affirmée implicitement en dispensant les con-
grégations religieuses d'aulorisation pour ester en jus-
tice (2), et tous les auteurs récents sont dans ce sens (3).
C'est qu'en effet nous ne trouvons ici aucun des traits
de rétablissement public : ni l'origine, qui est purement
privée ; ni les droits de puissance publique, qui n'exis-
tent en aucun cas ; ni même, si l'on comprend bieri les
choses, ringérence gouvernementale caractéristique de
rétablissement public. Sans doute la congrégation reli-
gieuse est soumise à une tutelle administrative plus
étroite que les établissements d'utilité publique ordi-
naires (lois du 2 janvier 1817, du 24 mai 1825). Il lui
faut des autorisations non seulement pour accepter des
dons et legs, maiis aussi pour un certain nombre d'ac-
tes à titre onéreux. Elle doit au Gouvernement certaines
communications (loi du 29 décembre 1884, article 9,
I 3, loi du l®" juillet 1901, article 15). Mais on ne peut
douter à l'heure actuelle qu'il y ait là, de la part de
TEtat, de simples mesures de précaution dictées par une
idée de méfiance et non des mesures de protection.
(4) Dubief et Gottofrey, dans Béquet, v« Cultes, no 2106.
(2) Op. et loc. cit. y no 2107.
(3) Batbie, Droit administra, t. V, n<> 245. Ducrocq, 6« éd.,
nos i333 et 4537. Hauriou, 4e éd., p. 421. Dubief et Gottofrey, op.
et loc. cit., nos 2406 et 2111. Drouin et Worms, Traité des auto-
ris, de plaider, p. 26. Block, v^ Etablissement public, n® 2. Tis-
sier, Dons et legs, n® 90. La question de savoir si on peut les
qualifier à* établissements d'utilité publique, ou s'il faut en faire
une catégorie distincte, est d'ailleurs toute différente de celle que
nous examinons ici, et elle est de faible importance.
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224 CHAPITRE II
L'Etat considère les» congrégations comme étrangères à
son organisme administratif. L'autorisation qu'il leur
donne les laisse dans le droit privé.
89. IL Associations syndicales. . — Les associations
syndicales autorisées des lois du 21 juin 1865 et du
22 décembre 1884 doivent au contraire être considérées
comme de véritables établissements publics. La question
a été très vivement discutée ; et si la jurisprudence
paraît fixée en notre sens par une décision du Tribunal
des conflits, les auteurs sont encore divisés (1). Ce qui
est décisif à noire avis, c'est d'abord Tensemble des
(1) Conflits 19 décembre 1899. D., 1901. 3. 42. Auparavant le
Conseil d'Etat avait déjà admis pour ces associations la qualité
d'établissements publics(17 janvier 1890. D.,9i. 3. 26 ; 22 décem-
bre 1899. D., 1901. 3. 22). Mais la Cour de cassation les considérait
comme de simples établissements d'utilité publique (1er décembre
1886, D., 87. 1. 183). Parmi les auteurs, cette dernière opinion
était soutenue par MM. Ducrocq {Droit administ7\ , 6" éd., t. II,
n^ 1574), Hauriou {Droit administr., 3e éd., p. 788), Berth^lemy
(Droit administr . , i'e éd., p. 611). Ce dernier auteur maintient
son opinion même après la décision du Tribunal des contlits (2e éd.,
p. 611. 3» éd., p. 614ets.); M. Hauriou, au contraire (4« éd..
p. 724 ; 5» éd., p. 698), a vu un fait nouveau dans Tarticle 58 du
décret du 9' mars 1894, et il considère ce texte comme formant
une base sufGsante à la doctrine du Tribunal des conflits. A
notre avis, ce serait là une base bien fragile, car le droit d'inscrip-
tion d'office que consacre ce texte ne peut, à lui seul, suffire à
classer un établissement ; il est seulement l'un des traits qui
donnent aux associations syndicales le caractère d'établissements
publics ; et, s'il a pu légalement être introduit dans le décret de
1894, c'est que ces associations avaient déjà par ailleurs ce caaac-
tère.
Les auteurs qui soutenaient, dès avant 1899, la solution qui
paraît avoir triomphé, étaient notamment : Aucoc, Conférences,
t. I, no 206. Picard, Traité des eauœ, t. IV, p. lui et suiv. Mar-
ques di Braga et Lyon, Comptât, de fait, n^ 131 . Tissier, Dons et
legs, n» 178.
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LA CLASSIFICATION DES PERSONNES MORALES 225
droits de puissance publique accordé à ces associations
par le législateur : droit de contrainte de la majorité sur
la minorité pour la formation de l'association ; droit
d'expropriation ; travaux envisagés comme travaux
publics; contributions des membres envisagées comme
contributions publiques. Il ne s'agit pas seulement de
certains privilèges de droit privé, mais bien de droits
publics qui ne peuvent appartenir qu'aux personnes
morales publiques. Le contrôle étroit auqutîl TAdminis-
Iration soumet l'association (obligation d'exécuter les
travaux, intervention dans la nomination des syndics,
autorisation à donner pour les actes les plus importants,
droit d'inscription d'office des dépenses accordé au
préfel) n'est que la conséquence de sa situation de per-
sonne publique et ne peut que la confirmer. Les auteurs
qui soutiennent l'opinion contraire paraissent en cela se
rattacher à l'idée que la classification doit s'opérer
d'après le but que poursuit l'association. L'argument de
M. Ducrocq, c'est que ces associations ne représentent
que des intérêts privés collectifs, et non un véritable in-
térêt général (4). Mais nous avons ici un exemple qui
montre combien le critérium du but, envisagé en lui-
même, est inacceptable. L'intérêt général dirige assuré-
ment l'Etat quand il fait aux associations syndicales la
situation privilégiée que nous venons de décrire. Il
estime que, quel que soit le motif qui inspire les asso-
ciés, leur entreprise est intimement liée à la prospérité
générale. Il manifeste son appréciation sur ce point par
(1) M. Hauriou insiste aussi sur Tidée que les bénéfices privés à
retirer de Topération sont la considération déterminante dans la
formation de ces associations (5eéd., p. 698-699, n. 2).
MiCHOUD iâ
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3S6 CHAPITRE II
rensemble des règles auxquelles il la soumet. Pour
savoir si le groupement appartient au droit public, Tiii-
terprète n'a donc pas à se demander si en lui-même le
but est d'intérêt général; cette appréoiation purement
subjective serait des plus incertaines ;, il a seulement à
se demander si TEtat Ta considéré comme tel, ce qui
équivaut à dire que c'est dans Torganisation donnée aux
groupes, dans Tensemble des règles que FEtat a jugé à
propos de lui appliquer, que le critérium doit être re-
cherché.
Au reste, le même but peut être poursuivi à la fois
par des groupements privés et par des groupements
publics. Nous en avons un exemple ici : d'une part, aux
yeux de tous Tassociation syndicale libre est une asso-
ciation privée (1), bien que son objet soit identiquement
le même que celui de Tassociation autorisée ; d'autre
part, le même objet peut encore être poursuivi, au moins
dans certains casj par Tassocialion syndicale forcée, et
même directemetit par l'Etat, c'est-à-diré par des grou-
pes dont la qualité de personnes de droit public n'e&t pas
douteuse. L'Etat, en poursuivant lui-même certains
objets, ou en les assignant à l'activité des personnes de
droit public qu'il crée, n'en prend pas pour cela le mo-
nopole, et peut fort bien permettre à des groupements
privés de s'en occuper toutes les fois qu'ils réussissent
à se constituer pour cela. Gë qui se produit ici est iden-
tique au fond à ce qui se produit à l'égard des buts
purement désintéressés tels que l'enseignement ou l'as-
sistance.
(1) Nous réservons pour le moment la question de savoir ^i on
doit la considérer comme établissement d'utilité publique, ou la
classer dans une autre catégorie de personnes privées.
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k..
LA CLASSIFICATION DES PERSONNES MORALES 227
90. III. — Nous classons également parmi les per-
sonnes de droit public les caisses de secours des ouvriers
mineurs (loi du 29 juin 1894, art. 6 el suiv.). La question
est cependant ioi bien plus douteuse, parce que ces
caisses n'ont pas besoin des mêmes droits publics que
les associations syndicales. Mais leur organisation pré-
sente tous les traits des personnes de droit public créées
par TEtat lui-même, et dotées par lui d'une organisation
officielle : caractère obligatoire du groupement (art, 1)
et des versements à y effectuer (arl. 6) ; circonscription
fixée par décret en Conseil d'Etat (art. 9) ; conseil d'ad-
ministration élu sous la direction de TEtat dans toutes
les formes des élections de conseils publics (art. 10 et
suiv.) ; contentieux spécial organisé pour ces élections
(art. 43) ; contrôle étroit de la gestion administrative et
financière (art^ 14, 15, 16) ; droit du Gouvernement de
dissoudre le conseil d'administration (art. 17). II est
superflu en présence de Tensemble de ces règles de
parler de liberté corporative ; et si l'article 20 assimile
dans une certaine mesure les sociétés de ce genre aux
sociétés de secours mutuels, cela ne permet pas de les
classer par cela seul dans le droit privé ; car ce sont des
sociétés de secours mutuels obligatoires et soumises à
un contrôle et à une ingérence de TEtat que les sociétés
de secours mutuels ordinaires n'ont pas à supporter (1).
(1) M. Hauriou (5e éd., p. 481, n. 3) invoque l'art. 20 pour
démontrer que les caisses de ce genre ne sont point des établisse-
ments publics. Il est bon de noter ici que la doctrine allemande
n'hésite pas à classer dans le droit public les groupements analo-
gues créés par la législation d*Empire pour réaliser les assurances
ouvrières contre les maladies, les accidents, l'invalidité ou la vieil-
lesse. V. Rosin, op. ciL, p. SS et suiv. Laband, Ùroit public, éd.
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228 CHAPITRE II
Au contraire, nous n'admettons pas la qualité de per-
sonnes morales de droit public pour les caisses syndi-
cales ou patronales de retraite que les exploitants de
mines peuvent être autorisés à établir en vertu de l'arti-
cle 4 de la même loi. Il n'y a plus là, en effet, qu'une
institution purement volontaire et privée. Le contrôle
auquel elle est soumise (emploi obligatoire des fonds,
vérification de l'inspection des finances et du receveur
particulier) n^est qu un contrôle extérieur qui ne change
point le caractère de l'institution.
91. IV. — Il faut classer comme établissements
publics les comités d'habitation à bon marché de la loi
du 30 novembre 1894. Ils constituent évidemment des
fondations administratives, puisque l'Administration
les institue d'office, par décret, partout oii elle le juge
utile après avis du conseil général et du conseil supé-
rieur des habitations à bon marché. Leur gestion reste
d'ailleurs aussi purement officielle, puisqu'ils se compo-
sent de membres nommés en partie par le préfet, en
partie par le conseil général. M. Hauriou (1) a invoqué
contre cette solution le texte de l'article 2 de la loi qui
paraît les assimiler aux établissements d'utilité publique,
et la dévolution de leurs biens, en cas de dissolution, à
des sociétés d'habitations à bon marché, c'est-à-dire à
des sociétés ayant un incontestable caractère privé
(art. 2 in fine). Mais l'argument de texte est sans valeur,
les mots établissements d^utilité publique ne se trouvant
dans l'article 2 que sous la forme d'un renvoi à Tarti-
Franç.,t. IV, §82 et suiv. Gierke, Deutsches Privatrecht, p. 623
{§ 75-4).
(1) Droit administr.y 4e éd., p. 507, n. 4. M, Hauriou n'a pas
tuaintenu ce passage dans sa cinquième édition.
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LÀ CLASSIFICATION DES PERSONNES MORALES 229
cle 9i0, lequel, comme on le sait, applique une règle
commune aux deux catégories d'établissements. Quant
à la dévolution possible des biens à une société de gains,
elle s'explique par celle idée que cette société poursuit
à titre privé le même but que le comité dont il s'agit de
distribuer les biens; elle est d'ailleurs faite non par le
comité lui-même, mais par TEtat, et n'a pour objet que
de conserver au patrimoine son affectation ; elle ne
prouve donc rien contre le caraclère public de l'établis-
sement (i),
92. V. — Même solution pour les monts-de-piété,
qui ont, en vertu de la loi du 24 juin 1851, le caractère
de véritables fondations administratives. Ils sont en
effet institués avec l'assentiment des conseils munici-
►paux, par des décrets du Président de la République^ et
la collaboration de l'initiative privée n'y est point néces-
saire. Leur organisation est toute administrative, puis-
que leurs conseils, présidés par le maire, sont composés
de membres nommés par le préfet. Enfin ils sont sou-
mis à toutes les règles de la comptabilité publique
(décret du 31 mai 1862, art. 570), ce qui équivaut à
leur assurer une gestion financière non soumise aux
règles du droit privé. L'article 1 de la loi de 1831 qui
leur donne la qualification d'établissements d'utilité
publique n'est pas suffisant pour faire interpréter la
pensée du législateur dans un sens contraire à notre opi-
nion, car il appartient à une époque où la terminologie
n'était pas fixée (2).
(1) En notre sens, lissier, op. cit,, no i66. Avril, op. cit,,
p. 317.
(2) Comme le prouve le décret du 3 septembre 1851, art. 19, qui
qualifie d'établissements d'utilité publique les chambres de com-
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230 CHAPITRE n
98. VI. — Les caisses des écoles sont encore des
élablissemenls publics comme l'a fort bien décidé le
Conseil d'Etat dans un avis du IT mai 1900 (1). Ce sont
en effet des fondations administratives ; la caisse est
créée par délibération du conseil municipal approuvée
par le préfet; elle est gérée gratuitement par le per-
cepteur, et, depuis la loi du 28 mars 1882 (art. 47), elle
merce dont la qualité d'établissements publics (même à cette da^te)
est incontestable. '
La Cour de cassation a traité les monts-de-piété comme établis-
sements d'utilité publique au point de vue des autorisations de
plaider (Cass., 18 décembre 1866, D., 67. 1. 122). Elle a déclaré
plus tard, à propos d'une question fiscale, que le mont-de-piété de
Paris était un établissement public, et que, par sa destination, il
constituait en même temps il) un établissement d'utilité publique
(3 avril 1878, D., 78. 1. 178). Le Conseil d'Etat paraît les considé-
rer comme des établissements publics (section de l'Int. et des
Finances, avis du 27 juin 1880. Revue générale d'administration,
1893, t. II, p. 398) et il en est de même de la Cour des comptes
(arrêt du 17 décembre 1902, Revue des établiss, de bienf,, 1904,
p. 82). Les auteurs sont divisés : en notre sens Simonnet, Droit
administr., n^ 1531. Avril, op. cit., p. 314. En sens contraire,
Hauriou, 5" éd., p. 100. Tissier, op. cit., n" 202. M. Hauriou invo-
que Torigine privée de leurs deniers, et M. Tissier le caractère privé
de l'opération qu'ils ont mission d'accomplir (le prêt sur nantisse-
ment). C'est encore là le critérium tiré du but, et nous avons
montré combien il était fallacieux.
Certains auteurs contestent la personnalité même du mont-de-
piété de Paris et de quelques autres (v. Avril, op. cit., p. 310 et
suiv,).
(\) Revue générale d' administr . , 1901, I, 301. Trois arrêts au
contentieux en date du 22 mai <903 (D., 1904, 3. 1. conclusion
de M. Romieu) ont statué dans le même sens. Mais le Conseil d'Etat
a, croyons-nous, tiré de la qualité d'établissement public des con-
séquences exagérées quand il en a conclu que les souscripteurs
n'avaient aucun droit à surveiller le fonctionnement de ces caisses.
Nous reviendrons sur ce point dans notre second vo[ume. V. Hau-
riou. S. 1905. 3. 33.
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LA CLASSIFICATION DBS PERSONNES MORALES 231
existe, à titre obligatoire, dans toutes les communes.
Ces motifs suffisent. Le Conseil d'État les résume en
disant que la caisse des écoles est un <^ organisme
administratif ». Il insiste en outre sur ce fait que cet
organisme est substitué à la commune, « dans Taccom-
plissement d'une mission qui, par sa nature même,
incombait à celle-ci », ce qui paraît revenir au criteriuïn
tiré du but. Il est évident pourtant que le même but
(récompenser les élèves assidus et secourir les élèves
indigents) peut être poursuivi par une société privée, La
commune n'en a point le monopole. Tout ce qu'on peut
dire, c'est que l'utilité générale de ce but a paru au
législateur de nature à justifier la création d'un orgeir
nisme administratif propre à l'atteindre ; mais ce qui
nous prouve la qualité d'établissement public, c'pst l'or-
ganisation qui lui est donnée, et non le but en lui-
même.
94. VIL — Au contraire, les caisses d'épargne ont
depuis longtemps été classées par la jurisprudence
parmi les simples établissements d'utilité publique (4),
et nous croyons qu'elle a raison. Leur création paraît
cependant les rapprocher des fondations administrati-
ves, car non seulement elles doivent être autorisées
par décret, mais le décret ne peut être sollicité que par
le conseil municipal, et, depuis 1893, il ne peut pas y
avoir plusieurs caisses d'épargne dans une commune. Il
n'en est gas moins vrai que, même en fait, c'est l'initia-
(i) (Vest k propos des caisses d'épargne que la jurisprudence
a établi la distinction (V. infrà, ch. IV, nos 139 et 140, et les arrêts
qui j' sont cités, notamment Caen, 18 mai 1854. D. 54,2.264.
Cass. 5 mars et 8 juillet 1856. D* 56. 1. 121 et 278).
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:232 CHAPITIŒ II
tive privée qui d'ordinaire donne le branle, ce sont les
fondateurs qui rédigent les statuts, sans être astreints à
à l'uniformité, et qui les proposent à Tapprobation ; en
général les administrateurs ne sont pas nommés par
l'autorité administrative et ne peuvent être révoqués
par elle. Ce sont là des traits caractéristiques de l'entre-
prise privée. Le contrôle étroit auquel est soumise la
gestion financière ne suffit pas pour infirmer cette con-
clusion.
95. VIII. — La nature juridique des ordres d'avocats
donne lieu aux plus grandes incertitudes (1). Un certain
nombre d^auteurs sont disposés, en se plaçant au point
de vue du droit strict et au moins pour quelques-uns
d'entre eux, à nier leur personnalité juridique (2). Mais
la jurisprudence, soit administrative, soit judiciaire, a
admis pratiquement cette personnalité à bien des repri-
ses diverses, sans distinguer entre les divers bar-
(1) Les difficultés qui concernent leur classification à titre de
personnes morales ont été examinées avec beaucoup de soin par
M. Avril. La personnalité morale de V ordre des avocats (dans
Annales de V Université de Grenoble, 1902, t. XIV, p. 347 et 617).
(2) M. T\%siQv {Traité des dons et legs, no 203) n'accorde de per-
sonnalité qu'à ceux qui, en vertu du décret du 3 octobre 1811, ont
la faculté de percevoir un droit sur chaque prestation de serment :
« On peut, dit-il, à la rigueur, se fonder sur la disposition dudit
décret. . . pour soutenir que les ordres d'avocats auxquels elles sont
applicables sont des personnes morales ». Mais il hésite à admettre
que cette personnalité aille jusqu'à leur permettre de recevoir des
libéralités, et il nie entièrement la personnalité de ceux à qui ce
décret n'a pas été étendu. M. Avril {op. cit., p. 651) paraît con-
clure que la personnalité de Tordre des avocats est l'œuvre d'une
jurisprudence bienveillante bien plus que de la loi. Aubry et
Rau niaient la personnalité dans leur 3e éd. (§ 54, n. 17) ; mais
^ils l'admettent dans la 4e (§ 54, n. 14),
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LÀ- CLASSIFICATION DES PËKSONXBS MORALES 233
reaux (1), et la plupart des auteurs font de même (2).
Nous serions disposé à l'admettre en disant qu'elle
résulte implicitement de l'organisation corporative don-
née aux ordres, et de Tinterprétation donnée, dès le
début, par les pouvoirs publics, aux textes qui établis-
sent cette organisation (3). Mais, ce point acquis, la
classification de la personne morale ainsi reconnue
reste difficile. Les uns y voient un établissement
public, les autres un établissement d'utilité publique,
d'autres enfin une personne morale n'appartenant à
aucune des catégories précédentes (4). Nous croyons
qu'il faut y voir une personne morale de droit public
(ou si Ton veut adopter la terminologie la plus usuelle,
(1) Les ordres d'avocats ont été très souvent autorisés à recevoir
des dons et legs (v. les nombreux exemples cités par M. Avril, op,
cit., p. 632), et ces autorisations se sont parfois appliquées à des
barreaux auxquels ne s'appliquait pas le décret du 3 octobre 1811
(v. le projet de décret du 28 décembre 1893, en faveur de l'ordre
des avocats de Tours, cité par Tissier, op, etloc. cit.). D'autre
part, diverses décisions judiciaires ont admis les ordres d'avocats
à ester en justice par leurs bâtonniers (Ghambéry, 20 juillet 1872,
S. 74. 2. 89. Trib. de Bourges, 15 décembre 1887. Pandectes fran-
çaises, 88. 2. 175).
(2) V. les nombreux auteurs cités par M. Avril, op, cit. y p. 623,
n. 3.
(3) Nous reviendrons sur ces idées à propos de la création des
personnes morales.
(4) Etablissement public : Béquet, vo avocat, p. 30.
Etablissement d'utilité publique : Cresson, Profession d'avocat,
t. II, p. 221. Avril, op. cit., p. 648.
Personne morale .^ui generis : Beudant, Revue pratique, 1881,
t. II, p. 4030. On peut rattacher à cette dernière opinion Bouchené-
Lefer, Principes et notions élémentaires du droit public et admi-
nistr., p 27 et 28. M. Tissier déclare (op. et loc. cit.) que s'il en
reconnaissait la personnalité morale, il classerait les ordres d'avo-
cats parmi les établissements d'utilité publique.
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234 CHAPITRE II
un établissement public lato sensu). Il est inexact en
effet (Je considérer les ordres d'avocats, ainsi que le
font les partisans du caractère privé, comme chargés
uniquement de gérer les intérêts particuliers de leurs
membres. Cela serait vrai s'ils n'avaient que des attri-
butions d'ordre patrimonial; mais précisément ces attri-
butions, loin d'être les seules, sont de beaucoup les
moins importantes, et nous avons vu qu'on en conteste
même l'existence. Un ordre d'avocats est avant tout une
corporation associée à un service public, celui de la jus-
tice. Il a son origine dans des actes d'Etat. Il a sur ses
membres une jucidiction disciplinaire qui appartient
incontestablement au domaine du droit public. Il a
d'ailleurs un monopole, c'est-à-dire un droit de puis-
sance publique. La corporation qui a ces droits est bien
la même que celle qui peut percevoir des cotisations ou
accepter des dons et legs ; et l'habitude prise de n'envi-
sager les personnes morales que par leur côté patrimo-
nial peut seule expliquer que beaucoup d'auteurs aient
cédé au désir de les considérer comme des personnes de
droit privé. Ce désir, qui a exercé sur la question une
grande influence, provenait de la crainte que Ja classifi-
cation parmi les personnes morales publiques n'entraînât
quelque danger pour l'indépendance de la profession
d'avocat. Mais on peut admettre que l'ordre est une
personne morale publique sans lui appliquer pour cela
l'ensemble des règles restrictives qui s'appliquent aux
établissements publics stricto sensu. A la différence de
ces derniers^ en effet, il n'est pas une personne morale
♦publique englobée dans les services administratifs \ il
est placée par la loi de son institution, sous le contrôle,
non de l'autorité administrative, mais de l'autorité judi-
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LA CLASSIFICATION DES PERSONNES MORALES 235
ciaire. Cela suffit à écarter les dispositions qui imposent
aux établissements publics ordinaires une autorisation
administrative à obtenir (par exemple pour ester en jus-
tice) (1) ou un contrôle financier provenant de TAdmi-
nistration. Il ne sera soumis qu'aux contrôles légaux
qui résulteront des lois spéciales qui lui sont applica-
bles.
Nous admettons une classification analogue pour les
diverses corporations d'officiers ministériels : chambres
d'avoués, de notaires, etc. (2).
m
96. Après avoir éludié les deux distinctions les plus
célèbres, nous sommes arrivés à ce résultat que la clas-
sification la plus importante à retenir était la classifica-
tion en personnes morales de droit public et personnes
morales de droit privé, el nous avons essayé de préciser
le critérium de cette classification. Il nous reste main-
tenant à indiquer quelles seront dans chacune des deux
branches les distinctions qui présentent une importance
réelle.
I. — Parmi les personnes morales de droit public, la
classification nous paraît devoir être établie comme il
suit : Etat, communautés territoriales (départements,
(1) Il faut toutefois appliquer l'article 910, qui s'étend à toutes
les personnes morales publiques (en outre aux établissements
d'utilité publique), parce que son but principal (celui d'empêcher
l'accroissement de la mainmorte) est d'un caractère beaucoup plus .
général que le but des art. 1032, Proc, ou 2045, Cod. civ.
(2) V. pour les Chambres d'avoués, Pand. franc, Rép,, yo
Avoués, no 1494.
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^^ iNT'.
236 CHAPITRE II
communes, provinces, etc.), établissements publics. —
Que TEtat doive occuper dans cette classification une
place à part, c'est ee qu'il n'y a pas lieu d'établir longue-
ment. Mais il est plus difficile d'établir le critérium qui
permet de le distinguer des autres communautés terri-
toriales. L'Etat n'est, en effet, que la plus haute de ces
communautés. Celles-ci se distinguent de toutes Jes
autres personnes morales en deux points : 1° Elles ont
un double substratum, Pun personnel, l'autre réel. Elles
se composent d'une population fixée sur un territoire
déterminé, et ces deux éléments leur sont aussi essen-
tiels l'un que l'autre ; 2^ Elles ont pour mission de gérer
Vensemble des intérêts collectifs de la population fixée
sur ce territoire, et leur mission à ce point de vue n'est
limitée que par les droits des communautés territoriales
supérieures dont elles peuvent elles-mêmes faire partie,
et les droits des communautés territoriales inférieures
ou autres personnes morales de droit publie, qui sont
reconnues sur leur territoire en verlu de l'ordre juridi-
que existant. Ces diverses communautés territoriales se
sont pour la plupart formées historiquement d'une ma-
nière toute spontanée, et ce n'est que peu à peu que
TEtat s'est nettement distingué des autres commu-
nautés de même espèce. Aujourd'hui encore la dis-
tinction ne va pas sans difficulté.
97. Beaucoup d'auteurs trouvent le critérium dans
ridée de souveraineté, en entendant le mot souverai-
neté dans son sens traditionnel, comme exprimant le
fait de n'être soumis à aucune puissance humaine supé-
rieure (l). Cette théorie, qui diminue singulièrement
(1) C'est l'idée classique qui remonte à Bodia et qui a été accep-
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LA CLASSIFICATION DES PERSONNES MORALES 237
le nombre des commanaulés territoriales auxquelles la
qualité d'Etat doit être reconnue, est celle de FEtat uni-
taire^ jaloux de sa toute-puissance, n'admettant dans son
sein l'existence d'aucune communauté politique a)'ant des
droits de puissance publique indépendants des siens.
Au point do vue du droit interne, en effet, nous verrons
que les communautés territoriales auxquelles la qualité
d'Etat n'est pas reconnue, ne peuvent se prévaloir, vis-
à-vis de l'Etat auquel elles appartiennent, d'aucun droit
intangible dans le domaine du droit public (i). C'est
l'Elat qui règle à son gré la part de puissance publique
dont il leur abandonne l'exercice. La doctrine en ques-
tion est donc une doctrine d'absolutisme, et comme nous
avons cherché à le montrer ailleurs (2), elle a son ori-
gine dans une situation politique déterminée, celle de
la tendance centralisatrice qui a caractérisé presque tous
tée, au moins en ce qui concerne la définition de la souveraineté
par la plupart des auteurs des xvii" et xviii* siècles. P. ex. Loyseau,
Traité des seigneuries t ch. II, n^ 4 et s. — V. pour son histoire:
Michoud et Lapradelle,. La question finlandaise dans Revue du
droit public, t. XV, 1901, p. 38 et s. ; Rehm, Allgemeine Staat-
slehi^e, % 10 et s. Polier et de Marans, Esquisse d'une théorie des
Etats composés (Bulletin de V Univei^sité de Toulouse^ 1902, p. 15
et s.). — Parmi les auteurs modernes, le critérium de la souve-
raineté, entendue au sens indiqué ici, est souvent admis : Pra-
dier-Fodéré, Droit intern., §1, 87. Piédelièvre, Droit intern,,
p. 66-67. Despagnet, Droit international public, 3e éd., nos 79
et s. Bornhak. Allgem. Staatslehre, p. 10, Zorn, Das Staat-
srechtdès deutschen Reiches., §4. Gierke, Zeitschrift fiir die
gesammte Staat swissenschaft, 1874, t. XXX, p. 304. Seydel,
même revue, 1873, t. XVÏII, p. 188-189. Hœnel, Staatsrecht,
p. 113.
(1) V. infrà, n« 118.
(2) Dans notre article précité, publié en collaboration avec M. de
Lapradelle sur la Question finlandaise, p. 41-42.
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238 CHAPITRE II
les grands Etats modernes au moment où ils ont
achevé de s'unifier. « L'influence qu'elle peut avoir
sur la marche de l'humanité, avons-nous dit, ne peut
conduire qu'à sacrifier^ les petits aux grands et les
faibles aux forts. Elle aboutit à ce résultat que, dès
dès qu'un pays aura été obligé par suite de sa faiblesse
relativBj à se soumettre d'une manière permanente sur
certains points déterminés, à un voisin puissant, il devra
être considéré en droit comme entièrement asservi ;
qu'il ne pourra conserver aucune parcelle de son indé-
pendance s'il ne la conserve pas tout entière On
arriverait ainsi peu à peu, si on n'y prenait garde, à
rayer de la liste des Etats toutes les puissances de
second ordre : car, depuis les pays protégés jusqu'aux
pays neutralisés ou à ceux qui se sont vus imposer une
servitude internationale, il en est peu à qui on puisse
reconnaître la souveraineté absolue et entière, qufî la
théorie exige ». Cette théorie a d'ailleurs une extrême
difficulté à expliquer la théorie de l'Etat fédéral (1), car
elle aboutit à dénier la qualité d'Etat soit à l'Etat com-
posé, soit aux Etats composants, et aucune de ces deux
solutions ne concorde avec le sentiment; juridique géné-
ral, ni avec l'usage dé la langue.
Nous approuvons donc entièreihent les tentatives qui
ont été faites pour chercher le critérium juridique qui
distingue l'Etat des autres communautés territoriales
ailleurs que dans la notion de souveraineté. Sans passer
en revue ici les diverses opinions émises à ce sujet (2),
nous ferons remarquer seulement que toutes partent
(1) V. dans l'article précité les explications données p. 44-45.
(2) V. encore l'article précité, p. 45 et s.
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LA CLASSIFICATION DES PERSONNES MORALES 5Bdy
nécessairement de l'idée que l'Etat est caractérisé, non
par la souveraineté-indépendance, qualité toute négative -
et par là même indivisible, mais par un ensemble de
ptêTogdiiiy e& posiiives^ dont l'indépendance n'est que la
manifestation et la garantie extérieure. L'Etal exerce
des droits de puissance publique qui ont pour objet de
lui permettre de veiller aux intérêts collectifs et perma-
nents de la population établie sur son territoire. S'il
exerce tous cefe droits librement^ il est un Etat souve-
rain. Mais alors même qu'il est limité, à l'égard de
quelques-uns d'entre eux par une puissance étrangère
ou supérieure, il n'en résulte pas qu'il perde la qualité
d'Etat. Il ne la perd, pour être ramené au rang de pro-
vince, département, ou autre communauté territoriale,
que lorsque les droits de puissance publique exercés
par lui peuvent être considérés comme délégués par la
puissance étrangère ou supérieure dont il dépend ; et
cela se reconnaîtra à ce signe que cette puissance a un
droit reconnu à les modifier ou à les restreindre. Le
pouvoir de cette dernière est dans ce csls juridiquement
illimité, et les communautés soumises à ce pouvoir ne
peuvent plus prétendre au titre d'Etats. Le critérium
de la distinction est donc à nos yeux le suivant : le
•pouvoir qui domine l'Etat non souverain est juridique-
ment limité, il ne peut détruire entièrement les^droits
de puissance publique qui appartiennent à cet Etat que
par la force brutale. Au Contraire le pouvoir qui domine
la commune ou la province peut, sans violer le droit,
diminuer ou même supprimer les droits de puissance
qui appartiennent à ces personnes (1). Elles sont en
(1) Gpr. pour ces idées que nous ne voulons pas ici développer
ni discuter l'article précité, p. 47 et s. Le critérium que noUs adop-
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240 CHAPITRE II
effet, dans Texercice de ces droits de puissance les délé-
guées de TEtat ; et si la législation positive peut garantir
par des moyens juridiques les droits de puissance publi-
que dont elle leur allribue Texercice, elle ne se lie
cependant pas vis-i-vis d'elles, et TEtat peut leur
reprendre la compétence qu'il leur avait accordée. Ce
sera du reste uniquement par Texamen particulier des
faits que l'on pourra ranger telle ou telle communauté
territoriale dans un groupe plutôt que dans un autre;
et il ne rentre pas dans notre plan d'étudier l'application
de ces idées (1).
98. IL — En dehors des Etats, se divisant en sou-
verains, et non souverains^ les personnes morales de
droit public comprennent les communautés territoriales
et les établissements publics. Les premières (communes^
départements, provinces, etc.), se caractérisent par ce
fait qu'elles comprennent comme l'Etat lui-même, toute
la population groupée sur un territoire déterminé, et
tons est celui qui a été indiqué par Georg. UeyeVyDeutsches Staats-
rechtf § 1, note il, 5« éd. C'est aussi au fond celui de M. Duguit
quand il dit : t Ily a fédéralisme lorsqu'il y a obligation juridique
pour les gouvernants de respecter la décentralisation ». (L'État,
les gouvernants et les agents, p. 758).
(1) y. notamment pour l'application Texposé de JcUinek dans
Allg. Staatslehre, p. 585 à 605. L'idée d'un type intermédiaire
entre TEtat et la communauté territoriale décentralisée, type
auquel Jellinek donne le nom de Land ou Staats fragment, et
dans lequel on trouve seulement certains éléments de TElat, mais
non tous, nous parait compliquer inutilement la classification. Sans
doute, là comme partout les types extrêmes de chacun des deux
groupes se touchent ; certains Etats sont bien près de n'être que
des provinces (telles par exemple là Finlande que nous croyons être
un Etat), certaines provinces bien près d'être des Etats (tels les
Lander autrichiens). Mais il appartient au droit de tirer des lignes
de démarcation à travers les phénomènes complexes de la vie.
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LA CLASSIFICATION DBS PERSONNES MOIULES 24t
représentent les intérêts collectifs de toute celle popu-
lation. Il en résulte tout d'abord que la qualité de mem-
bre de ces collectivilés dépend, comme pour TElat, de
la résidence sur un cerlain lerriloire. Il en résulte en-
suite que, dans l'intérêt de la collectivité ainsi repré-
sentée, ces communautés ont des droits de puissance
publique même sur des individus étrangers, lorsqu'ils se
trouvent temporairement sur leur territoire. Le territoire
est ainsi tout à la fois une limite à leur action et un
caractère qui sert à déterminer la qualité de membre de
ces communautés. Par là ces personnes morales soot
semblables à l'Etat. Elles se rapprochent encore de lui
par la généralité de leur mission; elles sont chargées,
en effet, de représenter Vensemble des intérêts collectifs
de la population établie sur le lerriloire, en tant que ces
intérêts collectifs ne sont pas déjà représentés par une
collectivité plus haute. Les développements sur ce point
seront donnés plus loin (1).
Au contraire les établissements publics^ qui forment
dans notre droit une catégorie bien déterminée, ne sont
pas nécessairement liés à un territoire et ne sont chargés
que de fonctions de droit public d'ordre spécial : assis-
tance, enseignement, etc. L'établissement. public se pré-
sente d'ordinaire sous la forme d'une fondation prove-
nant de l'Etat, du déparlement ou de la commune. Mais
il pçut aussi prendre la forme d'une association, comme
c'est le cas pour les associations syndicales autorisées.
Il n'y a pas là, comme nous l'avons vu, de différence
essentielle, la distinction en corporation et fondation
n'ayant de véritable valeur qu'en droit privé*
(1) Aa tome II de cet ouvrage dans le chapitre relatif aux droits
des personnes morales.
MICHOUD 16
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342 GHAPITtlE 11
IV
99. Parmi les personnes nfioralea de droit privé, la
distinclion fondamentale est précisément cette distinc-
tion des associations et de^ fondât ions y que nous avons
mise en lumière plus haut, et sur laquelle il n'y a pas
lieu de revanir ici.
Mais à Tintérieur même de Tun de ces deux groupes,
celui des associations, il y a une classification à établir.
.1. Il faut en effet distinguer nettement les associa-
tions ayant un hut intéressé, et les associations ayant
un but désintéressé. Il faut les distinguer d*abord parce
que même dans les relations entre les associés^ elles ne
peuvent être soumises à un régime identique, et que néces-
sairement Torganisalion des premières comportera pour
les associés des droits sur le patrimoine social qui seront
inconnus dans les associations à but idéal, ou qui n'y
apparaîtront que subsidiairemenl quand la poursuite, du
but idéal sera devenue impossible. Il faut les distinguer
aussi parce que la politiqiie de UElat vis-à-vis des pre-.
mîères ne doit pas être la même que vis-à-vis des secon-
des, et en fait n'a jamais été la même. Vis-à-vis des asso-
ciations à but de gain TEtat n'a jamais eu de méfiance ;
il ne craint pas qu'elles accumulent outre mesure leurs
richesses, car ces richesses sont destinées, non à se per-
pétuer comme biens de mainmorte, mais à se fondre
périodiquement ou incessamment dans les patrimoines
privés! Les seules précautions à prendre contre elles
sont celles qui sont exigés par l'intérêt des associés eux-
mêmes ou par l'intérêt des tiers, — exposés Tun et
l'autre à être compromis par la trop grande habileté des
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LA CLASSIFICATION PE8 PBflSONNËS MORALES %\%
lanceurs d'affaires. — C'est par là que s'expliquent toutes
les mesures prises en fait dans les diverses légis-
ialions pour le règlement des sociétés de gain : me-
sures dé publicité, dispositions sur l'obligation des
associés aux dettes, sur le fractionnement du patri-
moine social^ etc., parfois autorisation de l'Etat, Pour
' les associations à tendance idéale, au contraire, il y ft
quelque chose de plus : TEtat a toujours cru nécessaire
de les soumettre à une certaine surveillance par prainte
de Taccumulation des biens de mainmorte, et de la trop
grande influence qu'elles pourraient acquérir sur l'esprit
public. Notre législation, comme on Je sait, a beaucoup
exagéré ces méfiances, mais elles se retrouvent dans la
plupart des législations étrangères. Presque partout, 1^
distinction fondamentale que nous trouvons, parmi les
corporations, est celle qui consiste à mettre à part les
corporations à but idéal ou corporations désintérés^
sées (J).
100. Notre loi n'a cependant pas tout à fait procédé
de cette manière, Notre distinction classique est celle
dps sociétés et des associations ; cette distinction corres-
(1) G*est notamment le système du Gode civil allemand et du
Code suisse projeté. Le premier réglemente séparément, art. 21
et s., l'association qui n'a pas pour but une entreprise de carao-
tére économique, c'est-à-dire, suivant Topinion qui paraît devoir
l'emporter, l'association qui n'a pqs pour but de procurer à ses
membres des avantages d'ordre pécuniaire ou économique, ou, en
d'autres termes, les associations ayant un but désintéressé (V. Sa-
leilles, Les personnes jurid. dans le G, civil allemand sur
l'art. 21, in fine). Quant au projet de Gode civil suisse, ce qu'il
réglemente séparément, art. 70 et s., ce sont les < sociétés poli-
tiques, religieuses, scientifiques, artistiques, de bienfaisance, de
récréations ou autres semblables, qui ne poursuivent ni directe-
ment ni indirectement un but économique. »
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â44 CHAPITRE II
pond bien à peu près à celle que nous venons d^indi
quer, mais à peu près seulement ; el elle présente eu
outre des incertitudes sur lesquelles quelques mots sont
nécessaires.
Dans Tassocialion comme dans la société, deux ou
plusieurs personnes se réunissent pour mettre quelque
chose en commun ; dans Tune et l'autre aussi, le grou-
pement a un objet autre que cette mise en commun; elle
a un bift actif y ce. qui les distingue de la simple commu-
nauté ou indivision (1). D'après J'article 4832 du Code
civil, le trait caractéristique de la société se trouve dans
le fait qu'elle a pour but un partage de bénéfices ; et
Topinion générale (2) entend ces mots dans le sens de^
distribution de dividendes ou bénéfices pécuniaii^es. On
ne<;onsidère donc pas comme sociétés les groupements
qui ont un but d'intérêt patrimonial^ sans qu'il y ait
cependant à prévoir entre leurs membres une distribution
de bénéfices pécuniaires ; et on exclut en conséquence
du régime des sociétés : les associations, faites entre
plusieurs personnes en vue d'effectuer certains travaux
d'entretien ou d'amélioration de leurs immeubles à frais
communs (p. ex. l'association formée en vue d'élever un
mur mitoyen, pu les associations libres de propriétaires
en vue de l'irrigation ou du drainage) ; les associations
formées en vue de défendre des intérêts communs me-
nacés (p. ex. le contrat formé entre porteurs d'obliga-
tions d'une même société pour défendre leurs intérêts,
ou, dans un autre ordre d'idées, le syndicat profession-
(1) Baudry-Lacantinerie etWahl, Traité de droit civil. Sociétét
prêt, dépôt, n^ 9.
(2) Opinion combattue cependant par quelques auteurs, notam-
ment par M. Planiol, Tî^aité de droit civil, t. II, n® 1990 (Ir^ éd.).
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LA CLASSIFICATION DES PERSONNES MORALES 245
nel et le trust formé entre producteurs dans le but d'em-
pêcher ravilissemenl des prix); les associations formées
dans un but de prévoyance pour leurs membres (p. ex.
les sociétés de secours mutuels, les sociétés d'assurance
mutuelle); les associations dans lesquelles la mise en
commun a*simplement pour objet la dévolution aux
survivants de la part des prémourants (les tonti-
nes), etc. (i).
Il semble résulter de celte définition étroite de la
société (civile ou commerciale) que tous les groupe-
ments qui viennent d'êtrç énumérés rentrent, malgré le
but intéressé qu'ils poursuivent, dans la catégorie asso-
dations, et qu'en conséquence, ils tombaient tous, avant
la loi de 1901, sous le coup de l'article 291 du Code
pénal, qui établissait une pénalité contre toute associa-
tion de plus de vingt personnes, non autorisée par le
Gouvernement, dont le but serait de se réunir tous les
jours ou à certains jours marqués pour s'occuper d'objets
religieux, politiques, littéraires^ on autres. Il n'y aurait
eu d'exception à faire que pour celles qui exceptionnel-
le/nent avaient été prévues et régularisées par des lois
spéciales : associations syndicales de propriétaires,
sociétés de secours mutuels, sociétés en vue de rensei-
gnement supérieur, syndicats professionnels (2) : ou
encore pour les associations n'ayant pas pour but de
se réunir à certains jours, et par là échappant aux ter-
mes de l'art. 291.
(1) V. LyonCaen et Renault, Traité de droit comm., t. II, n® 34
et s.
(2) Les assurances mutuelles et les tontines étaient également
prévues par une loi spéciale, mais cette loi les laissait soumises à
l'autorisation du gouvernement (loi du 27 juillet 1867, art. 66).
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. 246 CHAPITRE If
Il ne semble pas cependant qu'avant 1901 la juris-
prudence ait jamais appliqué sérieusement ce principe.
Notamment, elle avait considéré comme valables, dès
avant la loi du 21 juin 1865, et sans les qualifier pour
cela de sociétés, les associations syndicale^ libres de
propriétaires (1); elle avait pris la même situation vis-
à-vis des associations d'obligataires pour la défense de
leurs intérêts communs (2) ; vis-à-vis des caisses de
secours établies entre ouvriers d'une même entreprise
industrielle (3) ; vis-à-vis des associations ayant pour
objet de faire des travaux pour protéger les proprié-
tés (4) ; et de quelques autres associations analogues.
Elle n'a pourtant pas appliqué cette jurisprudence bien-
veillante aux syndicats professionnels antérieurs à la loi
de 1888 ; elle les a considérés comme tombant sous le
coup de l'article 291 du Code pénal (o) ; et, si elle a sous-
(i) V. Gass. 6 juillet 1864. D., 64. i. 424. Aucoc, Conférences,
t. Il, n«872. L'exposé des motifs de la loi de 1865 (D., 65. 4. 77)
les qualifie de sociétés civiles^ Mais la plupart au moins des arrêts,
qui les concernent (nous ne pouvons affirmer qu'il n'y a à cela
nulle exception) ne leur donnent pas ce titre. V. l'arrêt du 6 juillet
1864 ci-dessus cité, et larrôt du 26 mai 1841. S., 41. 1. 483. Les
auteurs les ont souvent considérés comme sociétés civiles (Dall.-
Rép.fY^ Travaux publics, n^ 1026 et s. Ghristophle et Auger,
T7\ publics, no 210) .
(2) Gass. 26 mars 1878. D., 78. 1. 303 ; 3 décembre 1889, D.,90
1. 105. Ges derniers arrêts expriment que le contrat fait entre les
obligataires est valable « sans avoir à rechercher si cette associa-
tion présente tous les caractères d'une société civile proprement
dite ».
(3) Gass. 18 juin 1872. D., 72. 1. 172.
(4) Gass. 27 juillet 1880. D., 81. 1. 165. Sans doute dans quel-
ques-uns des cas cités ci-dessus, la validité peut s'expliquer par le
fait qu'il s'agit d'associations où on ne se réunit pas, mais non
dans tous.
(5) Gour de Lyon, 28 mai 1874. D. 75. 2. 65 (Cercle des ouvriers
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LA CLASSIFICATION DBS PERSONNES MORALES 247
trait aux rigueurs de cet article les sociétés de secours
mutuels libres, c'est en s'appuyant sur une loi spéciale,
celle du 15 juillet 1850 (1). D'autre part, elle a hésité
sur la nature des sociétés d^assurances niutuelles) et
tantôt leur a appliqué, tantôt leur a refusé le titre de
sociétés (â). Il y avait donc en somme dans ses iendan-*
ces une certaine incertitude. Quant à la doctrine, elle
admettait généralement que les associations do ce
genre ne présentaient pas le caractère de sociétés ; mais
d'autre part, elle ne les considérait pas comme tomban t
sous le coup de l'article 291.(3).
L'intérêt pratique de la question est moindre assuré*
ment depuis que la loi de 1901 a supprimé ce dernier
texte. Il est cependant très important encore, notam-
ment au point de Vue de la question de personnalité
morale, de savoir si les groupements, dont nous par-
lons sont, au cas oh aucune loi spéciale ne les régit,
soumis aux règles de la société civile, ou aux règles de
l'association de la loi de 1901, ou «'ils ne rentrent dans
aucune de ces deux catégories. L'article 1 de la loi nou-
velle définit l'association : m La convention par laquelle
sur métaux). On sait d'ailleurs qu'en fait, bien longtemps avant
la loi de 1884, l'Administration faisait bénéftcier les syndicats
professionnels d'une large tolérance de fait. V. Pic, LégUL in-
dust., 2e édit., n»» 344 et s.
(1) Cour de Paris, 7 décembre 1882. D., 83. 2. 55.
(2) Dans le premier sens, Gass. 28 février 1886. D., 87. 1. 311.
Dans le second, Paris 25 mars 1873. D., 75. 2. 17. Pour les socié-
tés de chasse, la jurisprudence les considérait comme des sociétés
civiles. Gass. 18 novembre 1865. D., 66. 1. 455.
(3) V. Lyon-Gaenet Renault, t. Il, n» 34. Tlialler, jre éd., nM53.
Baudry-Lacantinerie et Wahl, n<*558. Garraud, Droit pénal, t. IV,
no 1511.
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248 CHAPlTItE II
deux ou plusieurs personnes mettent en commun d'une
façon permanente leurs connaissances ou leur activité
dans un but autre que de partager des bénéfices ». En
rapprochant cette définition de Tarticle 1832, il semble
bien, au moins à première vue, qu^elle en est exacte-
ment la contre- partie, et que tous les groupements vo-
lontaires doivent désormais se diviser, uniquement
d'après leur buty en sociétés, ayant pour but un partage
de bénéfices, et associations^ ayant un but autre que le
partage de bénéfices. La loi nouvelle aurait donc im-
plicitement tranché les doutes anciens en classant parmi
les associations au moins la plupart des groupements
énumérés ci-dessus, et elle pouvait le faire d'autant plus
aisément que, faisant aux associations un régime relati-
vement libéral, sa classification n^avait plus pour les
groupements de cette sorte, les inconvénients qu'elle
aurait entraîmés sous l'empire de l'article 291. Cette
classification laisserait du reste la porte ouverte à des
divergences sur le sens qu'il faut donner au mot partagée
de bénéfices^ et permettrait encore de soutenir^ avec
M. Planiol, que ce mol n'a pas le sens étroit qu'on
hii donne d'habitude, et qu'en conséquence quelques-
.uus des groupements dont il s'agit sont de véritables
sociétés. Mais du moins on aurait supprimé ce groupe
hybride, pour lequel aucune règle ne serait formulée,
cl dont la situation ne peut en somme se régler qu'en
puisant ou dans les textes sur les associations, ou dans
les textes sur les sociétés ; il est plusfranc et plus simple
dV puiser directement que de commencer par déclarer
que ces textes sont inapplicables, pour arriver ensuite à
les appliquer par analogie.
Telle n'est pas cependant Pinterprétation qui a été
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tA CLASSIFICATION DES PERSONNES MORALES 249
admise par les premiers commentateurs de la loi de
1901 (1). Ils insistent sur celte circonstance qu'entre
l'article 1832 et Tarticle 1 de la loi de 1901, il y a une
autre différence que celle du but; dans l'article 1832, on
met quelque chose en commun, et ce quelque chose dési-
gne nécessairement des biens (2) ; dans la loi de 1901,
les associés mettent en commun non des biens, mais
uniquement leurs connaissances et leur activité^ et le texte
a été accentué en ce sens par le rejet de Tamendement
Lemire (31 janvier 1901), lequel demandait qu'on ajoutât
à ces deux mots les mots « ou leurs ressources » Pour qu'un
contrat rentre dans les prévisions de la loi de 1901, il
faut donc que la mise en commun porte uniquement sur
les connaissances et l'activité, non sur les biens ; les
groupements comportant mise en commun des biens
constituent, ou des sociétés, ou s'ils ne peuvent ren-
trer dans le cadre sociétés, des contrats innommés. Oh
est bien cependant obligé d'ajouter que les associations
peuvent, elles aussi, comporter la misé en commun de
certains biens, puisque l'article 6 permet expressément
aux associations déclarées de posséder et d'administrer
certaines ressources; mais ce droit de posséder n'est
accordé aux associations que d'une façon limitée et
exceptionnelle ; i! n'est jamais chez elles que l'acces-
soire ; sinon il n'y a plus association.
(l)'Trouillot et Chapsal, p. 3Ç-39. — Pandectes françaises, v.
Association (Append. du mot Société), no 72 et s.
(2) V, Trouillot et Cliapsal, p. 36 : « Pour la formation de ce der-
nier contrat chaque partie doit nécessairennent fournir un apport,
qui est fait aux dépens du patrimoine de Tassocié, et passe de ce
patrimoine dans celui de la société. » — Déjà par ce côté, l'oppo-
sition établie entre les deux termes boîte, car la loi admet l'apport
en industrie,
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250 GHAPirnE ii
101. Le système nous parait peu admissible pour plu-
sieurs motifs : V II laisse subsister entre Vassociation et
\si société un terrain vague dont la condition juridique
devient fort incertaine. La doctrine presque tout entière
avait avant 1901, combattu la théorie de M. de Vareil-^
les-Sommières qui avait admis la validité du contrat
d'association, bien qu^l ne fût pas prévu par nos lois, et
déclaré qu'on devait y voir un contrat innomme, régi
par les règles du contrat nommé le plus voisin, la
société. On avait répondu que les lois, en, réglementan t
la société seule, avaient implicitement condamné Tasso-
ciation à n'être pas un contrat valable, et que celle-ci ne
pouvait plus être autre chose, quant aux bien^, qu'une
convention d'indivision, soumise à la règle de l'arti-
cle 815 du Code civil. Il en résulterait qu'aujourd'hui les
groupements ne rentrant ni dans le cadre sociétés^ ni
dans le cadre associations^ devraient encore être consi-
dérés comme n'étant que de simples conventions d'indi-
vision ; et cela né répond nullement aux besoins de la
pratique ; 2° Le criétrium qui distinguerait des associa-
tions ces groupements amphibies manquerait de netteté.
Les uns et les autres peuvent comporter la mise en com-
mun de certains biens; dans quel cas faudrait-il considé-
rer cette mise en commun comme chose accessoire ? Ce
serait une question bien délicate à résoudre, et on arri-
verait par Jà h des résultats contraires aux idées géné-
ralement reçues : les sociétés de secours mutuels par
exemple, que l'opinion commune range dans la catégo-
rie associations, ne seraient-elles pas par là rejetées dans
le terrain vague ? Leur objet principal esl bien de
mettre en commun certains biens pour parer à certains
événement futurs ; 3^ On peut même dire plus : la mise
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LA CLASSIFICATION DES PERSONNES MORALES 251
en commun des biens nécessaires au but de Tassocia-
tion n'est jamais une parlie accessoire du contrat; le
contrat ne se comprendrait pas sans elle, puisqu'on ne
peut concevoir la poursuite en commun d'un but sans la
mise en commun des moyens matériels nécessaires. Seu-
lement ces moyens pourront se réduire à peu de chose
ou devront être considérables suivant le but qu'on pour-
suit; ils devront lui être proportionnés. C'est donc dans
le but seulement que Ton peut trouver la base d'un
critérium rationnel ; et c'est seulement en fait que les
sociétés auront d'ordinaire des biens plus considérables
que les associations^ uniquement parce que leur but en
exige davantage; 4® Le rejet de l'amendement Lemire
ne peut fournir un argument sérieux : car il n'a pas
eu pour cause une opinion quelconque sur cette ques-
tion de classification : le rapporteur l'a combattu en
remarquant seulement qu'il était inutile si l'on voulait
simplement donner à l'asso'ciation le droit de posséder
des cotisations, ce droit lui étant reconnu par l'article
6 (i) ; et qu^il était dangereux si on pouvait en conclure
à un droit de posséder plus étendu.
Nous croyons donc qu'il est préférable de s'en tenir
à la simple division bipartite : 5oaV/<? quand il y a par-
tage de bénéfices ; association dans le cas contraire.
Nous sommes du reste très disposés à croire, avec
M. Planiol que, dans l'interprétation de ces mots par-
tage de bénéfices on a adopté en pratique un point de
vue trop étroit, et qu'on pourrait comprendre parmi les
(1) L'amendement avait bien cependant sa raison d'être ; car
son rejet rend incomplète la définition légale de l'art. l°r, mais
sans qu'il puisse d'ailleurs en résulter un doute quelconque sur le
droit de posséder des associations. •
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25:2 CHAPITRE 11
sociétés toul groupement doat les associés attendent en
commun un profit patrimonial^ quel qu'il soit. Cela ne
nous paraîtrait pas contraire aux termes de Tarti-
cle 1832 et de Tarticle i de la loi do 190i, interprétés par
la tradition ; et cela aurait Tavanlage de rendre la distinc-
tion plus rationnelle. S'il y a en effet une différence de
situation qui doive entraîner des différences importantes
dansle traitement juridique à appliquer aux divers grou-
pements, c'est celle qui résulte des avantages pécuniaires
ou patrimoniaux que les associés se proposent de reti-
rer pour eux-mêmes de leur réunion ; peu importe
d'ailleurs, au point de vue rationnel, que ces avantages
résultent de bénéBces à distribuer, ou se produisent de
toute autre manière, par exemple sous forme d'écono-
mies à réaliser. Dans les dçux cas oh n'a n^is quelque
chose en commun que pour grossir son patrimoine ou,
(ce qui revient au même), Tempôcher de diminuer. Les
biens ne sont pas soustraits à la circulation comme dans
les associations à tendance idéale ou même dans les
associations de pur agrément ; d'une façon ou d'une
autre ils sont destinés dès le début, dans la pensée même
des associés, à ne sortir de leur patrimoine (si vrai-
ment ils en sortent) que pour y rentrer sous une forme
ou sous une autre ; il est impossible de parler sérieuse-
ment de mainmorte. En somme, si l'on donnait au mot
socie'te' son sens élargi, dans lequel on ferait rentrer tout
groupement dans lequel les associés recherchent un
proKt patrimonial, on introduirait dans notre droit la
distinction rationnelle généralement admise à l'étranger
et ce serait là un réel progrès.
102. Toutefois, même avec ce système, il reste quel-
que incertitude sur la situation des associations qui.
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LA CLASSIFICATION DES PERSONNES MORALES 253
sans rechercher rintérêt palrimonial de leurs membres,
poursuivent cependant simplement un but égoïste, et
n'ont aucunement en vue Tintérêt général, notamment
les cercles et les associations de pur agrément. Elles se
rapprochent des associations à but idéal par le fait que
l'intérêt pécuniaire n'y esl aucunement recherché ; mais
d^autrc part, elles ont cela de commun avec les asso-
ciations à but patrimonial qu'elles recherchent l'intérêt
exclusif de leurs membres. Nous croyons, étant donnée
la prédominance de l'intérêt pécuniaire dans les sociétés,
qu'elles doivent en général être assimilées aux associa-
tions à but idéal; mais certaines règles des sociétés
pourront leur être appliquées, notamment les règles
sur le partage des biens en cas de dissolution.
103. II. — Dans la discussion de la loi de 1901, la
Chambre des députés avait adopté un amendement
faisant entrer dans une catégorie à part les associations
à but religieux^ alors môme qu'elles ne constituaient pas
des congrégations (1). Cette idée a été, à très juste titre,
écartée ; mais elle avait été introduite, peu d'années
auparavant dans la loi fiscale. Les lois du 28 décem-
bre 1880, article 3 et 4, du 29 décembre 1884, article 9,
et du 16 avril 1895, article 3, soumettent à la taxe d'ac-
croissement et à l'impôt sur le revenu toutes les congré-
gations^ communautés et associations religieuses. On a
soutenu que par là il fallait entendre seulement les
« sociétés quelconques dissimulant des congréga-
(1) SoQs-amendement Foarnière voté à Ja séance du 4 février
4901, ajoutant à l'amendement Groussier (qui est devenu le texte
de Tart. 2 de la loi) les mots : « autres que les associations reli-
gieuses. » Ces mots ont été supprimés au Sénat,
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â54 CHAPITRE II
lions » (1). Mais la Cour de cassation s'est prononcée
en sens contraire, et a appliqué les taxes à toutes les
associations ayant un but religieux^ à condition toute-
fois que ce but soit prédominant et non pas simple-
ment accidentel. Elle a en conséquence déclaré soumises
à ces taxes des sociétés tonlinières formées entre pas-
teurs et autres personnes appartenant à Tune des églises
protestantes, sociétés dont le but était l'exercice du
culte ou rinstruction des enfants appartenant à ce
culte (2). Il y a donc intérêt à distinguer dans notre
droit les associations ayant un but religieux de toutes
autres: mais cet intérêt n'existe, qu'au point de vue
fiscal.
104. Au contraire, dans ce même groupe des associa-
tions désintéressées, il y a un intérêt pratique d'ordre
général à distinguer des autres les congrégations reli-
gieuses^ auxquelles notre législation a toujours fait une
place à part.
Les motifs du régime spécial qu'on leur a fait ont été
indiqués à bien des reprises diverses dans la discussion
de la loi du l^*" juillet 1901. Ils se résument dans cette
idée que l'association ordinaire est un groupement
d'hommes s'associant dans un but déterminé, et gardant
par ailleurs leur entière indépendance, alors que la con-
grégation, par les vœux qu'elle implique, et par la règle
de vie à laquelle se soumet le religieux, l'absorbe tout
entier, et fait de lui un instrument au service d^une
(1) V. les concIusioDs de M. l'avocat-général Sarrut dans Dali.,
1904, 1. 500 et s.
(2) Cass. Trois arrêts du 4 février 1903. D., 4904, 1. 497. Cette
jurisprudence est d'ailleurs très contestable. V. les GonclusioDs
précitées de M. Sarrut.
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LA CLASSIFICATION HES PERSONNES MORALES
idée (i). Ce n'est p^sici le lieu de discuter cette thèse,
qui sans doute n'aurait pas suffi à elle seule à motiver
le régime, d'une rigueur excessive, que la loi de 1901
applique aux congrégations religieuses, s'il ne s'y' était
joint un motif d'ordre tout politique, le désir de dé-
truire une influence jugée dangereuse par le parti au
pouvoir. Mais [^énorme différence établie par la loi nou«
velle entre la congrégation et l'association ordinaire
nous oblige à indiquer avec autant de précision que
possible les caractères qui distinguent l'une de l'autre
ces deux espèces dégroupements.
La définition de la congrégation n'a point été donnée
par le législateur. Ce n^'est point par oubli ; à plusieurs
reprises dans la discussion de la loi, des définitions lui
ont été proposées. A la Chambre, MM. Zévaès (séance
du 7 mars 1901), et Renault-Morlière (séance du 12
mars 1901), au Sénat, MM. Goarju et Bérenger (séance
du 19 juin 1901), ont successivement essayé de faire
adopter la leur. M. Bérenger, notamment, a vivement
insisté sur l'utilité d'une définition. Mais le rapporteur
a répondu en faisant valoir les difficultés que présente-
rait une définition abstraile et en déclarant que les tri^
bunaux avaient depuis longtemps sur ce point une juris-
prudence, et qu'ils n^avaient jamais été embarrassés
(1) V. le résumé des idées sqrce point dçtos Trouillotet Chapaal,
p. 192 et s. V., aussi les conclusions de l'avocat-général Sarrut,dan8
Dali., 1904; I, 500-501. Eu sens inverse les orateurs catholiques ei
les libéraux n'ont cessé de demander pour les congrégations l'appli-
cation du droit commun des sociétés. Ch. des députés, amende^
ment Piou, séance du 14 mars 1901. — Sénat, amendement de
Marcère, séance du 18 juin 1901, et amendement de Lamarzelle,
séance du 19 juin 1901 .
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256 CHAPITRE If
en fait pour distinguer une congrégation d'une simple
association. La question cependant a déjà donné lieu,
depuis la loi de 1901^ à d'assez nombreuses discussions
et Ton peut prévoir que ces discussions ne sont point
terminées.
105. Parmi les auteurs qui se sont occupés de la
question on peut distinguer deux tendances : les uns
donnent une définition loule psychologique, les autres
cherchent à préciser limitativement les caractères exté-
rieurs qui distinguent la congrégation.
A la première catégorie appartient notamment la dé-
finition de M. Hauriou (1) : ce L'association n'entraîne
pas pour ses membres un genre de vie particulier, elle
ne les enlève pas au monde, elle les laisse à leur famille
et à leurs affaires ; la congrégation, au contraire, enlève
ses membres à la vie mondaine, elle leur impose un
genre de vie spécial^ elle les marque dans toutes leurs
actions d'un sceau particulier ». L'auteur se demande
lui-même si cette définition sera assez précise. Plusieurs
autres auteurs cependant arrivent à un résultat analo-
gue, en commençant par énumërcr un certain nombre
de caractères, et en ajoutant qu'aucun de ces caractères
n'est à lui seul ni nécessaire^ ni suffisant, et qu'il faut
avoir égard à l'ensemble des circonstances (2), d'où
(1) Droit administratif, 5e éd., p. 123.
(2) li en est ainsi notamment de M. le procureur-général Beau-
doaîn, dans les conclusions qui ont précédé Tarrél de Cass. i^' mai
1903 (D., 1903, 1. 389; : « Il n'est point de critérium, point d'élé-
ment essentiel, ni le nombre, ni les vœux, ni la vie en commun. . .
Ce que les tribunaux, juges du fait, auront à rechercher, ce sont
toutes ces circonstances que de tout temps ils ont prises en consi-
dération, et dont il est possible d'induire l'agrégation concertée
dans un but religieux, la«permanence de Keffort sous une direction
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LA CLASSIFICATION DES PERSONNES MORALES 257
Ton peut induire Tabsorption de l'individu par la col-
lectivité. La jurisprudence, de son côté,, paraît incliner
dans le même sens (1).
Il nous senible que la crainte exprimée par M. Hau-
riou est des plus fondées, et que tout cela n'est pas assez
précis pour une définition qui entraîne des conséquen-
ces pénales. Parmi les traits généralement indiqués, il
commune, le renoncement au monde, l'abandon de rindividualîté,
et l'absorption dans la collectivité par la soumission à une hiérar-
chie spéciale, par Tasservissement à une règle particulière ». Même
tendance dans le commentaire de MM. Trouillot et Chapsal (p.202
et s,), qui énumèrent les traits suivants : les vœviœ, la règle, le
costume, \a. perpétuité', la vie en commun , mais ajoutent que ces
traits ne sont pas limitatifs, et que leur réunion n'est d'ailleurs pas
nécessaire pour qu'il y ait congrégation.
(i) La plupart xles décisions judiciaires énumèrent certains
traits, d'ailleurs variables suivaùt les espèces, pour en conclure au
caractère de congrégation, sans affirmer que ces traits soient néces-
saires, et sans indiquer si parmi eux il en est de plus particulière-
ment décisif. C'est notamment le cas dans le premier arrêt de la
Cour de cassation qui ait statué sur la question de la nécessité des
vœux autrement que pour écarter des sécularisations (Cass. 8 juil-
let 1904. D., 1905. 1. 59). L'arrêt retient : la vie commune sous
une dénomination spéciale, la soumission à la direction d'un
supérieur, V obéissance à une même règle, les mêmes exercices
pieux, la poursuite dans un but 7*eligieux de V accomplissement
d*une même œuvre ; il ne considère pas les vœux comme néces-
saires. Cpr. dans un sens analogue, les divers jugements et arrêts
rendus en matière de liquidation et publiés dans le Recueil de
M. Ménage (Liquidation des biens des congrégations dissou-
tes), — Tribunaux de Valence, 16 mars 1903 (t. I, p. 447) ; de
Saint-Etienne, 30 juin 1903 (t. II, p. 140) ; de Marseille, 1er avril
19&3 (t. I, p. 461) ; de Valogne, 12 août 1903 (t. Il, p. 273); de
la Seine, 12 novembre 1903 (t. III, p. 7;; de Lyon, 9 janvier 1904
(t. m, p. 122); Cour de Caen, 2 mars 1904 (t. III, p. 207) et 1er juin
1904 (t. III, p. 373) ; Cour de Lyon, 12 juillet 1904 (t. III, p. 130).
Plusieurs de ces décisions insistent sur V absorption de V indivi-
dualité,
MICHOUD 17
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258 CHAPITRE II
en est qui, de l'aveu de tous, n'ont qu'un caractère
accessoire : tel est le costume ou le nom pris par la con-
grégation (1). D'autï^es tels que la perpétuité, n*ont
absolument rien de spécial à la congrégation, et d'ail-
leurs ne lui sont pas non plus essentiels.
Les auteurs qui, suivant ladeuxième tendance signalée
plus haut, cherchent à préciser limitativement les carac-
tères de la congrégation se sont en général tenus à deux
conditions qui leur paraissent à la fois nécessaires et
suffisantes : les vœux^ et la règle canonique (2) ; con-
ditions qui, bien entendu, impliquent le but religieux.
Ce sont en effet les deux conditions principales qui ser-
vaient autrefois (et qui servent encore aujourd'hui au
point de vue canonique), à caraclériser les ordres reli-
gieux ou communautés régulières. Nous croyons cepen-
dant que pour les définir complètement, il faut ajouter
un troisième caractère : la vie en commun. Sans doute
ce caractère est moins essentiel parce qu'il n'est pas
absolument permanent : dans une congrégation régu-
lière une fois formée, il peut ne pas y avoir de vie en
(i) A la séance de la Chambre du 13 mars .1903, M. Grousseau
ayant allégué que quelques unes des congrégations qui deman-
daient Tautorisation n'étaient pas en réalité des congrégations (elles
n*avaient formé qu'une demande subsidiaire), le rapporteur
M. Rabier se borna à répondre qu'elles étaient qualifiées de con-
grégations dans V Annuaire du clergé. — Mais peut-on vraiment
attacher une importance juridique, et surtout pénale, à un pareil
fait? ' ^ .
(2) Ce sont les deux traits indiqués par M. Pillet, dans une note
au Dalloz, 1902. 2. 257 ; « Ce qui caractérise la congrégation, c'est
l'autorité de la règle assurée par. l'émission des vœux ». M. Chave-
grin {Journal des Sociétés^ 1902, p. 482) s'est rallié à cette for-
mule. Beudant en 1879, avait déjà indiqué une formule analogue
(D., 79.2. 225).
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LA CLASSIFICATION DES t>E^SONN£S MORALES ^59
commun actuelle^ sans que pour cela la congrégation
disparaisse (1). Mais il serait contraire à la tradition de
noire droit d'atteindre comme congrégation une asso-
ciation ne comportant aucune communauté d'existence
même éventelle ; les textes innombrables qui, soit dans
l'ancien régime, soit à l'époque révolutionnaire, ont
réglementé la situation des congrégations, n'ont jamais
eu en vue que les couvents ou communautés, c'est-à-dire
des associations où la vie en commun était essen-
tielle ; et il est à remarquer que dans toutes les défini-
tions soumises aux Chambres en 1901, la vie en com-
mum figure comme l'un des éléments de la congréga-
tion ; sans doute, ces définitions ont été rejetées, parce
qu'on n'a voulu en donner aucune, mais cette unanimité
montre quelle idée se faisaient de la congrégation les
auteurs de la loi.
106. Trois caractères sont donc à la fois nécessaires
et suffisants pour qu'il y ait communauté régulière.
Mais on doit se demander si la loi n'est pas également
applicable aux congrégations séculières j qui ne pro-
noncent point de vœux, et dans lesquelles existent seule-
(1) On sait que les auteurs de là loi de 1901 ont cherché tout
d'abord à désigner les congrégations par une simple périphrase
sans les nommer. L'une de ces- périphrases fut celle-ci r « Associa-
tion dont les membres vivent en commun ». La commission
Técarta, pour employer directement le mot congrégation^ À la
suite d'un discours de M. Viviani faisant ressortir que la périphrase
donnerait aux congrégations un moyen trop facile d'échapper k la
loi. M résulte évidemment de cet incident que la dispersion momen-
tanée d'une congrégation, d'ailleurs créée pour la vie commune, ne
suffit pas pour lui enlever son caractère ; il n'en résulte pas qu'on
puisse traiter comme congrégation une association où la vie com-
mune n'a jamais existé.
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260 GHAPITitE II
ment les deux autres éléments de la défiaition (règle et
vie en commun). La jurisprudence paraît hésiter encore
sur ce point (1). En faveur de l'affirmative on peut
invoquer, outre le nom même que portent ces associa-
tions, le fait qu'elles ont été, comme les communautés
régulières, bien que plus tardivement, atteintes par les
proscriptions de la période révolutionnaire (2), et
qu'elles semblent ainsi avoir été englobées dans l'en-
semble de la législation relative aux congrégations (3).
En sens contraire, on peut alléguer qu'il y a toujours
eu en droit canonique une différence profonde entre les
(4) Eq faveur de Tapplication de la loi aux congrégations sécu-
lières, on peut citer certains arrêts de la Cour de cassation qui, en
présence de congréganistes réguliers, se prétendant séculari-
sés parce qu'ils étaient déliés de leurs vœux, déclarent que ce n'est
pas là une preuve suffisante de sécularisation : notamment Cass.
l'f mai 1903, D., 1903. 1. 397, Mais ces arrêts ne sont pas décisifs,
parce qu'ils sont inspirés en grande partie par la crainte d'une
fraude à la loi. Plus décisif est l'arrêt de Cass., du 8 juillet 1904.
D., 1905. 1. 59. qui déclare directement la loi applicable à une
congrégation séculière (les missionnaires d'Hasparren) ; toutefois il
y avait encore là dans la cause certains éléments Spéciaux qui
empêchent cet arrêt d*ôtre un arrôl de principe (v. la note de l'ar-
rêtiste). Quelques cours d'appel paraissent admettre que la loi n'est
pas applicable aux congrégations séculières : C. de Rennes, 20 juin
1888. D., 89. 1. 25 (Oratoire de Rennes). G. de Riom, 7 novem-
bre 1903, Revue cT administration, 1904. 2. 72 (Assoc. de S. Via-
teur). Mais d'autres cours leur ont au contraire déclaré la loi
applicable. G. de Lyon, 12 juin ('902 (petites sœurs de l'Assomp-
tion). D., 1903. 1. 308.
(2) Epargnées par la loi des 13-19 février 1790, et par celle
du 4 août 1792, elles ont été atteintes par celle du 18 août 1792.
(3) On peut remarquer aussi que la Ghambre les a traitées
comme de véritables congrégations, en rejetant les demandes sub-
sidiaires formées par plusieurs d'entre elles au lieu de déclarer
qu'il n'y avait lieu à statuer. Mais juridiquement cette procédure
ue peut influer sur la solution de la question.
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LA CLASSIFICATION DES PERSONNES MORALES 261
associations dont il s'agit et les véritables communau-
tés; que les vœux seuls entraînent l'absorption de
l'individu dans la collectivité, l'impossibilité de possé-
der personnellement, la renonciation définitive à la vie
ordipaire, c'est-à-dire précisément les circonstances
qui ont été invoquées pour justifier la rigueur du régime
juridique imposé aux congrégations (1) ; qu'enfin les
vœux, aussi bien que la vie en commun, sont indiq'ués
comme un trait caractéristique dans les diverses défini-
tions de la congrégation qui ont été proposées aux Cham-
bres (2). C4es dernières considérations nous paraissent
décisives et nous croyons que les congrégations séculiè-
res doivejit être considérées comme de simples associa-
tions (3).
(i) On sait que le projet du Gouvernement entendait d'abord
atteindre les associations « emportant renonciation aux droits qui
ne sont point dans le commerce ». C'est cette renonciation qui a
paru ne devoir être autorisée qu'à titre tout à fait exceptionnel ;
or dans les congrégations séculières il n'y a aucune renonciation
de ce genre. La même conclusion découle aassi du discours pro-
noncé par M. Waldeck-Rousseau à la Chambre dans la discussion
générale (séance du 29 janvier 1901) : « Parmi les droits attachés
à la personne figurent le droit d'acquérir, de faire le commerce,
de se marier ; on ne peut s'engager à ne pas exercer un de ces
droits. Or toute congrégation suppose le vœu d'obéissance, le vœu
de pauvreté et le vœu de chasteté. . . ».
(2) M. Zévaès, en proposant d'interdire d'une manière absolue
les congrégations (séance du 7 mars 1901), en donnait la définition
suivante : « Sont réputées congrégations toutes les associations dont
les membres vivent en communauté dans un but religieux, liés par
des vœux perpétuels ou temporaires d'obéissance, de pauvreté ou
de célibat ».
(3) Il resterait pour terminer cette théorie de la classification à
établir la distinctibn entre les établissements d'utilité publique,
et les autres personnes morales à^ droit privé. — Nous renvoyons
cette partie du sujet au ch. IV. (V, ci-dessous, nos 439^ 140 et 143).
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CHAPITRE m
/
LA CRtiATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC
SoMMAiRB : I. — 107. Création de l'Etat. — 108. îl doit être considéré
comme une personne morale par cela même que les conditions de
fait nécessaires k son existence se trouvent réunies. — 109. Lui-
même, en droit interne, doit reconnaître sa propre personnalité, et
Tunité de cette -personnalité. — 110. Système de MM. ilarqués di
Braga.et Lyon, déconj posant la personnalité de l'Etat en autant de
personnes distinctes qu'il y a de services publics, ses dangers. —
111. Système qui voit dans les trois pouvoirs de l'Etat des êtres
moraux distincts ; ils sont seulement les organes d'une même
personne morale. — 112. Les organes de l'Etat n'ont pas des droits
subjectifs, mais des compfétences. — 11% bis. Cependant les électeurs,
organes de l'Etat, ont un droit individuel à la qualité d'organes.* —
113. La théorie de la personnalité de l'Etat, en droit public comme
en droit privé, explique seule le droit de commander. — 114. Elle
en donne en même temps les limites, et n'aboutit pas à accroître la
puissance de TEtat.
II. — IIB. Services publics personnalisés. L'Etat peut personnali-
ser un service public en lui donnant une organisation suffisante pour
le représenter toutes les fois que ce service correspond à. un groupe
d'intérêts collectifs et permanents, distincts de ceux de l'Etat lui-
même. — 116. Il le fait pour les groupes territoriaux,- départe-
ments, communes, colonies, etc. — 117. La personnalité de ces
groupes existe, non seulement en droit privé, mais aussi en droit
public. — 118. Mais TEtut législateur, qui reconnaît cette personna-
lité de droit public, reste maître de la modifier ou de la supprimer.
— 119. La personnalité de droit public pourrait théoriquement être
séparée de la personnalité de droit privé : motifs pour lesquels elles
sont en fait toujours réunies; l'arrondissement et le canton; la sec-
tion de commune. — 120. Critique de la théorie de la décentrali-
sation faite par M. Duguit. — 121. Démonstration de l'existence de
droits de puissance publique appartenant à la commune.
III. — 122. Les établissements pnblics. I. Leur définition. Leur
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LA CRÉATION DBS PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC 263
personnalité en droit public et en droit privé. Leur rattachement aux
groupes territoriaux. — 123. Critique des autres conceptions de l'éta-
blissement public. Théorie d'Otto Mayer. Théorie de M. Berthélemy.
— 124. II. Avantages et inconvénients de la personnification des
services publics spéciaux. — 125. III. La création d'un établisse-
ment public ne peut résulter que de la loi ; - 126. Formes diverses
de rintervention du législateur. ^ 127. Moment à partir duque 1
l'établissement public est considéré comme existant; il n'est pas
toujours nécessaire pour cela qu'il ait un patrimoine, ni môme que
son organisation soit matériellement réalisée ; il suffit qu'elle
puisse se réaliser dès qu'elle deviendra nécessaire. — 128. IV.
Incertitude sur l'existence de la personnalité morale résultant fré-'
quemment des procédés employés par le législateur. — 129. Inté-
rêts pratiques de la question de personnalité morale ; dififérences
juridiques entre le service personnalisé et le service non personna-
lisé. — 130. La personnalité morale ne se confond pas avec l'indi-
vidualité financière. — 131. On ne doit pas considérer comme per-
sonnes morales les services publics qui ne correspondent pas à un
groupement distinct ; ce ne sont que des organes ; non personnalité
de l'organe. — 132. Quand le service est susceptible d'être person-
nalisé, H faut, pour savoir s'il l'est, examiner sa situation dans son
ensemble. Quelques exemples : caisse des dépôts et consignations,
caisse d'épargne postale, asiles d'ahénés, etc.— 133. Situation à cet
égard des établissements publics du culte. Personnalité du diocèse.
— 134. V. Personnalité des Eglises et des établissements ecclésias-
tiques ; sa nature.
107. L^Etatest.la première personnejuridique que nous
rencontrons dans le monde actuel. Son existence est un
fait naturel, que le Droit n'a qu'à interpréter, et dont il
doit tirer les conséquences juridiques. L'Etal naît quand
certaines conditions de fait se trouvent réunies : exis-
tence d'un groupe humain ayant vis-à-vis des groupes
voisins une certaine indépendance, possesseur d'un cer-
tain territoire, et doté d'une organisation suffisante pour
qu'une volonté réussisse à s'imposer, à l'intérieur et à
l'extérieur, comme la volonté du groupe (i). La réunion
(i) Liszt, Das Vôlkerrecht, 1902, § 5, p. 35, ramène à trois les
éléments constitutifs de l'Etat : la puissance de commander (5^aa^-
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264 cuAPiTMË m
de ces conditions. peut résulter de faits très-divers : les
uns contraires au droit existant (rébellion d'une pro-
vince ou d*une colonie aboutissante la conquête de son
indépendance ; révolution amenant la dissolution d'un
Etat et la constitution de plusieurs Etats indépen-
dants, etc.) ; les autres en harmonie avec le droit exis-
tant (contrats ayant ^pour objet la fusion de plusieurs
Etats en un seul, actes conformes au droit public interne
d'un pays et ayant pour objet la séparation d'un terri-
toire et son érection en Etat distinct). Mais cette dis-
tinction est sans influence sur la formation même de
TEtat : son existence est aussi incontestable lorsqu'il
s'est constitué à la suite d'actes violents et répréhensi-
bles que lorsque ses fondateurs ont montré un scrupu-
leux respect du droit. Les actes juridiques qui, dans ce
dernier cas, ont été accomplis par eux ne sont jamais, à
eux seuls, suffisants pour créer un Etat, si ses éléments
constitutifs n'existent pas; mais ils rendront en général
plus facile la reconnaissance du nouvel Etat par les
autres, reconnaissance qui lui est nécessaire pour ac-
quérir la personnalité de droit international (4). A ce
gewalt) ; le territoire (Staatsgebiet) ; le peuple (Staatsvolk).Cet{e
analyse ne contredit pas la nôtre, sauf à s*entendre sur la défini-
tion de la puissance de commander (v. infrà). Nous avons voulu
seulement rattacher noire analyse à la théorie générale de la per-
sonnalité morale et poui* cela nous avons dû indiquer d'une
manière plus précise dans notre définition, Voryanisation de
volonté collective, nécessaire à TEtat comme à toute autre cçllec-
tivité aspirant à la personnalité morale. La plupart des autres
définitions de l'Etat que Ton trouve dans les divers auteurs exigent,
explicitement ou implicitement, ces mêmes conditions.
(i) Jellinek, Allgem, Staatslehre. p. 245 et s., a insisté avec
beaucoup de raison sur ces idées, et montré d'une manière
péremptoire que la naissance de l'Etat était un simple fait, qu'une
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LA CRÉATION DES PE«SONi\eS MORALES DE DROIT PUBLIC 265
point de vue lu naissance de l'Elal ne diffère pas d'ail-
leurs de la naissance d'une corporation quelconque; la
seule différence, c'est que les faits qui donnent nais-
sance à pne corporation ordinaire se produisent à l'inté-
rieur d'un Etat, et sont soumiî? au droit de cet Etat,
droit qui d'ordinaire les réglemente avec soin et indi-
que avec précision les conditions auxquelles est subor-
donnée la reconnaissance de la personnalité juridique,
au lieu que le droit international ne règle que d'une
manière très incomplète les faits qui peuvent concourir
à la naissance d'un nouvel Etat (i), et d'ailleurs ne pos-
sède pas de sanction suffisante pour empêcher des Etats
de se créer par la force contrairement à ses prescrip-
tions.
108. L'Etat existe donc dès que certaines conditions
de fait se trouvent réunies. Mais cela suffit-il, pour que
nous le considérions comme une personne morale ?
Dans la théorie de la fiction il est tout naturel de
répondre négativement : <f II n'est pas douteux, dit
M. Ducrocq en parlant de la personnalité de l'Etat (2),
que c'est une fiction légale, puisque l'Etat est ainsi assi-
milé à une personne physique douée de la vie naturelle.
Une personne civile est précisément ainsi nommée par
volonté extérieure ne peut pas créer ce fait, mais seulement le facili-
ter, et qu'un Etat en conséquence ne peut jamais être considéré
comme créant un autre Etat.
(1) Il nous paraît exagéré dédire avec Jellinek {op. cit., p. 236,
n. i) que le droit international ne contient aucune règle régissant
la création des Etats ; car il a des règles pour apprécier si les actes
qui ont pour objet dette création sont ou non conformes au droit.
(2) De la personnalité civile de l'Etat d'après les lois civiles et
administratives de la France {Revue générale du droit, t. XVIII,
1894, p. 101).
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266 CUAPITIIH III
antilhèso, parce qu'elle est ea dehors des conditions de
la nature humaine, non soumise aux lois naturelles de
la vie et de la mort. C'est précisément pourquoi il n'est
pas exact d'admettre des personnes civiles naturelles^
^pas plus TElat qu'aucune autre... Cette assimilation
entre les personnes physiques et les personnes civiles,
nécessairement partielle, restreinte dans ses effets juri-
diques, ne peut être Tœuvre que du législateur et, dans
ces limites, ne dépasse en rien ses pouvoirs. L'Etat est
investi, dans notre pays, de la personnalité civile, par
Un nombre considérable de dispositions do nos Codes
et de nos lois non codifiées ». Et M. Ducrocq cite,
comme étaçit le fondement de la personnalité de TElat,
tous les textes dans lesquels cette personnalité se trouve
mentionnée ou impliquée, textes innombrables et dont
la liste pourrait indéfiniment s'allonger (t). Il repousse
en conséquence la qualification de personne civile
nécessaire que Savigny a appliquée à l'Etat et que
Laurent a acceptée ; il conclut en déclarant que l'Etat
ne jouit nullement de plein droit de la personnalité
(1) « La vérité est que la personnalité civile de l'Etat est consa-
crée en termes fornrjels par les art. 541, 560, 2121, 2227 du Gode
civil, 49, 69, 83, 398, 481 du Code de procédure civile, i et 8 à 25.
413 à 116 du Gode forestier, et par un nombre très considérable de
dispositions législatives en dehors de nos Godes : loi domaniale des
22 novembre-!" décembre 1790, art. 8 et 18 ; loi du 16 septem-
bre 1807, art. 41 à 53 ; loi du 29 janvier 1831, art. 9 ; loi du
24 mai 1842, art. 2 et 4 ; loi du 3 mai 1841, art. 13, § 5, 26, 60, 61;
loi du 18 juin 1843, art. 6 ; loi du l«r juin 1864, art. 1 ; loi du
30 mars 1887, art. 2, 8, 10, 12, 14 ; le décret du 31 mai 1862, dans
ses art. 1, 5, 36, 39, 63, 68, 70, 84, 136, 146, 147, 158, 193, 240,
254, etc., et toutes nos lois portant fixation du budget de TEtat, et
toutes nos lois des comptes et toutes nos lois d'emprunts. » [Loc.
cit,, p. 102).
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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC 267
civile et que, ppur lui comme pour les autres personnes
morales^ la loi est bien la dispensatrice souveraine de
toute existence juridique.
Nous avons déjà montré combien cette notion, tout à
fait logique quand on part de la théorie de la fiction^ est
incompatible avec l'idée que nous nous faisons de la
personnalité morale (1). Les lexles cités par M. Ducrocq
ne peuvent pan êîre la base de la personnalité de TEtat,
et cela pour une raison décisive : c'est qu'ils émanent
de l'Etat lui-même, et que l'Elat devait déjà être consti-
t4ié comme personne morale quand il les a édictés; en
légiférant en ce sens, il exerce un des attributs inhérents
à sa personnalité, il ne crée donc pas cette personnalité,
il la reconnaît et la réglemente. Il suffit de jeter un coup
d'œil sur les textes allégués pour se rendra compte
qu'ils ne font pas aulre chose. Ils n'ont pas la préten-
tion de créer la personnalité de l'Etat; ils la supposent
existante et se bornent, soit à attribuer à l'Etat certains
biens ou certains droits (articles 541,360, 713, 2121,
C. c), soit à indiquer les règles particulières applica-
bles à l'administration de son patrimoine ou à l'exer-
cice des droits qui lui appartiennent (art. 49, 69, etc.
du Code de procédure, textes du Code forestier et textes
spéciaux). Quelques-uns d'entre eux, tels que les lois
des comptes ou les lois d'emprunts, n'ont pas même
cette portée juridique ; ils ne sont pas la réglementation
de la personnalité de l'Etal, ils en sont seulement Texer-
cice ; ils ne sont, en d'autres termes, que des actes
d'administration faits en forme de lois, et plus que tous
autres, par conséquent, ils supposent l'existence de la
personnalité dont ils sont la manifestation.
(4) Suprà, no« 9 à 12.
Digiti'zedby Google
268 CHAPITRE III
M. Ducrocq a, il est vrai, essayé de réfuter Targu-
menl présenté avant nous par M. Van den Heuvel et
par beaucoup d'autres auteurs, qu'on ne peut se donner
l'être à soi-même. Cet argument, dit-il, n'a aucune
application sérieuse au législateur : t Ce n'est pas sur
lui-même qu'il opère. De même que rien ne s'oppose à
ce que les lois constitutionnelles, ou autres, constituent
l'Etat comme puissance politique, rien ne s'oppose non
plus à ce que l'Etat soit constitué par la loi comme per-
sonne civile ». La réponse suppose que le législateur
n'est pas l'organe de l'Etat. Il n'est pas douteux cepen-
dant qu'il ne le soit, au moins en ce qui concerne les
lois alléguées, qui sont des lois émanées de l'organe
législatif régulier dont tout Etat moderne est pourvu.
Toutes sont des lois émanées d'un Etat déjà constitué,
et ayant depuis longtemps commencé à exercer les
droits qui dérivaient pour lui de sa personnalité publi-
que et privée. Nous avouons du reste ne pas compren-
dre l'argument que M. Ducrocq cherche à tirer de la
comparaison entre les lois qui constituent l'Etat per-
sonne civile et les lois constitutionnelles qui le consti-
tuent comme puissance politique. Cette comparaison
est pour nous la meilleure preuve de notre thèse : est-
ce que vraiment ce sont les lois constitutionnejles, —
ou autres, — qui donnent à l'Etat son existence en tant
que puissance politique? Dans l'immense majorité des
cas (i), elles se bornent à organiser un Etat préexis-
(1) Il n'y a exception que pour certains Etats de création récente
formés d'une manière absolument consciente par un accord entre
des Etats ou groupes préexistants: Tempire d'Allemagne, le Congo.
Ce n'est même pas le cas pour la Belgique qui n'a été organisée
constitutionnellement que lorsque sa personnalité existait déjà en
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•'if^î'v*^"'
LA CREATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC 269
tant, qui n'a pas attendu, pour vivre et pour exercer ses
droits de puissance publique, de trouver sa personna-
lité affirmée et réglementée par un texte.
La vérilé est que, dès que TEtat existe en fait, sa per-
sonnalité doit être reconnue par le Droit, si l'on veut que
celui-ci reste en harmonie avec la vie réelle (i). Assu-
rément cette reconnaissance n'a pas toujours eu lieu
d'une manière complète (2). Les interprètes du Droit
ont pu, tantôt se borner à étudier les droits de l'Etat,
sans dégager l'idée de personnalité qui peut seule leur
servir de support, tantOt confondre plus ou moins l'Etat
avec la personne du souverain. Mais, dès que l'Etat vit,
et que cette dernière cause de confusion est écartée,
fait et était déjà recoDDue par plusieurs puissances. À plus forte
raison ce n'est pas le cas pour les Etats dont l'origine historique
est ancienne. D'ailleurs niênDe pour les Etats récents dont nous par-
lons,- ce n'est pas le statut ou la loi constitutionnelle qui leur a
donné l'existence ; celte existence résulte des conditions dont nous
avons parlé plus haut ; les lois dont il s'agit sont simplement con-
comitantes à la naissance de l'Etat^ et sont impuissantes à le faire
vivre comme tel si ces conditions ne sont pas remplies (comme
le prouve fort bien l'exemple du Congo).
. (l) Cpr. Gareis, Allgem, Siaatslehre, % 10. Même dans la mo-
narchie absolue, le sujet de la souveraineté, ce n'est pas le Monar-
que, c'est la communauté : « L'Etat c'est moi », n'a juridiquement
aucun sens ; la mort du Monarque, n'est pas celle de l'Etat. . . La
personnification de la communauté est logiquement inévitable et
aussi ancienne que la communauté elle-même, bien qu'elle ne soit
pas reconnue à tous les degrés de civilisation.
(2) La théorie de l'Etat patrimonial avait pour conséquence la
confusion de la personnalité de l'Etat avec celle du souverain.
V. l'analyse et la genèse de cette théorie, dans Duguit, L'Etat, le
droit objectif et la loi positive, p. 328 et s. Elle est encore à la
base de l'organisation de quelques grands Etats actuels. Y. Hebm,
Staatslehrè, § 37. Mais elle ne répond ni aux besoins de la
société moderne, ni à la réalité des rapports juridiques.
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270 CHAPITRE III
— comme elle Test dans les nalions modernes, — il est
impossible de ne pas s'apercevoir que certains droits ^
lui appartiennent et que certaines obligations lui incom-
bent. C'est dans le domaine du droit international que
celte vérité a commencé d'apparaître avec netteté. Les
auteurs qui s'occupaient des relations respectives des
Etats, et qui essayaient de les soumettre à une règle de
droit, étaient bien obligés de partir de la notion de per-
sonnalité. Cette force agissante qui a su faire recon-
naître son indépendance, qui fait la paix et la guerre,
conclut des traités, contracte des engagements, ne peut
entrer dans le domaine du Droit que si on la considère
. comme un sujet de droit, c'est-à-dire comme un être
capable d'avoir des droits et des obligations. Ces droits
et ces obligations existent principalement dans le do-
maine du droit public; mais il est logique d'admettre,
suivant nous, que la personnalité de droit public, une
fois reconnue, entraîne avec elle, même au point de vue *
international, la personnalité de droit privé. Aucun
Etat ne peut remplir sa mission politique, en effet, s'il
n'a pour cela les moyens matériels nécessaires, et ces
moyens ne peuvent lui appartemr que s'il est admis
comme sujet de droit civil, capable de posséder et de
contracter. La reconnaissance d'un Etat à lilre de per-
sonne politique internationale entraîne donc, comme
corollaire indispensable, sa reconnaissance à tilre de
personne civile (i).
109. Mais lui-même, dans son droit interne, doit re-
(4) Ce point paraît aujourd'hui assez généralement admis. Voir
notre article sur La capacité en France des personnes morales
étrangères et en particulier du Saint-Siège dans Revue générale
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LA CREATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC ^71
connaître sa propre personnalité. Il doit reconnaître, non
seulement qu'il a des droits et des obligations, — ce
que l'Etat le plus autoritaire ne* peut se dispenser de
faire, — mais que ces droits et ces obligations se ramè-
nent à une personne unique, personne qui est l'incarna-
tion juridique de la Nation, c'est-à-dire du groupe
humain établi sur le territoire. L'Etat puissance pu-
blique, et l'Etat personne morale de droit privé, cons-
tituent en effet un seul et même sujet de droit (1).
Si on les sépare arbitrairement, soit en Fractionnant
l'Etat en deux personnalités, soit^ ce qui revient au
même, en limitant l'idée de personnalité à une seule de
ses manifestations, celle du droit privé, on sera conduit
à des conséquences inadmissibles : il faudra dire, par
exemple, que l'Etat puissance publique n'est pas respon-
sable des actes accomplis par TEtat personne privée, et
^réciproquement; que le contrat passé par l'un est pour
de Droit international public, t. I, p. 193 et suiv. Voir principa-
lement les pages 203 et suivantes et les auteurs indiqués à la
note 4 de la page 203. /Mn^e : Despagnet. Droit international
public, 3«éd., n^ 186.
(1) M.Ducrocq fait lui-même l'aveu suivant: « Ces deux caractères
sont tellement liésTunà l'autre qu'ils se confondent le plussouvent
dans l'individualité de rËtat,etqu'il serait dangereux d'établir entre
eux une démarcation absolue {loc. cit,, p. 97) ». Nous nous bor-
nons à effacer le plus souvent et à remplacer le mot individua-
lité par le mot personnalité. Cette personnalité est du reste la
même que celle qui agit dans le domaine du droit international.
On doit en conséquence repousser tout système qui fait du fiscwxie
personne morale distincte de TËtat, une fondation créée par lui,
ce qui est la notion imposée par le système de la fiction (V. ci-
dessus n<* 11). V. sur les divers auteurs qui ont exposé plus ou moins
nettement ce système. Gieike, Genossenschaftsrecht, III, 60, 359,
441, Genossenschaftstheorie, p. 605 et Deutsches Privatrecht,
§61, notes 2 à 4.
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^lisca^*
272 CHAPITRE III
Taulre res inter altos acta; que la chose jugée vis-à-vis
de Tun ne Test pas vis-à-vis de Tautre. Il suffit d'une
courte réflexion pour se rendre compte des difficultés
inextricables el des injustices auxquelles mènerait un
semblable système, que la pratique et Tinslinct juridi-
que repoussent également.
En matière de contrats, il est inadmissible que TElat
puissance publique puisse violer sans indemnité le
contrat passé par l'Etat personne privée : les deux actes,
contrat et acte d'autorité, sont faits en vue du même
intérêt collectif, et par conséquent pour le compte de
la même personne. La jurisprudence n'en a jamais
douté (1), et nous ne voyons pas qu'on ait pu donner
aucune explication satisfaisante de cette règle en dehors
de l'unité de la personnalité de TElat (2).
En matière de responsabilité, la jurisprudence a tou-
jours admis que l'Etat est pécuniairement cesponsable
(bien que d'après des règles antres que les règles du Code
civil) des faules commises par ses organes ou agents
dans la gestion des services publics (3). Celte solution
elle aussi, n'est explicable que par l'unité de la person-
(1) V. p. ex. Cass., Ch. Req., 23 juin 1887. D., 89. 1. 72. L'Etat
bailleur est responsable du trouble apporté à son locataire par les
ordres donnés dans rintérôt de Tun des services publics de l'Etat
(dans Tespèce, par des exercices et des tirs prescrits par l'autorité
militaire). Cpr. Gierke, Deutsches Privatrecht, t. I, p. 476, n. o.
(2) M. Vauthier, Etudes sw les personnes morales, p. 321 et s.,
méconnaît entièrement ce lien entre le droit public et le droit
privé. 11 arrive à dire (p. 383) que lorsque l'Etat puissance publique
souscrit un engagement il devient par là même personne morale.
Ce ne serait plus la personne morale qui ferait le contrat, mais le
contrat qui créerait la personne morale ! L'étrangeté de celte idée
dispense, nous semble-t-il, de toute réfutation.
(3) Les applications sont innombrables. V. notre Responsabilité
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^^'^^s?^-!^:-
LA CREATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC 273
nalité de l'Etat ; car dans la gestion des services publics
l'Etat n'est pas une simple personne morale de droit
privé; il est le représentant de l'intérêt général, et a
comme tel des prérogatives éminentes qui découlent de
la puissance publique (telles, par exemple, que le privi-
lège du préalable). — Pour les fautes commises par les
agents de TElal dans l'accomplissement de leurs fonc-
tions, de puissance publique, la jurisprudence, il est vrai,
a longtemps admis le principe général de l'irresponsa-
bilité de TEtat. Cependant, même à Tépoque où elle
acceptait le plus largement celle thèse, elle y apportait
elle-même certaines exceptions (1); et d'autres déroga-
tions se trouvaient dans des lois spéciales. Le système
admis par la jurisprudence n'était donc pas basé sur une
prétendue dualité de personnes, ou sur l'absence de per-
sonnalité de l'Etat puissance publique, car alors il n'aurait
dû comporter aucune exception. Il était basé tantôt sur
rimpossibilité de fait d'examiner la question de respon-
sabilité, à raison de l'absence de tout tribunal compé-
de VEtat dans Reviœ du droit public, année 1895, n® 23. Depuis
cette date, de très nombreux arrêts ont continué d'appliquer cette
responsabilité. Ex. : G. d'Kt., 49 février 1897. D. 98. 3. 68,
16 mars 1900. D. 1901. 3. 57, etc.
(i) V. notre Responsabilité de l'Etat, n^ 44 : indemnité lors-
que l'acte d'autorité viole un contrat ; indemnité quand il dégénère
en acte de gestion à raison du but d'intérêt pécuniaire dans
lequel il est fait. En outre textes spéciaux : loi surles erreurs judi-
ciaires, lois sur l'administration des contributions indirectes et des
douanes, indemnités d'expropriation, de réquisition, de dommages
pour travaux, etc. — La loi du 14 mars 1904, art. Il, apporte un
nouvel exemple d'indemnité due pour acte d'autorité, en imposant
à la commune le paiement d'aune indemnité à la suite de la sup-
pression d'un bureau de placement par délibération du conseil
municipal.
MICHOUD 18
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^74 CHAPITRE III
tent (actes législatifs, actes de gouvernement), tantôt
sur labsence de règles précises d'où Ton puisse déduire
la responsabilité d^Etat, ou sur le fait que sa responsa-
bilité pouvait paraître présenter certains dangers pour
rinlérêt général (actes de puissance publique ordinaires,
actes de police, etc.). Les actes législatifs et les actes de
gouvernement restent encore aujourd'hui soumis à la
règle, mais ils prévoient très souvent eux-mêmes. une
indemnité pour réparer le dommage qu'ils causent (4),
et s'ils mettent celte indemnité à la charge de TEtat,
c'est bien parce qu'ils considèrent l'Etat comme le véri-
table auteur du dommage. — Quant aux actes de puis-
sance publique ordinaires (pour lesquels n'existe pas la
fin de non- recevoir tirée de Tabsence d'un tribunal com-
pétent), la jurisprudence abandonne de plus en plus le
système de l'irresponsabililé, et par là reconnaît de plus
en plus l'unité de la personnalité de TEtat dans les deux'
domaines du droit public et du droit privé; et il est
permis de prévoir que cette opinion triomphera un jour
d'une manière complète (2).
(\) Kx. loi du iftr mai 1822, supprimant des distilleries à Paris ;
loi du 48 juillet 4860, supprimant le monopole des courtiers de
marchandises ; loi du 2 août 1872 supprimant les fabriques d'allu-
mettes.
(2) L'arrêt du C. d'Et. du 43 mars 4899 (Lépreux) (Lebon, p. 48)
admettait encore le principe de l'irresponsabilité de l'Etat en
matière d'actes de puissance publique; mais, depuis lors, plusieurs
arrêts ont admis implicitement ou explicitement le système con-
traire. V. notamment l'arrêt du 27 février 1903 (Zimmermann),dans
Sirey, 4905. 3. 17. et la remarquable note de M. Hauriou. L'arrêt
présente bien, ainsi que le fait remarquer M. Hauriou, Tacte de
puissance publique comme l'exercice d'un droit appartenant à une
personne administrative. Le Conseil d'Ëlat a continué depuis lors
son évolution ; 29 mai 4904, affaire Le Berre (Lebon, p. 4i4, con-
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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC ^75
M. Hauriou, qui a contribué plus que tout autre à
répandre la notion de personnalité de l'Etat puissance
publique, et qui a fourni sur ce point les explications les
plus nettes et les plus probantes (1), apporte cependant
à la doctrine une restriction qui nous paraît injustifi-
ble quand il explique (2) que les actes de puissance
publique sont accomplis >7i partie seulement au nom de
la personne administrative, en partie au nom d'une
puissance publique impersonnelle • et irresponsable.
Sans doute, lorsque ces actes sont attaqués pour excès
de pouvoir, le procès n'est pas considéré comme dirigé
contre la personne administrative, ce n'est pas un
procès inter partes^ on attaque Tacte en lui-même, et
non son auteur. Mais cette forme donnée au procès pro-
* vient de ce que le recours pour excès de pouvoir est dans
son origine un recours hiérarchique, supposant seulement
la violation du droit objectif par un fonctionnaire et non
la lésion d^un droit subjectif. Cela ne prouve nullement
que l'acte n'a pas été accompli au nom de la personne
morale, qui, nous le verrons^ est de plus en plus faci-
lement admise à intervenir dans l'instance. — D'ail-
leurs l'observation de M. Hauriou divise ce qui ne peut
êlre divisé ; Pacte est ou n'est pas un acte de l'Etat, il
ne peut l'être à moitié ; la seule chose possible c'est que
clusions de M. Tessier) ; 10 janvier 1903, Grecco ; 47 février 1905,
Auxerre, Revue génér, d'administration, 1905, I, p.' 289. Dans
l'aff. Grecco, il s'agit d'uQ accident attribué à l'insuffisance de
mesures de police. Le Conseil d'Etal n'admet pas la responsabilité
de l'Etat, mais il l'écarté uniquement en déclarant qu'il ne résulte
pas de l'instruction (^que l'accident puisse être imputé à une faute
du service public dont l'Administration serait responsable ».
(1) Traité de droit administratif, 5" éd., p. 192 et s.
(2) Eod. toc, p. 203.
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276 CHAPITRE III
dans certains cas on examine l'acte isolément sans tenir
compte de son origine, mais cela ne fera pas qu'il ces-
sera d'être un acte de l'Etat.
Sans doute il peut être utile, à certains points de vue,
de distinguer dans l'Etat les deux faces de sa person-
nalité, et nous essaierons nous-mëme de le faire plus
tard ; mais on n'arrivera jamais à une théorie juridique
satisfaisante, si l'on ne maintient pas le principe que
tous les actes de l'Etat doivent être considérés comme
ceux d'une personne unique, qui a seulement des orga-
nes diffépents et des manifestations diverses (i).
110. Si nous repoussons la division de l'Etat en deux
personnalités distinctes, à plus forte raison ne pouvons-
nous admettre (et ici nous avons la satisfaction d'être
pleinement d'accord avec notre éminent maître^ M. Du-
crocq) les divers autres fractionnements de la person-
nalité de TEtat qui ont été imaginés par quelques
auteurs. L'un des plus curieux est celui dont l'idée pre-
mière a été développée par MM. Marques di Braga et
Camille Lyon (2). Envisageant uniquement la person-
(i) La nécessité de cette théorie apparaît avec plus d'évidence
encore quand il s'agit d'un Etat fédéral . Dans un Ëtat de ce genre
il y a un fisc fédéral, et autant de fiscs locaux qu'il y a d'Etats par-
ticuliers. Pour connaître les droits et les obligations de ces divers
fiscs, il est de toute nécessité de ne pas les séparer de l'Etat auquel
ils appartiennent. Chacun deux est destiné à faire face aux
services de cet Etat, et à nul autre ; le fisc fédéral est destiné à
faire face aux services communs de TEtat fédéral ; il est cet Etat
vu par son côté' patrimonial. V. pour TAllemagne la théorie du
fisc d'Empire dans Laband, Le droit public de Vempire allemand^
Ed. française, t. Vi, p. 1 et suiv.
(2) Traité des obligations et de la responsabilité des compta-
bles publics. De la comptabilité de fait, no 172. t. II, p. 40, et dans
le Répertoire de Béquet, v® Comptabilité de fait.
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:-Bîrpr.
LA CRÉATION DES PEHSONNBS MORALES D^ DROIT PUBLIC 277
nalité de droit privé, ces ailleurs se déclarent peu satis-
faits de la formule banale qui consiste à dire que TEtat
a la personnalité civile; suivant eux, cette formule est
trop simple pour correspondre exactement à la situation
juridique qu'elle a la prétention de caractériser ; si on
entre dans Texamen détaillé des services publics, on
constate, non pas seulement que cette personnalité
affecte des formes diverses, mais qu'elle disparaît, oxx
qu'elle se démembi^e au profit des divers services publics
dont l'ensemble constitue l'Etat. Au lieu de s'en tenir
à ridée d'une personnalité unique, on doit donc admet-
tre Texistence d'autant de personnalités diverses qu'il y
a de services distincts; chaque département ministériel
sera doué de personnalité; il en sera de même du
Trésor, du domaine national, et enfin de chacune des
grandes régies financières chargées de faire rentrer les
revenus publics. A l'appui de cette opinion, MM. Mar-
ques di Braga et Lyon invoquent toutes les dispositions
des lois et solutions de jurisprudence dans lesquelles on
voit ces services fonctionner, quant à Tadministration
du patrimoine qui leur est affecté, lavec une certaine
autonomie. Ils font remarquer que chacune de ces ad-
ministrations a en justice sa représentation distincte ;
que chacune peut recevoir des libéralités et posséder
des valeurs immatriculées au nom du service; qu'enfin
ces valeurs peuvent être des litres de rente sur l'Etat
français, sans que pour cela la dette de l'Etat se trouve
éteinte par confusion.
Les faits ainsi allégués sont loin d'être décisifs en
faveur d'une pei'sonnalité distincte pour chacune des
administrations indiquées. L'Etat peut avoir, à raison
de la complexité de ses services, plusieurs fonction-
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278 CHAPITRE III
naires différents pour le représenter en justice; cela ne
prouve nullement que chacun de ces Fonctionnaires
représente une personne différente (i) ; il n'en serait
ainsi que si Ton devait admettre que la chose jugée à
regard de l'une de ces administrations ne Test pas à
regard des autres, et nous croyons fermement que cette
doctrine est inadmissible. Quant aux libéralités, M. Du-
crocq (2) a fort bien montré que si les diverses adminis-
trations citées peuvent recevoir des dons et legs, elles
ne le peuvent, d'après les décisions mêmes de la juris-
prudence alléguée, qu au nom de TEtat, et qu'il y a là
seulement l'application d'une règle bien connue, d*après
laquelle une libéralité faite au profit d'un service public
non pourvu de personnalité civile est considérée comme
faite à l'Etat, et acceptée par le ministre dans le dépar-
tement duquel rentre ce service (3). Enfin, le fait que
(i) Ce n'est pas seulement l'Etat qui peut être représente en jus-
tice par des fonctionnaires différents suivant les cas. P. ex. le
département de la Seine, représenté d'ordinaire par le préfet de la
Seine, Test, dans certains cas, par le directeur du service de l'As-
sistance publique (Gass. 6 décembre i899. D., 1900. i. 158). Cela
ne prouve nullement que l'Assistance publique ait la personnalité
morale ; mais cela fait pressentir que le système ici combattu
aboutirait à dissoudre d'autres personnalités encore que celle de
l'Etat.
(2) Op. cit., p. 414. Voir, par exemple, le projet de décret éla-
boré par le Conseil d'Etat, le 6 décembre 1884 : « Les ministres de
la guerre et de la marine et des colonies sont autorisés à accepter,
au nom de VEtaty chacun en ce qui le concerne, le legs fait aux
armées de terre et de mer par le sieur Larmée. Les rentes prove-
nant de cette libéralité seront immatriculées, au nom de VEtat
(département de la guerre et de la marine et des colonies), avec
mention, sur l'inscription, de la destination des arrérages ».
(3) Voir les nombreuses applications de cette règle dans les Notes
de jurisprudence (section de l'Intérieur, des Cultes, de rînstruction
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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALIÎS DE DROIT PUBLIC. 279
\
ces administrations peuvent posséder des titres de rente
sur TEtat français n'est pas non plus décisif : sans
doute, puisque c'est TEtat qui est propriétaire, il pour-
rait considérer sa dette comme éteinte pat confusion et
rayer ces titres de rente du grand-livre de la Dette
publique; niais dans ce cas il serait obligé, pour res-
pecter raflfectalion indiquée par le disposant, d'inscrire
chaque année au budget, en faveur du service gratifié,
un crédit équivalent au revenu de ces titres (1). S'il
juge plus simple de laisser subsister ces titres eux-
mêmes, ce n'est là qu'une mesure d'ordre qui ne touche,
point à la question de personnalité.
publique et des Beaux-Arts), publiées par MM. Reynaud et Lagrange
(Melun, 1899), p. 25â et s. On y trouvera l'indication de diverses
notes du Conseil d'Etat portant qu'il y a lieu de faire accepter par
le ministre compétent des libéralités faites aux Cours d'appels, à
l'Administration des monnaies et médailles, à TEeoIe des Beaux-
Arts, aux Musées nationaux (avant la loi qui leur a conféré la per-
sonnalité civile), à l'Ecole française de Rome, à la caisse des pom-
piers de Paris, etc.. Diverses notes du Conseil d'Etat ont môme net-
tement, affirmé l'unité de la personnalité de l'Etat, en modifiant les
termes des projets de décret soumis au Conseil et en substituant
l'acceptation aSi nom de VEtat à l'acceptation au nom du dépar- -
tement minis- tériel qui était proposée (voir les notes du 13 mars
1889 et 13 avril 1892. citées par lissier, Dons et legs, n» 92).
(1) La pluralité des caisses de l'Ëtat n'entraîne pas non plus une
division de sa personnalité (v. ce que nous disons infrà, xa^ 130, de
l'individualité financière sans existence juridique propre), et cela
alors mêrhe qu'entre ces diverses caisses il y a une séparation assez
entière pour que le débiteur de l'une ne puisse opposer la compen-
sation tirée de ce fait qu'il est créancier d'une autre caisse. C'est
déjà la solution donnée parles commentateurs à propos des sta-
tiones fisci iy . Gierke, Deutsches Privatrecht, t. 1, p. 477, n. 12,
et les auteurs qu'il cite). Le fait que l'Etat exclut ici la compensa-
tion n'entraîne pas plus une division de sa personnalité que le fait
d'exclure la confusion des rentes qui lui sont léguées avec affecta-
tion spéciale.
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280 . CHAPITRE III
Il résulle seulement des argumenls présentés par
MM. Marques di Braga et Lyon qu'il est' fort difficile
d'indiquer un critérium permettant de discerner avec
sûreté la personnalité d'un service public, et que les
signes d'ordinaire indiqués comme décisifs en ce sens
• peuvent être trompeurs. Nous essaierons 'plus loin de
dégager les règles à suivre sur ce point. Ici, il y a une
considération qui domine toutes les difficultés de détail,
L'Etal peut bien démembrer quelques-uns de ses servi-
ces et leur attribuer une personnalité distincte de la
sienne, mais cela ne peut aller jusqu'à faire disparaître
sa propre personnalité, qu'il affirme, au contraire, par
ces créatfons mêmes. Or, dans le système proposé, cette
personnalité centrale disparait : la personne qui con-
tracte avec un service public quelconque ne contracte
plus avec l'Etat,^ — il n'y a plus d'Etat personne mo-
rale, — mais seulement avec le service, et alors son
contrat est pour tous les autres services res inter alios
acta. L'impossibilité d'admettre cette conséquence, la
répulsion qu'elle soulèverait dans la conscience juridi-
que, montrent combien est nécessaire aux besoins de la'
vie sociale l'unité de la personnalité de l'Etat. La juris-r
prudence ne paraît pas en douter du reste, et admet sans
hésiter que la violation d'un contrat passé par un dé-
partement ministériel engage la responsabilité de l'Etat
même lorsqu'elle émane d'un autre déparlement minis-
tériel (1). On doit ajouter que la thèse du démembre-
(t) Voir l'arrêt de la Gh. des req., cité plus haut, du 23 juin 4887,
D., 89. 1. 72. Un arrêt du Conseil d'Etat du 9 avril 4898, D.,99.
3. 89 peut paraître à première vue contraire à ce principe; Le Con-
seil d'Etat refuse une indemnité à un entrepreneur de travaux
militaires à qui le ministre de Vlnlèrieur, par mesure de police,
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LA CnÉATION DKS PERSONXKS MOKALES DE DROIT PUBLIC 281
ment de la personnalité de TEtat est condamnée par
tous les textes qui organisent cette personnalité. Comme
le dit fort bien M. Ducrocq (I), c'est l'Etat, et non les
départements ministériels, dont on ne voit jamais l'in-
dication dans nos Codes, que les divers textes ci-dessus
cités qualifient de propriétaire, de possesseur, de créan-
cier ou de débiteur, et le législateur ne parait point avoir
soupçonné qu'on puisse attribuer ces divers droits à
d'autres qu'à TEtat lui-même.
111. Le système que nous venons de combattre n'est
pas la seule tentative qui ait été faite pour démembrer
la personnalité de l'Etat. Le principe de la séparation des
pouvoirs, par exemple, a parfois été présenté comme*
impliquant une personnalité distincte pour chacun des
grands pouvoirs de l'Etat (2). Mais c'est le moyen de le
rendre inacceptable, et -c'est, semble-t-il, parce que les
avait interdit remploi d'ouvriers étrangers. L'arrêtiste du recueil de
Dalloz paraît attribuer la solution au fait que la mesure avait été
prise par un autre département ministériel que celui qui avait passé
le contrat. Il suffît de lire l'arrêt pour voir que telle n'est pas la
pensée du Conseil d'Etat : il constate seulement que la main-
d'œuvre étrangère n'était pas garantie à l'entrepreneur par son
contrat. Si cette garantie avait été donnée, l'Etat eût été respon-
sable, malgré la dualité des services impliqués dans l'affaire.
{i)Loc, cit. y p. il4.
(2) Kant (Metaphysische Anfangsgrûnde der Rechtslehre^Œa-
vres, Leipzig, i868, t. VII) : « Chaque Etat renferme en soi trois
pouvoirs, c'est-à-flire la volonté universelle réunie en une triple
ipevsonne (trias poli tica), § 45»; « Les trois pouvoirs de l'Etat
sont donc d'abord coordonnés les uns aux autres comme autant de
personnes morales, § 48 ». D'après Kant la volonté de ces trois per-
sonnes se combine dans un raisonnement pratique unique, dont là
loi forme la majeure, le précepte donné conformément à la loi la
mineure, et la sentence judiciaire la conclusion. Cpr. Fichte.
Grundlage des Naturrechts ((ouvres, Berlin, i845, t. III, p. 159
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2o2 * CHAPITRE III
Allemands ont une cerlaine tendance à la concevoir
sous cette forme que la plupart d'entre eux repoussent,
parfois avec une sorte de dédain, celte théorie célèbre
comme une erreur qui a fait son temps (i). Ils n'ont
pas de peine à démontrer, en parlant de ce point de vue,
et suiv.). L'idée de personnalité de chacun des trois pouvoirs
découle naturellement de la théorie qui voit dans la volonté le fon-
dement du droit subjectif,- théorie qui est celle de Kant. Si on
introduit dans ta définition de la personnalité la notion de Vinté-
rêt, on arrive nécessairement à une autre conclusion (v. infrà,
n^ 112). Il va sans dire que les philosophes que nous citons ici
n'ont en vue qu'une sorte de personnalité de^droit ppblic qui, dans
leur pensée ne détruit même pas l'unité de l'Etat; ils n'en con-
cluent nullement que chacun des trois pouvoirs doit posséder un
patrimoine distinct.
(I) Laband {Staatsrecht des deutschen Reiches, 2e édition, t. I,
p. 517, note 3, et trad. franc., t. II, p. 268-269) combat, par
exemple, le principe de la séparation des pouvoirs comme rame-
nant l'acte de volonté de l'Etat, dans la confection de la loi, à
un accord entre deux contractants, le monarque et les Chambres.
Suivant nous, là où le monarque participe à la confection des
lois, il fait lui-même partie de l'organe législatif, et il n'y a pas
lieu de parler de contrat entre deux personnes distinctes. Gpr.,
parmi les Allemands qui repoussent le principe de la séparation
des pouvoirs : Gerber, Grundsûge, § 7 in fine \ Meyer, StaalS"
recht, I ^. in fine ; Gareis, Allgemeines Staatsrecht, p. 34 ;
Bornhak, Allgemeines Staatsrechty p. 140 et suiv. — M. Otto
Mayer (Deutsches Venoaltungsrecht, % 6), qui est en Allemagne
un des rares défenseurs de ce principe, cite un mot de M. Aucoc à
TAcadéraie des Sciences morales et politiques à propos du concours
de 1877 ; M. Aucoc avait dit que les critiques dont le principe est
l'objet reposent souvent sur des malentendus. « A ces malentendus,
dit M. Mayer, nous livrons une large contribution ; ce que la science
allemande repousse avec une telle unanimité, ce n'est pas le prin-
cipe de la séparation des pouvoirs, mais l'épouvantail que l'on en
a fait (nicht die wirkliche Trennung der Gewaltenf sondent der
Popanz, den man daj^aus gemacht hat, p. 68, note 2) ». V. dans
la traduction française de l'ouvrage d'Otto Mayer (Le droit qdmi-
nistratif allemand y 1903, t. !, p. 84), le complément que l'auteur
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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC 283
qu'un seul Etat en trois personnes implique contradic-
tion, qu'essentiellement l'Etat est un et doit être conçu
comme tel. Mais il nous semble qu'en France le prin-
cipe de la séparation des pouvoirs a été rarement conçu
dans le sens qu'ils combattent. Nos publicistes ont bien
plutôt tendance à y voir, comme les Allemands eux*
mêmes, une simple distribution des fonctions de TEtat
entre des organes divers.. L'idée d'une personnalité dis-
tincte de chacun des pouvoirs, Tidée de la réunion de
ces trois personnes en une seule, la triade ou trinité
politique de Kant, ce sont là des conceptions purement
métaphysiques, très étrangères aux préoccupations et à
la tournure d'esprit de ceux qui ont formulé chez nous
le principe de la séparation des pouvoirs. La pensée de
Montesquieu et de ceux qui l'ont suivi est toute prati-
que : les pouvoirs doivent être divisés, parce que la
concentration de tous les pouvoirs entre les mains d'un
seul homme ou d'un seul corps conduit directement
au despotisme. Mais cela n'empêche pas de considérer
a ajoute à cette conslatalion : « Depuis que ce passage a été écrit,
nous dit-il, un revirement paraît s'opérer dans notre doctrine ». Il
cite, coronfie se rattachant aux idées qu'il avait exprimées en 1803 :
Auschûtz, Die gegenwàriigen Theorien ûber den Begriff der
gesetzgebenden Gewalt (1901) et Arndt, dans Archiv. fàroffentl.
RerhU t. XV, p. 346, lequel réclame pour lui la priorité de ces
idées. Nous constatons avec plaisir ce revirement de la doctrine
allemande vers une théorie française, que plusieurs chez nous sont
trop portés à abandonner, et qu'il s'agit seulement de bien en-
tendre. M. Duguit, qui a beaucoup médit du principe delà sépara-
tion des pouvoirs, y revient par un détour en admettant la distinc-
tion des gouvernants et des agents (VEtat, les gouvetmants el les
agents^ p. 362 et s.) : il voit dans cette distinction une garantie
considérable accordée à l'individu. C'est précisément cette môme
^ garantie que la doctrine classique française trouve dans la sépara-
tion du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif.
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284 CHAPITIŒ III
tous ces pouvoirs comme appartenant, en dernière
analyse, à une personne unique qui est l'Etat (1), et
c'est pour cela que les défenseurs les plus* éclairés du
principe en France ont insisté sur Pidée que les pou-
voirs ne pouvaient être entièrement séparés, qu'on
devait admettre entre eux une collaboration perma-
nente^ afin d'arriver à dégager de ces pouvoirs distincts
une volonté unique (2), et que d'ailleurs en cas de
conflit l'un des pouvoirs devait nécessairement avoir la
prépondérance (3).
112. On n'a pu s'y tromper d'ailleurs que parce qu'on
est parti d'une fausse idée sur la nature de la personna-
lité morale. Si au lieu de voir dans la volonté l'élément
essentiel et exclusif du droit subjectif, on Tavait vu dans
l'intérêt de l'homme ou du groupe humain auquel le
droit profite, on aurait bien vite reconnu qu'aucun des
trois pouvoirs ne peut, dans le droit moderne^ consti-
tuer une personne juridique. Tous représentent l'inté-
rêt collectif du même groupe humain, la Nation, ils
sont donc les organes d'une seule personne. Le fait que
ce sujet de droit a des représentants plus ou moins
nombreux et plus ou moins indépendants les uns des
autres ne détruit pas l'unité de sa personnalité. Ces
divers représentants nous apparaissent comme autant
(i) Montesqureu dit lui-môme, en parlant du pouvoir législatif et
du pouvoir exécutif, que Tun est la volonté générale de l'Etat et
l'autre l'exécution de cette volonté générale {Esprit des lois, liv.XI,
chap. VI).
(2) Voir Saint-Girons, Essai sur la séparation des pouvoirs,
p. 142, et les auteurs qu'il cite, notamment le passage de Mou-
nier : « Pour que les pouvoirs soient à jamais divisés, il ne faut pas
qu'ils soient entièrement séparés »
(3) Voir Esmcin, Droit constitutionnel, l^e éd., p. 291.
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^îwg^»??^'
LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC 285
d'organes de TEtat ; si leurs altributions sont . stricte-
menl définies, de manière que chacun d'eux ne puisse
empiéter sur les autres, ce n'est pas dans leur propre
intérêl^ mais dans Tinlérêt. de TEtat lui-même. On ne
peut donc les considérer comme ayant un droit subjec-
tif à la compétence qui leur appartient (1). Aussi, le
plus souvent, ne peuvent-ils défendre en justice leur
compétence contre les autres organes de TEtat. Là
même où il y a les apparenc,es d'une action en justice de
celte nature, on doit l'expliquer, non par un droit appar-
tenant à Torgane, mais par Tutilité que présente pour
l'intérêt général, c'est-à-dire pour TEtat, un débat con-
tradictoire sur la question de compétence.
Parmi nos institutions actuelles, celle qui ressemble
le plus à un débat judiciaire entre deux pouvoirs est
celle du conflit positif d'attribution. On voit Taulorité
administrative, représentée par le préfet, revendiquer
pour l'administration la décision d'une affaire pendante
devant un tribunal judiciaire et faire juger la question
de compétence par le tribunal des conflits, c'est-à-dire
par un véritable tribunal statuant avec toutes les formes
de la justice. Il serait inexact cependant de considérer
le conflit comme un véritable procès entre l'autorité
administrative et l'autorité judiciaire. A l'époque où la
solution du conflit appartenait au chef du pouvoir exé-
cutif, le Conseil d'Etat déclarait nettement que la déci-
sion n'avait pas le caractère d'un jugement, mais celui
d'un acte de haute administration (2). Si Ton a créé
(i) V. plus haut, nos 59 et s. l'esquisse générale de la théorie de
de l'organe. Nous Ja développerons, en ce qui concerne l'Etat,
dans le second volume de cet ouvrage. V. cependant infrà^
le n» 412 bis.
(2) V. l'avis du Conseil d'Etat du i8 janvier i821, cité par
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286 CHAPITRB m
depuis lors, pour juger le conflit, un 'tribunal spécial,
c'est dansTintérèt d'une bonne administration de la jus-
tice, afin que les parties en cause soient sûres de trouver
le juge indiqué par la loi. Mais on ne considère point,
devant ce tribunal, les deux autorités en conflit comme
deux plaideurs débattant leurs droits en justice : si on
le faisait, on devrait permettre à chacune d'elles de
poser des conclusions (1); on devrait aussi donner à
chacune d'elles, et non pas au préfet seulement, le droit
d'élever le conflit. La vérité est que le préfet, quand il '
soulève ce débat, représente moins l'administration que
rinlérêt général de TEtat, et que le tribunal des conflits,
quand il le juge, statue sur une pure question de droit
objectif, celle de savoir, entre deux autorités représen-
tant Tune et l'autre TEtat, quelle est celle qui est compé-
tente d'après la constitution et les lois. La décision a
bien aujourd'hui certains caractères d'un jugement, mais
seulement ceux qui sont compatibles avec l'idée d'un,
jugement rendu sur le droit objectif, et non ceux qui
sont propres aux jugements rendus, comme c'est le fait
ordinaire,, entre deux personnes en cause (2).
M. Reverchon, dans le Dictionnaire de V Admiîiisîration fran-
çaise, de Block, \o Conflit, n» 136.
(1) Le minisire peut présenter des observations, mais ces obser-
vations, qui ne sont pas des conclusions, ne suffisent pas & faire con-
sidérer l'autorité administrative comme partio en cause Quant à
l'autorité judiciaire, elle n'a devant le tribunal aucun représentant
chargé de défendre ses droits. C'est seulement dans la composition
même du Tribunal qu'on a cherché à la représenter, de manière à
arriver à la meilleure solution objective du litige. — Cpr. sur le
caractère de la lutte de compétence qui se produit devant le tri-
bunal des conflits. Duguit, VEtat, les gouvernants et les agents,
p. 515 et suiv. V. aussi Jellinek, System der subject, offenil.
Lehre, p. 221 et s., et Allgem, Staatslehre, p. 512-513.
(2) Cpr. Reverchon, loc. oit, y n^ 159. — On sait d'ailleurs que
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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC 287
112 bis. Toutefois la théorie qui nie la personnalité
de Torgane considéré en lui-même n'est point incom-
patible, nous l'avojis vu (i), avec l'existence d'un droit
à la qualité d'oraane existant dans la personne de l'indi-
vidu qui est investi de ce rôle. Cela existe toutes les fois
que la qualité d'organe est reconnue à cet individu, non
dans rintérèt de la collectivité qu'il est appelé à repré-
senter, mais dans son propre intérêt. A nos yeux, 'cela
existe à Tégard d'organes qui jouent dans TEtatmoderne
un rôle très important, nous voulons parler des élec-
teurs (2). " •
Notre régime politique actuel est basé sur l'idée de
souveraineté nationale, et de représentation du peuple
pa(r un parlement qui a dans l'Etat un pouvoir prépondé-
raut. Cette notion, d'ordre tout politique, ne doit pas êlre
traduite juridiquement, comme on a longtemps cherché
à le faire, par l'idée d'une nation-personne, qui serait
distincte de la personne Etat, et qui donnerait mandat à
ses représentants pour gouverner en son nom (3). La
si les deux autorités ne sont pas parties en cause, on ne doit pas
non plus considérer comme telles les personnes qui étaient en
cause dans le procès à l'occasion duquel Je conflit a été soulevé.
Ces personnes peuvent présenter des observations mais non poser
des conclusions ; elles n'ont aucune voie de recours contre Ja déci-
sion, qui n'est jamais considérée comme rendue par défaut ; elles
ne peuvent pas récuser un membre du tribunal, etc. Nous n'avons
pas à insister ici sur cet ordre d'idées.
(i) Ci-dessus n^' 64 bis,
(2) Cela existe aussi, au profit du Monarque, dans certains régi-
mes monarchiques.
(3) Cette théorie de la nation-personne donnant mandat au gou-
vernement, ou lui déléguant la souveraineté est pourtant une théorie
classique. C'est en la prenant comme point de départ qu'on a discuté
sur le caractère de cette délégation, tantôt la considérant comme
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288 CHAPITRE III
nation n*a en effet aucune existence juridique distincte;
l'Etat n'est que la nation elle-même (la collectivité),
juridiquement organisée ; et il est impossible de com-
prendre comment celle-ci pourrait être conçue comme
un sujet de droit distinct de TElat. Ce serait également
une erreur de voir dans la nation un organe de l'Etat;
n'étant pas distincte de la collectivité, elle ne peut pas plus
être un organe de celte cullectivilé qu'elle ne peut être
une personne (1). En réalité ce sont les électeurs^ orga-
une simple corn mission, tantôt déclarant la souveraineté alié-
nable en sorte que le roi, délégué par la nation est investi d^un
pouyoir propre qui peut s'opposer à celui de la nation. V. sur
ces diverses théories, de Vareilles-Sommières, Les pinncipes fon-
damentaux du droite p. 274 et s. Rousseau, qui est le partisan
le plus convaincu de la souveraineté inaliénable de Itf nation,
admet nettement la dualité de la nation et du gouvernement :
« Nous avons ici, dit-il, deui personnes morales bien distinctes,
savoir : le gouvernement et le souverain, et deux volontés géné-
rales très distinctes, Tune par rapport à tous les citoyens, l'autre
seulement pour les membres de l'AdminisIration [Contrat social,
L. m, ch. V) ». Mv Duguit, UEtaty les gouvernants et les agents^
p. 57 et s.,- montre bien la genèse de ces doctrines dualistes. Elles
ont pour objet de traduire juridiquement le fait de la souveraineté
nationale, c'est-à-dire le fait que l'ensemble des citoyens parti-
cipent à la direction du pays. Mais elles n'ont pas la précision
nécessaire à une doctrine juridique.
(4) Jellinek (Allgem. Staatslehre, p. 533 et s.), tout en admet-
tant avec l'opinion générale (v. la note suivante), que l'élection
est un choix, un procédé de sélection, et non un mandat, a une con-
ception particulière du rôle que iouale peuple (das Fo /A:), dans
les constitutions où existent des élections populaires. Pour lui le
peuple est dans ces constitutions, un organe primaire de TEtat
qui nomme un organe secondaire, lequel est en réalité chargé
d'exprimer dans le gouvernement la volonté de l'organe primaire
dont il émane.- Il se flatte par là d'exprimer juridiquement le lien
qui existe entre l'organe créateur et l'organe créé, lien qu'il repro-
che à la théorie dominante de négliger entièrement : il est impos-
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LA CREATION DES PERSONNES MOttALES DE DROIT PUBLIC ^89
nîsés en collèges électoraux, qui sont les organes de
TElat. Ils forment un organe collégial^ c'est-à-dire
constitué de telle sorte que leur volonté individuelle n'a
de valeur que lorsqu'elle est combinée, suivant certai-
nes règles, avec la volonté individuelle des autres per-
sonnes formant avec eux le collège électoral.
Il résulte de cette conception que l'élection n'est pas
un mandat donné par les électeurs. Elle est seulement
un choix, un procédé de sélection (i), imaginé pour
sible d'après lui, de donner la môme expression juridique à, la situa-
tion de membre d'une chambre haute, désigné par sa naissance ou
par le chef de l'Etat, et à la situation de membre d'une chambre
populaire. Le premier n'est pas chargé, comme le second, de faire
prévaloir dans le gouvernement les vues du peuple ; et, cette diffé-
rence, il faut que la théorie juridique l'exprime sous peine de n'être
qu'une théorie purement formelle, vide de toute signification
sérieuse. Mais, répondons -nous, si la théorie juridique n'exprime
pas cette différence, c'est parce qu'elle n'existe pas au point de
vue juridique ; c'est une simple différence de fait, qui n'amène
pas de conséquences de droit ; le membre de la Chambre des
députés, une fois nommé est aussi indépendant de ses électeurs,
au point de vue juridique, que s'il avait été nommé par le chef
de l'Ëtat ou désigné par sa naissance ; ses électeurs n'ont sur
lui qu'une influence indirecte, résultant principalement du droit
qu'ils ont de ne pas le renommer ; mais cette influence ne touche
en rien aux rapports juridiques qui résultent de l'élection ; elle
ne modifie pas la situation de l'élu, tant que cette situation sub-
siste. La théorie juridique n'a donc pas à en tenir compte. La
conception de Jellinek se heurte d'ailleurs à cette difficulté que le
peuple, masse amorphe et indéterminée, ne peut pas plus être un
organe qu'il ne peut être une personne morale distincte de l'Ëtat.
L'organe est l'être chargé de vouloir et d'agir pour la personne
morale ; ce ne peut être qu'une personne physique ou une personne
morale qui, dans ce cas, voudra pour la personne morale dont elle
est l'organe, comme elle veut pour elle-même, c'est-à-dire par
l'intermédiaire d'une personne physique.
(1) Cette notion de l'élection autrefois très méconnue en France
est devenue courante dans la littérature juridique. Y. notamment
MICHOUD 19
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2dO cfiAPitRB ni
donner à TEtat une représentation capable de pourvoir
aux besoins auxquels il doit satisfaire. Elle est déjà un
acte de volonté de TEtal, qui, au moyen d'organes pri-
maires (les électeurs réunis en collège), se crée, con-
formément à sa Constitution, un organe secondaire (la
Chambre ou assemblée quelconque provenant de l'élec-
tion). L'organe primaire n'a d'ailleurs pas d'autre com-
pétence que celle de voter ; il ne représente l'Etat que
dans cet acte, et dans nul autre.
Il résulte encore de cette théorie que le député ne
représente pas seulement sa circonscription électorale,
mais qu'il est Torgane de la collectivité nationale tout
entière. Cette règle, qui est certaine en droit positif (1),
est inexplicable avec la théorie de la représentation
ou du mandat, à moins de recourir à la fiction ; elle est
au contraire toute simple avec la théorie de l'organe.
Mais il ne résulte pas de cette théorie que le droit
électoral ne puisse pas être regardé comme un droit
pour Télecleur et qu'il soit pour lui un simple effet
réflexe du droit objectif (ou, ce qui est la même chose,
du droit subjectif de la collectivité). Les procédés
admis dans une constitution donnée pour organiser les
les remarquables articles d'Orlando, dans la Revue du droit
public, t. 111, 189o, p. i et s. ; et les Principes du droit public et
const, du môme auteur, trad. française, p. 99 et s. V. aussi Jelli-
nek, Allg . Staatslehre, p. 53i. Gierke, dans Schmoller Jahr-
buch, 1883, p. U42. Laband, Le dr^oit public de V empire alle-
mand, trad. franc., t. I, p. 442 et s. Pour la France, Saripolos,
La démocratie et Vélection pi^opor lionne lie, p. 547 et s.
(i) V. Esmein, Droit constitutionnel, l^e éd.,- p. i84 et s.
Duguit, VEtat, les gouvernçL7its et les agents, p. 172 et s. Const.
de 1791, titre 111, section 3, ch. I, art. 7. De la môme théorie
découle aussi la prohibition du mandat impératif qui se trouve
dans la plupart de nos constitutions.
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LA CRÉATION DÉS PERSONNES MORALES DE DROtT l>UBLIC 201
pouvoirs publics ont en effet pour objet de faire préva»-
loir, dans le Gouvernement les influences que les
auteurs (conscients ou inconscients) de celle Constitu-
lion ont voulu rendre prépondérantes. Si ces auteurs
sont imbus de la théorie politique de la souveraineté
du peuple, ils auront combiné les procédés do manière
à assurer l'influence à la masse des citoyens, et non à
une catégorie d'entre eux, à un individu ou à une
famille. C'est ici que la Ihéorie juridique rejoint la
théorie politique. Uorganisalion du suffrage universel a
pour objet de faire pénétrer dans le domaine juridique
(autant que cela est possible) le principe politique de la
souveraineté du peuple. Le droit reconnu aux électeurs
leur est donc reconnu dans leur propre intérêt^ pour
qu'ils puissent faire triompher dans le Gouvernement,
leurs idées et leurs désirs. Au fond cet intérêt bien
compris, ne se distingue pas d'ailleurs de celui de la
collectivité elle-même, là oii les électeurs sont choisis
de telle sorte qu'ils forment la collectivité tout entière,
ou que du moins ils s'inspirent nécessairement des
besoins de cette collectivité. Mais il est logique, à ce
point de vue, de considérer le droit de vote comme un
véritable droit pour eux, puisqu'il est un pouvoir qui
leur est accordé pour défendre leurs intérêts ; et c'est en
effet comme un véritable droit personnel qu'il est sanc-
tionné par toutes les législations modernes. Cela ne
tranche d'ailleurs pas la question de savoir dans quelle
mesure ce droit doit être placé hors de l'atteinte TE tat-
législateur, question que nojjs ne pourrons examiner
qu'en étudiant le droit de souveraineté de TEtat.
113. Dans la conception de l'Etat, telle qu'elle est expo-
sée ci-dessus, la puissance publique est considérée comme
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i9î CHAPITRE Ht
appartenanl à uq sujel de droit qui est i'Ëlat, c'est-à-
dire la collectivité nationale organisée. Si cet Etat est
souverain, c'est-à-dire s'il exerce avec une entière liberté
ses droits de puissance publique, on peut désigner Ten-
semble de ces droits du nom de souveraineté. Mais,
même dans ce cas, ces droits ne doivent pas être conçus
comme illimités. Ils sont limités par la nature même de
la personnalité de l'Etat, qui n'est que la représentation
des intérêts collectifs de la nation, intérêts collectifs qui
sont à la fois la base et la limite de son pouvoir.
Le droit de commander en effet ne peut se justifier
que de ce point de vue. L'homme ne peut être obligé de
plier sa volonté sous celle d'un homme comme lui,
dont les intérêts n'ont rien de supérieur aux siens. 11
peut au contraire être obligé de s'incliner devant les
intérêts supérieurs de la collectivité à laquelle il appar-
tient, parce que cette collectivité, voulue de Dieu, a
besoin pour remplir sa fin, c'est-à-dire pour pourvoir au
bien commun, d'avoir le droit de commander. Mais aussi
ne peut-elle commander qu'en vue de l'intérêt collectif
dont elle a la garde, en vue du bien comnaun; au delà
de cette limite, elle n*a plus de droit, et ses commande-
ments n'ont plus qu'une valeur de fait(l).
(1) Cette théorie du droit de commander dépasse le champ de la
science expérimentale pour faire appel à une idée transcendante.
Cela est nécessaire à nos yeux pour faire du pouvoir quelque chose
de plus qu'un simple fait de plus grande force. Toutes les écoles
spiritualistes sont d'accord sur ce point. La théorie ici indiquée est
notamment celle de saint Thomas-d'Aquin. Somme théoL, U, 1,
quest. &6, art. 4. V. Chénon, Théorie catholique de la souverai-
neté nationale^ 1898, p. 7. En traitant des droits des personnes
morales, nous serons obligés de revenir sur cette théorie que nous
ne faisons ici qu'indiquer.
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LA CREATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC 293
Sans doute, l'Etat souverain est sur le territoire qui
lui appartient, la plus haute autorité^ et par conséquent
a tous les pouvoirs, non seulement en ce sens que per-
sonne n'a la force matérielle pour lui résister, mais
aussi en ce sens que les règles de droit par lui acceptées
s'imposent à toutes les autorités qui fonctionnent comme
ses organes. Celles-ci ne peuvent prétendre à le repré-
senter lorsqu'elles se mettent en contradiction avec lui.
Mais la conscience individuelle conserve le droit de ré-
sistance à tout ordre dépassant le droit de conimander
tel qu'il e,st déterminé par la fin de l'Etat; et, même eti
fait, I^Etat ne peut impunément violer trop fréquemment
ou trop scandaleusement les droits de l'individu sans
s'exposer à n'être plus obéi.
Quels sont les intérêts collectifs dont la satisfaction
est à la fois le fondement et la limite des droits de
J'Etat? C'est là une question à laquelle on ne peut ré-
pondre qu'en traitant à fond la théorie des fins de l'Etat,
c'est-à-dire une théorie qui sortirait de notre cadre, et
qui est trop complexe pour que nous puissions le traiter
incidemment. Historiquement la réponse a varié avec
les divers degrés de culture et le caractère des peuples.
Philosophiquement elle doit varier avec les divers sys-
tèmes philosophiques sur la destinée de l'homme. Mais
dans tout Etat la limite théorique des droits de l'Etat
coïncide avec la limite des sacrifices que l'intérêt collec-
tif peut demander à l'intérêt privé, telle qu'elle est dé-
terminée par l'opinion générale de la nation.
114. Les idées qui viennent d'être esquissées répon-
dent d'elles-mêmes a une objection que l'on a faite
parfois à la théorie de la personnalité de l'Etat. Qn l'a
'présentée comme conduisant à l'idée de souveraineté
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^"^re^^
204 CHAPITRE llf
illimitée, et amenant par là, soit la négation du droit
de rindividu, soit tout au moins l'aggravation du con-
flit inévitable entre les droits de Tindividu et les droits
de la collectivité : « Gardons-nous, dit par exemple
M. Berthélemy (1), d'assimiler à une personne TEtat qui
commande, car nous construirions par celte nouvelle
fiction un être formidable, nullement pareil aux êtres
qui nous entourent, un monstre dont nous ne pourrions
ni limiter les prétentions ni modérer Tomnipotence ».
Ces lignes^ qui évoquent à nos yeux la redoutable figure
du Léviathan de Hobbes, ne sont que Pexpressionla plus
précise d^une crainte que Ton trouve exprimée plus ou
moins nettement dans beaucoup d'autres auteurs (2).
Celte crainlene serait vraiment fondée que si nous fai-
sions de l'Etat un êire mystique, une personnalité indé-
pendante des individus qui la composent, et ayant ses fins
propres autres que les intérêts collectifs de ses membres.
Conçue comme la simple représenlalion juridique du
droit collectif, l'idée de personnalité de TEtat ne contient
en elle-même le germed'aucun développement exagéré de
la puissance publique. Elle aide au contraire à la limiter
en montrant quelle est sa vraie raison d'être, et aussi en
la soumettant aux procédés habituels de la méthode juri-
dique. L'idée que la puissance publique est un droit ap-
partenant à un sujet et que ce sujet n'est autre que la
(1) liecue du droit public, t. 21, p. 213.
V (2) V. p. ex. Menger, L'Etat socialiste, trad. Adler, p. 227.
« Prôler à l'Etat une sorte de vie personnelle propre, c'est opérer
une coupure entre l'Elat d'une part, et de l'autre les individus dont
il est composé et les fins de ces individus, et c'est faire de lui une
entité particulière ayant ses fins à elle et ses aspirations propres ».
Menger explique par là le fait qu'on ait fait servir TEtatà l'intérêt
des groupes sociaux les plus puissants et non à l'intérêt de tousr.
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LA CRÉATION DBS PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC 295
collectivité nationale, ne répond pas seulement aux exi-
gences logiques de notre esprit ; elle nous permet d^ap-
pliquer à ce sujet de droit des règles analogues à celles
qui régissent les autres sujets de droit, en tenant compte
seulement de ce fait qu'il a des droits plus étendus à
raison de la mission qui lui est propre. C'est la seule
manière d'établir un lien entre le droit public et le droit
privé, et de faire participer le premier des progrès ac-
complis par le second.
M. Duguit a donné à l'objection que nous venons de
signaler une tournure particulière en considérant l'idée
de souveraineté comme liée intimement à Tidéc de per-
sonnalité, et en essayant de démontrer que la souverai-
neté ne peut se concevoir que comme un droit absolu,
sans restriction et sans limites. Pour lui l'Etat^ si on le
qualifie de souverain, ne peut être soumis à aucune rè-
gle, et il lui est même impossible de s'y soumettre vo-
lontairement, car il ne peut abdiquer sa souveraineté :
«Si TEiat a la souveraineté, nous dit-il (^), il est une
puissance commandante créatrice du droit, une personne
investie de YHerrschaft, il garde toujours ce caractère. Il
a ou il n'a pas ce caractère ; s'il le possède il le con-
serve toujours; le rapport qui naît entre TEtat et une
autre personnalité ne peut jamais être un rapport de deux
contractants, et sera toujours un rapport de supérieur
à subordonné. I! en résulte logiquement que les conven-
tions internationales ne sont pas obligatoires, qu'il n'y
a pas de droit international, que dans les rapports entre
nations tout doit être laissé à la force; et que, en droit
public interne, les contrats d'Etat sont obligatoires
(l) UEtatt le droit objectif et la loi positive, p. 383 et s.
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296 ciiAPiTHR m
pour le particulier qui les consent, mais non pour
TEtat ».
Celte conception de la souveraineté de TEtat est tout
à fait exagérée ; on peut admettre un Etat souverain
soumis au droite cela résulte déjà de la notion que nous
avons donnée plus haut du droit de commander, et nous
essaierons de le démontrer plus complètement en étu-
diant l'étendue des droits des personnes morales. Mais
co n'est pas le dieu d'insister sur ce point. Ce que nous
devons faire observer seulement, c'est que l'objection
est sans valeur en tant qu'elle s'adresse à la théorie de
la personnalité ; car personnalité de l'Etat et souverai-
neté de l'Etat sont deux idées très distinctes, comme
suffit à le démontrer la possibilité d'Etats non souve-
rains.
115. Les services publics personnalisés, — Les expli-
cations précédentes nous paraissent suffisantes pour
mettre en relief l'unité de la personnalité de l'Etat.
Mais cette unité ne fait point obstacle à ce que l'Etat
détache lui-même certains services publics, et les dote
d'une personnalité propre. Les services publics person-
nalisés abondent dans notre législation et ne sont incon-
nus d'aucune législation actuelle. Ils se ramènent facile-
ment, comme on va le voir, aux principes généraux sur
la personnalité morale, et par conséquent leur création
n'est pas un acte purement arbitraire, bien que l'Etat y
ait un large pouvoir d'appréciation.
Pour qu'un service public puisse être considéré comme
une personne morale distincte de l'Etat, il lui faut,
comme à toute personne morale, une organisation suf-
fisante pour dégager une volonté capable de le repré-
senter sur la scène du droit. C'est la condition de forme
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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC ^97
à laquelle est subordonnée la création de toute personne
morale. Théoriquement TEtat peut doter n'importe lequel
dé ses services de l'organisation nécessaire pour que
cette condition soit remplie. Il n*est pas besoin pour
cela que cette organisation soit rationnelle, ni même
congue de façon à correspondre exactement aux besoins
du service. Il suffit qu'elle existe, et que le service puisse,
toutes les fois qu'il le faudra, avoir un représentant. En
fait, certaines personnes morales n'ont qu'une organisa-
tion tout à fait rudimentaire : la personne morale des
pauvres, qui est traditionnellement reconnue dans notre
droit, n'a point d'organe qui lui soit propre ; elle em-
prunte, suivant les cas, les représentants de diverses
autres personnes morales (1); on la considère cepen-
dant comme suffisamment organisée, parce que, dans
tous les cas où cela est utile, la loi lui désigne directement
ou indirectement, un représentant. De même la section
de commune n'a pas, en règle générale, d'autres organes
que ceux de la commune elle-même (2), et cependant sa
personnalité morale n'est pas douteuse. C'est que la con-
dition dont il s'agit est une condition de pure forme, qui
ne touche pas au fondement intime du droit. Elle existe
toutes les fois que l'on a assuré à la personne morale
une représentation par un procédé quelconque.
Mais pour qu'un service public constitue véritable-
ment une personne juridique distincte de l'Etal, une
autre condition est nécessaire, condition qui résulte de
la notion même de personne, telle que nous avons essayé
(t) On peut, il est vrai, contester, avec raison suivant nous, qu'il
s'agisse Jà d'une véritable personne morale. V. suprà, p. 487, n.2.
(2) Sauf dans divers cas spéciaux, indiqués notamment aux arti-
cles 111 et 128 de la loi municipale.
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CHAPITRE m
de la dégager (1). C'est qu'il corresponde à un groupe
d'intérêts collectifs et permanents, distincts de ceux de
l'Etat lui-même.
Sans doute, en fait, l'Etat pourrait déclarer que n'im-
porte lequel de ses services — celui de la police géné-
rale, par exemple, ou celui de l'armée, ou celui de la
gestion de ses domaines — sera érigé en personne mo-
rale distincte. Il lui attribuerait un patrimoine, un bud-
get, une reprf^sentaliou spéciale. Il lui donnerait ainsi
toutes les apparences de la personnalité, non la person-
nalité elle-même ; ce serait une pure fiction, l'organisa-
tion d'un mécanisme administratif, que TEtat pourrait
supprimer dès qu'il le voudrait sans violer aucun droit
acquis. La fiction disparaîtrait d'elle-même si le service
se trouvait en déficit, ou au contraire faisait des béné-
fices périodiques et durables : \lans le premier cas, TEtat
serait obligé de lui venir en aide ; dans le second, il se
déciderait bien vile à lui ordonner de verser ses excé-
dents au budget général. Tant qu'elle*dnrerait, la fiction
pourrait produire certains effets juridiques, par exemple
empêcher qu'on n'oppose à l'Etat la chose jugée contre
ce service, ou une cause de compensation résultant dk
la dette née de ce service; elle pourrait assurer à ce
dernier une représentation distincte en justice; mais il
serait étrange qu'elle pût aller jusqu'à lui permettre de
plaider contre l'Etat lui-même et d'invoquer contre lui
un droit au sens propre du mot. Enfin, si l'Etat se déci-
dait à reprendre lui-même la gestion confiée à cette pré-
tendue personne morale, il y consacrerait les crédits
qu'il jugerait nécessaires et ne serait nullement obligé de
(1) Suprà, nos 53 et s.
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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC 299
respecter l'afTectation des biens qu'il lui avaitjitlribués.
Les services de ce genre, malgré toute déclaration con-
traire, sont (oujours au fond TEtat lui-même ; ils inté-
ressent au même degré le groupe national tout entier, et
c'est ce groupe qui reste, en ce qui les concerne, le
véritable sujet de droit, quelle que soit l'organisation
adoptée.
Il en est autrement lorsqu'il s'agit de services qui, tout
en présentant' un intérêt général justifiant leur classe-
ment comme services publics, intéressent d'une manière
spéciale un groupe plus restreint que la Nation elle-
même. Il y a dans ce cas un groupe humain ayant des
intérêts collectifs et permanents qui sont distincts de
ceux de l'Etat et peuvent parfois lui être opposés. Cela
peut se produire de deux manières : ou bien il s'agit de
groupes territoriaux^ c'est-à-dire de la population pré-
sente et future établie sur certaines fractions du terri-
toire de l'Etat, ou bien il s'agit de groupes spéciaux^
c'est-à-dire de l'ensemble des personnes présentes et
futures intéressées à un service dont le reste de la po-
pulation ne bénéficie pas d'une manière directe (par
exemple les pauvres pour un service d'assistance, les
membres d'une confession religieuse pour un servipe du
culte, etc.). Dans le premier cas, on a ce que l'on peut
appeler une personne territoriale ; dans le second, ce
que la doctrine française s'accorde aujourd'hui à dési-
gner du nom A' établissement public. Nous allons étudier
successivement la création de ces deux catégories de
services publics personnalisés.
116. A. Les personnes territoriales. — Les groupes
territoriaux doués de personnalité sont, dans notre orga-
nisation française actuelle, les communes, les départe-
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300 CHAPITRE III
ments et les colonies. Les premières ne doivent pas/
histojiquement, leur formation à l'Etat; ce sont des
groupes qui se sont organisés spontanément, bien avant
la constitution des grands Etats actuels, par suite des
besoins communs nés du rapprochement des habitations.
Mais TEtat moderne ne les a pas considérés comme de
simples associations privées et ne s'est pas borné à les
réglementer, il les a fait entrer dans les cadres de son
administration et a considéré leurs services comme de
véritables services publics. — Quant aux départements
et aux colonies, ils doivent leur origine à TEtat, qui y
a vu d'abord des circonscriptions de son territoire, mais
qui, en outre, a, par des dispositions expresses ou im-
plicites, reconnu leur personnalité. Il est clair qu'en
faisant cela il a fait un acte en partie arbitraire : c'est
par de simples considérations d'opportunité et de bonne
administration, et non par des considérations d'ordre
juridique, que le législateur de 1838, par exemple, a été
conduit à conférer la personnalité juridique au départe-
ment et à la refuser à rarroiidissèmenl (1). C'est par des
(t) On sait que le département n'avait pas été considéré comme
personne civile Jors de sa création en 1790. En l'an VIÏl, on pou-
vait encore le considérer comme une pure circonscription admi-
nistrative lie l'Etat ; le Code civil le passe entièrement sous. silence,
aloi's qu'il nomme dans plusieurs articles, l'Etat, les communes et
les établissements publics. Le germe de sa personnalité doit être
cherché, d*après l'opinion générale, dans les deux décrets diî 9 avril
1811 et du 16 décembre l811;qui,dans le butde décharger le budget
de l'Etat des dépenses d'entretien, transfèrent au département la
propriété de certains édifices publics et de certaines routes. Une loi
du 16 juin 4824, art. 7, reconnaissait aussi implicitement au dépar-
tement la faculté de recevoir des dons et legs. Mais ces textes
étaient ambigus pour les mêmes raisons que les textes qui donnent
à certains services publics spéciaux des avantages analogues ; on
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LA CREATION DES PERSONNES MORALES JOE DROtt PUBLIG 301
considérations politiques qu'en 1790 il a détruit la pro-
vince et créé le déparlement. Mais quelle que soit la part
de Tarbilraire dans lès créations de ce genre, elles cor-
respondent toujours à un groupement effectif et sérieux,
celui de la population établie sur un territoire déterminé.
Le législateur doit chercher, autant que possible, à
établir ce groupement en tenant compte des traditions,
et aussi des ariinités historiques, géographiques , ou
ethnographiques des populations dont Tensemble cons-
titue la nation; c'est là une condition de vitalité pour
les personnes auxquelles il donne le jour ; c'est aussi une •
condition de bonne 'organisation pour l'Etat lui-même.
Mais alors même que son œuvre à ce point de vue serait
imparfaite, sa création juridique serait pourtant dotée
de tous les éléments essentiels ; elle remplirait les con-
ditions nécessaires pour qu'il existe une véritable per-
sonnalité morale.
La reconnaissance de la personnalité de ces groupes
n^est faite qu'implicitement par la loi ; elle résulte des
dispositions diverses qui leur permettent de gérer direc-
tement leurs propres intérêts collectifs et de posséder
un patrimoine (l). Les intérêts collectifs de ces groupes
pouvait se demander si le département n'était pas, dans tout cela,
un simple organe de l'Etat. Aussi la personnalité du département
resta controversée jusqu'en 4838. C'est seulement la loi du 10 mai
4838 qui la rendit incontestable, en organisant la gestion de ses
biens d'une manière autonome et en rendant certain pour tous son
droit de propriété. Le législateur, au contraire, se refusa à cette
époque à reconnaître la personnalité de l'arrondissement, qui était,
elle aussi, contestée, et qu'on pouvait soutenir presque par les
mômes arguments que celle du département ; car le décret du
9 avril 4814 lui avait aussi concédé la propriété de certains édi-
fices,
(i) Les doutes prolongés auxquels a donné lieu la personnalité
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r'*y!W* .
30â cttAPiTtiB m
territoriaux, bien que distincts de ceux de l'Etat ne peu
vent en être entièrement séparés; c'est de ces group4*s,
en effet, que l'Etat est composé, et il ne peut lui être in-
différent qu'ils soient dans une situation prospère ou dans
une situation mauvaise. De là Tintime union entre leurs
intérêts et ceux du groupe national, union qui a pour
conséquence de faire élever au rang de services publics
les services organisés par eux. Il résulte de là que leur
personnalité n'appartient pas uniquement au droit privé ;
elle a, comme celle de l'Etat, une double face. Ils ont
des droits de puissance publique : droit d'imposer à
leurs membres des contributions aj'ant tous les caractères
de l'impôt, droit de gérer leurs fitiances dans les condi-
tions propres aux finances publiques, droit d'exécuter
leurs travaux d'après les règles des travaux publics,
droit d'exercer sur leur territoire un pouvoir de po-
lice (1). Ils ont aussi, des droits patrimoniaux, ana-
logues à ceux des particuliers ; ils peuvent être proprié-
du département montrent que ce procédé n'est pas sans inconvé-
nient. Le législateur arriverait plus sûrement au but en déclarant
expressément que le groupe a la personnalité morale. Nous ver-
rons, à propos des établissements publics, le même inconvénient
devenir plus visible. — Les textes qui renferment la concession
implicite de personnalité sont aujourd'hui, pour le département,
la loi du 40 août 1871, et pour la commune, la loi du 5 avril 1884.
Pour les colonies, voir les divers textes cités par Tissier. Dons et legs,
nog 123 et suiv. ; ce sont des textes établissant les conseils généraux
des colonies ou les conseils coloniaux et leur donnant le droit
d'administrer les biens de la colonie. En outre, pour l'Algérie, la
loi du 19 décembre 1900 a reconnu expressément la personnalité
civile. — Une loi est d'ailleurs en principe nécessaire pour créer
une personnalité de droit public ; un acte du pouvoir administratif
n'y suffirait pas. V. in/ra, n» 125.
(1) Ce dernier droit parait n'être accordé chez nous qu'à la com- .
aiuue.
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T^-'^ÇTVf
LA CREATION DES PERSONNES MORALES DÉ DROIT PtJBLIC 303
taires^ créanciers, débiteurs, etc. Pour eux, comme
pour TElat, ces divers droits sont inséparables les uns
des autres et doivent être considérés comme appartenant
à une personne morale unique. C'est pour cela, par
exemple, que la commune, comme TEtat, peut être, au
moins dans certains cas, rendue responsable sur son
patrimoine des actes qu'elle accomplit dans l'exercice de
son pouvoir de police.
117. La personnalité ainsi créée n'est pas une pure
fiction. Elle a un substratum solide, le groupe humain
établi sur le territoire, groupe qui a des intérêts collectifs
et permanents, distincts de ceux de l'Etat. Aussi pourra-
t-elle produire des effets sérieux. Ce groupe aura un patri-
moine réellement distinct de celui de l'Etat, et non pas
seulement séparé de lui par un artifice juridique. S'il
s'appauvrit, l'Etat ne sera pas obligé de lui venir en
aide ; s'il s'enrichit, il n'aura pas le droit de mettre la
main sur ses excédents de recette ; il ne sera pas indiffé-
rent à sa prospérité ou à sa ruine, mais il n'en sera pas
nécessairement solidaire, et les créanciers du service
local devront savoir qu'ils n'ont pour gage que les res-
sources du groupe territorial et non les ressources iné-
puisables de l'Etat. D'autre part ce même groupe pourra,
par ses représentants légaux, défendre ses intérêts en
justice non seulement contre les tiers, mais contre
l'Etat lui-même. Dans le domaine du droit privé, c'est
chose courante et sur laquelle il est inutile d'insister.
Mais même dans le domaine du droit public le phéno-
mène se produit, et nous voyons tantôt ces collectivités
locales elles-mêmes, tantôt leurs représentants, défendre
contre la puissance publique de TEtat, par des voies
contentieuses, la portion de puissance publique et
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304 C&APltRB lit
de gestion pablique qui leur appartient. Ainsi tout
d*abord la commune peut attaquer par la voie dq
recours pour excès de pouvoir le décret qui la sup-
prime (1), quoique ce décret de suppression ne porte
pas atteinte à la propriété du groupe sur les biens palri-
nioniau&y et ne concerne en réalité que la commune
administrative. Ainsi encore la commune peut intro-
duire des recours pour excès de pouvoirs contre divers
actes de Tautorité administrative dans lesquels elle a,
non un intérêt p^'cuniaire, mais un simple intérêt de
bonne/ organisation ou de bonne gestion de ses servi-
ces : sectionnement électoral irrégulier (2), décret nom-
mant un fonctionnaire d'ordre communal, tel qu'un
officier de sapeurs-pompiers (3), arrêté ou décret sus-
pendant ou révoquant le maire (4). Ain^i encore elle
peut intervenir dans des retours pour excès de pouvoirs
dirigés contre des actes de police de son maire, non seu-
lement lorsque le maintien de ces actes a pour elle un
(1) Conseil d'Etat, 18 mai 1888, D. 89. 3. 83. -Le Conseil d'Etat
a jugé cette solution si nécessaire qu'il a passé pour l'admettre par-
dessus un argument qui, au point de vue de l'interprétation stricte
du texte, n'est point sans valeur ; celui qu'on peut tirer, contre l'ac-
tion de la commune, de l'article 9 de la loi de 1884, qui réputé
le conseil municipal dissous de plein droit ^bv suite de l'acte qui
supprime la commune, et qui paraît ainsi rendre impossible toute
délibération ultérieure de ce conseil.
(2) Conseil d'État, 24 juillet 1903, S. 1904, 3, 1. D. 1904. 3. 112.
(3) Conseil d'État, 14 février 1902, D. 1903, 3, 62 (commune de
Briare). (Dans l'espèce le recours est déclaré non recevable à rai-
son de l'expiration du délai).
(4) Conseil d'État, 6 avril 1900 (Commune de Jârgeau) D. 1901.
3. 74. (Dans l'espèce, le recours est rejeté par le motif que la
suspension du maire était régulière et que l'appréciation des
motifs de cette suspension n'était pas susceptible d'être susceptible
d'être soumise au Conseil d'Etat par la voie contentieuse).
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La CREATION DÈS PERSONNES MORALES DE DROlT PUBLIC 308
intérêt pécuniaire, mais souvent aussi lorsqu'il intéresse
seulement les services publics dont elle a la charge (1).
Dans tous ces cas, c'esl la collectivité qui est admise à
agir ou à intervenir pour défendre le pouvoir de ses
organes.
Dans d'autres cas, ce sont ces organes eux-mêmes qui
agissent, mais, croyons-nous, dans Tintérêt de la collec-
tivité qu'ils représentent et non dans leur intérêt propre.
Le conseil municipal, par exemple, par l'inlermé-
(1) Sur ce point la jurisprudence du Conseil d'État présente
encore beaucoup d'incertitude, le Conseil d'État cherchant, conome
le dit M. Hauriou (Droit adm., 5»éd., p. 204), « à élaborer une dis-
tinction entre les intérêts qui justifient Tintervention de la personne
administrative et ceux qui ne la justifient pas » (Y. aussi les obser-
vations de M. Jèze, dans Revue du Droit public, t. XXI, p. 266).
Toujours est-if qu'il a déjà admis souvent l'intervention de la com-
mune dans des cas où elle avait au maintien de l'acte un simple inté-
rêt de service public, et non un intérêt pécuniaire. Ex. 13 mai 4898
(D.99. 3. 74) : ville admise à intervenir dans un recours pour excès
de pouvoir contre un arrêt de son maire réglant les conditions dans
lesquelles les propriétaires doivent conduire dans les égouts les
eaux pluviales et ménagères, ainsi que les matières provenant des
cabinets d'aisance ; 27 janvier 1899 (Lebon, p. 54) : ville admise à
intervenir dans un recours dirigé contre un arrêté de son maire or-
donnant la démolition d'un édifice menaçant ruine; 24 février 1899
/Lebon, p. 155) : ville de Paris admise à intervenir dans un recours
dirigé contre un arrêté du préfet de la Seine imposant aux loueurs
de voitures de place un tarif et un compteur ; 4 mars 1904 {Revue
du droit public, t. XXI, p. 263) : ville admise à intervenir dans le
recours dirigé contre un arrêté préfectoral ordonnant la fermeture
d'un établissement dangereux incommode ou insalubre dans la
commune.
Dans des espèces assez semblables, le Conseil d'État a cependant
refusé à la commune le droit d'intervenir, sans qu'il soit bien facile
d'indiquer le motif de la différence : 18 mars 1898 (Noualhier, D.
99. 3. 72) ; 17 novembre 1899 (Teste et Guminghe,D.190l. 3. 10);
27 janvier 1899 (D. 1900. 3. 44) ; 25 janvier 1901 (Juot, D. 1902.
3. 35).
MICHOUD 20
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'^««1
3Ô6 CHAPITRE Itl
diaire du maire, pourra se pourvoir devant le Conseil
d^Etat statuant au contentieux contre l'arrêté du préfet
qui annulerait, en dehors des cas prévus par la loi, une
de ses délibérations (Loi dn 5 avril 1884, art. 67), ou
encore contre le décret ou l'arrêté qui prononcerait sa
dissolution ou sa suspension sans observer les formes
légales (1). Le maire pourra déférer au Conseil d'Etat
pour excès de pouvoir les arrêtés du préfet faisant obsta-
cle à Texercice de ses attributions (2). Si les conseils
généraux n'ont pas de recours contre le décret annulant
une de leurs délibérations, cela tient uniquement à ce
que ce décret est déjà lui-même une décision quasi-
contentieusc (3). Tout cela montre bien que la per-
sonnalité n'est plus ici une simple fiction, mais qu'un
véritable sujet de droit a été créé, capable de se défen-
.dre, tant qu'il subsiste, contre les atteintes de l'Etat
lui-même, au moins dans les cas où l'Etat n'observe
pas certaines formes précisées àTavance. Dans tous ces
cas, l'action donnée au groupe n'est pas, il est vrai,
l'action en justice qui sanctionne d'ordinaire les droits
subjectifs ; c'est le recours pour excès de pouvoir, c'est-
à-dire une action habituellement admise dans l'intérêt
(i) Conseil (ji'État, iO mars 1864. D. 64. 3. 26. — Conseil d*Ètat,
28 novembre 1891. Revue généi^ale d' Administration, 92, t. 1.
p. 46. — Mais le Conseil d'Etat au contentieux ne peux apprécier
les motifs de la dissolution ou de la suspension que la loi a aban-
donnés à Tappréciation discrétionnaire de Tautorité supérieure.
(2) Conseil d'État, 8 décembre 1893. D.94. 3.87. - 10 mars 1893
(Maire de Lyon). D. 94. 3. 40. — 6 avril 1900 (commune de Jar-
geau) D. 1901.3. 74.
(3) V. sur ce point les explications de M. Hauriou : Les élé-
ments du contentieux (Extrait du Recueil de législation de
Toulouse. 1905), p. 20 et s.
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LA CREATION DES PERSONNES KtORÀtES DE DROIT PUBLIC 30?
du droit objeclif, sans quo le demandeur ail à y faire
preuve d'un droit violé. C'est que la défense des droits
publics des collectivités n'est pas organisée par notre
droit d'une manière complète. C'est aussi sans doute
que, comme nous allons le voii^, l'Etat n'entend pas
protéger ce% droits publics aussi énergiqueraent que des
droits privés, attendu qu'il se réserve de les supprimer
s'il le juge nécessafre. Mais il n'en est pas moins vrai
que ces collectivités ont entre les mains une voie juri-
dique pour faire respecter ces droits tant qu'ils subsis-
tent, et c'est tout ce qui importe ici. Cela est d'autant
plus significatif que les fonctionnaires de F Etat ne peu-
vent au contraire pas attaquer les décisions de Tautorité
supérieure qui empiètent leurs propres attributions (I).
118. 11 ne faudrait pas aller jusqu'à dire cependant
que l'existence de ce sujet de .droit va jusqu'à limiter,
même dans le domaine du droit public, les pouvoirs de
TElat législat»iur. On doit admettre très nettement que
l'Etat ne violerait aucun droit acquis en modifiant ou en
supprimant la personnalité de droit public qu'il a recon-
nue aux départements et aux communes. Le droit public
moderne, à la différence de celui du moyen 4ge, ne
reconnaît plus d'autre droit de souveraineté que cf^lqi de*
l'Etat. Ce dernier considère comme déléguées par lui-
même les parcelles de souveraineté qu'il abandonne aux
organismes inférieurs; il reconnaît bien que ceux-ci
les exercent en leur propre nom ; il voit, dans chacun
d'eux, une personne titulaire de droits de puissance
publique déterminés; mais il se réserve siir cette
personne les droits d'un maître qui peut retirer ce qu'il
(i) C. d'Etat 29 janvier 1886 et 6 janvier. 1895 Dans le Rép. de^ '
Beqitet, v<* Fonctionnaires, n» 177.
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30â ckApiTàE ni
a donné. Â des pouvoirs divisés, indépendants les uns
des autres, souvent hostiles les uns aux autres, TËlat
moderne a substitué, après une période de centralisation
excessive où il a cumulé entre ses mains toutes les
fonctions, des pouvoirs à nouveau divisés, mais distri-
bués par lui-même, agissant sous sa direction suprême,
et par conséquent subordonnés et non plus souve-
rains (1). Il a acquis, — par droit de conquête ou autre-
ment, — les pouvoirs des souverainetés indépendanles
ou quasi-indépendanles qui pouvaient lui résister ; il
les a concentrés entre ses mains, et c'est par un acte de
sa volonté qu'il en a de nouveau donné une partie aux
groupes territoriaux. En fait, il agit aujourd'hui, non
seulement en France, mais dans tous les pays civilisés,
conformément à ce point de départ. C'est lui qui fixe les
limites territoriales de ces groupements ; c'est lui qui
Tes modifie par un acte de sa volonté, en prenant seule-
ment, parce qu'il le juge utile, l'avis des populations
intéressées ; c'est lui enfin qui augmente ou qui diminue
(1) G*est là un cas particulier de l'évolution que M. Tarde a magis-
tralement analysée dans son livre sur les Transformations du
pouvoir (pp. 198 et suiv.), et qu'il résume en ces termes : « Les
pouvoirs, divisés d'abord et hostiles, se sont centralisés, pour se
diviser de nouveau, mais d'accord entre eux ». Si ce n'est pas là
une loi générale, c'est tout au moius une marche très naturelle de
l'évolution : les grands États de l'Europe actuelle n'ont pu se cons-
tituer qu'en concentrant entre leurs mains tous les pouvoirs locaux
jadis indépendants et souvent hostiles ; dans chacun d'eux le pou-
voir central n'est arrivé à réaliser l'unité nationale contre ces forces
historiques qu'en exagérant la concentration des pouvoirs entre
ses mains ; ce n'est que lorsque le résultat obtenu a été placé au-
dessus de toute contestation qu'il a pu songer à établir, sous sa
direction et son contrôle, une nouvelle décentralisation bien diffé-
rente de l'ancienne.
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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC 309
à son gré, suivant qu'il le juge opportun, la somme de
pouvoir qu'il leur confie. S'il fait tout cela, c'est qu'il
considère leur administration comme une véritable
administration publique et leurs fonctions comme une
parcelle détachée des fonctions de l'Etat, auxquelles elle
pourra toujours être ramenée si l'intérêt public l'exige.
La personnalité de ces groupes a donc, en droit
public (1), quelque chose de précaire vis-à-vis de l'Etat
législateur. Mais elle correspond à des besoins réelle-
ment-existants et à des inlérêis collectifs réellement
distincts. Aussi, s'il n'y a pas de raison de droit, il y
a au moins d'excellentes raisons politiques, — que
nous n'avons pas ici à développer, — pour que l'Etat
respecte les personnalités qu'il a ainsi reconnues, et
combine les dispositions de ces lois de manière à leur
assurer un large et fécond développement (2). C'est en
cela précisément que consiste la décentralisation, telle
(1) Nous étudierons dans le T. Il les conséquences de leur sup-
pression. Nous constaterons que leur personnalité de droit privé a
souvent quelque chose de plus résistant que leur personnalité de
droit public.
(2) Nous avons déjà exposé ailleurs [De la responsabilité des
commîmes à raison des fautes de leurs agents, n^^ 3 et suiv.,
dans Revue du Droit public, T. VII, p. 45 et s.) notre théorie
sur la nature d^épendante de la personnalité communale. Nous
avons montré que TAssemblée constituante avait un moment
admis une conception différente, en voyant dans la commune
un petit état municipal, dont ies droits n'étaient que des
droits privés, analogues aux droits de famille. Cette théorie, dont
on retrouve un écho dans plusieurs publicistes de Técole libérale et
plus récemment dans Taine (Régime mode?me, t. I, pp. 359, 365
et suiv.), n'est plus d'accord avec la réalité telle que nous l'offre
le monde actuel. — Cpr. Jellinek, System des subject-ôffentl,
Rechte, pp. 262 et suiv. — Schôn, Das Recht der Kommunalver-
bœndCf pp. 3 et suiv.
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310 CHAPITRE m
qu'elle est entendue aujourd'hui dans la plupart des pays:
au sens juridique du mot elle suppose un systënae dans
lequel TEtat reconnaît la personnalité de droit public de
groupes locaux s'adminislrant eux-mêmes et pouvant
exercer, par Tintermédiaire de leurs représentants, de
véritables fonctions publiques (i). La personnalité de
droit privé, que ces groupes possèdent aussi, n'est que
l'accessoire de leur personnalité de droit public, à moins
qu'elle ne soit, comme cela se produit pour la com-
mune, un reste d'anciennes propriétés collectives que
l'Etat a respectées à titre de droits privés.
119. On pourrait d'ailleurs concevoir cette person-
nalité de droit public sans aucun mélange de droits
patrimoniaux. Le groupe aurgiit des représentants capa-
bles, par exemple, de prendre en son nom certaines
(i) Cpr. la définition donnée par M. Hauriou dans le Répertoire
de Bèquet, vo Décentralisation, no 84 : « La décentralisation est une
manière d'être de l'État, caractérisée par ce fait que TÉtat se résout
en un certain nombre de personnes administratives, qui ont la jouis-
sance des droits de puissance publique et qui assurent le fonction-
nement des services publics en exerçant ces droits. » Il est clair
que, dans cette définition, PÉtat est pris dans un sens large, auquel
Tauteur oppose ensuite la notion de l'État stricto sensu. Les Alle-
mands donnent au mot décentralisation le sens que M. Aucoc a
attribué chez nous au mot déconcentration {Conférences, t. I,
no 46) ; il désigne chez eux l'exercice des fonctions de l'État par
des fonctionnaires locaux, qui continuent à être des représentants
de l'État. Ils ont pour désigner ce que nous appelons décentralisa-
tion au sens juridique, un mot beaucoup plus précis que le nôtre,
celui de Selbstverwaltung, droit d'un groupe de s'administrer lui-
même. Voyez sur les nombreuses controverses auxquelles a donné
lieu en Allemagne la notion de Selbstverwaltung : Schôn, op, cit,
pp. i à 12, et notamment p. 6 et s., et les nombreux auteurs qu'il
cite : Laband, 2e éd., t. I, pp. 94 et suiv., et trad. franc., t. I,
p. 172, note 1; Otto Mayer. Deutsches Wei^tvaltungsrecht, §55.
Rosin, dans Hûrth's Annalen, p. 307 et s.
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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC 311
décisions de police ; mais il n'aurait aucun patrimoine^
les moyens financiers nécessaires à Taccomplissement
de sa mission lui étant fournis du dehors, par TEtat ou
la commune (1). Celte combinaison, théoriquement
possible, est cependant peu pratique. Elle aurait notam-
ment le grave défaut de ne pas permettre de rendre
effective la responsabilité du groupe. Il est beaucoup
plus naturel de permettre à l'association territoriafe
d'avoir un patrimoine et de le grossir au moyen des
contributions de ses membres. Il y a pourtant dans
notre organisation un groupe de ce genre dans lequel
existe au moins en germe la personnalité de droit
public, sans (Ju'on lui ait accordé de droits patrimo-
niaux ; c'est rarrondissement(2). Il a sa représentation
propre, le conseil d'arrondissement, et par son intermé-
diaire il figure, entre le département et la commune,
parmi les groupes auxquels on assigne un contingent
dans la répartition de certains impôts directs, et qui
eux-mêmes ont la mission de répartir ce contingent
entre les personnalités inférieures qui les composent.
Sans doute toute cette organisation compliquée de
répartiteurs successifs est créée principalement dans
rintérêt de l'Etat ; c'est un mécanisme ayant pour objet
de fournir une base à l'assiette de l'impôt. Il est certain
pourtant que le conseil d'arrondissement représente ici
les intérêts propres de Tarrondissement qui Ta élu;
s'il Testime surtaxé, il peut réclamer, non pas en justice
(i) Nous verrons plus loin que telle est peut-être la situation de
l'Eglise catholique, envisagée dans son ensemble, comme église
universelle, vis-à-vis de la loi française. V. infrà, n<» 134.
(2) 11 en était de même du département avant la loi du
21 mai 1838.
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T^ TV
312 CHAPITRE III
sans cloute, mais devant le conseil général, et il est dif-
ficile d'admettre que celte réclamation ne doive pas être
considérée par le conseil comme basée sur un droit ;
c'est seulement un droit qui est sanctionné par un
autre procédé que Taction en justice (i). Il y a donc là
un commencement de personnalité, même si l'on
n'admet pas que le conseil d'arrondissement peut^ en
cas d'excès de pouvoir de la part du conseil général,
exercer un recours devant le Conseil d'Etat (2). Mais
cette personnalité est restée à Tétat tout à fait embryon-
naire, par la volonté expresse du législateur de 1838,
qui a fait disparaître la personnalité patrimoniale à
laquelle l'arrondissement pouvait prétendre dans la
période antérieure, et qui, en somme, a jugé presque
complètement inutile le maintien de ce groupe territo-
rial autrement que comme circonscription de l'Etat.
Le canton n'a même pas la personnalité de droit
public très incomplète que nous attribuons à l'arrondis-
(1) Au contraire, Tobligation où se trouve l'Administration de
consulter le conseil d'arrondissement dans certains cas ne peat être
considérée comme un droit pour l'arrondissement, car celui-ci n'a
à sa disposition aucun moyen pour obtenir Texécution de cette
obligation. C'est un avantage qui est pour lui un simple effet
réflexe du droit objectif ou du droit subjectif appartenant à d'au-
tres.
(2) Un auteur. Trolley {Hiérarchie administrative, t. TU,
n« 1455), a soutenu que le conseil d'arrondissement avait ce droit,
ce qui compléterait la personnalité de Parrondissement. Mais son
système, très admissible en théorie, parait se heurter aux déclara-
tions formelles du rappcfrteur de la loi de 1838 (voir Tarticle de
M- Jèze, dans la Revue génf^rale d'administration, 1897, t. II,
p. 32). La question ne peut d'ailleurs même pas se poser si Ton
admet, avec la jurisprudence, que la décision du conseil général
sur ce point est, par sa nature même, soustraite à tout recours
contentieux (Conseil d'Ëtat, 28 décembre 1894. Lebon, p. 724).
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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC 313
sèment (4). La section de commune, de son côté, n'est
qu'une personne morale de droit privé et ne possède
que des droits patrimoniaux. Aussi est-il très remar-
quable que, par contraste avec lé principe suivi en
matière de personnalité de droit public, la section de
commune est considérée comme douée de personnalité
par cela seul qu'elle existe en fait, sans aucune interven-
tion des pouvoirs publics (2). C'est qu'ici les préroga-
tives de la puissance publique ne sont plus en cause : à
la vérité, même en droit privé, on admettait en France,
à une époque encore très récente, que la création
d'une personne morale exigeait l'intervention spéciale
(i) M. Planiol [Traité de droit civil, 1. 1, n^ 676), cherchant à
démontrer que l'idée de personne fictive se ramène à celle de pro-
priété collective, demande pourquoi, dans le système contraire, on
refuse la personnalité au canton : « Il a, dit-il, reçu une organisation
administrative ; il a son représentant, le conseiller général ; son juge,
le juge de paix ; son bureau d'enregistrement, sa perception, etc.
11 est donc organisé, et cependant on lui refuse la personna-
lité. Pourquoi? parce qu'il n'y a pas de domaine cantotial, comme
il y a un domaine communal et départemental. » A nos yeux, cette
raison ne suffirait pas. Le canton serait une personne morale de
droit public, si la loi admettait sa représentation par une assem-
blée élective, ou par un fonctionnaire capable de défendre ses inté-
rêts ou de prendre en son nom des décisions. Mais l'organisation
qu'il a reçue n'est à aucun égard une organisation destinée à le
représenter. Les fonctionnaires dont parle M. Planiol, juge de paix,
receveur de l'enregistrement, percepteur, sont des fonctionnaires
de l'Etat. Quant aux conseillers généraux, ce n'est pas davantage
le canton qu'ils représentent^ c'est le département ; le canton n'est,
en ce qui les concerne, qu'une circonscription électorale ; aussi le
conseiller général élu dans un canton n*a-t-il aucun besoin d'y être
domicilié ou d'y payer une contribution ; il suffit qu'il remplisse
Tune ou l'autre condition dans le département (loi du iO août 1871,
art. 6).
(2) V. Aucoc, Des sections de communes, n« AÂ. Sur la nécessité
d'une loi pour créer une personne morale de droit public, v. infra,
no 125.
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314 CHAPITRE III
des pouvoirs publics; mais ce principe, qui aujourd'hui
reçoit des dérogations très nombreuses, n'y â jamais eu
la même portée qu'en droit public. 11 signifiait seule-
ment que la puissance publique se réservait le droit
de contrôler l'utilité du groupement avant de le recon-
naître comme personne morale, et alors même* qu'on
ne l'avait pas encore fait fléchir pour les associations
ordinaires, on a pu le faire fléchir en faveur de groupe-
ments historiques comme les sections de commune.
Quant au syndicat de commune, il est bien une per-
sonne morale de droit public, Mais il est chargé de ser-
vices spéciaux n'intéressant que certaines personnes^ et
non le groupe territorial tout entier. Il rentre donc dans
la catégorie des établissements publics dont nous nous
occuperons plus loin.
120. La notion de personnalité territoriale telle que
nous venons de la définir a été contestée récemment par
M. Duguit (1). Fidèle sur ce point au système général que
nous avons discuté plus haut, notre éminent collègue nie
entièrement la personnalité du département et de la
commune (2). Il cherche à démontrer que les corps ou
agents considérés d'ordinaire comme les représentants
du département ou de la commune^ tiennent au fond
(1) UEtat, les gouvernants et les agents , pp. 689 et s.
(2) 11 emploie cependant à diverses reprises des expressions qui
semblent affirmer la personnalité patrimoniale de ces collectivités.
Il dit même, p. 701 : « Il est certain que le droit positif français
reconnaît à l'heure actuelle une personnalité patrimoniale de l'Etat
et de la commune «. Mais ce n'est là pour lui qu'une manière com-
mode d'exprimer l'affectation du patrimoine de ces personnes : et
plus loin, p. 720, il précise en disant : « Pour nous la question de
personnalité des collectivités locales ne se pose pas plus que celle
de la personnalité de TËtat » .
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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC 315
leurs pouvoirs des gouvernants^ et que la seule diffé-
rence entre eux et les agents de l'Étal réside dans la
manière dont ils sont institués. Pour lui, le fait domi-
nant est toujours le pouvoir de fait appartenant aux
gouvernants sur l'ensemble du territoire. Mais ce terri-
toire est soumis à un système décentralisateur, lorsque,
sur certaines de ses parties, existent des agents dont l'ins-
titution se réalise sans V intervention directe ou indirecte
des gouvernants^ (soit par voie d'élection, soit de toute
autr« manière). Cela n'implique aucune puissance publi-
que appartenant aux parties du territoire ou aux grou-
pes sociaux sur lesquels s'exercent leur autorité; car ces
territoires et ces groupes ne sont pas des personnes, et
d'ailleurs la puissance publique n'est pas un droit sub-
jectif. Le pouvoir de ces agents, comme ceux des agents
non décentralisés, est déterminé par la loi objective ; il
• peut rentrer dans la fonction législative ou dans la fonc-
tion judiciaire aussi bien que dans la fonction adminis-
trative ; et il ne diffère du pouvoir des agents dits
agents d'Etat que par le degré. En fait leé gouvernants
conservent sur eux une action moindre que sur ces
derniers ; au lieu du pouvoir hiérarchique impliquant
le droit de réformer les décisions qu'ils prennent, ils
n'ont qu'un pouvoir de contrôle^ comprenant seule-
ment le droit de refuser d'approuver leurs décisions ou
le droit de les suspendre ou de les annuler.
Celte conception de la décentralisation (qui s'appli-
que aussi, avec certaines nuances, au fédéralisme) n'est
point en soi inexacte. Elle exprime très bien le côté
politique de la question ; mais elle ne suffit pas à tra-
duire en langage juridique la réalité des faits.
Certains intérêts locaux sont reconnus par la loi
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'^^IPF^^
31 Ô CHAPITRE lit
comme dignes d'une protection distincte de celle des
intérêts généraux de la nation. Voilà un fsiit qui n'a
dans la théorie aucune traduction juridique, parce qu'il
ne peut* se traduire que par l'idée de personnalité des
groupes locaux. Cette idée est essentielle ici comme
partout pour apercevoir les conséquences des actes ;
la technique du droit n'a qu'à perdre à une doctrine qui
supprime la notion de commune, de province, de dépar-
tement, comme elle a supprimé la notion d'Etat, en ne
laissant subsister que des actes individuels produisant,
sans qu'on sache trop pourquoi, des effets différents
suivant les cas. M. Jèze qui, en prenant cette doctrine
pour point de départ, a cherché à y conformer la langue
juridique, n'a pu le faire qu'en substituant à l'idée de
personnalité administrative celle de patrimoine admi-
nistratif (!). Au lieu de parler de recours contre la
commune, de responsabilité de la commune, il parle de
recours conlre le patrimoine administratif communal,
de responsabilité du patrimoine administratif commu-
nal. Or cette notion est manifestement insuffisante :
d'abord elle ne nous montre pas le mo/i/ de l'obligation
qui pèse sur le patrimoine communal ; comment un
patrimoine serait-il responsable de quelque chose si ce
n'est par l'intermédiaire de la personne ou des per-
sonnes à qui il appartient? Puis, il est clair que ce n'est
pas le patrimoine communal qui est obligé, mais bien
la commune elle-même, puisqu'elle est tenue de s'im-
poser extraordinairement pour faire face à ses dettes, et
(i) Jèze, Les principes généraux du droit administratifs
p. 85, 87, ilO, 135, 152. — V. aussi, passim. dans V Année admi-
nistrative les très intéressantes revues de jurisprudence publiées
par le même auteur.
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LA CREATION DKS PERSONNES ÉilORALkS DE bROtT PUBLIC 317
que par conséquent celles-ci ne frappenl pas unique-
ment une masse de biens. L'élimination de Tidée de
personnalité laisse, dans la doctrine juridique un vide
impossible à combler.
Ce n'est pas d'ailleurs uniquement la technique du
droit qui est intéressée dans la question. Le système est
directement contraire à la notion historique de com-
mune, province, etc. il oublie qu'il s'agit de groupes
locaux, ayant historiquemenl préexisté à l'Etat, qui ont
conservé, au moins en partie, le sentiment d^une vie
propre et d'intérêts distincts des intérêts généraux du
pays. Même lorsque le maire était nommé par le pou-
voir central, la commune avait conscience que le
maire était son organe, un organe que PEtat lui impo-
sait en intervenant dans ses affaires, mais non point
l'organe de l'Etat. Il l'était en effet aux yeux de la loi
positive, parce que c'était pour et contre la commune
que ses actes produisaient leur effet, et non pour et con-
tre l'Etat. La commune, à juste titre, a attaché grande
importance à oe que oel organe puisât son pouvoir en
elle-même au lieu de l'emprunter du dehors, et si elle
y a attaché de l'importance c'est qu'elle avait le senti-
ment qu'on violait sa personnalité, qu'on la défigurait
tout au moins, en lui donnant une représentation artifi-
cielle. La disparition de ce sentiment de personnalité
serait loin d'être un progrès politique.
Cette personnalité n'est pas seulement patrimoniale,
parce que la commune n^a pas seulement à administrer
des biens. Elle a une mission bien plus haute, qui est
de gérer les intrêtsj collectifs du groupe local, mission
qui, dans les grandes villes modernes, va chaque jour
en s'accroissant et se compliquant. Entretenir dans la
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âi8 CHAPITRE Ht
cité la tranquillité, la sécurité, la salubrité; y introduire
toutes les améliorations et facilités dont la vie moderne
ressent le besoin ; en un mol faire jouir les habitants
des avantages d'une bonne police, comme le dit la loi
de 1789, mais en entendant ce mot de police dans un
sens très large, ce n'est pas là faire acle patrimonial ; et
cependant c'est bien la commune elle-même qui est
chargée de ce soin, sous le contrôle de TEtat; et cette
commune est bien la même que celle qui administre ses
biens patrimoniaux, car elle emploie précisément à ces
services les revenus de ses biens, et l'administration
patrimoniale est si intimement mélangée avec l'admi-
nistration des intérêts collectifs des habitants qu'on ne
peut dire au juste où finit Tune, où commence Tautre.
121. M. Duguit (1) conteste, il est vrai, Texistence
même, dans notre droit positif, de ces droits de puis-
sance publique appartenant à la commune. S'emparant
d'un mot de Thouret que nous avons nous-mêmes cité
ailleurs (2), il cherche à démontrer que la commune,
(i) UEtat, les gouvernants et les agents, p. 701 et s.
(2) V. notre étude précitée sur la Responsabilité des communes,
nos 3 et s. Voici le passage de Tliouret allégué par M. Duguit : « Le
régime municipal, borné exclusivement au soin des affaires parti-
culières, et pour ainsi dire privées, de chaque ressort municipalisé
ne peut entrer sous aucun rapport, ni dans le système de la repré-
sentation nationale, ni dans celui de l'administration générale ».
{Archives parlementaires, t IX, p. 208). Le discours de Thouret
lui-même, prononcé quelques jours après le dépôt du rapport d'où
sont extraites ces lignes (Séance du 9 novembre 1789. Arch. parl.^
t. IX, p. 726), et un discours de Target prononcé deux jours plus
tard {eod, l., p. 747), précisent la pensée des Constituants comme
nous le faisons nous-mème plus loin. Ils ne nient pas le pouvoir
communal ; au contraire ils l'affirment expressément, mais ils y
voient une sorte d'autorité domestique, et le comparent aux pou-
voirs de famille. V. ces textes cités dans notre travail, n® A.
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LÀ CHEATION t>ËS PERSONNES MORALES DE DROlt PUBLIC 319
telle que Tavait organisée TAssemblée constituante,
n'avait aucun droit de puissance publique ; ceci admis,
ce n'est pas, dit-il, le régime de Tan VIII, où la commune
est si effacée, qui a pu lui donner des droits de ce genre ;
et les lois postérieures ne lui en ont pas donné davan-
tage, malgré les apparences. LMmpôt communal n'est
en réalité qu'un impôt d'Etat, et ce qui le prouve,' c'est
qu'il ne peut être levé qu'en vertu d'une loi; la police
municipale n'est qu'une police d'Etat, et ce qui le prouve
c'est que dans les villes de plus de 40.000 habitants
l'organisation de la police est réglée par décret ; quant
aux services communaux, ce sont des services de pure
gestion qui n'impliquent en rien l'exercice de la puis-
sance publique.
Il nous semble qu'il y a dans ces explications quelque
confusion. Le système de l'Assemblée constituante a
consisté, comme nous avons essayé de le démontrer en
étudiant la responsabilité de la commune, à considérer la
commune comme une association pinvée^ dont les inté-
rêts ne touchent pas l'administration générale ; mais
cette association privée possède sur ses membres de
véritables pouvoirs, notamment les pouvoirs de police
(que la loi de 1790 donne aux administrations munici-
pales à peu près dans les mêmes termes que notre loi
do 1884 aux maires). Seulement ces pouvoirs sont
considérés comme des pouvoirs privés, analogues aux
pouvoirs du droit de famille. Loin de les diminuer,
cette conception a pour effet de les accroître, et
c'est encore celle qu'ont soutenue récemment les plus
ardents partisans de l'autonomie communale, tels, par
exemple, que Taine ; elle en fait en effet quelque
chose de sacré, auquel l'Etat s'interdit de porter
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320 CltAPÏTRE lit
alteinie, comme il s'interdit de porter atteinte auK
droits privés. C'est d'après cette conception qu'a été
construite par Henrion de Pansey la théorie du pouvoir
municipal, qui a passé, semble-t-il, dans la Constitu-
tion belge (1) ; et ce n'est pas là une fausse interpréta-
tion de la pensée de l'Assemblée constituante, puis-
qu'elle-mème désigne les fonctions rattachées à ce pou-
voir sous le nom de fonctions propres au pouvoir
municipal (loi du 14 décembre 4789, art. 50). L'évolu-
tion a consisté depuis lors à considérer comme pou-
voirs publics ces pouvoirs qu'elle avait classés dans le
droit privé. Cette évolution était fatale, parce que TEtat
moderne ne peut se désintéresser de l'exercice de ces
pouvoirs, et que la prospérité des groupes locaux est une
des conditions de son propre développement. Il a trouvé
dans cette conception nouvelle la base théorique néces-
saire pour asseoir son pouvoir de contrôle sur l'admi-
nistration locale. Il a commencé par aller dans celte
voie jusqu'au point extrême, en édiclant le régime de
Tan VIII, qui ne laisse plus subsister qu'une ombre de
vie communale. Il a toujours respecté cependant la per-
sonnalité de la commune, même celle qu'il considérait
désormais comme une personnalité de droit public,
puisque, même sous ce régime, il lui reconnaissait le droit
de gérer elle-même certains services d'intérêt collectif.
(1) Les art. 34 et 408 de la Constitution belge reconnaissent
expressément l'existence d'intérêts exclusivement communaux
ou provinciaux j et le droit des conseils provinciaux et commu-
naux à statuer sur ces intérêts. Les auteurs belges n'hésitent pas
à parler de pouvoir communal et de pouvoir provincial (V. par
ex., Giron, Diction, de Droit administratif et de Droit public,
4896, t. 111, p. 99 et 460, et Belljens, La Constitution belge
revisée, 4894, p. 339).
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LA CREATION DES PERSONNES MORALES DE DROlT PtJRLIG SSl
Peu à peu il a relâché les liens dont il l'avait enserrée,
et, sans lui donner pleine liberté, il lui a donné cepen-
dant assez d'indépendance pour qu'il soit aujourd'hui
impossible d'en nier l'existence.
Si en effet nous examinons la législation actuelle, nous
ne pouvons nous résoudre à l'interpréter comme le fait
M. Duguit. Les faits qu'il allègue pour montrer que les
pouvoirs de la commune sont en réalité des pouvoirs
d'Etat sont des fails de tutelle (ou, si Ton préfère ce mot,
de contrôle) (\). La commune ne lève pas librement l'im-
pôt ; il faut souvent qu'elle y soit autorisée par un acte
spécial de TElat (loi ou décret) ; il faul toujours qu'elle
se conforme à certaines règles générales et à certains
taux que la loi lui indique comme un maximum. Qu'im-
porte ? C'est bien elle cependant qui le lève, d'abord
parce que (réserve faite des cas d'imposition d'office,
qui ne sont autre chose que des voies d'exécution forcée
pour l'obliger à payer certaines dettes) c'est toujours
(1) Lorsqu'un acte de la commune est soumis à approbation, il
n'en reste pas moins un acte de la commune. L'approbation est
un simple « je n'empêche », qui lève un obstacle à Texécution de
cet acte, mais n'apporte à cet acte aucun élément constitutif. La
jurisprudence admet très nettement cette idée à l'égard des délibé-
rations du Conseil municipal. Il en résulte notamment qu'une délibé-
ration soumise à approbation, et déjà approuvée par le préfet, peut
être attaquée en elle-même par la voie de recours des articles 65
et 67 de la loi municipale, comme s'il s'agissait d'une délibération
exécutoire par elle-même. Dans un cas comme dans l'autre il s'agit
toujours d'un acte delà commune (V. Cons, d'Et,, 4 décembre 4904,
S. 1904. 3. 437, et la note de M. Hauriou).
Il est évident d'ailleurs que le raisonnement fait par M. Duguit
serait, s'il était exact, aussi bien applicable au droit privé qu'au
droit public, car l'Etat exerce aussi un contrôle sur l'administration
patrimoniale de la commune. On arriverait donc ainsi à nier même
la propriété communale.
mCHOUD 2t
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3^2 dfiAPiTRE ni
elle qui à l'iniliative de l'impôt à lever, et que TEtat se
borae à Tautoriser ; ensuite parce que l'impôt ainsi
levé sert exclusivement à ses services et non à ceux
de l'Etat ; que les deniers en provenant entrent dans
son budget et deviennent sa propriété ; qu^ils serviront
à acquitter ses dettes, à payer ses acquisitions, à grossir
son domaine public et son domaine privé. C'est nier
l'évidence que de voir là des impôts d'Etat « affectés
seulement à un intérêt communal ». S'il en était ainsi,
il n'existerait plus de véritable propriété communale,
TEtat pouvant toujours défaire ce qu'il a fait, et rappor-
ter l'affectation qu'il a donnée aux impôts levés par lui.
La matière de la police municipale doit être envisagée
de la même manière, M. Duguit contredit directement
la loi de 1789 et la loi de 1837 lorsqu'il considère que,
même d'après ces textes, la police municipale doit être
envisagée comme une police d'Etat. Nous convenons
que dans la loi municipale actuelle la solution légale
est moins certaine, et que les rédacteurs de ce texte ont
un moment paru voir dans cette police un pouvoir
d'Etat (1). Mais nous ne croyons pas que celle opinion
ail réellement passé dans la loi. En tout cas les faits
que M. Duguit allègue en sens contraire (ingérence du
pouvoir central dans l'organisation de la police munici-
pale) ne prouvent point sa thèse, car ce sont, eux aussi,
de simples fails de tutelle ou de contrôle. C'est le maire
qui a rinitiative des mesures de police municipale, qui
(t) V. pour les détails sur ces divers points, notre étude précitée
sur la Responsabilité des communes, no» 48 à 20. L'élargissement
du pouvoir du préfet accompli par l'article 99 peut faire admettre
aujourd'hui que la police municipale a pris un caractère mixte \
mais il serait inexact, à vos yeux, de la considérer comme une
pure police d'Ëtat.
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La CREATION bËS PERSONNES MORALES DÉ bROtT PUBLIC 32^'
nomme les agents (le préfet gardant seulement le droit
d'agréer), qui exerce sur eux un pouvoir discipli-
naire, etc. Il y a bien là les éléments d'un pouvoir com-
munal, limité, mais non supprimé par le contrôle de l'Etal.
D'ailleurs il faut élargir la question : ce ne sont pas
seulement les impôts et la police, ce sont tous les ser-
vices communaux : voirie, hygiène, assistance publi-
que, etc., que nous considérons comme des services
publics ; et c'est à notre sens une idée très fausse que
de les faire rentrer dans la personnalité patrimoniale de
la commune. Sans doute ils ne donnent lieu,, le plus
souvent, qu'à des actes de gestion ; mais cela est bien
loin d'être toujours vrai : la police de la voirie munici-
pale^ par exemple, comporte fréquemment des actes
d'autorité (injonctions, prohibitions, autorisations) pour
lesquels le caractère communal n'est pas douteux (1) ;
tous les services communaux peuvent donner lieu à une
expropriation, c'est-à-dire à une opération de puissance
publique que la commune a le droit de mettre en mou-
vement à son profit ; et c'est en leur faveur que l'impôt
communal est levé. Ces faits traduisent dans la loi posi-
tive ridée fondamentale que ces services sont bien des
services publics, et que leur gestion est entièrement dif-
férente des gestions accomplies par les personnes privées.
La personnalité patrimoniale ne comprend que la ges-
tion des biens productifs de revenus ; dans la commune,
(1) On sait quMl faut distinguer ayec soin cette police de la voirie
municipale (que le maire exerce sur toutes les voies appartenant à
la commune, et qui tend à la conservation et au bon aménage-
ment des voies), de la police de la circulation que le maire exerce
sur toutes les voies publiques. Celle-ci rentre dans la police muni-
cipale proprement dite^ dont on peut considérer le caractère com-
munal comme douteux. La première est certainement communale*
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324 CHAPITRE iii
comme dans toutes les personnes de droit public, elle
est simplement Tune des faces d'une personnalité
unique, dont tous les actes sont attribués par le droit à
la même collectivité; mais dans la commune, comme
dans l'Etat, quoiqu'à un degré peut-être moindre, ce
n'est là que le côté secondaire de la personnalité ; la
raison d'être de celle-ci, ce sont les besoins collectifs
de Tagglomération ; et la satisfaction de ces besoins col-
lectifs appartient au droit public.
122. B. — Les établissements publics. — I. — Le
mot établissement public a été assez souvent employé
par les auteurs pour désigner tous les services publics
personnalisés, y compris le département et la com-
mune (i). Mais il est préférable de réserver ce terme
(4) Par exemple par MM. Ducrocq {Revue générale, 1894, p. 99.
Block, Dictionnaire de l'Administration française, v® Etablisse-
ments publics, no 1). Il n y a là qu'une question de terminologie, qui
offre en somme assez peu d'importance. M. Tissier (^Dons et legs,
n® 90) donne de rétablissement public une définition qui permet-
trait d'y comprendre, non seulement les départements et les com-
munes, mais même l'Etat (que M. Ducrocq classe à part). Il déclare
ensuite que ce n'est qu'en théorie qu'on peut donner à ces mots un
sens aussi étendu et qu'en pratique on les applique seulement aux
services spéciaux doués de personnalité. M. Simonnet (Traité de
droit administratif, ^^ éd,, n° 1090) donne une définition analo-
gue. Au contraire, MM. Hauriou (3e éd., p. 526) et Aucoc (Confé-
renceSt t. l, no 198) prennent, comme nous, le mot uniquement
dans son sens étroit. La terminologie de la loi est un peu incer-
taine, mais la plupart des textes nomment les établissements
publics, à côté de l'Ëtat et des communes, comme quelque chose
de distinct : art. 2045, 2123, 2227, Ce; 49, 69, 481, 1032 Proc. ;
art. 1, G. for., etc. Le mot établissement d'ailleurs est peu cor-
rect pour désigner des groupes territoriaux dans lesquels l'élé-
ment corporatif est prédominant. En droit allemand, la notion
àôffentliche Anstalt correspond à peu près à notre notion d'éta-
blissement public, entendue, comme nous le faisons au sens étroit.
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LA CRÉATION PES PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC 323.
aux services publics spéciaux^ doués d'une personnalité
distincte de celle qui appartient aux groupes territo-
riaux. Ces services se rattachent toujours à Tun de ces
groupes, parce que leur cercle d'action est limité, comme
le leur, à une certaine circonscription territoriale (1) ;
mais ils s'en distinguent, parce qu'ils s'adressent, non à
tous les habitants de la circonscription, mais d\ine ma-
nière immédiate à quelques-uns d'entre eux seulement.
L^intérêt général qui s'attache à leur gestion, et qui jus-
tifie leur élévation au rang de services publics, n'est
qu'indirect, et le groupe dont ils représentent plus par-
ticulièrement les intérêts collectifs est un groupe plus
restreint que le groupe territorial. 11 joue, vis-à-vis de
ce groupe, un rôle analogue à celui que ce groupe lui-
même joue vis-à-vis de l'Etat. Ce caractère de l'établis-
sement public a été très nettement mis en lumière par
M. Hauriou (2). Après avoir indiqué que le premier carac-
V. Gierke, Deutsches Privatrecht, t. ï, §§77, p. 635 et s. En droit
italien il en est de même de la notion à'Fstituto publico. V.
Fadda et Bensa, sur Windscheid, t. l/p. 792.
(1) Circonscription qui se confond avec les limites de l'Etat quand
le service se rattache à TEtat, mais qui est plus habituellement la
circonscription d'un département ou d'une commune, et parfois
une circonscription spéciale (par exemple pour les chambres de
commerce).
(2) Droit administratif, 5© éd., p. 479. Les syndicats de com-
munes ne sont point les seuls établissements publics pour lesquels
la notion de service unique soit inexacte. Par exemple la loi du
21 mai 1873, art. 7, permettait aux hospices et hôpitaux d'assister
à domicile, concurremment avec les bureaux de bienfaisance, les
malades indigents. N'était-ce pas les charger d'un double service ?
D'ailleurs, sur cette idée de service unique, on ne peut asseoir
aucun critérium solide : qu'appelle-t-on service unique ? Presque
tout service public est susceptible d'être subdivisé par une spéciali-
sation plus grande. En créant, en 1893, le bureau d'assistanCe
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326 CHAPITRE lit
tère de rétablissement public est de gérer ud service
public spécial^ il explique que ce mot peut s'entendre
dans le sens de service unique^ mais que, si on le prend
dans ce sens, il ne peut s'appliquer à tous les établisse-
ments publics, que, notamment, il ne s'applique pas aux
syndicats de communes ; puis il ajoute : « On peut
entendre la notion du service spécial dans un autre
sens, qui a le mérite de rester vrai même pour les syn-
dicats de communes. Si Ton part de cette idée que les
services administratifs sont en principe communs à tous
les habitants d'une circonscription et que les adminis-
trations de TEtat, des départements, des communes,
sont pour la gestion de ces services, on remarquera
qu'il reste à pourvoir à d'antres services qui ne sont
point communs à tous les habitants d'une circonscription,
mais qui sont au contraire spéciaux à quelques habi-
tants ; c'est ainsi que les services variés de Tassistance
publique, ne s'adressant qu'aux indigents de la cir-
conscription, ne sont point communs à tous les habi-
tants ; il en est de même du service des cultes, par cela
môme qu'il peut y avoir dans une mêm.e circonscription
des religionnaires de cultes différents, etc. ».
Ainsi l'établissement public, comme le département
ou la commune, est destiné à représenter un cercle d'in-
médicale, on a pris à la fois sar les attributions des hospices et sur
celles des bureaux de bienfaisance, et il n*est pas de service public
qui ne soit susceptible d'être décomposé d*une manière analogue.
C'est donc dans un autre sens qu'il faut entendre le mot service
spécial, n reste vrai toutefois de dire que si l'établissement public
n'est pas toujours chargé d'un service unique, il est du moins chargé
d'un ou plusieurs services nettement spécifiés ; il n'a pas la géné-
ralité d'attributions qui appartient aux groupes territoriaux; cela
tient à ce que le groupe qa'il représente n'est pas aggloméré par
le territoire, mais uniquement par certains besoins communs.
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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC 32*7
térêts collectifs et permanents, distinct de Tintérêt de
TEtat OU de celui des diverses agglomérations territo-
riales. C^est ce qui permet, sans tomber dans la fiction,
de lui attribuer la personnalité morale ; il en remplit
les conditions essentielles, puisqu'il correspond à un
groupe d'intéressés très réel. On ne doit oublier d'ail-
leurs que ces intéressés (c'est-à-dire les bénéficiaires An
service) ne sont point les propriétaires du patrimoine,
mais que c'est seulement leur groupe^ envisagé comme
unité juridique indépendante de leurs personnes, qui
possède celte qualité. On ne doit pas oublier davantage
que ce groupe lui-même n'est pas à lui seul l'établisse-
ment tout entier et qu'il ne doit pas être isolé de l'orga-
nisme destiné à la gestion. Les fondateurs (qui sont ici
l'Etat ou un autre groupe territorial), et les donateurs
ou souscripteurs qui sont venus se joindre à eux, n'ont
pas séparé les deux choses, et il y a lieu, dans la pra-
tique juridique, de les considérer toutes deux comme
nécessaires à la vie de l'établissement (i).
La personnalité de l'établissement public, comme
celles des départements et des communes, appartient à
la fois au droit public et au droit privé. Sans doute, il
semble parfois à première vue que la personnalité de
droit privé soit ici seule en cause. La plupart des éta-
blissements publics n'ont reçu, à proprement parler,
aucune délégation de la puissance publique, et le rôle
principal de leurs administrateurs consiste à gérer le
(4) Voir suprày n^ 77, les explications données à propos des
fondations en général. Les conséquences seront développées dans
le second volume. Elles sont importantes soit au point de vue du
principe de la spécialité, soit au point de' vue des règles à appli-
quer en cas de suppression de l'être moral.
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328 CHAPITRE lit
patrimoine dont ils ont la g'arde ; les droits patrimo-
niaux sont donc ceux qui frappent Toeil tout d'abord^ et
cela nous explique que certains auteurs se refusent à
voir dans ces établissements autre chose que des masses
de biens voués à une affectation spéciale (1). Mais si
Ton va au fond* des choses, Ton constate que ce patri-
moine de rétablissement n'est, comme le patrimoine de
TEtat ou des communes, qu'un moyen mis à la disposi-
tion d'un groupe humain en vue d'un besoin collectif
dont la satisfaction est mise au rang des services pu-
blics. C'est donc Tidée de service public qui est ici domi-
nante. Aussi la gestion de ces établissements n'est pas
une gestion de pur droit privé : leurs travaux sont des
travaux publics, leurs deniers des deniers publics ; les
contributions de leurs membres, quand il en existe, de
véritables contributions publiques. C'est là, nous l'a-
vons vu, ce qui distingue ces établissements des éta-
blissements d'utilité publique, qui n'ont au contraire
qu'une personnalité de pur droit privé (2). Il en résulte
que l'Etat conserve sur eux, comme sur les départe-
ments et sur les communes, des pouvoirs plus étendus
que sur les personnes morales de pur droit privé, et
qu'il garde notamment le droit de reprendre lui-même
directement la gestion des services qu'il leur a laissés.
Leur situation à cet égard est la même, vis-à-vis de
l'Etat, que celle des groupes territoriaux.
Ils se rattachent du reste à ces groupes terriloriaux
d'une manière intime. Suivant que le groupe intéressé
(1) C'est le cas de tous les auteurs qui ont soutenu la théorie
des droits sans sujet, et en France, de M. Planiol. Traité de Droit
civil, ir« éd., t. I, nos 670 et suiv.
(2) Voir suprà, n©» 83 et s.
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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC 39.9
sera répandu sur toute la surface du territoire national
OU seulement sur la surface d'un département ou d'une
commune, il y aura ce que Ton peut appeler établisse-
ment public d'Etat, établissement public départemental
ou établissement public communal (i). Cela ne veut pas
dire que ces divers établissements sont la propriété du
groupe auquel on les rattache; étant eux-mêmes des
personnes juridiques, ils ne sont pas objets de pro-
priété ; ils représentent une portion seulement du groupe
territorial ; et ils peuvent défendre leurs droits en jus-
tice contre ce groupe lui-même. Mais ce rattachement
entraîne avec lui diverses conséquences : d'abord, en
général, le groupe territorial intervient dans la création
même de rétablissement; il joue à son égard le rôle de
fondateur et lui fournit ses premiers moyens d'action ;
ensuite il conserve d'ordinaire sur lui un certain droit
de contrôle, et souvent est appelé à désigner lui-même
quelques-uns de ses administrateurs, ou participe direc-
tement à sa gestion par ses propres représentants. Cela
s'explique principalement par cette idée que le service
confié à l'établissement est considéré, malgré son inté-
rêt spécial, comme un service public, et par conséquent
retomberait en fait à la charge de la collectivité territo-
riale s'il restait en souffrance.
(1) Voir dans Hauriou, pp. 483 et suiv., rénumération des établis-
senients rentrant dans ces diverses catégories. Quelques établisse-
ments, tels que les chambres de commerce, ne sont pas compris
dans cette liste parce qu'ils ont leur circonscription propre déter-
minée par l'Etat. On doit les considérer comme se rattachant à
l'Etat. La loi du 4 février 1901, article 4, § 2, est venue confirmer
la classification des établissements publics en établissements natiO'
nauXf départementaux f et communaux, et en a fait découler un
intérêt pratique relatif à la forme dans laquelle doivent être auto-
risées les libéralités adressées à l'établissement.
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330 CHAPITRE III
128. La manière dont nous concevons rétablisse-
ment public dans les explications précédentes est évi-
demment incompatible avec plusieurs des systèmes que
nous avons exposés sur la nature de la personnalité
morale. Dans le système de la fiction pure, on ne cher-
che point à trouver à cet établissement un subslralum
réel ; on doit se contenter de dire que l'Etat peut per-
sonnaliser n'importe quel service, et que cette personni-
fication a toujours un caractère purement artificiel.
Dans le système des droits sans sujel, on ne voit dans
rétablissement public qu'une masse de biens soustraite
à l'appropriation individuelle et existant uniquement en
vue d^un but sans considération de personnes. Enfin,
dans celui de la personnalité réelle basée sur la volonté,
on ne peut guère voir, dans^ un établissement de cette
sorte, qu'une fondation ayant à sa base la volonté cris-
tallisée du fondateur. Nous n'avons pas à reprendre ici
la réfutation que nous avons essayée de ces divers sys-
mes (i). Mais, même en partant de la théorie de Tinté-
rèt collectif et permanent, on peut concevoir autrement le
groupe collectif intéressé à l'existence de rétablissement
public. Pour nous, ce groupe est celui des bénéficiaires,
(t) V. plus haut, ch. 1. Tous ces systèmes, sauf le dernier, ont
ici comme conséquence Tidée que TEtat seul détermine arbitraire-
ment ce qu'il faut entendre par établissement public, qu'il le crée
et le supprime à son grc. et après sa suppression fait de ses biens
ce qu'il yeut (sauf un droit de retour à réserver pour les biens
donnée par des tiers avec affectation spéciale). V. Tapplication de
ridée dans le projet belge sur l'assistance publique, article 143
(Van Overberg, Phase actuelle de l'assistanee publique en Bel-
gique, Bruxelles, 1903, p. 73 et s.). L'auteur, considérant les per-
sonnes morales publiques comme de pures créations de l'Etat,
approuve la disposition qui enlève aux bureaux de bienfaisance
l'excédent de leurs ressources pour l'affecter à une caisse commune.
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LA. CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC 33i
c'est-à-dire celui des personnnes à qui Tétablis^ment
assure les services nécessaires à la satisfaction de leurs
besoins communs : c'est celui des pauvres, des malades,
des fidèles appartenant à une confession déterminée, des
commerçants établis sur un territoire, etc. Mais, a-t-on
objecté (1), ce n'est pas là le véritable groupe intéressé
à la création de l'établissement public, et la preuve c'est
que les personnes dont il s'agit profiteraient exactement
des mêmes avantages si le service était assuré directe-
ment par TElat ou les divers groupes territoriaux ; en
réalité, ce qui est fait pour eux c'est le service, mais
non sa personnalité. Ceux qui ont véritablement intérêt
à l'existence distincte de la personne morale, ce sont
ceux qui lui fournissent les moyens de subsister, le fon-
dateur d^abord, et ensuite les donateurs en nombre
illimité qui peuvent se joindre à lui pendant toute la
durée de la vie de l'établissement. Ceux-là ont intérêt
à ce que les ressources qu'ils fournissent restent per-
pétuellement affectées au but qu'ils leur ont assigné ;
c'est précisément cet intérêt que la création de la per-
sonne morale a pour objet de sauvegarder; elle repré-
sente donc, non les bénéficiaires, mais le groupe des
donateurs et fondateurs.
Cette manière de raisonner ne tient pas compte d*un
fait : c'est que l'intérêt, ainsi compris, des donateurs et
fondateurs se ramène en dernière analyse à l'intérêt des
bénéficiaires. Les premiers ont renoncé, en faveur de
ceux-ci (considérés in globo et comprenant les bénéfi-
ciaires futurs aussi biens que les bénéficiaires présents),
à la propriété des biens dont ils ont gratifié l'établisse-
(4) Otto Mayer, Deutsches Verwaltungsrecht, t. 41, pp. 377 et
suiv.
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332 CHAPITRE III
ment. L'un des avantages de la personnalité est assuré-
ment de rendre plus certaine Texécution de leur
volonté. Mais cet avantage n'est pas le seul, ni même
le principal : quand il donne au service public une
personnalité distincte, TEtat est guidé par des motifs
complexes, que nous allons essaj^er de préciser, mais
qui pour la plupart se ramènent à ce motif prédomi-
nant : assurer au service des moyens d'action plujs
étendus et une meilleure administration dans Tintérêt
des bénéficiaires. Ceux-ci forment donc bien le groupe
humain représenté par rétablissement ; c'est leur groupe
qui est le véritable titulaire de ses droits. Il faut observer
seulement, comme nous Tavons déjà remarqué, que le
groupe intéressé ne constitue pas à lui seul toute la per-
sonne morale, et qu'il est inséparable de l'organisme
destiné à suppléer sa volonté (1).
(4) Nous ne considérons donc pas comme entièrement exacte la
formule de V Encyclopédie de Merkel, citée par Mayer (p. 379,
note 6). « Au lieu de dire : ces biens appartiennent aux pauvres
présents et futurs, au profit desquels ils doivent être utilisés par
la fondation Saint-Marc, nous disons pour abréger : ces biens
appartiennent à la fondation Saint-Marc. » M. Mayer objecte que
la situation des pauvres serait la même si ces biens, au lieu d'ap-
partenir à un établissement public, appartenaient à une corpora-
tion charitable douée de personnalité. Mais l'objection n'est pas
fondée : dans ce dernier cas, les biens appartiennent à la corpora-
tion et non aux pauvres ; la personnalité de la corporation a pour
substratum les membres qui en font partie ; ceux-ci ne se sont
pas défaits de leurs biens en faveur d'une personne morale à
laquelle ils restent étrangers ; ils ont prétendu au contraire con-
server sur ces biens les droits qui appartiennent aux membres
d'une association personnalisée sur le patrimoine de cette asso-
ciation, et c'est là, au point de vue de l'administration de ces biens
comme au point de vue de la suppression de la personne morale,
une situation toute différente. Cpr. Meurer, Die juinst. Pej^son,,
pp. 34-35. Si, à nos yeux, la formule de Menkel n'est pas tout à
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LA CREATION DBS PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC 333
Ces explications écartent, en même temps que la
théorie de Mayer, une autre théorie admise par beau-
coup d'auteurs, et compatible, elle aussi, avec notre
notion générale de la personnalité. C'est celle qui voit le
groupe représenté par rétablissement public dans le
groupe territorial auquel cet établissement se rattache,
c'est-à-dire suivant les cas, TEtat, le département ou la
commune. Dans ce système^ qui a été exposé avec une
netteté parfaite par M. Berthélemy (1), la création d'un
établissement public n^est plus qu'une mesure d'ordre,
destinée à établir la division du travail et la séparation
des comptés. Elle n'aboutit pas à la constitution d'une
véritable personnalité ; elle ne touche pas à la question
de propriété des biens, mais seulement à. leur mode
d'administration.
fait juste, c*est qu'elle ne tient compte que de l'un des deux élé-
ments de la personnalité, l'élément intérêt, et qu'elle laisse trop
complètement à l'écart les personnes formant Torganisme néces-
saire à l'administration de l'établissement et représentant en lui
Télément volonté. V. suprà, n® 77, p. 487, et n« 422, p. 327.
(4) Droit administratif, 4re éd., p. 549, 2« éd., p. 45. « Mais
voici que pour simpliûer l'administration, pour diviser le travail,
pour éviter la confusion des comptes, pour que tels fonds soient
affectés à tel besoin, une loi ou un décret vienne dire que tel service
sera personne morale. Qu'est-ce que cela signifie encore? Les biens
de rhôpital, par exemple seront désormais séparés, ils formeront
un patrimoine distinct ; à qui sera ce patrimoine ? » L'auteur
répond que ce sera la commune (c'est-à-dire d'après son système
sur la notion de personnalité morale, les habitants de la commune
possédant collectivement), parce que l'hôpital est un service com-
munal, et que s'il n'était pas érigé en personne morale, c*est la
commune qui devrait pourvoir à ses besoins. Il ajoute : « Généra-
lisons : les biens des services publics spéciaux pourvus de person-
nalité morale ont les mêmes propriétaires que les biens des collec-
tivités à l'intérêt desquelles ils pourvoient: leurs propriétaires sont
ces collectivités elles-mêmes différemment représentées». Nous
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3â4 CHAPITRE lit
Cette opiaioQ est peut-être fondée pour quelques éta-
blissements publics, surtout pour quelques-uns des ser-
vices d'Etats auxquels des lois spéciales ont attribué^
dans ces dernières Mnées, la personnalité cisrile (1). Il
est incontestable que TEtat peut créer par ce procédé
des personnalités /ac/îcw. S*il le fait, les conséquences
de la personnalité ne se produiront pas toutes ; il res-
tera le maître de défaire ce qu'il a fait, et de reprendre
directement la gestion des services qu*il a ainsi arbi-
trairement isolés de la masse des services publics. Eu
soi, le système n^est pas bon parce qu'il rompt l'unité
budgétaire et on ne peut l'approuver que très exception-
nellement. Mais le plus souvent les établissements
publics sont autre chose qu'un organisme administra-
tif ; ils correspondent, comme nous Pavons dit, à des
besoins spéciaux qui sont ceux de certaines personnes
seulement à l'intérieur du groupe territorial, et par là
leur personnalité est réelle. Nous verrons plus loin
qu'entre les services publics personnalisés et les autres
il y a des différences profondes, toutes basées sur cette
idée que les intérêts représentés par l'établissement
public sont distincts des intérêts du groupe territorial.
JLe système de M. Berthélemy aboutirait à effacer entiè-
rement ces différences et par là à affaiblir la protection
de ces intérêts distincts. 11 ne faut pas confondre la
véritable notion du service public personnalisé avec
i^abus que le législateur en peut faire.
124. II. — Dans le choix des services publics suscep-
avoDs vu plus haut (p. 188, note 7), que certains auteurs étendaient
cette doctrine à toutes les fondations, même aux fondations pri-
yées.
(1) Y. de noaibreux exemples, infrà, no» 426 et s.
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La CREATION DES PEtlSOiSNÈS MORAtÉS bS DROIT PUBLIC 33^
libles d'être personnalisés, l'Etat a an pouvoir d'appré-
cion très étendu. Il pourra personnaliser, sans s'expo-
ser au reproche que nous venons de formuler, tout ser-
vice public correspondant à un groupe d'intéressés dis-
tincts ; mais le plus souvent il n'y aura pour lui aucune
obligation de le faire, et il pourra se borner, soit à assu-
rer lui-même le service, soit à le faire gérer par le
déparlement et la commune. La reconnaissance de per-
sonnalité est souvent due à une raison historique : cer-
tains services en effet, et notamment ceux qui ont pour
objet de subvenir aux besoins des divers cultes, se sont
constitués en dehors de l'Etat. Ce dernier les a de plus
en plus soumis à son contrôle et il est arrivé ped à peu
aies considérer comme de véritables services publics;
mais en faisant cela il leur a conservé une certaine auto-
nomie et la possibilité d'avoir un patrimoine leur appar-
tenant en propre. Il y trouvait d'ailleurs certains avan-
tages, et ces avantages sont de telle nature qu'il a souvent
jugé opportun d'employer le même procédé à l'égard de
services qu'il créait lui-même et qui parfois étaient restés
longtemps sous sa direction immédiate {i). La person-
nalité reconnue à ces services peut avoir pour effet de
grossir leurs ressources en attirant les libéralités : on
(1) Il semble qu'en France ces avantages aient été mieux aper-
çus dans ces dernières années. De là beaucoup de lois récentes
reconnaissant la personnalité de services déjà existants : caisse des
musées, universités, ou de services nouvellement créés : caisse des
écoles, bureaux d'assistance médicale, etc., etc Pour le service des
enfants assistés, le législateur n'a pas admis le régime de la per-
sonnalité, qui lui avait cependant été proposé par le Conseil supé-
rieur de l'Assistance publique, et qui se trouvait consacré dans le
projet déposé au Sénat par le gouvernement. V. la loi du 27 juin
1904.
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336 CHAPITRE tu
ne donne guère aux départements et aux communes,
on donne moins encore à TElal ; on n'est point assez
sûr que la libéralité conservera toujours son affectation
primitive ; on donnera plus volontiers à une institution
d'assistance ou à un établissement scientifique ou artis-
tique, voués à une tâche spéciale et capables de con-
server jalousement à leur destination les biens dont le
donateur se sera dessaisi. Puis le patrimoine, tel qu'il
est, sera probablement mieux utilisé et surtout mieux
ménagé par un établissement pourvu de personnalité que
par un service dépendant directement de TEtat, du dépar-
lement ou de la commune ; le fait seul que rétablisse-
ment est propriétaire lui assure une sorte d'indépendance,
le place dans une certaine mesure en dehors des fluctua-
tions de la politique et le cantonne plus étroitement
dans sa mission spéciale. Enfin, point d'importance
capitale, le droit de propriété est pour lui une excitation
à Tordre et à l'économie ; sûr de conserver ses bonis,
il s'appliquera à en avoir; alors, au contraire, que les
services publics, dotés par un crédit au budget, s'appli-
quent à le dépenser intégralement de peur qu'on ne le
leur diminue et que leur esprit d'économie ne se retourne
contre eux.
La contre-partie de ces avantages, c'est que l'Etat
a sur les services ainsi dotés une influence moindre,
peut moins facilement y faire prévaloir ses vues et y
introduire les réformes qu'il juge nécessaires. Il n'est
pas douteux, par exemple, que les réformes /jue l'Etat
a cherché et cherche encore à introduire dans le régime
de l'assistance publique soient rendues plus difficiles à
réaliser par la demi-indépendance des commissions hos-
pitalières, qui résistent souvent, par des raisons d'éco-
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Là CREATION DBS PERSONNES MORALES bË DROIT PUBLIC ^^7
nomie, à ce qu^oa leur demande. Cela peut perpétuer
certaines routines et certains abus^ mais cela même n'est
pas sans avantage; c'est une barrière contre les réfor-
mes trop rapides, contre les entreprises téméraires qui
peuvent compromettre la fortune publique. Tout
compte fait, pour certains services, la spécialisation
résultant de la personnalité présente beaucoup plus
d'avantages que d'inconvénients.
125. 111. — Les explications précédentes nous ont
montré la condition essentielle de la création des éta-
blissements publics et la raison d'être de leur existence.
Il reste à examiner une question qui n'est pas sans inté-
rêt pratique ni sans difficulté : en quelle forme peut se
faire la création de l'établissement public ?
Qu'il faille pour cela l'intervention de l'Etat, cela
résulte, d'une manière évidente,. de cette circonstance
qu'il s'agit, soit de créer de toutes pièces un service
public, soit d'incorporer dans l'administration publique
un établissement d'origine privée, soit enfin de reconsti-
tuer un service public sur des bases nouvelles, en lui
conférant la personnalité qui lui avait manqué jus-
qu'alors. A l'Etat seul il appartient de disposer ainsi
des services de cet ordre, même quand ils se rattachent
au département ou à la commune, car ces collectivités
elles-mêmes, comme nous l'avons vu, n'administrent
dans Kintérêt général que par délégation de l'Etat. Mais
quelle sera, dans TEtat, l'autorité compétente pour
procéder à cette création ? L'intervention du législateur
sera-t-elle nécessaire, ou suffira-t-il d^un acte de l'auto-
rité administrative ?
Pour les partisans du système de la fiction, il semble
que la question ne puisse être douteuse. Au législa-
MIGHOUO 22
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. w .
338 CHApirkK ut
leur seul il appartient de créer des fictions ; rétablisse-
ment public, comme toute autre personne morale, ne
pourra donc être créé que par lui, soit au moyen d'une
disposition spéciale, soit au moyen d'une dispt)sition
générale, déléguant au pouvoir administratif le soin
de créer certains établissements dans des conditions
déterminées à l'avance par la loi. C'est bien ainsi sans
doute que la question est, en général, tranchée dans la
pratique, et la plupart des établissements publics exis-
tants ont été créés, comme nous allons le voir, soit par
la loi elle-même, soit au moins en vertu de la loi (i).
Pourtant il y a des exceptions au moins apparentes. On
reconnaît à un certain nombre d'institutions la qualité
d'établissements publics, bien que le législateur ne
paraisse jamais être intervenu, ni dans leur création, ni
dans leur réglementation. Il en est ainsi notamment de
plusieurs établissements nationaux de bienfaisance, qui
ont été fondés et classés parmi les établissements de cet
ordre par de simples décrets (2), et à qui cependant on
(1) Le règlement intérieur du Conseil d'Etal du 21 août 187^,
art. 5, § 2, comprenait, parmi les projets de décret à soumettre à
l'Assemblée générale du Conseil, l'autorisation ou la création d*éta-
blissements publics, ou d'établissements d'utilité publique. Mais
cela ne signifiait nullement qu'une loi ne fût pas en principe néces-
saire ; cela ne visait en effet que les cas dans lesquels une loi géné-
rale renvoyait au pouvoir exécutif la création de l'établissement.
Ce texte est d'ailleurs aujourd'hui modifié, voir infrà, no 126
in fine.
(2) Notamment les asiles de Vincennes et du Vésinet, créés par
le décret du 8 mars 1855 et classés parmi les établissements géné-
raux de bienfaisance par les décrets du 28 octobre 1857 et du
14 août 1850 ; et l'asile Vacassj, créé à la suite d'une libéralité
adressée à l'Etat et classé parmi les établissements généraux de
bienfaisance par un décret du 30 juin 1876. £n ce qui concerne les
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La CREATION DES PERSONNES MORALES DE DROlt PUBLIC 33Ô
attribue très généralement le caractère d'établissements
publics. Mais Texception peut se ramener à la règle si
Ton admet, comme nous le croyons, qu'on doit appli-
quer à ces établissements les textes .généraux sur les
établissements hospitaliers. Quoi qu'il en soit de ce
point de détail, nous pensons, conformément à la doc-
trine dominante, qu^ùne loi esl nécessaire : créer un
établissement public, c'est, en effet, procéder à une sorte
de démembrement des services publics ; c'est permettre,
dans le domaine du droit public, comme dans celui du
droit privé, à un corps constitué d'opposer ses droits à
ceux de TEtaV, du déparlement ou de la commune, c'est-
à-dire à ceux des collectivités que la loi charge en
principe de la gestion des services publics. Il nous
semble qu'une exception de cette nature ne peut être
introduite que par le législateur lui-même. L'adminis-
tration peut bien, à Vintérieuv des personnes morales
existantes, faire des règlements d'organisation des ser-
vices publics. Mais elle pénétrerait dans le domaine du
droit en créant elle-même une nouvelle personne mo-
rale (1). Si un établissement ne peut invoquer, en
établissements de cet ordre antérieurs à la Révolution, la question
est plus complexe, mais pour la plupart d'entre eux on peut invo-
quer des textes d'ordre législatif. Notamment l'asile de Gharenton
parait avoir suivi le sort des hôpitaux et hospices : ses biens ont
été réunis au domaine de l'Etat, en vertu de la loi du 23 messidor
an n, et restitués en vertu de la loi du 16 vendémiaire an V par
l'arrêté du Directoire du 27 prairial an V (voir l'avis des sections
réunies des Finances et de l'intérieur du 6 janvier 4862, dans Tis-
sier, Dons et legs, no 150). On sait d'ailleurs que le fonctionne-
ment de ces divers établissements est réglé par une simple ordon-
nance, celle du 21 février 1841.
(1) Otto Mayer, op, cit., p. 388, a soutenu pour le droit allemand,
que la création d'un SelbstverwaltungS'Kôrper (terme générique
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^p^^^ .T
â40 CàAPITRË Itt
faveur de sa personnalité, aucune loi générale ou spé-
ciale, on devra, suivant les cas, le considérer comme un
simple établissement privé (qui aura pu du reste être
reconnu d'utilité -publique par un décret) ou comme
une dépendance directe de l'administration générale,
départementale ou communale.
sous lequel il comprend les diverses personnes morales de droit
public autres que TEtat) était de la compétence du pouvoir adminis-
tratif, — alors qu'il admet en droit privé la nécessité d'une loi (soit
pour reconnaître directement la personne morale, soit pour autoriser
le pouvoir administratif à la reconnaître). Il fait observer en ce sens
que la création d'une personne moraleMe droit public est moins la
création d'une personne morale nouvelle, que le démembrement
d'une personne morale déjà existante, l'Etat. Mais alors même que
ceci serait absolument exact (ce que nous ne croyons pas, car cer-
taines personnes morales de droit public sont plutôt adoptées par
PEtat, incorporées dans son administration qu'elles ne sont déta-
chées de lui), nous pensons que ce démembrement ne peut être que
l'œuvre directe ou indirecte de la loi ; il faut une règle de droit
pour admettre la naissance d'une personnalité, aussi bien dans le
domaine du droit public que dans celui du droit privé. Dans la
plupart des législations, la reconnaissance de la personnalité de
droit privé, ou résulte d'une règle de droit générale, ou est délé-
guée par le législateur au pouvoir administratif. Au contraire, la
reconnaissance d'une personnalité de droit public est en fait réser-
vée à Pexamen spécial du législateur. Le Conseil d'Etat italien dans
un avis du 2 juin 1888 (cité par Ruffini, La classificazione délie
persone giuindiche^ dans les Studii Schupfer, 1898, p. 352), con-
sidère comme pouvant »Mre créés par le pouvoir exécutif « les êtres
moraux qui, sans demander de privilège, se contentent de l'exer-
cice des droits civils communs à toutes les personnes morales ».
En France, on a toujours admis en pratique la nécessité d'une^loi
pour créer un établissement public, toutes les fois qu'il n'existe
pas de loi générale délégant cette mission à l'autorité administra-
tive relativement à une certaine catégorie d'établissements. V. les
nombreux textes de lois cités ci-après. Cpr. l'exposé des motifs de la
loi du 18 février 1904 attribuant à l'Office colonial la personnalité
civile
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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC 341
126. L'intervention du législateur se produit d'ail-
leurs sous des formes diverses. Quelquefois il crée
directement un établissement ou des établissements
publics, en organisant un service nouveau. On peut
citer, comme exemples de ce premier type, Tordre de la
Légion d'honneur, qui a reçu, au moment même où il
a été créé par la loi, une dotation spéciale et une admi-
nistration autonome (loi du 29 floréal an X, auj. décret
du 46 mars 1852); et, dans un autre ordre d'idées, les
bureaux d'assistance médicale qui ont été créés dans
toutes les communes par la loi du 15 juillet 1893. Dans
d'autres cas, le législateur constitue, toujours directe-
ment, un établissement public en conférant la person-
nalité à un service déjà existant ; c'est ce qui s'est pro-
duit, notamment pour les hospices et hôpitaux d'origine
ancienne, quand la loi du 16 vendémiaire an V leur a
rendu la personnalité qu'ils avaient un moment perdue
par la réunion de leurs biens au domaine national ; c'est
ce qui s'est produit plus récemment pour un assez grand
nombre de services publics que des lois spéciales ont
détachés de l'Administration pour les (ériger en person-
nes civiles (musées nationaux, loi du 16 avril 1895,
art. 52; corps de facultés (1), loi du 28 avril 1893,
art. 71 ; Conservatoire national des arts et métiers, loi
du 13 avril 1900, art. 32; Ecole nationale supérieure
des mines, même loi, art. 34, etc.). — Enfin, le plus
(1) Depuis lors transformés en Universités par la loi du iO juil-
let 1896. Le même procédé avait été employé à l'égard de TUniver-
versité de France lors de sa constitution : décret du 47 mars 1808,
art. 131 et suiv. Mais on sait que cette personnalité avait disparu
par suite de la loi de finance des 7-13 août 1850, qui avait abrogé
ces textes.
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34â dHAPlTRK III
souvent, le législateur ne procède pas d*une manière
aussi directe. II se contente d'indiquer les bases sur les-
quelles pourra se fonder rétablissement public et ren-
voie à Tautorilé administrative le soin de procéder à la
création individuelle de chaque établissement. Il en est
ainsi d'abord peur la plupart des établissements ecclé-
siastiques, qui sont fondés par des décrets rendus en
Assemblée générale du Conseil d'Etat, en exécution des
lois générales sur les cultes (art. 15 du Concordat, loi
du 48 germinal an X, art. 73; et pour le culte proles-
tant, loi du 18 germinal an X, art. 8 et 10). Il en est .
ainsi, en outre, pour beaucoup d'établissements civils :
par exemple, c'est par un décret rendu dans la forme
des règlements d'administration publique que peuvent
être créées les chambres de commerce (loi du 9 avril
4898, art. 2); c'est par un décret rendu en Conseil
d'Etat que sont constitués les syndicats de communes
(loi du 5 avril 1884, modifiée par la loi du 22 mars 1890,
art. 169); c'est par décret aussi que peuvent être fondés
aujourd'hui les hospices ou hôpitaux publics (édîts de
décembre 1606 et août 1749, décrets de décentralisation
du 25 mars 1852 et du 13 avril 1861, tableau A, n*» 67 y).
Le Conseil d'Etat est, en général, appelé à intervenir
dans ces créations faites par décret ; son règlement
intérieur de 1872 exigeait même, dans tous les cas, que
la délibération du Conseil ait lieu en Assemblée géné-
rale ; mais aujourd'hui, en vertu du règlement du
2 août 1879, modifié par celui du 3 avril 1886, a^ t. 7,
l'intervention de l'Assemblée générale n'est exigée que
pour la création des établissements ecclésiastiques ou
religieux et pour celle des chambres de commerce ; il
suffira donc, en principe, d'un avis de section, toutes
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LA CREATION DES PERSONNES MORALES DB DROIT PUBLIC 343
les fois qae la loi n'aura pas dit expressément le con-
traire, et cet avis même ne sera obligatoire que si la loi
Texige (1). Il faut ajouter que, dans un grand nombre
de cas, la loi, en renvoyant la création à l'autorité admi-
nistrative, la subordonne à certaines conditions détermi-
nées : avis de conseils municipaux ou d'aulres corps
constitués, enquêtes, etc. Ce sonl là des détails de
législation réglementaire dans lesquels il nous parait
inutile d'entrer ici.
127. Dans toutes ces fondations publiques, on
trouve les deux éléments essentiels de la personnalité
juridique : le groupe intéressé et l'organisation de
nature à dégager une volonté collective distincte de la
volonté collective de TEtat, du département ou de la
commune. Mais Tinlervention des pouvoirs publics a
ici une plus grande importance qu'en droit privé, parce
qu^au fond, le plus souvent ce sont eux-mêmes qui fon-
(1) Pour les bureaux de bienfaisance c'est également la règle de
l'autorisation par décret qui doit être considérée comme étant
aujourd'hui en vigueur. Cependant, pendant longtemps, leur créa-
tion a été 'autorisée par de simples arrêtés préfectoraux et la juris-
prudence, après quelques hésitations, a validé ce mode de procéder
pour ceux dont la fondation est antérieure à i852(Cass.,30 décem-
bre 1873, D., 74.Mi9 ; 19 juillet 4894, D., 95.4.96). Le décret du
25 mars 4852 (tableau A, in fine) avait expressément enlevé ce
pouvoir au préfet pour le confier au chef de l'Etat, mais il fut
rendu au préfet par 'a loi du 24 juillet 1867, art. 14. Depuis la loi
municipale du 5 avril 1884, la question est discutée : on a soutenu
qu'elle n'avait pas modifié Tétat de choses antérieur ; mais, en
abrogeant expressément la loi de 1867 (art. 168, n^ 15), elle a
enlevé au pouvoir du préfet sa seule base légale et a implicitement
consacré le retour à la règle posée par le décret de 1852. C'est la
solution admise par la circulaire du 15 mai 4884, et elle est
aujourd'hui appliquée en pratique d'une façon constante.
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344 CHAPITRE III
dent rétablissement érigé en personne morale. Pour
que cette fondation, analogue par bien des côtés aux
fondations de droit privé, soit considérée comme ayant
Texislence légale, il n^est pas nécessaire qu'elle ait
déjà un patrimoine; la personnalité juridique ne con-
siste pas dans le fait d'être titulaire de droits, mais dans
l'aptitude à Tètre (1). Cette aptitude peut être conférée
par TEtat au groupe des intéressés par cela seul qu'il
lui donne l'organisation ; et il n'est pas même nécessaire
que cette organisation soit déjà matériellement réalisée,
c'est-à-dire que les personnes appelées à représenter la
personne morale soient déjà désignées. II suffit pour
que Têlre moral puisse être considéré comme existant,
que son organisation soit déjà réglementée de telle sorte
qu'elle puisse se réaliser matériellement dès qu'elle
deviendra nécessaire^ c'est-à-dire dès que l'être moral
aura besoin d'agir, ce qui se produira seulement quand
il aura des biens. Jusqu'à ce moment l'établissement
public existera seulement en expectative, mais cela suf-
fira pour lui donner l'aptitude à être propriétaire, et par-
conséquent la capacité de recevoir des libéralités. En
fait^ on ne réalisera matériellement son organisation
que lorsqu'il sera doté ; mais on admettra son existence
alors même qu'il ne sera encore ni doté, ni matérielle-
ment organisé, parce que déjà il présente les éléments
(1) Certains auteurs ont soutenu, au point de vue du droit privé,
que Texistence d'un patrimoine actuel était essentielle à Texistence
de la fondation (V. notamment Meurer, Juristische Personen,
p. 243 et s., et p. !f48 et s.). Cette thèse est, à notre avis, aussi
inexacte en droit privé qu'en droit public (V. infrà, n^ 166). Nous
montrons ici qu'en droit public la pratique française y est con-
traire.
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LA CRÉATION DBS PERSONNES MORALES DB DROIT PUBLIC 34o
nécessaires à la personnalité morale : groupe intéressé,
organisation de volonté réalisable dès que cela sera
nécessaire. .
La loi a, à diverses reprises, en vertu de ces principes,
créé directement des établissements publics en bloc dans
toutes les communes, et ces établissements sont devenus
capables par le fait même de la loi, leur organisation
matérielle h'étant plus qu'une mesure d'exécution à
laquelle chaque administration municipale pouvait pro-
céder à des dates différentes. Ainsi la loi du 15 juillet
1893, art. 10, a créé directement un bureau d'assis-
tance médicale dans toutes les communes ; et ce
bureau a existé virtuellement dès la mise en vigueur
de la loi ; Taulorité administrative n'a eu à prendre à
cet égard que des mesures d'exécution (1). La loi du
28 mars 1882 a procédé de même à Tégard des caisses
des écoles. Ces établissements existent dans toutes les
communes alors même qu'on n'a pas désigné encore les
membres qui les administrent.
De même, lorsqu'une libéralité est adressée à une
commune à charge de fondation d'hospice, le décret qui
autorise le maire de la commune à accepter une libéra-
lité au nom des pauvres l'autorise en même temps à
créer l'hospice ; et dès ce moment l'hospice est consi-
déré comme existant ; il est capable de recevoir une
libéralité nouvelle, avant même qu'on l'ait pourvu de
tous ses organes d'adminislration (2).
(i) V. Gaiïipagnolle, L'assistance médicale gratuite^ 2* éd.,
p. 144, sur l'art. 10.
(2) V. une conséquence de ces idées en matière de comptabilité,
dans C. d'Etat, 22 décembre 1900, Revue des établissements de
bienfaisance, 1901, p. 75.
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346 CHAPITRE Ht
128.1V. — Quel que soit le système adopté pour
créer la personnalité morale de rétablissement public,
il y a souvent, dans les textes qui l'organisent, une diffi-
culté d'interprétation très délicate. Quelquefois la loi
attribue en termes exprès à rétablissement qu'elle crée
ou qu'elle prévoit la qualité d'établissement public
(ex. : écoles normales primaires, loi du 19 juillet 1889,
art. 47 ; chambres de commerce, loi du 9 avril 1898,
art. 1 ; caisse des recherches scientifiques, loi du 14 juillet
1901) (1). Quelquefois, et plus fréquemment depuis un
certain nombre d'années, elle lui attribue en termes for-
mels la personnah'té civile, ce qui ne laisse pas de doute
sur sa qualité de personne morale, mais peut permettre
de se demander s'il est bien réellement incorporé à
Tadministration ou s'il constitue au contraire un sim-
ple établissement d'utilité publique (ex. : corps de
facultés, loi du 28 avril 4893, art. 71 ; caisses des
musées, loi du 16 avril 1895, art. 52 ; caisse de pré-
voyance entre les marins français contre les risques et
accidents de leur profession, loi du 21 avril 1898, art. 2;
Conservatoire national des arts et métiers, loi du 13 avril
1900, art. 32; Ecole nationale supérieure des mines,
même loi, art. 34, et loi 25 février 1901, art. 58; Institut
♦
({) Dans certains textes anciens, on trouve le mot d'établisse-
ment d'utilité publique appliqué à de véritables établissements
publics : ainsi dans Tart. 19 du décret du ,3 septembre \SM, lequel
réglait, avant la loi de 1898, l'organisation des chambrés de com-
merce ; ainsi encore dans l'art. 10 du décret du 25 mars 1852, sur
les chambres consultatires d'agriculture, et dans l'art. 1 de la loi
du 24 juin 1851 sur les monts-de-piété. Cela tient à ce que la dis-
tinction entre ces deux catégories n'était pas encore précisée à l'épo-
que de ces lois, et cela laisse parfois planer des doutes sur la classi-
fication (V. pour les monts-de-piété, suprà, n^ 92).
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LA CREATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC 347
national agronomique, loi du 25 février 1901, art. 57;
Ecole française d'Athènes, et Ecole française de
Rome, l. du 31 mars 4903^ art. 71 (1); Ecole normale
supérieure, Décret du 10 novembre 1903, art. 1 ; Office
colonial, loi du 28 février 4904 ; Musée Gustave Moreau,
loi du 30 mars 1902, art. 72). Quelquefois enfin^ elle
réunit dans une même phrase les deux formes précé-
dentes, comme dans la loi du 22 mars 1890, art. 170.
(Les syndicats de communes sont des établissements
publics investis de la personnalité civile).
Mais souvent le législateur a évité ces termes d'une
portée doctrinale ; il semble en avoir eu peur. Dans
la discussion de la loi sur les sociétés de secours mu-
tuels (loi du l®r avril 1898), il s'est passé à cet égard
un incident caractéristique. L'article 13, lel qu'il était
sorti de la discussion en première leclure à la Chambre
des députés, déclarait expressément que ces sociétés
jouiraient de la personnalité civile. Dans la séance du
21 mai 1897, M. Sauzet demanda la suppression de ces
mots : (( Je crains, dit-il, qu'il n'y ait là qu'un élément
d^obscurité, une source de controverses. Car Tarlicle 13
(1) Le rapport de M. Antoine Dubost au Sénat sur cet art. 71
{Doc, ParL, 1903, p 312) déclare que cette mesure a uni-
quefnent pour but de permettre à ces deux établissements de rece-
voir des dons et legs. Il a été formellement entendu entre les
ministres de l'Instruction publique et des Finances qui font cette
proposition, qu'elle ne saurait avoir pour effet de leur donner une
autonomie financière quelconque, et que leurs crédits continu-
raient à être gérés par le ministère de l'Instruction publique ». Le
mot uniquement est certainement inexact ; la personnalité, une fois
constituée a, qu'on le veuille ou non, d'autres conséquences que de
permettre à l'établissement de recevoir des dons et legs. Et même
cette faculté de recevoir des dons et legs ne découle pas pour un
service public de sa personnalité. -^ V. les explications suivantes.
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348 CHAPITRE II
vise seulement Tun des actes que la société peut accom-
plir : le fait d'ester en justice. Pourquoi une allusion de
ce genre à la capacité juridique des sociétés de secours
mutuels, capacité variable, en dehors du droit de plai-
der, suivant qu'elle esl libre, approuvée ou reconnue
d'utilité publique? Pourquoi cette expression de person-
nalité civile qui sera un exemple à peu près unique de
rédaction législative ? Je crois, en efFel, qu'il est sans
précédent qu'un texte de loi dise expressément d'une
association ou institution quelconque qu'elle constitue
une personne civile. On peut même affirmer que cette
formule, par elle-même, ne signifie rien, car telle société
emprunte le titre de personne civile à l'aptitude que la
loi lui reconnaît d'accomplir tels ou tels actes juridiques
dans telles ou telles conditions, alors qu'une autre
société, personne civile elle aussi, ne peut accomplir
que certains de ces actes à des conditions différentes.
Mieux vaut, dès lors, éviter dans un texte législatif cette
expression toute théorique de personnalité civile. Mieux
vaut procéder par voie d'énumération, en indiquant
spécialement et séparément les actes que telle associa-
tion a le droit d^acomplir ».
M. Sauzet, à qui la Chambre donna finalement gain
de cause, était ici l'écho de scrupules juridiques déjà
plusieurs fois exprimés avant lui. Laurent, notamment
avait déjà remarqué (ce qui est aujourd'hui devenu
inexact) que le terme de personne civile ne se trouvait
point dans la loi ; et Ton comprend fort bien qu'il ait
été évité par le législateur à une époque où la théorie de
la personnalité morale était encore très insuffisam-
ment étudiée, et où du reste on redoutait tout ce qui
pouvait ressembler à une résurrection des anciens corps
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LA CREATION DES PERSONNES MORALES DÉ DROIT PÛRLIC 340
et communaulés. Aujourd'hui, il y aurait, semble-til,
quelque avantage à l'employer plus souvent. Les lois
qui l'ont évité, en effet (et elles sont très nombreuses),
ont dû se borner à décrire la personnalité morale ; elles
l'ont fait en attribuant à l'établissement certains droits :
celui d'ester en justice, de posséder, de recevoir des
dons et legs, etc. (1). Mais, - et c'est ici que se pré-
sente la question d'interprétation dont nous parlions —
cette manière de procéder prête souvent à l'équivoque,
surtout quand il s'agit d'établissements rattachés à l'Ad-
ministration. Ces établissements, en effet, peuvent tou-
jours exavcev les droits de cette nature ; s'ils ne peuvent
pas en leur nom, ils le peuvent au nom de l'Etat, du
département ou de la commune (2); pour que nous
(1) Exemples : caisse des écoles, loi du 10 avril 1867, art. 15 ;
bureau d'assistance médicale, loi du i5 juillet 1893, art. M ; asso-
ciations syndicales, loi du 21 juin 1865, art. 3, etc., etc. D'une
manière générale ce procédé est employé dans toutes les lois anté-
rieures à 188i (c'est dans Tari, lit de la loi du 5 avril 1884, que
le moi personne civile se trouve pour la première fois). Les lois
étrangères ont en général moins évité que les lois françaises le
terme technique. En Allemagne, le Gode civil a tout un chapitre
sur les personnes juridiques. Beaucoup de lois cependant y ont
employé le procédé descritif de nos lois françaises (V. Gierke,
Genossenschaftstheorie^ pp. 31 et s.), mais en évitant l'équivoque
en spécifiant que l'établissement peut faires les actes en son nom
(unter ihren Namen)» Les lois italiennes emploient les mots enti
morali, ou corpi morali, parfois le mot persona giuridicha, V.
Fadda et Bensa sur Windscheid, p. 775. Le Gode civil espagnol
emploie le mot persona juridica (art. 28-35).
(2) Qu'on se reporte ici aux explications que nous avons données
plus haut à propos de la personnallité des Ministères et des grandes
Administrations publiques, telle qu'elle est admise par MM. Mar-
ques di Braga et Lyon. Il ne suffit pas, pour affirmer la personna-
lité des établissements, qu'ils aient des représentants distincts, car
ces représentants peuvent être des représenlantâ «/^eciaua? de l'Etat
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â50 CHAPITRE Ht
sachions s*ils sont doués de personnalité morale, il faut
que la loi nous dise clairement s'ils agissent en leur
nom ou au nom de Tune de ces collectivités; et c'est pré-
cisément parce que la loi a reculé devant le mot propre
que la solution qu'elle donne sur ce point est loin d'être
toujours claire. De là vient les très nombreuses diffi-
cultés qui divisent les auteurs sur la question de savoir
si la personnalité appartient à tel ou tel établissement.
Nous ne pouvons entrer ici dans le détail de toutes
ces difficultés (1). Mais nous devons d'abord insister sur
les divers intérêts pratiques que présente la question,
ensuite indiquer les idées générales qui doivent servir à
la trancher..
129. Sur le premier point l'observation que nous
venons de faire montre que Ton se fait souvent une idée
inexacte de la personnalité, civile de ces établissements.
Il n'est pas rare d'entendre dire que la concession de la
personnalité civile à l'un d'eux a pour objet de lui per-
mettre de recevoir des libéralités (2) ; or tous les services
publics non personnalisés le peuvent par l'intermédiaire
de l'Etat ou d'une corporation territoriale (commune ou
département). Ce qui est vrai, c'est que souvent le légis-
lateur a eu en vue, en conférant la personnalité à un
service public, de lui donner plus de chances de recevoir
en fait des dons et legs, parce qu'on a observé qu'on
ou de la commuDe. Et à l'inverse, le fait qu'ils n'ont pas de repré*
sentants spéciaux ne suffit pas pour pernoettre à coup sûr de leur
dénier la personnalité, comnae le prouve la personnalité de la
section de commune ou celle de la caisse des écoles.
(1) V. notamment Tissier, Dons et legs, n^' 93 et s., et 444 et s.
V. aussi Ducrocq, Droit administratifs 6e éd , t. II, nos 15-49 et s.
Hauriou, Droit administratif, 5* éd., p. 483 et s.
(2) V. ci-dessus, p. 347 , note 1.
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LÀ CREATION DÈS PEnSONNÈS MORALES DE DROIT PUBLIC 354
donne plus facilement à un établissement public qu*à
TEtat en vue d'un de ses services non personnalisés.
Mais au point de vue juridique la seule différence à cet
égard, c est que le premier acceptera la libéralité en son
nom et le plus souvent (mais pas toujours) par l'inter-
médiaire de ses représentants spéciaux, alors que, pour
les services non personnalisés la libéralité sera acceptée
par les représentants de la personne morale dont ils
dépendent et au nom de cette personne. Et ce qui est
vrai des libéralités est vrai de tous autres actes juridi-
ques, contrats, procès, etc.
En dehors de cet intérêt pratique, qui est de forme plus
que de fond, il y aura encore beaucoup d'intérêts juridi-
ques à distinguer les uns des autres les services person-
nalisés et les services non personnalisés. Voici les prin-
cipaux :
i** Les formes nécessaires, soit pour créer, soit pour
supprimer le service sont différentes. Nous avons dit
qu'une loi était nécessaire pour créer un service person-
nalisé ; une loi sera également nécessaire pour le suppri-
mer ou pour supprimer sa personnalité en le réunissant
aux services d'une autre personne morale. On peut voir
un exemple d'une suppression de ce genre dans la loi
du 25 avril 1900, qui a supprimé la personnalité de l'Hos-
pice du Mont-Genèvre, en transférant ses biens au
département des Hautes-Alpes, avec obligation de leur
conserver la mémo affectation Au contraire, la création,
la transformation ou la suppression d'un service public
non doué de personnalité rentre en principe dans la mis-
sion de l'autorité gouvernementale et administrative;
celle-ci n'est, à ce point de vue, limitée dans son action
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3S2 CHAPITRE ni
que par la règle qui lui défend de modifier les lois exis.-
lanles ;
2"" La personnalité morale une fois créée, des obliga-
tions ou des règles de droit nouvelles ne peuvent en
principe être imposées au service que par une loi, au lieu
que TEtat peut, par le simple exercice du pouvoir admi-
nistratif, imposer des obligations nouvelles aux services
qui dépendent directement de sa personnalité. Cette dif-
férence que nous croyons certaine en théorie, s'efface
souvent dans la pratique par le fait que TEtat peut indi-
rectement, en vertu de ses pouvoirs de tutelle, contrain-
dre un établissement non personnalisé à observer cer-
taines règles non prescrites par la loi. Ainsi Tordonnance
du 14 janvier 1831, article 4, en interdisant défaire aux
établissements ecclésiastiques ou religieux des donations
avec réserve d'usufruit, n'a pu rendre ces établissements
incapables, ce qu'il dépendait de la loi seule de faire,
mais elle les a mis dans Timpossibilité pratique de profi-
ter des libéralités de ce genre, car si elle ne lie pas ces
établissements, elle lie les représentants de TEtal char-
gés de leur tutelle (1). On trouve cependant dans la
législation certaines applications plus ou moins cons-
cientes de ridée : ainsi elle peut expliquer pourquoi le
décret du 4 juin 1888 fait aux associations ouvrières une
situation de faveur à l'égard des marchés de fournitures
ou de travaux publics ne s'applique qu'aux marchés de
TEtat, et qu'il ait fallu une loi spéciale pour Tétendre
{{) V. Tissier, Traité des dons et legs, nos 274-275. Cela suffit
pour faire considérer comme entaché d'excès de pouvoir le décret
qui autoriserait pareille libéralité. La même règle a été appliquée
aux établissements d'utilité publique par la «loi du i^r juillet 1901,
art. 42.
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Là CREATION DES PERSONNES MORALeS DE DtiOlt PUBLIC 35^
aux marchés des communes (1), et pourquoi les décrets
du 10 août 1899 sur les conditions du travail ont édicté
des règles qui, obligatoires pour TEtat. sont seulement
facultatives pour les départements, communes ou éta-
blissements publics ;
3° L'établissement personnalisé a des droits subjectifs
qu'il peut avoir à défendre en justice même contre la
communauté territoriale d'où il dépend (Etat, départe-
ment, commune). Au contraire, àVintérieur d'une même
personnalité, et notamment de TEtat, les luttes entre les
divers services ne sont point en principe de véritables lut-
tes judiciaires; chaque service ne peut invoquer vis-à-vis
des autres services ni un droit de propriété sur les res-
sources qui lui sont affectées, ni un droit subjectif à la
compétence qui lui est attribuée. En général, les diffi-
cultés entre les divers services de la même personne
morale sont tranchées tout naturellement par voie admi-
nistrative. Les exceptions à cette règle, par exemple
celles que Ton trouve dans la procédure de conflit, sont,
comme nous Pavons montré, plus apparentes que réel-
les. Mais il peut y avoir dans certains cas utilité à éten-
dre \es formes judiciaires aux difficultés de cet ordre ; si
ces formes ont été historiquement introduites pour pro-
téger les droits subjectifs il n'y a aucun obstacle de prin-
(1) Loi du 29 juillet 1893. Le rapporteur de cette loi explique sa
nécessitf^ par le fait qu'il s'agissait, à l'égard des communes, de
modifier une disposition contenue dans la loi municipale (art. 115) ;
mais cet article était déjà une application de Tidëe qu*à Tégard des
communes une loi était nécessaire pour régler cette matière. Aussi
considérons- nous comme mal fondé Tavis du Conseil d*Etat du
27 juin 1889 (cité dans Revue générale d' administration , 1902,
III, 161), qui déclare le décret de 1888 applicable aux marchés
départementaux.
MICHOUD 23
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âS4 CHAPITftE Itt
cipe à ce qu'on les applique à des cas où aucun droit
subjectif n'est en cause, mais où une discussion contra-
dictoire paraît nécessaire à Tintérèt général.
4* Les actes du service personnalisé n'engagent que
lui-même^ au lieu que les actes d'un service quelconque
de TEtat engagent l'Etat tout entier, de même que les
actes d'un service communal engagent la commune tout
entière. Cela est vrai pour les contrats. Cela est vrai
aussi pour les actes illicites. I/Ëtal, le département, la
commune, ne sont point responsables des fautes com-
mises par les agents des établissements publics, alors
qu'ils peuvent être responsables des fautes de leurs
agents. C'est là un des intérêts de notre distinction qui
se présentent le plus fréquemment dans la pratique.
Ainsi, tandis que la commune n'est pas responsable des
fautes commises parlesagents de rhospice ou de l'hôpital
communal (lequel a la personnalité morale), le départe-
ment est responsable des fautes commises parle person-
nel de Tasile d'aliénés (auquel la jurisprudence ne recon-
naît pas la personnalité), ou par le personnel du service
des enfants assistés (4). Cette responsabilité s'étend même
au département de la Seine, le service des enfants assis-
(1) V. Cass., 6 décembre 4899, D. 1900. \. 158. Il en résulte
qu'une action dirigée contre le directeur de l'Assistance publique
comme tuteur des enfants assistés est considérée comme dirigée
contre le département, et comme telle soumise à la formalité du
dépôt du mémoire. L'application de ces principes est fréquente en
jurisprudence. V., p. ex., en ce qui concerne la responsabilité des
administrations hospitalières. Cour de Bordeaux, Revue des éta-
blissements de bienfaisance, 1901, p. 16. Cour de Dijon, 18 mars
1903, id,, 1903, p. :229. Pour la responsabilité des départements
& raison des fautes commises à l'asile d'aliénés non doué de per-
sonnalité. Lyon, 10 juillet 1894, id. 1894, p. 354.
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Là CREATION DES PBRSOi^NES M0RA.LE8 bB bROIT PUBLIC 35$
tés n'ayant pas, malgré certaines apparences (notamment
une représentation distincte en justice), la personnalité
morale.
5» Les agents des établissements publics doivent, sui-
vant nous, être considérés en principe comme des fonc-
tionnaires publics (i); mais ils ne sont pas des agents
de l'Etat, du département ou de la commune, et les
règles particulières aux agents de ces personnes morales
ne leur sont pas applicables (à moins qu'ils ne soient^
en même temps, au service de Tune de ces personnes).
C'est ainsi (^ue les agents d'un hospice communal
(receveur, médecins, économe, etc.), n'ont pas la qualité
d'agents salariés de la commune, qualité qui d'après
l'article 33 de la loi municipale, les rendrait inéligibles
au conseil municipal (2). Au contraire les médecins des
services départementaux d'assistance tombaient sous le
coup de l'article 10 de la loi du iO août 187i, parce que
ces ^services n'ont pas la personnalité morale, et il a
fallu des textes spéciaux pour les soustraire à la dispo-
sition de cet article (3).
6<* Les règles écrites dans la loi pour l'Etat, le dé-
partement ou la commune, ne s'appliquent pas de plein
droit à leurs établissements publics, alors qu'ils s'appli-
quent tout naturellement à leurs services non personna-
(1) V. suprà, no 84, p. 208.
(2) G0118. d'Et., 42 janvier 1900, D. 1901. 3. ÂO.
(3) V. Farrêt du Conseil d'Etat du 1er décembre 1899 (Revue des
établis, debienf., 1900, p. 35)^ qui applique l'art. 10 aux médecins
des enfants du premier âge. La loi du 8 juillet 1901 est intervenue
tout exprès pour écarter cette jurisprudence, très bien fondée au
point de vue juridique, mais trop rigoureuse en pratique. Déjà la
loi du 15 juillet 1893, art. 34, avait écarté Tincompatibilité pour
les médecins chargés du service de Tassistance médicale.
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i^jsTiîJpnpp"
356 CHAPITRE iir
lises. On peut citer comme exemples : la règle de la
déchéance quinquennale, qui n'est écrite que pour les
dettes de TEtat, et qui ne doit pas s'appliquer aux dettes
des établissements publics, même nationaux (i); la règle
de la compétence du ministre pour connaître des contes-
tations relatives aux marchés de fourniture intéressant
l'Etat, règle qui ne doit pas s'appliquer aux établisse-
ments publics, dont les marchés doivent rester dans la
compétence judiciaire (2) ; la règle du dépôt du mé-
moire pour les procès dirigés contre l'Etat, les commu-
nes, et les départements. Cette dernière règle a été
déclarée applicable, par la disposition implicite des
articles 9 et 10 de la loi du 7 août i851, aux établisse-
ments hospitaliers communaux, mais elle ne s'applique
pas aux autres établissements publics (3).
Dans le même ordre d'idées on doit admettre que les
faveurs fiscales faites à l'Etat, aux départements ou aux
(1) Nous considérons comaie critiquable Tarrêt du Cons. d'Et.,
du 22 juin 1900 (D. 1901. 3. 74) qui applique le principe de la
déchéance quinquennale au service de la Légion d'honneur, en se
basant sur le fait que le budget de ce service est un budget annexe
du budget de TËtat, motif insuffisant pour établir la non-personna-
lité du service (Suivant nous, c'est bien un établissement public).
L'arrêt du 49 juillet i900 (D. 1904. 3. 84) a au contraire raison
d'appliquer la déchéance à l'Administration des chemins de fer de
l'Etat, parce que cette Administration n'est pas une personne
morale.
(2) Le Trib. de la Seine, par un jugement du 21 décembre 4901,
{Jouimal des Débats^ du 22) a cependant refusé de se reconnaître
compétent pour un marché de fournitures intéressant les asiles de
Vincennes, et de Vacassy, en déclarant qu'il importe peu que ces
établissements aient la personnalité civile, et qu'il suffît, pour jus-
tifier la solution, que leur gestion intéresse les finances de l'Etat.
Mais c'est à nos yeux une hérésie juridique.
(3) V. Derouin et Worms, Trae^é des autoris, de plaider
p. 484 et s.
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LÀ CREATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC 357
communes, ne profitent (en dehors d'une disposition
formelle de la loi) qu'à leurs services non personnali-
séSy et non aux établissements publics qui dépendent
d'eux. Il en est ainsi notamment de Particle 70, § 2,
n^ 1 , de la loi du 22 frimaire an VII, texte qui ordonne
d'enregistrer gratis les acquisitions et échanges faits par
la République, ainsi que les partages de biens entre elle
et des particuliers. Ce texte ne peut profiter qu'aux
services d'Etat non personnalisés, et doit profiter à tous
ceux qui ont ce caractère (1). Il en était ainsi également
dos textes qui soumettaient à des règles spéciales les
droits d'enregistrement des ventes d'immeubles doma-
niaux, textes aujourd'hui abrogés par l'article 8 de la loi
du 31 mars 1903. -
130. L'intérêt de la question étant ainsi indiqué, nous
pouvons maintenant exposer les idées générales qui
(1) La jurisprudence administrative est loin d'avoir toujours suivi
ce critérium d'une manière fidèle. V. Wahl, Régime fiscal des
libéralités aux personnes moî^ales (dans Revue du droit public,
1895, p. 226 et s ), et Traité de droit fiscal, t. I. no 221. C'est
ainsi que l'exemption de droits n'a pas été accordée aux marchés
passés par les chemins de fer de l'Etat (qui cependant ne sont
autre chose que l'Etat lui-même), et qu'en sens inverse Texemplion
de droit a été appliquée à la libéralité faite par le duc d'Aumale à
l'Institut, bien que ce dernier ait la qualité d'établissement public.
Elle a été admise aussi, non seulement en faveur des lycées (dont
la personnalité civile est douteuse), mais en faveur des uni-
versités et des facultés, qui sont certainement aujourd'hui des
établissements publics. Cette jurisprudence a été soutenue en doc-
trine par M. Itier : Les dons et legs faits aux Facultés de l'Etat
sont-ils assujettis au droit de mutation"} {Revue générale du
droit, 1895, p. 1 et suiv.). Mais elle est mal fondée. Les établis-
sements publics d'assistance ne sont pas exemptés, mais soumis
pour les donations au droit de 9 0/0 (loi du 23 février 4901, art. 19).
Comment admettre que le législateur ait entendu exempter entiè-
rement les établissements d'instruction ?
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358 CHAPITRE m
doivent servir à la trancher. Ce sont suivant nous les
suivantes :
1® Il faut remarquer tout d'abordj avec MM. Marques
di Brag^a et Lyôn(l), que la personnalité morale d'un
service public ne découle pas nécessairement de ce que
ces auteurs nomment, avec grande justesse, son iadi-
vidualité financière : « Etre investi de Tindividualité
financière, c'est avoir un budget, un ordonnateur, un
payeur, des comptes ; or, un service public peut possé-
der, en tout ou en partie, ces attributs de la vie admi-
nistrative sans avoir la personnalité civile, de même
qu'à rinverse il peut être investi de cette personnalité
sans posséder tous ces éléments d'une existence finan-
cière indépendante ». L'individualité financière, en efiet,
n*est qu'une mesure d'ordre, un simple mécanisme
administratif, ayant pour objet de faciliter et de sim-
plifier la gestion de certaines branches des revenus
publics et de faire apparaître d^une manière immédiate,
au moyen d'un compte séparé, les résultats de cette
gestion. Elle appartient à certains établissements ou à
certains groupements qui se rattachent à TEtat, à la
(4) Op. cit., t. II, p. 39 du tirage à part, nos 471 et saiv. Voir
aussi Tissier, Dons et legs, n° 89. L'individualité financière n'est
pas un phénomène nouveau ; les Etats un peu étendus ont toujours
éprouvé le besoin d'avojr plusieurs caisses distinctes possédant des
caisses séparées. C'est de là que sont nées les discussions sur
les stationes fisct (V. suprà, n^ 410). La distinction de la per-
sonnalité civile et de l'individualité financière a été introduite
expressément dans le décret du 25 mars 4901, art. 3. Ce texte
concernant les classes autonomes créées par les sociétés de secours
mutuels, déclare que ces caisses n'ont pas *une personnalité civile
distincte de celle de la société ou de l'union dont elles font partie,
mais qu'elles constituent une personnalité financière indépen-
dante.
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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC 359
coininuQe ou à certains établissements publics, et qui
ne peuvent pas prétendre pour cela avoir un patri-
moine autonome et des droits opposables à ceux de ces
collectivités. C'est ainsi que le fonds de cotisations
municipales vet particulières (i) groupe dans un ser-
vice financier unique des deniers provenant tout à
la fois des communes^ des établissements publics et
des particuliers, sans que jamais personne ait songé
à lui attribuer la personnalité morale. C'est ainsi en-
core que la Caisse des dépôts et consignations, la Caisse
d'épargne postale, TEcole centrale des arts et manu-
factures, les asiles départementaux d'aliénés et d'au-
tres établissements analogues, ont une individualité
financière incontestable, sans que cela démontre l'exis-
tence à leur profit de la personnalité morale, qui pour
plusieurs d'entre eux est au moins très douteuse. A l'in-
verse, la section de commune, dont la personnalité
civile est certaine, n'a aucune autonomie financière,
pas plus que les caisses des écoles ou les caisses de
retraite des fonctionnaires départementaux ou commu-
naux (2). On ne peut donc conclure de l'une de ces qua-
lités à l'autre ; on ne doit pas même admettre, comme le
fait M. Tissier (3), que la personnalité financière doit
faire présumer la personnalité morale. Tout ce qu'on
peut dire, c'est que la réunion de ces deux qualités
constitue le fait normal et qu'une individualité finan-
cière bien caractérisée peut, lorsqu'elle est jointe à
d'autres circonstances, être considérée comme l'un des
(i) Marques di Braga et Lyon, no 185.
(2) Eod, loco., no 180.
(3) Loc. cit., no 153.
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/
360 CHAPITRE III
éléments qui peuvent permettre d'interpréter, dans le
sens de la personnalité, la pensée du législateur ;
131. 2^ Certaines branches de l'administration ne
doivent point être regardées comme douées de person-
nalité morale, parce qu'elles y répugnent par leur
nature même. Ce sont toutes celles qui représentent des
services d'intérêt général ne correspondant à aucun
groupement distinct du groupement national ou terri-
torial. Nous avons déjà fait remarquer que, si le légis-
lateur confère à ces services la personnalité, ce ne peut
être qu'une pure fiction ; et cette fiction ne doit jamais se
présumer, alors même que le service aurait une admi-
nistration autonome et une individualité financière
incontestables. Les armées de terre et de mer, les cours
et tribunaux, le Sénat et la Chambre des députés, le
Conseil d'Etat, les déparlements ministériels, nous
offrent des exemples de services de celte nature. Si on
leur reconnaît le droit de recevoir des libéralités, ce ne
peut être qu'au' nom de l'Etat. Il en est de même,
suivant nous, de la Caisse des dépôts et consignations,
dont le service est d'un injlérêt si général qu'il serait
impossible de trouver à sa personnalité un substratum
distinct ; et cela suffirait à nos yeux, même en l'absence
des autres motifs que nous indiquerons plus loin, pour
lui faire refuser la personnalité morale (1). Il en est de
même encore de l'Administration des ponts et chaus-
sées, à qui il est impossible de dénier, à raison même
des travaux qu'elle entreprend, la qualité d'administra-
tion dépendant directement de rEtat(2-3).
(4) Voir infrà, p. 364, les détails que nous donnons sur ce point.
{iL) La personnalité de l'Administration des ponts et chaussées a
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LA CREATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC 36l
Dans cette catégorie, il faut ranger encore toutes les
Administrations qui ont pour objet de faire rentrer les
revenus publics, telles que les grandes régies finan-
cières ; et on doit y joindre celles qui gèrent, pour le
compte de VElat, un monopole ou une exploitation
industrielle. Les deniers de ces administrations ne sont
au fond que des deniers de l'Etat (sinon au point de
vue financier, du moins au point de vue civil); c^est ce
toujours été niée par la jurisprudence : Douai, 18 niiai 1896, D.,
99. 2. 401 et la noie.
(3) D'une manière générale la solution s'applique à tous les
organes de l'Etat, du département ou de la commune. Ces organes,
alors même quMls sont organisés collégialement comme les Cham-
bres, les conseil généraux ou les conseil municipaux, ne sont point
des personnes morales (v. plus haut la théorie de Torgane,
nos 59 et s.). La personnalité de ces assemblées, et notamment la
personnalité des Chambres, a cependant été défendue par M. Hau-
riou (Note dans Sirey99. 3. 145, sous Cons. d'Et,, afif. Jolly, et
Droit administratif, 4e éd., p. 373 ; 5e éd., p. 350). « Cette per-
sonnalité, dit M. Hauriou, est la conséquence naturelle de ce fait
que les assemblées délibérantes ont une volonté déterminée ^ar la
majorité des voix ». M. Hauriou, est en cela logique avec sa théo-
rie de la personnalité morale ; voyant dans le droit subjectif une
volonté protégée, et coasidérant comme sujet du droit celui dont
la volonté est protégée, il lui est difficile de ne pas admettre une
certaine personnalilé de l'organe. Pour nous qui définissons le
droit subjectif par Vintérêt protégé, et voyons le sujet du droit dans
rindividu ou le groupe dont la volonté est protégée, il saute aux
yeux que les assemblées délibérantes ne sont point des sujets de
droite mais seulement des organes. Les arguments secondaires
invoqués par M. Hauriou à l'appui de sa thèse ne sont rien moins
que décisifs. La dotation des Chambres est celle d'un service public
non-personnalisé, et les particularités que présente son adminis-
tration s'expliquent par l'idée d'individualité financière. Quant aux
actions données dans certains cas aux conseil généraux et aux con-
seils municipaux pour défendre leurs prérogatives, elles doivent
être regardées comme exercées en réalité au nom du département
ou de la commune.
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362 CHAt>lTR£ 111
t
dernier qui souffrira directement de leurs pertes et qui
profitera de leurs gains. Nous n*admeltroQS donc point
la personnalité de rimprimerie nationale, des manufac-
tures de Sèvres, des Gobeliijs ou de Beauvais, ni celle
de l'Administration des chemins de fer de TEtat. Sur ce
dernier point, on a pu longuement discuter, parce qu'il
a été dans les intentions des fondateurs du réseau de
l'Etat de le douer d'une large autonomie et de le faire
exploiter d'une manière analogue aux chemins de fer
concédés. Mais la force des choses remportera néces-
sairement sur des dispositions artificielles, et la juris-
prudence paraît bien, dès aujourd'hui, incliner dans
notre sens (1) ;
(1) La personnalité de rAdmiDistration des chemins.de fer de
TEtat a été soutenue notamment par M. Marguerie en 1885 (D. 87.
3. 1) et devant le Tribunal des Conflits en 1889 (D. 91. 3. 1). Elle
avait été reconnue par l'arrêt de la Cour de Paris du 30 jan-
vier 1889, qui, dans l'espèce sur laquelle ont été données ces der-
nières conclusions, avait argumenté de cette personnalité pour éta-
blir la compétence judiciaire à l'égard de certains marchés passés
par cette Administration. Le Tribunal des Conflits, dans la décision
qui a suivi ces conclusions (22 juin 1889 j ne s'est pas prononcé sur
la question de personnalité. Depuis lors la Cour de Cassation paraît
avoir condamné la thèse de personnalité par l'arrêt du 22 mars 1899
D. 99. 1. 452), qui reconnaît aux employés de cette Administra-
tion la qualité d'agent de l'Etat, et le Conseil d'Etat l'a condamnée
plus nettement encore en appliquant la déchéance quinquennale
aux dettes des chemins de fer de l'Etat (13 juillet 1900. D. 1901. 3.
84). Cpr. la note de M. Sarrut, sous Cass., 18 novembre 1895. D.
98.1.497.
Il est à remarquer que les apparences de personnalité que l'or-
ganisation de cette Administration pouvaient présenter de 1878
à 1895, ont en partie disparu par suite du décret du 10 décem-
bre 1895, qui a réorganisé le service en substituant au conseil
d'administration autonome du décret de 1878 un simple conseil de
réseau, n'ayant que des attributions consultatives, et en confiant
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LA GRÉATIOTn des PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC 363
132. 3^ Lq critérium précédent sera loin d'être tou-
jours suffisant, d'abord parce que son application peut
prêter à discussion, ensuite parce quMl est purement
négatif; il exclut certaines administrations, mais il n'in-
dique pas quels seront, parmi les services aptes- à être
personnalisés, ceux que le législateur aura jugé à propos
de douer d'une vie propre. Force sera bien, pour tous
ceux-là et pour ceux dont la situation au point de vue
précédent pourra paraître douteuse, de rechercher de
plus près l'intention du législateur. C'est, en général, en
examinant en son entier la situation de rétablissement
que l'on pourra conclure : aucun signe extérieur ne peut
être considéré à lui seul comme infaillible. Une dotation
affectée à rétablissement, la faculté reconnue à son pro-
fit de recevoir des dons et legs, celle de conserver ses
bonis, une organisation autonome, l'individualité finan-
cière, une représentation distincte en justice, seront
autant de signes de la personnalité ; ce sont des circons-
tances qui la feront présumer, surtout si elles sont réu-
nies. Mais aucune d'elles, prise isolément, n'est absolu-
ment décisive (1). Nous ne croyons pas, par exemple, à
la direction du service à un directeur responsable devant le Minis-
tre, lui-même responsable devant les Chambres. Il est visible aujour-
d'hui que l'Administration des chemins de fer de l'Etat n'est pas
soumise aujourd'hui au simple contrôle de l'Etat, mais bien à sa
direction ; elle est gérée sous ['autorité du Ministre (Cpr. Golson.
Abrégé de la légisL des chemins de fer et tramways, 2e éd.,
p. 30), En outre, dès le début, le burlget de celte Administration a
figuré comme budget annexe au budget de l'Etat auquel le produit
net est versé annuellement.
(1) De toutes ces circonstances, celle qui entraînera la présomption
la plus forte sera le droit pour le service de conserver ses bonis.
Elle sera même décisive toutes les fois qu'elle constituera un droit.
Mais on peut admettre dans certains cas qu'elle n'est accordée au
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364 CHAPITRE m
la personnalité de la Caisse d'épargne postale, bien
qu'elle présente plusieurs de ces caractères : d'après la
loi du 9 avril 1881, articles 15 et 16, elle a une dotation,
elle peut recevoir des libéralités et elle peut conserver
ses bonis. Mais elle est instituée sous la garantie de
l'Etat, placée directement sous l'autorité du Ministre des
Postes ; elle est donc gérée par l'Etat, et en réalité n'est
pas autre chose que l'Etat lui-même, car il n'est pas
douteux, que ce dernier' ne fut chargé, le cas échéant,
de pourvoir à l'insuffisance des fonds de la dotation ;
c'est donc k lui que profitent, en réalité, les dons et legs
adressés à la Caisse ; celle-ci peut recevoir, comme tous
les autres services publics, mais elle reçoit au notn de
TEtat (1). Nous admettrions moins encore la. personna-
lité de la Caisse des dépôts et consignations, non seule-
ment à raison du motif que nous indiquions plus haut,
mais aussi parce qu'il lui manque la plupart des carac-
tères extérieurs que nous venons d'énumérer; le seul
qu'elle possède, c'est une administration indépendante
et douée d'une certaine autonomie (2) ; mais cette auto-
nomie est insuffisante pour qu'on soit obligé de considé-
rer ses représentants comme autre chose que des repré-
serviçe qu'à titre de simple tolérance, et cela empêche qu'on puisse
la considérer à elle seule comme décisive.
(t) En ce sens, solution de l'Administration de l'Enregistrement
du t2 juin 1886, citée par Marqués di Braga et Lyon, no 183. Contra
Tissier, Dons et legs, n^ 165.
(2) Elle a une commission de surveillance, qui par sa composi»
tion n'est pas dans la dépendance immédiate du Gouvernement ;
un directeur responsable, nommé par le chef de TEtat et révocable
seulement sur la demande motivée de. la commission de surveil-
lance : enfin un caissier général distinct du caissier central du Tré-
sor public. Elle a donc, avec une administration distincte, l'indivi-
dualité financière.
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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC 368
sentants de rElat. Elle n'a pas d'ailleurs de dotation
qu'on puisse considérer comme lui appartenant ; les
deniers qu'elle manie sont ceux de TEtat qui est maître
de son actif, comme il serait, s'il y avait lieu, responsa-
ble de son passif ; elle n'a pas même le droit de conser-
ver ses bonis, et chaque année les bénéfices que son
maniement lui assure sonl versés au budget derEtat(l).
On a affirmé, il est vrai (2), que ce n'était là qu'un sim-
ple usage, une tradition que Ton ne pouvait appuyer sur
aucun texte impératif; et on a ajouté que, dans les con-
ditions d'indépendance oti elle fonctionne, la Caisse pour-
rail légalement se refuser à ce versement annuel, sans que
le Ministre des Finances ait sur elle un pouvoir de coer-
cition. Mais il est à remarquer que ce versement lui est
imposé chaque année par une loi spéciale. En outre,
pour une partie au moins de ses bénéfices, il y a aujour-
d'hui un texte général : l'article 43 de la loi du 16 avril
1895 déclare acquises à VEiat les sommes déposées à la
Caisse des dépôts et consignations, lorsque, par suite de
la prescription trentenaire, elles ne peuvent plus être
revendiquées par les déposants. Ce texte achève de
démontrer à nos yeux que la Caisse des dépôts et consi-
gnations est bien TEtat lui-même, l'Etat dépositaire,
comme le Trésor public est TElat créancier ou débiteur.
(4) Ils sont compris dans l'état annexé chaque année au budget
sous la rubrique de : Tableau des droits, produits et revenus dont
la perception est autorisée, conformément aux lois existantes, au
proflt de l'Etat, des départements et des communes ; voir la partie
de cet état comprise dans le % 4, Produits divers du budget ; il
comprend les bénéfices réalisés par la Caisse (4.700.000 fr. pour le
budget de 4900) et les sommes acquises à l'Etat en vertu de la loi
du 46 avril 1895 (400.000 fr. pour le même budget).
(2) Répertoire de Béquet, y^ Caisse des dépôts, n^ 52.
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366 CHAPITRE lit
Elle peut recevoir des dons et legs, mais ceux-ci ne
peuvent profiter à d'autres qu'à TEtat (i).
Au contraire, nous serions disposé, malgré l'opinion
générale, à admettre la personnalité des asiles départe-
mentaux d'aliénés, même de ceux qui ne sont pas com-
pris dans les quelques asiles autonomes dont la person-
nalité est reconnue par tout le monde (2). Il est vrai que
ces asiles sont créés par les départements, que le conseil
général vote leur budget et aune certaine action sur eux.
Mais ils ont une administration autonome, analogue a
celle que la loi a donné'e, dans la commune, aux hospices
et hôpitaux ; leurs directeurs responsables sont soumis,
dans leur gestion, à peu près aux mêmes règles que les
commissions administratives des hospices communaux
(ordonn. du 18 décembre 1839, rendue en exécution de
la loi du 30 juin 1838). En outre, le déparlement n'est
pas obligé légalement de subvenir à leurs besoins, puis-
que aucun texte ne classe les dépenses de ce genre parmi
les dépenses obligatoires ; et enfin, ils ont la possibilité
de conserver leurs bonis ; le Conseil d'Etat a décidé, en
effet (3), que le conseil général ne pouvait pas détourner
leurs excédents de receltes pour doter d'autres services
(1) En notre sens, Ducrocq, Droit administratif, 6e éd., t. II,
no 1097, et 7e éd., t. V. n^ 1940. — lissier, Dons et legs, no 97. —
Mais, en sens contraire : Aucoc, Conférence, si. I, n^ 207, et t. II,
no 604. — Répertoire de Béguet, v° Caisse des dépôts, n© 52. —
Marques di Braga et Lyon, n^ 183. — Hauriou, Droit adminis-
tratif, 5« éd., p. 484, note 1. - Gass , 22 février 1893. D., 93.
1. 235. — Boucart et Jèze, Science des finances^ 2* éd., p. 476.
(2) Ce sont les asiles d'Aix (Bouches-du-Rhône), Saint-Pierre de
Marseille, Bordeaux et Cadillac (Gironde), Armentières et Bailleul
(Nord), Bassens (Savoie).
(3) Conseil d'Ëat, 23 mars 1880, D., 80. 3. H4.
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La. création des personnes morales de droit public 36*?
départementaux. Ce trait, joinl à celui d'une adminis-
tration autonome^ nous paraît suffisant pour permettre
de conclure à la personnalité (1).
Nous admettons aussi, sans hésitation, la personna-
lité des lycées et des autres établissements d'instruction
publique à qui l'article d5 de la loi du 7 août d850, en
supprimant la personnalité de l'Université de France, a
conservé expressément le droit d'acquérir et de possé-
der, sous les conditions déterminées par les lois. Ces
expressions nous paraissent témoigner d'une manière
formelle que le législateur a eu l'intention de leur con-
server la personnalité civile (2) ;
133. 4^ Les explications précédentes nous paraissent
suffire pour montrer les idées générales qui peuvent con-
duire à la solution de la question. Mais une dernière
remarque nous semble nécessaire en ce qui concerne les
établissements ecclésiastiques. Ceux-ci diffèrent des
précédents en ce que, si on ne leur reconnaît pas la per-
sonnalité, celle-ci ne sera point suppléée par celle de
(1) l^a jurisprudence est ici absolument contraire. Elle admet que
c'est le préfet qui est le représentant légal de l'asile toutes les fois
que la loi ne donne pas expressément compétence au directeur (voir
Conseil d'Etat, 6 avril 1842. lissier. Dons et legs, no 155), et que
ce dernier n'a que l'administration intérieure ne l'établissement et
la gestion de ses biens, mais qu'il ne peut le représenter dans
aucun acte d'acquisition et de disposition Elle en conclut que le
département est responsable des fautes commises dans ce service
(Lyon, 10 juillet 1894, Revue des établissements de bienfaisance,
4894, p. 354). La plupart des auteurs sont dans le même sens. Mais
voir dans notre siens Tissier, Dons et legs, no 155, et Hauriou,
p. 485.
(2) En se sens, Tissier, n^ 144, et Ducrocq. n^ 1552. Mais voir
en sens contraire la solution de l'Administration de l'enregistre-
ment du 45 avril 1865.
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368 CHAPITRE ni
TEtat, du département ou de la commune ; ces collectî-
vilés, en effet, ne se chargent point directement de ser-
vices ayant un caractère confessionnel ; elles n'accepte-
ront donc pas, avec charge d'affectation, les libéralités
qui seraient adressées à des établissements ecclésias-
tiques non reconnus, et ces libéralités deviendront pure-
ment et simplement caduques. La question de person-
nalité présente donc ici un intérêt tout particulier. Elle
n'est pas douteuse pour la plupart des établissements
publics de cet ordre : fabriques, menses curiales et épis-
copales, chapitres, séminaires, consistoires protestants
et israélites. Mais elle a été très vivement discutée en ce
qui concerne les diocèses. On sait que le Conseil d'Etat,
après avoir admis en pratique leur personnalité jusqu'en
1840, Ta niée de 1840 à 1874, Ta admise à nouveau de
1874 à 1880 (1), enfin est revenu, à cette dernière date,
à sa jurisprudence négative (2). Nous ne voulons pas
entrer dans les détails de la question. Ce que nous
voulons faire remarquer, c'est qu'il suffit, pour la
résoudre par l'affirmative, de démontrer que les dio-
cèses peuvent faire un acte quelconque de la vie civile,
par exemple peuvent accepter des dons et legs. Ici en
effets si cette faculté existe, elle n'est point équivoque,
comme pour les établissements précédents ; il est cer-
tain que s'ils peuvent acquérir, c'est en leur nom, et non
pas au nom d'un tiers. x\ussi serions-nous disposé à
admettre comme fondée la jurisprudence de 1874, en
nous basant principalement sur l'article 73 de la loi du
18 germinal an X, qui permet à l'évêque d'accepter les
(1) Avis du 13 mai 1874. D. 75. 3.86.
(2) Avis du 6 avril 1880. D. 80. 3. 65.
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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC 369
fondations ayant pour objet Tentretien des ministres et
le service du culte. On n'a pu enlever à ce texte sa valeur
qu'en le considérant comme créant une organisation
provisoire, qui est devenue inutile par l'organisation
postérieure des autres personnes ecclésiastiques : men-
ses, fabriques, séminaires, chapitres. Mais la vérité est
que l'existence de ces derniers établissements ne rend
nullement inutile la personnalité du diocèse, car ce der-
nier représente des intérêts collectifs tout différents, ceux
du groupe de fidèles de la circonscription tout entière.
L'avis du Conseil d'Etat du 13 mai 1874 n'a pas eu de
peine à démontrer que le diocèse, considéré comme per-
sonne morale, pouvait avoir un rôle utile à jouer à côté
des autres établissements ecclésiastiques; et cela suffit
pour qu'on ne puisse considérer Torganisation de ces
établissements comme abrogeant implicitement l'ar-
ticle 73 (1).
134. V. — La situation des établissements publics con-
sacrés au culte nous parait nécessiter, à un autre point
de vue, quelques explications complémentaires. Le
principe de la liberté de conscience, qui est l'une des
bases de notre droit moderne, exige que l'Etat recon-
naisse aux Eglises non seulement le droit d'exister,
mais aussi le droit de posséder, sous une forme ou sous
une autre, les biens nécessaires à l'exercice du culte.
En fait les procédés employés par l'Etat pour donner
satisfaction à ce besoin peuvent varier à deux points
de vue.
D'une part, il pourra, ou reconnaître la personnalité
({) Voir principalement en ce sens la lettre de Jules Simon au
président du Conseil d'Etat, en date du 27 novembre 1872, rapporte»
dans lissier, Dons et legs, n<> 179.
MICHOUD 24
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370 CHAPITRE III
de l'Eglise elle-même, en lui laissant le soin^de répartir
les biens entre les établissements particuliers qui dépen-
dront d'elle, ou au contraire se refuser à reconnaître la
personnalité de TEglise, et se borner à admettre celle
d'établissements spéciaux strictement limités dans leur
mission. La première solution est la iseule sans doute
qui donne entière satisfaction auK besoins des Eglises (1).
La seconde peut cependant en pratique êlre admise par
les Eglises elles-mêmes comme équivalente, à condition*
qu'elle ne soit point appliquée dans un esprit de tracas-
serie ou de persécution, et que l'ensemble de la législa-
tion permette de créer toules les personnes morales
nécessaires aux besoins réels de l'Eglise. On sait que
notre législation admet seulement, au point de vue de
la capacité civile en droit interne, cette seconde solution ..
Elle admet la personnalité juridique des fabriques^
menses, séminaires, consistoires, etc,, non celle de
TEglise catholique ou de Tune quelconque des Eglises
dissidentes. On doit cependant considérer l'Eglise catho-
lique comme ayant une personnalité de droit public^
reconnue pas l'Etat lui-même au moment du Concordat,
et manifestée par les relations, tout à fait analogues
à des relations internaticmales, que le gouvernement
•français a entretenues avec le Saint-Siège jusqu'à une
époque toute récente. La rupture des relations diploma-
(1) L*Eglise catholique a toujours affirmé qu'elle était une société
parfaite, ayant par elle-même le droit de posséder; et le Syllabus
a condamné, sous le no 26, la proposition : Ecclesia non habet
nativum ac legitimum jus acquirendi ac possidendi. Mais il est
évident qu'en pratique cette capacité naturelle de l'Eglise estjComme-
celle de l'homme lui-même, subordonnée dans son exercice à la
reconnaissance par l'Etat. V. Meurer, Der Begriff und Eigen-
thûmer der heiligen Sachen., t. I, p. 125 et s.
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f
r
LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC 371
tiques qui existe à Theure ou nous écrivons, ne peut pas
plus être considérée comme ayant supprimé cette per-
sonnalité de droit public, que la rupture des relations
diplomatiques avec un Etat n'entraînerait la ndgation de
la personnalité intjBrnationale de cet Etat. La recon-
naissance de cette personnalité de droit public n'en-
traîne pas nécessairement dans le droit interne la
reconnaissance de la personnalité de droit privé (1),
puisque celte personnalité est suppléée par celle des
établissements ecclésiastiques particuliers. Nous croyons
cependant qu'elle entraîne nécessairement, pour le
Saint-Siège, possibilité d'acquérir et de posséder en
France pour les besoins de sa personnalité diplomatique,
car ces besoins ne sont desservis par aucun des établis-
sements particuliers reconnus par noire loi, et les textes
qui instituent ces établissements particuliers, n'ayant
visé que l'organisation interne de TEglise de France, ne
doivent pas être considérés comme ayant exclu la per-
sonnalité diplomatique du Saint-Siège et ses conséquen-
ces (2).
D'autre part, l'Etat peut prendre vis-à-vis des Eglises
des situations diverses qui vont depuis la séparation
absolue, jusqu'à l'union intime et même jusqu'à la con-
(i) Cpr. Hinschias, dans r^anc/ôzicAdeMarquardsen, 1. 1. Staat
und Kirche, p. 258. Il coDsidère que, lorsque TEtal reconnaît une
église à titre de personnalité de droit public, la capacité de posséder
en dérive pour l'Eglise naturellement^ mais non essentiellement ^
cette capacité pouvant être en fait remplacée par celle des établis-
sements particuliers.
(2) V. pour le détail de la question notre article sur la Capacité
en France des personnes morales éti^angères et en particulier du
St-Siège, Dans la Revue généi^ale de Droit intern. public, t. I,
(1894) p. 193 et s., notamment p. 217 et s.
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372 CHAPITRE 111
fusion des deux pouvoirs; et c*est suivant la situation
qu'il aura adoptée à ce point de vue que devra ^être
tranchée la question de savoir si les Eglises (ou les éta-
blissements ecclésiastiques qui en tiennent lieu) doivent
être considérées comme des personnes morales de droit
public ou comme des personnes morales de droit privé.
Le premier de ces deux points de vue sera adopté par-
tout où Ton considérera les services du culte comme
de véritables services publics, à raison soit de la confu-
sion du pouvoir civil et du pouvoir spirituel entre les
mains de TEtat, soit de Tintérêt que TEtat attache au
développement de Tidée religieuse. Jusqu'ici c^est le
système suivi en France, où les établissements du culte
sont certainement considérés comme des établissements
publics et à ce titre participent aux faveurs et aux ser-
vitudes attachées à la qualité de service public. C'est
d'ailleurs le système suivi encore à l'heure actuelle dans
presque tous les pays. Au contraire le régime de la
séparation absolue, tel qu'il est projeté dans la loi en
discussion au moment où nous écrivons, entraîne comme
corollaire la classification des personnes morales repré-
sentant les églises parmi les personnes morales de pur
droit privé.
Quel que soit le système adopté, on doit dire d'ail-
leilrs que les droits appartenant aux personnes morales
qui représentent les Eglises sont bien des droits vérita-
bles. La personnalité en effet correspond ici incontes-
tablement à un groupement distinct de la collectivité
nationale ou des collectivités locales, le groupement des
personnes appartenant, dans la France entière, ou dans
une circonscription territoriale inférieure, à une confes-
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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC 373
sioii religieuse (1). L'Etat n'est pas plus le propriétaire
de ces biens que des biens affectés aux indigents, et ses
droits à leur égard sont même moindres qu'à l'égard des
biens des pauvres ; car pour ces derniers, ils se trouve
en présence de fondations, dont il est parfois lui-même
Tauteur, et dont, dans le cas contraire, le fondateur a
disparu ; pour les biens des Eglises, au contraire il se
trouve en présence de véritables corporations vivantes
et agissantes. Il peut, vis-à-vis de ces corporations,
adopter des politiques diverses, il ne peut en nier l'exis-
tence, et quand il institue des établissements du culte, il
n'en est pas en réalité lui-même le fondateur, il ne fait
que les reconnaître et les classer parmi les établisse-
ments chargés d'un service public. Mais l'initiative
en cette matière n'est jamais venue de lui, et il ne
peut aucunement prétendre être le véritable proprié-
taire des biens amassés par la corporation dont il a
reconnu Texistence.
(1) Quoi qu*on eo ait pu dire dans la discussion du projet de sépa-
ration, ce groupement était déjà distinct de la collectivité nationale
en 1789 ; car à cette époque déjà il y avait des dissidents en
France. C'est ce que méconnaissait Mirabeau quand il assimilait
les biens du clergé aux biens de la marine ou de Tarmée. (V. A7*~
chives parlementaires, t. X, p. 609), et en concluait que l'Etat
était le véritable propriétaire. Nous nous contenterons ici de cette
brève indication, Texamen des diverses thèses soutenues à propos
du projet de loi sur la séparation de l'Eglise et de l'Etat nous
paraissant mieux placé dans la partie de cet ouvrage où nous trai-
terons de la suppression des personnes morales. V. cep. infrà,
p. 381.
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CHAPITRE IV
LA CHÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVÉ
Sommaire : 135. Position de la question. — 136. Historique du droit
moderne. La législation de l'ancien régime au xviii» siècle; ses idées
directrices. — 137. Point auquel elle aboutit : la personnalité mo-
rale n'est reconnue qu'à l'Etat et aux services publiCfS qu'il tient sous
sa dépendance ; application et conséquences de, cette idée pendant
la période révolutionnaire. — 138. Son application sous le Consu-
lat et l'Empire ; toutes les personnes morales reconnues à cette date
sont de véritables établissements publics. — 139. Origine de la
théorie des établissements d'utilité publique. — 140. Reconnais-
sance, progressivement admise par notre législation, de la personna-
lité morale des groupements privés. — 141. Evolution analogue
dans d'autres pays. — 142. Revue sommaire de législation com-
parée sur la personnalité morale des associations. — 143. Ordre à
suivre dan<ï l'étude de la législation française et place ë. faire à l'étude
des établissements d'utilité publique.
§ 1. Associations soumises au droit commun. — 144. Législation
antérieure à 1901. — 145. Système du projet de loi Waldeck-Rous-
seau. — 146. Système qui a triomphé : petite et grande personna-
lité. — 147. Formation de l'Association. — 148. Formalités à
remplir pour obtenir la petite ou la grande personnalité. — 149.
Situation juridique de l'Association avant qu'elle ait obtenu la
reconnaissance. Sa vie embryonnaire. — 150. Régime des biens
possédés en fait par les associations dépourvues de personnalité.
I 2. Associations soumises à des régies spéciales. — 151. Classifica-
tion. — 152. Congrégations religieuses. Définition et historique. —
153. Situation juridique antérieure k 1901. — 154. Situation juridi-
que d'après la loi du !••■ juillet 1901. — 155. Associations privilé-
giées. Associations syndicales de propriétaires. — 156. Syndicats
professionnels. — 157. Sociétés de secours mutuels. — 158.
Sociétés ou caisses d'assurances mutuelles agricoles.
§ 3. Sociétés. — 159. Sociétés anonymes et sociétés en comman-
dite par actions. — 160 Sociétés d'assurances mutuelles.
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CA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVE 375
§ 4. Fondations, — 160 bis. Notions générales. — 161. La fonda-
tion personne morale ne peut pas, dans notre droit, être constituée
par un acte sui generis. Conséquences de l'application du droit
commun en cette matière. Fondation par le fondateur lui-môme, de
de son vivant. — 162. Fondation à cause de mort. Premier procédé
possible. Don et legs fait à personne physique non obligée de solli-
citer pour l'œuvre entreprise la personnalité morale. — 163. Don
ou legs avec charge èi personne morale préexistante non obligée de
solliciter pour l'œuvre entreprise la personnalité morale. — 164. Don
ou legs à personne physique à charge de solliciter la personnalité
morale. ^ 165. Don ou legs à, personne morale préexistante à
charge de solliciter la personnalité morale. — 166. Reconnaissance
de la fondation comme établissement d'utilité publique.
135. Quand on a passé en revue l'Etat et les services
lies personnalisés, on se trouve en présence de
^groupements très divers, présentant tous ce trait com-
mun, qu^ils ont leur origine dans l'initiative privée :
-associations et fondations d'origine privée poursuivant
un but idéal ou un but économique ; sociétés ayant en
vue un bénéfice à réaliser. La création de ces groupe-
ments soulève deux questions que depuis longtemps on
a pris rhabitude de distinguer : doit-on les considérer
•comme licites ? doit-on leur reconnaître la personna-
lité morale ?
La première question ne rentre pas dans le cadre de
-cet ouvrage, et elle soulève trop de difficultés pour que
nous puissions songer à la traiter incidemment. Mais
nous devons rappeler ici que, dans notre pensée, les
deux questions sont intimement liées Tune à l'autre.
D'après notre théorie le caractère licite du groupement
doit avoir comme conséquence normale la reconnais-
sance de sa personnalité^ toutes les fois qu'il présen-
tera les caractères fondamentaux de la personnalité
juridique, tels que nous avons essayé de les déterminer.
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376 CHAPITRE IV
Le lien entre les deux questions a d'ailleurs longtemps
été présent à la pensée des jurisconsultes; ce n'est
guère que dans notre siècle qu'on en a fait abstraction
d'une manière complète, et qu'on a considéré les deux
questions comme indépendantes. Nous croyons que cela
tient à des circonstances toutes transitoires, et que cet
état du droit (dont notre législation a déjà éommencé à
se dégager) n'est qu'une étape entre le régime de la con-
trainte, qui est celui du passé, et le régime de la liberté
qui, nous Tespérons, sera, dans une large mesure, celui
de l'avenir.
136. Le point de départ de notre droit moderne se
trouve ici dans les textes de Tancien régime prohibant
les associations qui se formeraient sans autorisation
du roi. Cette prohibition, déjà formulée par les juris-
consultes du xvi^ siècle (i), reproduite par ceux du
xviie et du xvni® (2), se trouve d'ailleurs expressément
écrite dans plusieurs textes, notamment dans la Décla-
ration du 7 juin 1659 et TEdit de décembre 1666 (3).
Ces deux textes ne s'appliquent qu'aux établissements
(1) Loisel, Institutes coutumières y t. I, n^ 400. « L'on ne se peut
assembler pour faire corps de communauté sans congé et lettres du
roi ».
Sur tous les développements qui suivent, cpr. l'intéressante
thèse de M. Avril. Les origines de la distinction des établisse^
ments publics et des établissements d* utilité publique (1900).
(2) Le Bret, Traité de la souveraineté du roy (1689). L. 1,
ch. XV. « Puisque le roy est à la république ce que l'âme est au
corps, est-il pas juste qu'il ne se fasse rien de public dans son Etat
sans sa permission ? C'est pourquoi l'on a toujours tenu pour
maxime qu'on ne pouvait établir aucune congrégation ni collège,
soit pour la religion, soit pour la police, sans le congé du
prince... ». Domat, Droit public, 1. ï, t. II, sect. Il, n» i4.
(3) V*> Tissier, Traité des dons et legs, n» 6 .
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lA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIt PRIVE 377
fondés par le clergé, mais c'est uniquement, comme le
fait remarquer M. Tissier, parce que les établisse-
ments civils pouvaient alors être considérés comme
quantité négligeable, et on ne doit point en conclure que
ces derniers aient pu se former librement. A cette épo-
que déjà, on trouve, dans certains auteurs, au moins le
germe d'une distinction entre le droit de s'associer (tout
au moins de s assembler)^ et celui de former corps et
communauté, c'est-à-dire de constituer une personne
morale (1), et il a certainement existé en fait des asso-
ciations tolérées auxquelles cette qualité n'était pas
reconnue (2). Mais il ne semble pas que cette distinction
ait joué un rôle important. En fait on ne distinguait pas
deux degrés A' autorisation, et les lettres patentes ne
(l) Denisart, v» Assemblées illicites : a Si les assemblées que
Ton fait n*ont pas seulement pour but de traiter une affaire com-
mune à ceux qui se réunissent, mais de former entre différents
particuliers une association, elles sont contraires au bon ordre à
moins qu'elles ne soient légalement autorisées ». Encyclopédie.. V*
Corps et communautés : « On ne peut faire aucune assemblée sans
permission du prince, et ceux-mêmes auxquels on permet de
s'assembler ne forment pas tous un corps ou communauté ». V.
aussi Domat» Droit public^ 1. I, t. II, section II, no 14 et 15.
(â) Tocqueville, Ancien régime et Révolution, ch. VIII, p. 119,
cite une lettre d'un intendant oâ il est question d'une confrérie de
nobles, qui n'e&t point patentée, mais seulement tolérée, La ques-
tion de savoir si nos anciens auteurs considéraient la personniflca-
tion comme un attribut distinct du droit d'association a été beau-
coup discutée. Il nous parait inutile de la reprendre ici en détail.
Kl le offre évidemment une faible importance sous les régimes qui
n'admettent pas la liberté d'association. V. sur la question:
Baudry-Lacantinerie et Houques Fourcade. Droit civil. Traité
des personnes, t. I, p. 205. Viollet. Précis de V histoire du droit
frauqais, p. 647. Saleilles. Annales du droit commercial 1895,
p. 76 et s. Vaulhier. Des personnes morales, p. 286 et s. Capi-
tant. Introduction à V étude du droit civil, 2" édition p. 156,157.
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378 CHAPITRE IV
•conféraient pas le droit de s'associer, sans conférer, en
même temps le droit de former corps et communauté.
La tendance naturelle do TEtat^ quand il se trouve
armé du droit d'autoriser les groupements, est de dis-
penser cette autorisation d'une main avare. Il s'agit
tout d^abord, quand on pose le principe, de protéger
l'Etat contre les groupements dangereux pour son auto-
rité. Mais on arrive bien vite à considérer tout groupe-
ment comme dangereux, et à voir dans l'autorisation
une faveur exceptionnelle. On exige alors que le groupe
qui la sollicite soit quelque chose de plus qu'une asso-
ciation librement formée en vue d'un but /zaV^ ; on lui
'demande de justifier que ce but est utile à rintérêt
général^ et par là l'autorisation se transforme en une
reconnaissance cTiUilité publique. Cette idée, déjà indi-
quée dans le préambule célèbre de l'Edil d'août 1749,
est exprimée, au xviu® siècle, par beaucoup de juris-
consultes : « Leur usage, dit par exemple VEncyclo-
pédie en parlant des communautés (1), est de pourvoir
par le concours et le secours de plusieurs personnes à
quelque bien utile au public, quoi qu'elles soient aussi
établies pour le bien commun de ceux qui en sont
membres. Aussi la première règle de Tordre de leur
police est qu'elles procurent quelque avantage et quel-
que utilité à tEtat qui les établit, et qu'elles ne le
soient que par Tordre ou la permission du prince » ; et
(1) Encyclopédie- Partie juridique. Vo Communautés, t. III,
p. 40. V. déjà Domit, op. et loc, cit. «... celles mômes (les assem-
blées de plusieurs personnes en un corps) qui n'ont pour fin que
■de justes causes, ne peuvent se former sans une expresse approba-
tion du Souverain, sur la connaissance de rutiliié qui peut s'y
trouver ».
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tA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVÉ 379^
Denîsart exprime la même idée quand il dit : « L'utilité
publique a formé des corps et établissements civils »,
^t ailleurs : « Les établissements publics, soit civils,
soit ecclésiastiques, ayant pour objet Tutjlité publique,
ne peuvent se former qu'avec Tautorisalion de la puis-
sance publique » (1).
137. Le mouvement philosophique du xviti^ siècle,
loin de contrarier cette tendance, ne fait que l'accentuer.
La plupart des écrivains, sous Tinfluence d'idées diver-
ses, se méfient des corps particuliers qui peuvent se
former dans TEtat : les uns invoquent les abus qu^ils
ont produits, et les dangers politiques ou économiques
qu'une mainmorte puissante peut faire courir à l'Etat (2) ;
d'autres redoutent que ces corps particuliers ne contra-
rient leurs vues de réforme (3); d'autres enfin, théori-
ciens de la souveraineté, cherchent à assurer l'omnipo-
tence de la volonté générale, et se refusent à souffrir des
intermédiaires entre elle et le citoyen (4). A ces idées
(1) Deoisart, y^ Gens de mainmorte, et vo Etablissements
publics,
(2) P. ex. Montesquieu, Esprit des lois, 1. XXV, ch. V. « Ces
acquisitions sans fin paraissent au peuple si déraisonnables, que
celui qui voudrait parler pour elles serait regardé comme un imbé-
«cile ». Montesquieu insiste principalement sur le danger de l'accu-
mulation des biens aux mains du clergé. Cpr. dans le même ordre
d'idées, le préambule de l'Edit d'août 1749, et l'article de Turgot
sur les Fondations, dans Y Encyclopédie,
(3) On sait que c'est là l'état d'esprit des physiocrates.
(4) Rousseau, Contrat social, 1. II, ch. IV. « Il importe donc,
pour avoir bien l'énoncé de la volonté générale, qu'il n'y ait pas
de société partielle dans l'Etat, et que chaque citoyen n'opine
que d'après lui ». La pensée de Rousseau sur ce point est devenue,
un des dogmes fondamentaux du catéchisme révolutionnaire. V.
le discours de Mirabeau du 2 novembre 1789 : « Des sociétés parti-
culières placées dans la société générale rompent l'unité de ses
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380 CHAPITRE IV
d'origine si diverse vient d'ailleurs s'ajouter le sentiment
d'hostilité contre le clergé qui se fait jour dans la partie
la plus bruyante de l'opinion, et qui concourt au même
résultat, la plupart des corps existants étant des corps
ecclésiastiques. En suivant ce mouvement, on arrive à
restreindre encore la formule juridique de TEncyclopé-
die. De la notion à' utilité publique ^ on aboutit à celle de
service public. On admet que tout objet d'utilité publi-
que rentre dans les attributions de l'Etat ; car c'est à
l'Etat qu'appartient le monopole de bien public, c'est
lui qui est le représentant universel et exclusif de l'in-
térêt général. Dès lors l'établissement qu'il autorise en
vue de l'utilité publique n'est que son auxiliaire ; il
n'est qu'un service public doué de personnalité, ou,
pour employer la terminologie actuellement en usage
un établissement public. Et de cette notion en décou-
lent bien d'autres : non seulement elle justifie l'ingé-
rence la plus étroite de l'Etat dans l'administration
intérieure de l'établissement autorisé, mais encore elle
lui permet de reprendre, quand il le jugera opportun,
la gestion directe du service, en faisant disparaître l'éta-
blissement et en s'emparant de ses biens ; car tout cela
est sa chose, et ce n'est que par tolérance qu'il l'a laissé
entre les mains d'un corps distinct du corps général de
la Nation. On trouve cette idée nettement exprimée dans
la célèbre discussion sur la sécularisation des biens du
principes et l'équilibre de ses forces » ; V. aussi le décret du
7 août 1792, relatif à la suppression des congrégations séculières
et des confréries : a L'Assemblée nationale, considérant qu'un
Ëtat vraiment libre ne doit souffrir dans son sein aucune corpora-
tion pas même celles qui, vouées à l'enseignement public, ont
bien mérité de la patrie ». V. au surplus Taine, La Révolution,
I, p. 220 et s.
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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVE 381
clergé, discussion qui marque le triomphe suprême de
toutes les théories et de toutes les tendances que nous
venons d'indiquer : « Les fondations sont dans les mains
dix clergé un dépôê pour un service public, dit par
exemple Barnave (1) ; si c'est à la Nation à soulager les
pauvres, à payer le service public, il est certain que les
biens donnés à la charge de la Nation ne sont qu'un
•dépôt dans les mains des officiers chargés de ce service
public. Le clergé existe par la Nation ; la Nation pour-
rait le détruire ; il résulte évidemment de ce principe
que la Nation peut retirer des mains du clergé des biens
^ui n'ont été affectés et donnés que pour elle ». Et c'est
<5ette même idée qui est formulée dans le titre I de la
Constitution de 1791, en ces termes : « Les biens desti-
nés aux dépenses du culte et à tous services d'utilité
publique appartiennent à la Nation et sont dans tous les
temps à sa disposition ».
Sans doute, dans la discussion même que nous venons
-de citer, celte idée est loin d'être mise en avant par tous
les orateurs. La plupart, sans exprimer aussi nettement
que l'Etat est le propriétaire réel des biens du clergé, se
^contentent de justifier la mesure proposée par Tidée de
personnalité fictive^ personnalité que l'Etat concède et
(1) Le 13 octobre 4789, Annales parlementaires, t. IX, p. 4:23.
La thèse ici soutenue par Barnave est au fond celle de tous les
auteurs qui voient dans les fondations de simples masses de biens
appartenant aux groupements généraux de l'Etat ou de la com-
mune. V. ci-dessus p. 188, note?. C'est cette thèse qui a été reprise
par les orateurs de la Gauche dans la discussion du projet de loi
sur la séparation de l'Eglise et de l'Etat. V. notamment les discours
de M. Briand en date des 6 avril et 15 mai 1905 ; le rapport de
M. Briand (publié à part sous le titre : la Séparation de l'Eglise et
tle l'Etat, p. 272), V. aussi Grunebaum Ballin. Séparation des
Eglises et de VEtat, p. 63.
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382 CHAPITRE lY
que TElat retire en s'emparaut des biens devenus, dit
fait même de ce retrût, des biens sans maître (1). Mais
il est évident que les deux théories sont loin de s'exclure,
et que la seconde conduit naturellement à la première
(1) C'est ainsi que plusieurs des orateurs justifient le projet de
confiscation. C*est notamment le principe déyeloppë dans le célèbre
discours de Thouret, du 23 octobre ilS9(Ann. ParL, t. IX, p. 485) :
« Il faut distinguer entre les personnes, les individus réels, et les
corps qui, les uns par rapport aux autres, et chacun relativement à
TEtat, forment des personnes morales et fictives. Les individus et
les corps diffèrent essentiellement par la nature de leurs droits, et
par rétendue d'autorité que la loi peut exercer sur ces droits. Les
individus existant indépendamment de la loi, et antérieurement à
elles, ont des droits résultant de leur nature et de leurs facultés^
propres ; droits que la loi n'a pas créés, mais qu*elle a seulement
reconnus, qu'elle protège, et qu'elle ne peut pas plus détruire que-
les individus eux-mêmes. Tel est le droit de propriété relativement
aux particuliers. Les corps, au contraire n'existent que par la loi ;,.
par cette raison, elle a sur tout ce qui les concerne, et jusque sur
leur existence même, une autorité illimitée. Les corps n'ont aucuns
droits réels par leur nature, puisqu'ils n'ont pas même de nature
propre. Ils ne sont qu'une fiction^ qu^une conception abstraite de
la loi, qui peut les faire comme il lui plaît, et qui, après les avoir
faits, peut les modifier à son gré. Ainsi la loi, après avoir créé les-
corps, peut les supprimer, et il y en a cent exemples... Le droit
que l'Etat a de porter cette décision sur tous les corps qu'il a admis
dans son sein n'est pas douteux, puisqu'il a dans tous les temps et
sous tous les rapports, une puissance absolue, non seulement sur
leur mode d'exister, mais encore* sur leur existence. La même rai-
son qui fait que la suppression d'un corps n'est pas un homicide^
fait que la révocation de la faculté accordée aux corps de posséder
des fonds de terre ne sera pas une spoliation. Il ne reste donc
qu'à examiner s'il est bon de décréter que tous les corps de
mainmorte, sans distinction, ne seront plus à l'avenir capables de
posséder des propriétés foncières ». On trouverait difficilement,
même dans les jurisconsultes de notre siècle, un exposé plus pré-
cis du système de la fiction. Même thèse dan^ le discours tenu le
même jour par Treilhard (eod. loc, p. 491), et dans celui de Durand
de Maillane {eod, loc, p. 497).
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LA CREATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVÉ 38^
tous ceux qui^ derrière la fiction, cherchent à voir la
réalité, et qui sont d'ailleurs imbus des idées générales
rappelées plus haut. Avec Tune ou Tautre de ces
théories, d'ailleurs, il n'est pas une personne morale
qui puisse se prévaloir d'un droit vis-à-vis de l'Etal;
leur existence ou leur suppression n'est jamais pour ce
dernier qu'une question de politique ou d'opportunité.
On sait dans quel sens les assemblées révolutionnai-
res ont tranché cette question, et comment elles ont fait
disparaître successivement la personnalité de toutes les
corporations et de tous les établissements existant sous
l'ancien régime (1). Dès cette époque on voit commen-
cer à se réaliser une idée qui n'a pris que plus tard sa
forme systématique^ celle que le droit de former une
personne morale, ou un corps, comme on disait alors,
est quelque chose de tout à fait distinct du droit d'asso-
ciation. Car, à l'époque même où l'Assemblée consti-
tuante procède à cette hécatombe, elle admet en principe
que les citoyens jouissent du droit de s'associer (2), et
(i) Les principaux textes sont : le décret des 2-4 novembre 1789,
mettant les biens ecclésiastiques à la disposition de la Nation ; le
décret des 14 17 juin 1791, relatif aux Assemblées d'ouvriers et
artisans de même état et profession : « L'anéantissement de toutes
les espèces de corporations des citoyens du môme état et profes-
sion étant une des bases fondamentales de la constitution fran-
çaise, il est défendu de les rétablir de fait, sous quelque prétexte et
quelque forme que ce soit (art. li » ; le décret des !27 septembre*
16 octobre 1791 portant suppression de toutes les Chambres de
commerce existant dans le royaume ; le décret du 4 août 1792
supprimant les congrégations religieuses; le décret du 7 août 1792,
supprimant les congrégations séculières et les confréries (dont nous
avons cité plus haut une partie du préambule); la loi du 23 messi-
dor an II (11 juillet 1794), sur la réunion de Tactif et passif des
hôpitaux, maisoqs de secours, de pauvres, etc., au domaine national.
(2) Décret des 21 octobre! 9 novembre 1790, relatif au droit de^
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384 CHAPITUB IV
isi cette liberté se réduit en pratique à u'être que la
liberté des clubs ou sociétés politiques, c'est qu'alors la
politique absorbe presque toutes les forces sociales, et
que d'ailleurs la lutte entamée contre les anciens corps et
les efforts faits pour les empêcher de renaître ne permet-
tent guère aîix citoyens de s'unir pour d'autres objets.
138. Quoi qu'il en soit, du reste, l'idée que la personna-
lité morale ne peut exister qu'en vue de l'utilité publique
reste ancrée dans les esprits; et lorsque, quelques années
plus tard, nous voyons quelques-uns des anciens corps
revenir à la vie, ce n'est nullement par respect pour le
iibre jeu de l'activité humaine, mais toujours dans un
but d'utilité publique. On s'est aperçu, dans le domaine
<le l'assistance publique tout d'abord, du danger qu'il y
avait pour l'Etat à s'emparer lui-même de tous les ser-
vices, et on a reconstitué des corps chargés de représenter
les malades et les pauvres (i). Puis, dans le domaine
religieux on s'est aperçu que le rétablissement de la
religion catholique, considérée, elle aussi, comme une
institution d'utilité publique, n'allait pas sans une cer-
former des sociétés libres i « L'Assemblée nationale, après avoir
entendu son comité des rapports, déclare que les citoyens ont le
droit de s'assembler paisiblement et de former entre eux des
sociétés libres, à la charge d'observer les lois qui régissent tous les
citoyens ». Les excès des clubs flrent introduire dans la suite cer-
taines limitations aux principes : décret des 29-30 septembre,
9 octobre 1791 ; décret des 19-22 juillet 1791, art. 14.
(1) Pour les hôpitaux, v. 1. du 16 vendémiaire an V, et 1. du
19 pluviôse an V ; pour les bureaux de bienfaisance, 1. du 7 fri-
maire an V. V. aussi l'ouvrage de M. Lallemand, La Révolution et
les pauvres. Pour les hospices et hôpitaux, l'Etat a opéré par voie
de restitution, en sorte que ia mainmise nationale a été rétroacti-
vement effacée, sauf toutefois le maintien des actes faits à Tégard
des tiers pendant la période intérimaire. V. sur ce point Dufour,
Droit administratifs t. VI, n© 452.
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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVE 385
laine liberté accordée aux fondations religieuses et on
les a permises en les soumettant d'ailleurs à des condi-
tions sévères (1). On a même, toujours dans un but d'u-
tilité publique, rétabli certaines congrégations, mais en
prenant soin de les soumettre à des patronages officiels
et de les englober, autant que possible, dans l'Adminis-
tration {2)..0n a enfin, quand on a voulu reconstituer
rinstruction publique à tous ses degrés, érigé en corpo-
ration rUniversitéde France, parce qu'on considérait ce
procédé comme le plus propre à atteindre le but d'inté-
rêt général qu'on se proposait (3).
Dans toutes ces créations de Tépoque impériale, non
seulement Tidée d'utilité publique est prédominante,
mais encore elle continue à n'être^ point distinguée de
(1) Art. 15 du Concordat ; loi du 18 germinal an X, art. 73 i
arrêté du 7 thermidor an XI ; décret du 30 décembre 1809 ; décret
du 6 novembre 1813.
(2) V. notamment le décret du 18 février 1809, qui, en rétablis-
sant les congrégations hospitalières de femmes les soumet à toute
une réglementation, et les place sous la protection de Madame
« notre chère et honorée mère ». L'art. 2 de ce décret s'exprime
ainsi : « Les statuts de chaque congrégation ou maison séparée,
seront approuvés et insérés au Bulletin des lois^ pour être recon-
nus et avoir la force d'institution publique ». V. aussi le rapport
de Portails du 24 fructidor an XIII : « Un établissement, et surtout
un établissement religieux (Portails vise dans ce passage les asso-
ciations religieuses), doit avoir pour but l'utilité des hommes et
l'avantage de l'Etat autant que celui de la religion ». (Discours,
rapports et trav)aux inédits sur le Concordat de iSOi, p. 530).
(3) Décret du 17 mars 1808, art. 131 et s. En reconstituant l'Uni-
versité, Napoléon a dit lui-même : « je veux une corporation... »,
et a comparé sa création à l'ordre des Jésuites. Mais il voulait des
Jésuites d'Etat, qui fussent sous sa dépendance (V. Taine. Le régime
moderne, t. 2, p. 170). Aux faits cités au texte, on peut ajouter la
création de l'Ordre de la Légion d'honneur, la reconstitution de
rinstitut, et celle des Chambres de commerce.
michoÛd ^ 25
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386 CHIPITRE lY
celle de service public. Oa n'admet point l'existence de-
personnes morales n^ayant pas de caractère administra*
tif. La distinction actuellement existante entre les éia-
hlissements publics et les établissements d utilité publia
que n'existe donc pas encore dans les faits, et il ne faut
pas s'étonner qu'elle ne se trouve pas non plus dans les
textes ni dans les auteurs. Au premier abord le Code-
civil paraît cependant indiquer cette distinction ; car il
emploie le mot établissement d'utilité publique, dans les-
articles 910 et 937, pour formuler des règles qui aujour-
d'hui s'appliquent aux deux catégories d'établissements ;
et le mot établissement public dans les articles 1712^
204S, 2121, 2133, 2227 pour des règles spéciales à la^
catégorie désignée aujourd'hui sous ce nom. Mais il ne
semble pas que cette différence de terminologie ait été-
voulue ; dans la langue des rédacteurs du Code les deux
expressions étaient synonymes, et désignaient .unique-
ment les établissements que nous appelons aujourd'hui
établissements publics^ les seuls qui eussent alors une-
existence réelle (1). Oji peut en dire autant du Code de
procédure (art. 49, 69, 83, 336, 481, 1032), qui emploie-
toujours le mot établissement public. Ce qui est certain,.
en tout cas, c'est que les premiers commentateurs de nos-
Codes n'onl aucunement aperçu la distinction (2), et que-
(i) M. Avril, op. cit., p. 187 et s., a relevé un passage de Treil—
hard (dans la discussion de l'art. 1 du livre 2 du Code civil) affir-
mant que les biens des établissements publics appartiennent à la
Nation ou aux communes. C'est, légèrement modifiée, la thèse que-
nous avons vue soutenir par Barnave à la Constituante.
(2) Les premiers commentateurs du Code ne définissent pas le
mot établissement public, et se bornent à paraphraser les articles-
du Code où ils se trouvent, en citant seulement parfois certains-
établissements comme soumis à ces textes. Mais aucun d'eux ne-
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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVÉ 387
pendant bien longtemps le législateur a employé indiffé-
remment les deux termes sans paraître y attacher d'im-
portance. Si l'article 1®' du Code forestier emploie correc-
tement (au sens actuel) le mot établissement public, nous
trouvons au contraire une désignation inexacte dans la
loi du 20 février 1849 sur la taxe des biens de main-
mortes dans celle du 24 juin 1851 sur les monts-de-
piété, dans le décret du 3 septembre 18S1 sur les cham-
bres de commerces et dans celui du 25 mai 1852 sur les
chambres consultatives d'agriculture.
139. A l'époque où ont été écrits ces derniers textes,
cependant, la théorie de l'établissement d'utilité publique
avait commencé à se former. Elle avait été l'œuvre du
'donne une déflnition générale. La confusion se continue très tard
dans la doctrine, même dans là doctrine administrative. Cormenin
{Droit administratif y 5" éd., 18^0) désigne les hospices et hôpi-
taux tantôt sous le nom A* établissements d'utilité publique, (t. 1,
p. 356), tantôt sons le nom à' établissements publics (t. II,
p. 277). De Gérando (/nsfzÏM^es de droit administratif, ^^ éd. ^
1842) emploie le mot établissement public d*une part pour dési-
gner des services publics non doués de personnalité, d'autre part
pour désigner les congrégations religieuses (t. II, p. 18). Macarel
(Cours de droit administratif, 1844, t. Il, p. 29 et s.) cite pêle-
mêle comme établissements communaux les commissions de
répartition, les commissions administratives d'hospices et hôpi-
taux, les bureaux de bienfaisance, les caisses d'épargne, les
maisons de refuge, etc., sans paraître soupçonner qu'tl j ait inté-
rêt à établir des distinctions d'ordre juridique entre ces diverse»
catégories d'établissements. La distinction n'est pas indiquée par
Foucart {Eléments de droit public et administratif, i843), ni
par Laferrière {Cours de droit public et administratif, 3" éd.,
1844). La confusion est également entière dans l'ancien Réper-
toire de Dalloz. V» Etablissement public (t. XXIII, 1852), et
Privilèges et hypothèques (t. XXXVII, 1858, n» 1086). A cette
dernière date cependant la distinction était déjà admise par une
partie de la doctrine. V. infrà.
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388 CHAPirnE iv
Conseil d'Etat qoi peu à peu s'était décidé à reconnaître
la personnalité morale à un certain nombre d'associa-
tions laïques qu'il était impossible de considérer (à
l'exemple des congrégations religieuses) comme faisant
partie intégrante de l'administration, et qui étaient incon-
testablement de simples associations privées. M. des
Cilleuls a montré (1) que^ pendant la durée de la Res-
tauration, on trouve encore des sociétés de ce genre
qualiFiées établissements publics, mais qu'à partir de la
fin de cette période le mot établissement d'utilité publi-
que devient le terme technique par lequel le Conseil
d'Etat les désigne. La distinction ainsi introduite atten-
dit cependant longtemps avant d'être connue de la juris-
prudence judiciaire. On ne l'y trouve qu'après 18S0,
dans les arrêts par lesquels la Cour de cassation refuse
aux caisses d'épargne l'hypothèque légale de l'arti-
cle 2121 et les déclare soumises aui modes d'exécution
du droit commun (2). C'est à ce moment seulement que
la doctrine se décide à la formuler, et que par là elle
prend enfin sa forme définitive (3). A partir de 1860, elle
(i) Des Cilleuls. Du i^égime des établissements d'utilité
publique, dans Revue générale d^ administration, 1890, t. II,
p. 474. V. aussi Avril. Les origines de la distinction des établis-
sements publics et d'utilité publique^ p. 270 et s.
(-2) Gass. Smaps 1856, D. 56. 1. 121. 8 juillet 1856. D. 56. 1.
278. Deux ans auparavant, la Cour de cassation avait déclaré que
les caisses d'épargne n'étaient pas soumises à autorisation pour
ester en justice (18 mai 1854. D.54. 1. 244) ; mais, dans ses motifs,
elle semblait encore les ranger parmi les établissements publics.
(3) On la trouve formulée très nettement dans un article de
hdimdiChQ, Revue critique, 1861, t. XVIII, p. 385, et dans les Prin*
cipes du droit administratif àe Bouchené-Lefer (1862), p. 25 et s.
A partir de cette date, elle devient courante dans les Traités de
droit administratif et de droit civil. Mais on la trouve déjà aupa-
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LA CREATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVÉ 389
est acceptée de tous, et le législateur lui-même com-
mence à opposer Tune à l'autre les deux catégories
d'établissements (v. la loi du 26 février 1862 sur le Cré-
dit foncier et le décret du 30 juillet 1 863).
Il est remarquable que l'évolution que nous venons
de décrire, évolution ayant comme conséquence de fait
la concession de la personnalité morale à certains grou-
pements privés, voués à des œuvres désintéressées, ne
s'est pas produite en Belgique^ et que les auteurs de ce
pays comme ceux qui chez nous écrivaient vers le milieu
du xix^ siècle, ne connaissent que des établissements
publics, et n'admettent en dehors d'eux d'autre person-
nalité morale que celle des sociétés do gain. M. Vau-
thier (i), parlant de la distinction dont nous venons de
ravant dans quelques auteurs : Batbie. Des personnes administra-
tives (Journal de droit administratif 1854, t. II, p. HO et g.); de
Salverte, Revue critique iSo^ , t. VII. p. 407.
(l) Vautbier, Etudes sur les personnes morales, p. 335, note 1 .
Cp. Giron, Dictionnaire de droit administratif et de droit public
(1895), V. Etablissement public. La distinction est généralement-
critiquée par les auteurs étrangers. Ruffini (danîjes Studii Schup-
fer, p 380, note) lui trouve une grande incertude théorique et peu
d'avantage pratique. Giorgi (t. V, p. 2) critique les termes employés
en faisant observer qu'il ne sont ni clairs, ni également enten-
dus dans les écoles, ni adoptés par aucune loi. 11 est exact que les
termes employés manquent de clarté, et que la confusion .a été
encore augmentée par la tendance des auteurs à considérer les éta-
blissements d'utilité publique comme des personnes morales de
droit public. Mais «ette observation de terminologie ne touche
point la distinction en elle-même ; et au fond Giorgi l'admet en
termes différents* M. Hauriou (Note dans Sirey 1905. 3. 33) s'asso-
cie dans une certaine mesure à ces critiques des auteurs étrangers.
Mais, à le bien lire, il critique plutôt, nous semble-t-il la manière
dont la jurisprudence conçoit la distinction que la distinction elle-
même. — Il faut ajouter que la loi du 4 février 1901 légalise
mieux que par le passé la distinction et que la circulaire du
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390 CHAPITRE IV
parler, s'exprime ainsi : « Cette distinction, à laquelle on
attribue des effets pratiques, est assez ingénieuse, et il
est possible qu'elle finisse par recevoir la consécration
de la loi. Mais il faut avouer aussi qu'elle est relative-
ment neuve, qu'elle semble bien artificielle, et que jus-
qu'à présent la loi, dans une foule de cas, n'en a tenu
aucun compte. Ajoutons enfin qu'elle est inconnue en
Belgique. »
K*en déplaise à Téminent auteur de ces lignes, rien
n'est moins artificiel que cette distinction. £lle est non
seulement naturelle, mais forcée, du moment que Ton
admet que des particuliers peuvent (avec ou sans auto-
risation de l'Etat, cela n*importe pas ici), former entre
eux, dans un but idéal ou désintéressé, des groupements
doués de personnalité morale, qui ne cessent pas d'être
des groupements privés^ et à qui on n'impose pas le
dangereux honneur d'être englobés de force dans TAd-
ministralion publique. La coupure à marquer ici, dans
cette échelle descendante sur laquelle s'étagent toutes
les personnes morales, depuis l'Elat jusqu'aux sociétés
de gain, est une des plus importantes à constater et à
préciser nettement. Elle correspond à la distinction, qui
tient une si grande place dans la doctrine allemande,
entre les personnes morales de droit public et les-per-
sonnes morales de droit privé. Nous avons déjà indiqué,
dans une autre partie de cet ouvrage, la manière dont
elle devait être comprise, et les intérêts pratiques
qu'elle présentait (1).
10 juin 1901 classe expressément comme nous Tavons fait plus
haut (no 83) les établissements d'utilité publique parmi les per-
sonnes morsiles privées (V. le texte dans Revue génér,, d'adm.,
1904, t. Il, p. 465, in fine),
(1) Ci-dessus, n^^ 82 et s.
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^A CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVÉ 391
140. Le processus historique qui a peu à peu conduit
notre législation à reconnaître Texislence de personnes
^norales privées ne s'est pas d'ailleurs arrêté aux établis-
sements d'utilité publique. Ceux-ci, bien qu'ayant ce
caraclère'par leur origine et leur organisation, restent
<îependant soumis à des règles rigoureuses de droit
public, notamment à la nécessité d'une autorisation de
d'Etat pour se constituer, pour se dissoudre et pour
accepter des libéralités. La suite naturelle de l'évolu-
tion devait consister ici à alléger le contrôle de l'Etat
sur ces groupements, et à accentuer leur caractère
Teconnu de groupements privés. Pour cela il fallait
les soustraire au régime du bon plaisir, et substituer
à la nécessité d'une autorisation préalable à leur créa-
tion une réglementation légale déterminant à l'avance
les conditions qu'ils devraient remplir pour être con-
sidérés comme personnes morales (i). Notre loi a
commencé par admettre ce système à Tégard de
certaines associations qui lui paraissaient, ou moins
•<langereuses que d'autres parce qu'elles se rappro-
chaient davantage des sociétés de gain, ou, plus par-
ticulièrement dignes de faveur à raison du but qu'elles
poursuivaient : associations syndicales libres de proprié-
taires (loi du âl juin 1865), syndicats professionnels
-(loi du 25 mars 1884), sociétés de secours mutuels
(loi du 1er avril i 898), sociétés ou caisses d'assurances
(l) La jurisprudence a pris une certaine part à l'évolution, et
-cela de deux manières : 1° en faisant aux associations non person-
nalisées une situation de fait leur f)ermettant de vivre ; 2» en
admettant môme, pour quelques-unes d'entre elles, une sorte de
■demi-personnalité, que l'on avait appelée V individualité juri-
dique. V. ci-dessus, p. 32, note 2.
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392 CHAPITRE IV
mutuelles agricoles (loi du 4 juillet 1900). La loi du
1'*'' juillet 1901 a fait en avant un pas décisif en éten-
dant partiellement le système à toute association licite,
à qui il suffit aujourd'hui de remplir certaines condi-
tions, précisées à l'avance par la loi, pour avoir de
plein droit un certain degré de-personnalité morale. Il y
a là un progrès théorique important, et, on peut l'espé-
rer, un germe fécond pour Tavenir; car c'est l'abandon
du vieux principe étatique de la personnalité créée par
autorisation spéciale de l'Etat. Les restrictions dontlaloi
entoure cette règle nouvelle, l'exception qu'elle y apporte
à l'égard des congrégations religieuses, sont à nos
yeux choses fâcheuses, et pratiquement on peut encore
douter (à tort, d'ailleurs, suivant nous) (1) que le
régime apporté par cette loi soit beaucoup plus favo-
rable aux associations que le régime antérieur; mais
cela n'empêche pas la loi d^ètre l'expression d'une
tendance nouvelle, qui probablement doit aboutir, dans
l'avenir, à un élargissement du nouveau principe ainsi
introduit.
141. Il est remarquable en effet que l'évolution hislo-
rique décrite dans les pages précédentes ne s'est pas
produite en France seulement. On la retrouve, plus ou
moins avancée à l'heure actuelle, dans la plupart des
Etats européens. La doctrine allemande a désigné sous
le nom d'Elat-police (Polizeistaat) l'Etat tel qu'il était
conçu au xviu'^ siècle, et dans la première partie du
XIX' (2). Lé rôle de cet Etat n'est pas seulement de faire
(i) V. sur ce point la controverse soulevée par M. Eugène Ros-
tand dans la Revue politique et parlementaire , 1901, t. XXVIII,
p. 259, et la réponse de M. Trôuillot, eod. l, p. 231.
(2) Sur cette notion du Polizeistaat, v. notamment Otto Mayer,
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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVÉ 393
régner le droit, mais aussi de veiller au développement
moral et lûalériel du peuple confié à ses soins. Il se
considère comme directement chargé du bien public, et,
par une conséquenco naturelle, s*en attribue le mono-
polo ; il admet que lui seul peut sans inconvénient s*en
préoccuper, ou du moins, s'il permet aux particuliers
de le faire, ils ne veut pas qu'ils le fasssent collective-
ment. Il veut èlre le seul groupe organisé ^s'occupant
dintérôt général. De là pour les associations le régime
que nons avons décrit : ou bien elles sont adoptées
par l'Etat, agissant sous sa surveillance ou même sa
directipn; ou bien elles sont vues avec méfiance, et, si
elles ne sont pas interdites, elles sont au moins pri-
vées de personnalité morale et réduites à n'être que des
rapports contractuels entre individus : <* Union contrac-
tuelle d'individus isolés ou portion de l'Etat, tel était le
dilemme auquel les associations de cette époque ne
pouvaient échapper. D'un c6lé, indépendance vis-à-vis
de TEtat, mais négation de toute personnalité juridique ;
de Tautre, personnalité juridique, mais seulement par
l'Etat, pour l'Etat, et sous TEtat » (1).
C'est sur cette idée notamment qu'est construite la
Deuisches Verwaltungsrecht, t. 1, §§ 4. (Trad. fraoç., 1. 1, p. 43
et s.).
(I) Ilosin, Das Recht der ôffentlichen Genossenschaft, p. 30.
Cpr. Gierkc, Genossenschaftsrecht, t. I, p. 641-652. L'Etat ne veut
pas seulement avoir tous les droits auxquels il prétend ; il veut aussi
les avoir seul. Ce n'est pas seulement le droit et le devoir, c'est
aussi le monopole du prince de connaître, d'exécuter et de protéger
ce qu'exige le bien public. Le résultat, c'est un état de droit dans
lequel il n'y a plus que l'Etat d'un côté, et de l'autre des individus,
ou des personnes tolérées par l'citat, parce qu'où bien il les absorbe
cl les dirige, ou bien il les assimile purement et simplement à
l'individu (v. notamment p. 643-645).
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394 CHAPITRE IV
théorie de FAIlgemeines Landrecht de 1794. Elle est
seulement plus libérale que le système français de 1810,
parce qu'elle admet en principe la liberté d'association
(comme l'admettait d'ailleurs en théorie notre législation
révolutionnaire). Mais elle n'admet de personnalité juri-
dique que celle qui est conférée par l'Etat dans un but
utile au bien commun. Le même système se retrouve
dans d'autres lois allemandes de la première moitié du
XIX® siècle, notamment dans la loi badoise du 14 juillet
1807. Mais peu à peu la science abandonne le système
Polizeistaat^ et lui substitue celui du Rechtsstaat ou du
Kulturstaat, Dans ces nouvelles conceptions, TEtat ne
prétend plus au monopole du bien public : toute corpo-
ration n'est donc plus nécessairement une corporation
d'Etat, et au contraire on admet la possibilité d'une vie
corporative libre, se développant en dehors de l'adminis-
tration par l'initiative privée. En d'autres termes, il y a
dès lors des corporations de droit public et des corpora-
tions de droit privé. Le rôle de l'Etat vis-à-vis de ces
dernières change absolument de caractère : il peut sans
doute se méfier encore d'elles, prendre des précautions
contre leur développement ou leur enrichissement exa-
géré ; mais c'est tout ; son rôle reste purement négatif,
défensif ; il ne cherche plus à les absorber et à les diri-
ger, et leur laisse, au moins dans une certaine mesure, la
liberté de se constituer et de se développer par leur
propre impulsion.
142. En parlant de ces idées, l'Etat pourra encore,
pour certains cas, soumettre à autorisation la création
de la personne morale. Mais cela deviendra peu à peu
une exception, motivée toujours par des considérations
spéciales. Au système de l'autorisation préalable se sub-
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tLA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVÉ 395
stituera celui que les Allemands appellent le système
des Normativbestimmtmgeny c'est-à-dire le droit pour
toute association licite d'obtenir la personnalité, en
observant certaines formalités prescrites par la loi, qui
sont surtout des formalités de publicité. En Allemagne,
«comme chez nous, et plus tôt que chez nous, ce système
s'est introduit peu à peu d'abord dans les législations
d'Etat (notamment celles de la Saxe et de la Bavière,
et aussi celle de la Prusse, mais seulement pour certai-
nes catégories d'associations), puis dans la législation
d'Empire où elle forme aujourd'hui, depuis le Code civil
de 1900, le droit commun des associations à but désin-
téressé. Dans le système de ce Code, la personnalité
morale est accordée à toute association licite (le droit de
prononcer sur le caractère licite de Tassocialion étant
laissé aux législations d'Etat), pourvu qu'elle soit imma-
triculée sur leVegistre des associations. L'autorité admi-
nistrative aie droit de s'opposer à son immatriculation
-d'abord lorsque l'association est illicite ou peut être
interdite d'après les règles du droit public, puis lors-
qu'elle poursuit un but politique, social-politique ou
religieux. Le système conserve donc à TEtat un droit de
veto pour certaines catégories d'associations; il consti-
tue cependant un progrès sur le système de l'autorisa-
tion préalable, parce que l'administration n'a, pour exer-
cer son droit de veto, qu'un délai déterminé, et ne peut
empêcher la personnalité de l'association que par un
acte formel (1). Ce régime concernant la personnalité
(i) Pour les détails sur la législation allemande. V. Saleilles
-dans le Bulletin de la Société de légisL comparée, avril-naai 1899,
p. 263 et s., Les personnes juridiques dans le Code civil alle-
mand dans Revue du droit public, t. XVIÏ. V. aussi Gahen
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396 CHAPITRE IV
juridique n'empêche pas d'ailleurs les Etats de rester
libres au sujet de la formation même de Tassociation, et
quelques-uns des petits Etats ont sur ce point des légis-
lations rigoureuses (1). Pourtant le principe général est
que toute association peut se constituer librement : la
question de personnalité morale n'étant pas en cause,
l'autorisation préalable n'est nécessaire que dans les cas
exceptionnels où cela peut paraître exigé par des consi-
dérations de police.
L'Angleterre, où les associations ou fondations non
douées de personnalité abondent, et où le système du
trust fonctionne avec une liberté qui a permis de l'ap-
pliquer même aux plus importantes associations, n'a
pas cependant, à l'heure actuelle, de restrictions arbi-
traires à l'obtention de la personnalité morale. Cette
obtention s'acquiert par un simple dépôt et un enre-
gistrement des statuts pour de nombreuses catégories
d'associations parmi lesquelles figurent, à côté des Trades
Unions, les associations littéraires, scientifiques ou artis-
tiques, les sociétés de bienfaisance, etc. (2). L'enregis-
trement doit être obtenu du Chief Registrar, qui peut le
refuser si la société ne remplit pas les conditions fixées
et Worms, dans les Etudes du Conseil d'Etat sur le droit
d^ association dans les législations étrangères (Paris, Imprimerie
nationale, 1899), p. 29 et s., et p. 75 et s. Parmi les nombreuses
études allemandes : les commentaires de Planck et d'Ëndemann,
Zeller, dans Ârchiv fur ôffentL Recht. 1897, p-, 241 et s., et
Meurer, Die juristischen Personen, 1901. Les dispositions que nous
analysons ici n^ sont d'ailleurs applicables qu'aux associations
« n'ayant pas pour but une entreprise de caractère économique. »
(1) V. Cahen, dans les Etudes du Conseil d'Etat, p. 14 et s.
(2) V. Jean Clos, dans Etudes du Conseil d*Etat, p. 85. Sur le
développement du système du trust, v. l'article déjà cilé, de
M. Maitland, Tîmst and Korporation (dans le GrûnhuVs Zeit-
schrift, t. XXXI, p. 1). .
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LA CRÉATION DBS PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVÉ 397
par la loi ; mais la sociélé a le droit de faire appel de
sa décision devant la Haute Cour d'Angleterre.
La Suisse, comme FAIIemagne, mais avec plus de
libéralisme, applique jusqu'ici à la personnalité civile
des associations le système de la réglementation légale.
D'après le Code fédéral suisse des obligations, les asso-
ciations à but idéal acquièrent la personnalité par leur
inscription sur le registre du commerce, suivie d^une
publication. L'administration n'a pas ici de droit de
veto; et si, comme en 'Allemagne, le système ne s'ap-
plique qu'aux associations licites, celles-ci du moins
peuvent se former beaucoup plus librement que dans les
divers pays allemands ; Tarticle 56 de la Constitution
protège en effet le droit d'association, qui ne comporte
de restrictions qu^à l'égard des congrégations religieu-
ses. L'avant-projet de Code civil reste fidèle à ce système
(art. 61 et s.). Mais quelques cantons, notamment le can-
ton de Zurich (1), sont allés plus loin dans la voie du
libéralisme en adoptant le système de la pleine liberté cor-
porative; c'est-à-dire en admettant la personnalité de
toute association licite qui manifeste d'une manière suf-
fisante la volonté d'exister comme corporation.
En Autriche aussi, où le droit d'association est beau-
coup moins largement reconnu qu'en Suisse, il n'y a pas
d'autorisation spéciale à obtenir pour la personnalité
morale, le | 26 du Code civil considère comme personne
morale toute association permise. Aussi a-t-on pu ran-
ger ce pays parmi ceux qui admettent non pas le sys-
tème de la réglementation légale, mais le système de
pleine liberté corporative. Cela n'empêche pas que les
(1) Art. 16, du Gode civil de Zurich.
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398 CHAPITRE lY
restrictions à la liberté d'association n*y soient assez,
nombreuses {i).
Dans quelques autres pays, où le régime de la recon-
naissance de personnalité par acte spécial du pouvoir est
resté en vigueur, il est arrivé en pratique à dévier : la
reconnaissance n'y représente plus, comme dans notre
législation, une vérilablfe reconnaissance d'utilité publi-
que, ne devant être accordée qu'après une appréciation
plus ou moins arbitraire du but visé par le groupe ; elle
est devenue une simple vérification par l'Ëtat du carac-
tère licite de l'association et de Tobservation par elle des-
formalités légales. C'est ce qui s'est produit en Hollande,
où existe la liberté d'association, et où les associations^
doivent, pour jouir delà personnalité morale, être recon»
nues par une loi ou par un arrêté royal qui approuve leurs
statuts (loi du 22 avril 4835) (2). Dans l'esprit du légis-
lateur, ce texte a été, paraît-il, inspiré par la doctrine
de la fiction (3). Mais le législateur lui-même a inter-
prêté la règle dans un sens libéral en ajoutant que la
reconnaissance ne pourrait être refusée que pour des
motifs tirés de l'intérêt général, et, en dehors des cas ob
le refus a été motivé par l'irrégularité de l'association, il
n'a été fait depuis cinquante ans qu'une seule fois nsd^ge
du droit de refus (4). L'autorisation ainsi comprise est
(1) V. Unger, Œsterr. Privatrecht, 1892, 1. 1, p. 322 et 339.
Gierke, Genossenschafts théorie, p. 83, note 3, et Deutsches Pri-
vatrecht, p. 488, note 29.
(2) Une loi est nécessaire lorsque l'association est faite pour plus
de trente ans ; un arrêté royal suffît dans le cas conti^aire. V. pour
le détail de la législation hollandaise : Biebuyck, Le régime légal
de la personnification civile en Hollande (Biblioth. de l'école
des sciences politiques de l'Université de Louvain, 1905).
(3) Biebuyck, op, cit., p. 22 et 35.
U) Biebuyck, op, ait, y p. 45.
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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVE 399^
bien différente de la reconnaissance d'utililé publique
telle qu'elle est pratiquée chez nous. On peut presque
en dire autant de l'Italie, oti Tarticle 2 du Code civil
n'admet la personnalité que pour les corps moraux léga-
lement reconnus. Le texte a été écrit dans un esprit tout
semblable à celui de notre législation napoléonienne ; le
rapporteur avait exprimé Tidée que la reconnaissance
devait être réservée aux associations répondant à un
besoin social général et permanent (1), ce qui est bien
à peu près ce qu'on exige en France pour une reconnais*
sance d'utilité publique. Mais il semble qué^ dans Tap-
plication, le Conseil d'Etat italien se soit montré plus
large que le Conseil d'Etat français. Il accorde la per-
sonnalité morale sans exiger qu'il existe, à proprement
parler, un but d'utilité publique, par exemple à des-
associations de pur agrément, ou à des associations tout
à fait temporaires; il n'exige pas d'ailleurs que l'associa-
tion ait déjà une certaine durée d'existence et un patri-
moine constitué. La reconnaissance ainsi entendue n'est
plus guère autre chose qu'une constatation par le pou-
voir administratif de la régularité de l'association (2).
Le système de la reconnaissance de personnalité par
l'Etat est au contraire appliqué, dans un esprit plus
rigoureux, par la Belgique, qui admet d'ailleurs très
(1) V. Grunebaum, dans le Recueil du Conseil d'Etat, p. 469.
(2) V. sur ces divers points. Giorgi, La dottrine délie persone
giuridicke, t. VI, p. 494 et s. Fadda et Bensa, sur les Pandçctes
de Windscheid, t. I, p. 791-792. Giorgi, discutant la question de
savoir si la reconnaissance de personnalité ne devrait pas être
réservée au pouvoir législatif, fait observer, avec un peu d'exagé-
ration sans doute, que la multitude des décrets de reconnaissance
est telle, qu'elle suffirait à absorber Tactivité des Chambres pen-
dant toute l'année (T. 1. p. 128, no 754).
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400 CHAPITRE IV
largement la liberté d'association, mais dont les auteurs
sont portés à voir dans la concession de personnalité
civile quelque chose de tout à fait exceptionnel, et à ne
l'accorder qu'aux associations qui sont en quelque
sorte englobées dans Tadministration publique (1). A ce
point de vue, les idées sont restées à pt^u près celles de la
législation napoléonienne, n'admettant d'antres person-
nes morales que les personnes morales administratives.
Mais il faut ajouter que dans ce pays il existe un fort
courant d'opinion pour donner aux associations non
douées de personnalité un régime se rapprochant de
celui de la personnalité proprement dite (2), et que cer-
tains projets de réforme accordent de plein droit aux
associations charitables la personnalité, pourvu qu'elles
remplissent certaines conditions fixées à l'avance par la
loi (3).
D'autres pays, dont les législations sont d'origine
latine, tels que TEspagne et le Portugal (3), ont con-
servé aussi le système de la concession. Il est visible
cependant qu'il perd du terrain, et que les législètlions
(1) V. Vauthier, Etudes sur les personnes morales, p. 335,
note!. Giron, Dictionnaire de droit administratif et de droit
public, 1895, yo Etablissement public. Laurent, Principes de droit
civil, t. 1, DOS 5^88 et s., notamment no 298.
(2) C'est de ce pays qu'est parti, avec M. Van den Heuvel, le
système qui considère la personnalité comme inutile, les associa-
tions ayant par elles-mêmes toute possibilité d'employer à leurs
fins des biens considérés comme restant dans le patrimoine de
leurs membres.
(3) V. sur ces projets, Rivière, dans Réforme sociale du 16 jan-
vier 19ui, p. 165 et s. Van Overbergh, Phase actuelle de la
Réforme de la 6 zen/a z^a/ice (Bruxelle, 1903), p. 101 et s.
(4) Lehr, Droit civil espagnol, 1. 1, n^ 58. Gode civil portugais,
art. 33.
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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVÉ 40t
européennes s'orientent de plus en plus vers un sys-
tème admettant en principe la personnalité pour toutes
les association licites, ou les soumettant seulement pour
Tobtenir à certaines formalités de publicité. Il résulte
du rapide aperçu qui vient d'être donné, que la solu-
tion à admettre sur ]a question de personnalité ne
rétroagit pas nécessairement sur la question de liberté
d'association ; il y a des pays où la liberté d'association
est faible, et cependant la personnalité morale large-
ment accordée aux associations licites ; il y en a
d'autres comme la Belgique où la liberté d'association
est entière, et où le régime de la personnalité civile
reste rigoureux. D'autre part, la solution même de la
question de personnalité n'est pas nécessairement liée à
une vue théorique ; on peut en théorie admettre la doc-
trine de la fiction et cependant juger utile d'acorder en
bloc le bénéfice de cette fiction à toute association ; ou
peut à l'inverse admettre que la personnalité civile n'est,
pour les associations licites, que l'application normale
d'une règle de droit, et cependant consei:ver à l'Etat un
droit de vérification individuelle à Tégard de chaque
association. Tout cela est possible en fait et se trouve
réalisé dans les lois que nous venons de passer en revue*
Mais nous n'en croyons pas moins que ces diverses ques-
tions ont entre elles une corrélation réelle. Les idées
ont leur logique intime ; le système de la fiction peut
être plié à un régime de liberté; mais il est, pour
l'Etat qui veut soumettre les associations à un régime
rigoureux, un auxiliaire précieux ; il lui fournit un pré-
texte spécieux et un peu hypocrite pour empêcher le
développement des associations qu'il redoute. Avec la
théorie de la réalité de la personne morale au contraire,
MIGHOUD 26
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402 CHAPITRE IV
TËlat pourra se montrer rigoureux^ mais il devra dut
moins le faire à découvert et motiver expressément sod
intervention sur des motifs de police. Cela même est ua
progrès dont on ne saurait méconnaître l'importance (1)^
143. Au point où notre législation en est parvenue,
les distinctions à faire en droit positif français parmi les>
personnes morales de droit privé sont les suivantes :
/^ Associations soumises aux règles générales. Ëlles-
se subdivisent en associations simplement déclarées, et
associations reconnues d'utilité publique.
S^ Associations soumises à des règles spéciales, parmi
lesquelles il y a lieu de distinguer, d'une part les congre-
yationSy d'autre part les associations privilégiées.
5' Sociétés.
4^ Fondations reconnues d'utilité publique.
Les trois premières catégories forment le domaine de-
la corporation, qui, ainsi que nous l'avons vu, doit s'op-
poser, en droit privé, à celui de la fondation. Le prin-
cipe qui y domine aujourd'hui est que Tacquisition de la
personnalité s'accomplit sans autorisation spéciale de
Tautorilé publique. Cette autorisation n'est nécessaire,,
en droit commun, que pour compléter la capacité de
personnes morales qui ont pu se constituer d'elles-
mêmes, et le principe contraire ne subsiste que pour
certaines catégories spéciales d'associations. Au con-
traire, dans le domaine de la fondation la personnalité-
morale ne s'acquiert que par une reconnaissance d'uti-
lité publique.
(1) Cpr. les explications données ci-dessus, n® 5, p. i3 et 14.
Dans les développements qui précèdent nous ne nous sommes
occupés, au point de Tue de l'histoire et du droit comparé, que des-
corporations. Pour les fondations, v. infrà, n^ 160 bis.
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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVE 403
On pourrait établir une division différente, en mettant
g. part les établissements d'utilité publique y groupe carac-
térisé par dçux règles importantes, qui lui sont spécia-
les : 1*" ils sont Tobjet d'upe reconnaissance formelle des
pouvoirs publics; 2^ ils sont soumis à la règle des arti-
cles 910 et 937 Code civil sur les dons et legs. Mais cette
classification, serait peu scientifique, étant donné que
les mêmes groupes peuvent, sans perdre leur personna-
lité morale, se trouver soit dans la catégorie des établis-
sements d'utilité publique, soit au dehors. Nous ne
parlerons donc des établissements d'utilité publique qu'à
Toccasion dés groupés qui sont susceptibles d'acquérir
cette qualité. Nous verrons que ces groupes se trouvent,
soit parmi les associations soumises au droit commun,
soit parmi celles qui sont soumises à des règles spé-
ciales, soit enfin parmi les fondations.
§ 1 . — Associations soumises au droit commun
144. Avant la loi du 1®' juillet 1901, une association
à but désintéressé devait, pour être en règle avec la loi
pénale, obtenir une autorisation préfectorale, dès qu'elle
renfermait plus de vingt membres (art. 291 C. P.). Cette
autorisation ne lui conférait pas la personnalité morale,
quelle ne pouvait obtenir que par un décret de recon-
naissance, rendu après examen de la section compé-
tente du Conseil d'Etat (1). Les associations auxquelles
(1) Pendant longtemps ou avait exigé un décret rendu en Assem-
blée générale du Conseil d'Etat ; mais le règlement du 3 avril 1886,
modifiant l'article 7, du règlement du 2 août 1879, ne classait plu*
ces sortes d'affaires parmi celles qui exigeaient l'examen de l'assem-
blée générale. Une jurisprudence, d'ailleurs très contestée, accor-
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404 CHAPITRE IV
étaient accordée celle faveur poursuivaient des objets
très divers, mais que Ton pouvait toujours considérer,
par certains côtés, comme utiles à l'intérêt général (l).
On leur demandait certaines justifications tendant à dé-
montrer, non seulement le but d'utilité publique, mais
encore des moyens d'action suffisants et l'existence de
services déjà rendus (2)* On considérait, en effet, la
reconnaissance (3) « comme donnant, en quoique sorte,
dait une certaine capacité juridique (le droit d'ester en justice et
celui de contracter) à certaines associations ayant un but d'intérêt
général. C'est ce que les arrêts appelaient Y individualité juridi-
que (V. supràj le chapitre sur la Notion de personnalité morale-
p. 32, note 2 ; cpr. Hauriou, 4e éd., p. 118, et Planiol, Droit civilf
4re édit., no» 738 à 745) . D'autre part, M. de Vareilles-Sommières
(Des personnes morales, n^s 406 et s., 1003 et s.), a soutenu que les
associations autorisées par le préfet étaient, sous cette législation^
' de véritables établissements d'utilité publique, doués de personna-
lité morale. Pour la critique de cette opinion qui est restée isolée,
voyez notre compte rendu critique de l'ouvrage de M. de Vareilles-
Sommières, dans Revue du droit public^ 1903, t. XX, p. 353 et s.
(1) Les notes de jurisprudence du Conseil d'Etat les distribuent
en cinq catégories : 1*^ œuvres d'assistance (crèches, dispensaires,
sociétés protectrices de l'enfance, etc.) ; 2<> œuvres d'assistance
mutuelle et de prévoyance (associations d'anciens élèves de lycées,
associations des artistes peintres et sculpteurs, etc.); 3^ œuvres d'en-
couragement au bien (Société générale des prisons, œuvre des libé-
rées de St-Lazare, etc.) ; 4® œuvres de progrès scientifique, artis-
tique ou littéraire (sociétés savantes, sociétés d'amis des arts, etc.) ;
5*^ œuvres d'encouragement aux exercices civils et militaires (club
alpin, sociétés de tir, etc.). Cette énumération n'a d'ailieursjamais
été considérée comme limitative (V. Revue générale d'Administra-
tion, 1893, III, p. 23 et s. et Notes de jurisprudence ^ publiées par
MM. Reynaud et Lagrange, p. 175 et s.)
(2) Sauf dans des cas exceptionnels, on exigeait que l'association
ait déjà fonctionné pendant un certain temps, et parmi les pièces
à produire figuraient les comptes des trois dernières années (V.
même Revue, p. 27-28).
(3) Même Revue, p. 21 (Note du 4 février 1888).
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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVÉ 405
la sanction de TEtat aux travaux de l'association » et
comme « la plus haute récompense de longs et impor-
tants services »• On exigeait d'ailleurs que le but fût
spécial^ et nettement indiqué dans les statuts. Ceux-ci
étaient présentés à l'approbation par l'association "de-
manderesse elle-même, mais le Conseil d'Etat avait
rédigé des statuts-modèles, qui tendaient à introduire
l'uniformité parmi toutes les associations reconnues (1).
Ce système était empreint d'une méfiance excessive
vis-à-vis de l'association, et depuis longtemps tous les
partis étaient d'accord pour en demander la suppres^
sion. Dans les nombreux projets et propositions de loi
qui se sont succédé sur ce point depuis 1870, où
trouve toujours consacrée au moins la suppression de
Farticle 291 du Code pénal. Ils se divisent sur les
précautions à prendre à l'égard des dangers que Ton
peut redouter, soit de la part de l'association considé-
rée en elle-même, à titre d'association de personnes,
soit de la personnalité morale et de la mainmorte. Il
ne saurait être question ici, ni de faire Thistoire détail-
lée de ces divers projets, ni de donner un commentaire
complet de la loi du 1*^^ juillet 1901, à laquelle ils
ont abouti, et qui forme aujourd'hui la règle de la
matière (2). Nous devons nous borner à préciser la
(1) Une première rédaction de ces statuts modèles porte la date
du 22 novembre 1883. Ils ont été remaniés dans la séance du
15 décembre 1893 (V. Revue des Etablissements de bienfaisance y
1895, p. 331).
(2) Parmi les travaux que cette loi a déjà suscités, il faut citer
surtout le commentaire de MM. Trouillot et Chapsal : Du contrat
d* association (Extrait des Lois nouvelles). Il faut y joindre les
explications de M. Hauriou (Droit administratif, 5e éd., p. 105 et
8. celles de MM. Ducrocq et Barrilleau (Cours de Droit adminis-
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406 CHAPITRE IV
manière dont cette loi comprend l'acquisition de la per-^
sonnalité par les associations.
145. Dans le système du projet de loi, tel qu'il avait
été présenté par le Gouvernement (1), on donnait aux
associations la liberté de se former sans autorisation ;
on faisait en conséquence disparaître les dispositions
pénales frappant les associations non autorisées. Mais,
d'une part, on exigeait de toute association une con*
dition de forme : la déclaration. D'autre part, on ne
changeait rien aux principes anciens sur la person-
nalité civile, qu'on continuait à faire dépendre d'une
reconnaissance d^utilité publique prononcée par décret
(art. 11). On consacrait même expressément la théorie
traditionnelle de la fiction, en donnant, dans l'art. 10,
la définition de la personnalité civile (2). Seulement on
tratif, 7e édit., t. VI, nos 2199 et s.), et enfin celles de M. Planiol
(Droit civil, 3" édit., t. I, n<»» 3041 et s.). — Cpr. Grumbach. Les
associations et les cercles depuis la loi de 1901 \ Benoist, Cel-
lier, Vavasseur et Taudière. -SoctVfes et associations (7e éd., 1904);
Pandectes françaises. V. Associations (Appendice au mot Sociétés)^
1902 ; et un certain nombre de thèses de doctorat. V. dans l'ou-
vrage de MM. Trouillot et Ghapsal, p. 23, l'énumération des trente-
trois projets de loi, propositions et rapports, qui se sont succédé
depuis 1871 . ,
(1) V. le texte et l'exposé des motifs du projet dans les Doc.pa7*L
delaCh. Session extraord., 1899, p. 123 (Annexe, n» 1184). Ce
projet reflétait les idées personnelles de M. Waldeck-Rousseau fV.
Hauriou, p. i07, note 1). Le contre-projet Lemire (repoussé par
la Chambre à la séance du 29 janvier 1901) avait ceci de com-
mun avec le projet primitif du Gouvernement, qu'il ne demandait
pas pour les associations déclarées la personnalité morale, mais
seulement le droit de posséder par Tintermédiaire des associés.
Il était directement inspiré par les idées de M. de Vareilles-
Sommières (sans y apporter les mômes restrictions que le projet de
M. Waldeck Rousseau).
(2) Elle était ainsi définie : « la fiction légale en vertu de laquelle
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1LX CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVE 407
tempérait la rigneur de la théorie en permettant aux
associations d'affecter en fait à leur but certains biens
appartenant aux associés. On admettait en effet qu'à
<ôlé de Tassocialion, contrat n'ayant pour objet que
Tunion des personnes, les associés pouvaient former
^ntre eux un second contrat, société ou communauté
de biens, soumis aux mêmes règles que si l'association
n'existait pas (1). Dans ce système, il ne pouvait pas y
avoir, à proprement parler, de patrimoine appartenant
à l'association, mais il pouvait pas y avoir patri-
moine appartenant aux associés et affecté au but
•social. Les biens composant ce patrimoine étaient la pro-
priété indivise des sociétaires (art. 8), et pouvaient être
4'objet de conventions accessoires réglant le mode d'ad-
ministration dans la mesure où le permettait le droit com-
tnun des sociétés ou de l'indivision. On faisait même
à l'association ainsi constituée la faveur (déjà admise
par la jurisprudence antérieure en faveur de certaines
associations) de pouvoir ester en justice par Tintermé-
•diaire de ses directeurs ou administrateurs (art. 5). Mais
pour éviter que celte situation n'aboutît à la constitu-
tion d'une « personnalité civile occulte », on prohibait
-(art. 15) toute clause de réversibilité, et tout pacte ayant
pour objet de perpétuer la propriété de Tassociation
^u d'en opérer la dévolution au profit d'une ou plusieurs
-Ane association est considérée comme constituant une personne
morale distincte de la personne de ses membres, qui lear survit, et
-en qni réside la propriété des biens de Tassociation »•
(1) c Quelque forme qu'elle emprunte, disait Texposé des motifs,
4a possession des biens par les membres d'une association sera
soumise aux mêmes régies, aux mômes lois que si les sociétaires ou
les communistes ne joignaient pas à cette qualité celle de membres
<i*une association » .
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408 CHAPITRE IV
personnes. Les clauses ainsi visées étaient celles qui
antériearement étaient en usage dans un assez grand
nombre d'associations non reconnues, notamment dans
les congrégations religieuses, clauses dont Teffet calculé
est « de perpétuer la détention des biens de l'associa-
tion entre les mains de ses chefs, de faire qu'à aucun
moment cbacun des sociétaires n'ait sur eux un droit
réalisable, qu'il ne puisse sortir de l'association qu'à la
condition d'abandonner ce qu'il y a mis ou ce qu'il y a
gagné »,
Ce système était en somme l'une des traductions
législatives possibles des théories qui essaient de conce-
voir le régime des associations en faisant abstraction de
l'idée de personnalité morale et en ramenant tous les
droits du groupe aux droits individuels de ses mem-
bres (1). Mais il n'admettait ces théories qu'en prenant
une précaution excessive contre l'accumulation des
biens affectés au but social. Il prohibait, en effet, les
(1) Ce système était l'expression des idées personnelles de Wal-
deck-Rousseau, qui se flattait par là de concilier le principe de
liberté d'association avec les précautions nécessaires contre la main-
morte. Il Ta exposé en détail à la séance de la Chambre du 21 jan-
vier 1901. A la séance du 31 janvier, en répondant à M. Paul Beau*?
regard, il résumait ainsi les avantages qu'il croyait apercevoir dans
le système : « grâce à la combinaison législative que nous vous
proposons, le seul fait que des biens sont possédés en commun par
des membres de l'association tombera sous l'application du contrat
de société, si les biens ont été mis en commun dans le but de par-
tager les bénéfices, ou sous la loi de l'indivision, s'il n'y a pas eu
de convention précise. De sorte que par là on évite que, sous la
forme d'une association en apparence désintéressée, il ne se forme...
une mainmorte clandestine résultant du fait lui-même, et de ce
qu'aucun associé ne trouve actuellement dans la législation le
moyen d'affirmer, de revendiquer, et de faire triompher au besoin
sa prétention à une copropriété.
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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVE 40^
clauses de réversibilité et autres clauses analogues, et
par là il condamnait en fait les associations à un état
de précarité perpétuelle, en empêchant ce que M. de
Vareilles-Sommières, appelle le « régime personnifiant )v
Sous une apparence libérale, il conservait en l'aggravant
la traditionnelle méfiance de la mainmorte qui a animé
tous les législateurs depuis le xviiie siècle. Le caractère
artificiel des théories dont il s^agit se montre ici avec
évidence : elles n'empêchent point les biens affectée
au but social (toutes les fois qu'on s'arrange pour
« qu'à aucun moment chacun des sociétaires n'ait sur
eux un droit réalisable »), d'être au fond les biens du
groupe et non les biens des associés. Si on interdit les.
clauses qui ont ce résuUat, on empêche par là les asso-
ciations de vivre; si on ne les interdit pas, on revient,
par un détour, à la personnalité morale, et on est
obligé de prendre contre elle les mêmes précautions que
si on l'admettait directement.
146. Quoi qu'il en soit, ce n'est point là le système-
qui a triomphé. Le projet du Gouvernement a été boule-
versé de fond en comble soit par la commission de là
Chambre des députés, soit par la Chambre elle-même.
Cette dernière a fait disparaître l'obligation imposée à
toute association de se soumettre à la formalité de la
déclaration préalable ; elle a admis que les associations
de personnes pourraient se former librement, et que la
déclaration ne serait nécessaire qu'à celles qui vou-
draient obtenir un commencement de capacité juridi-
que (1). D'autre part (et pour la théorie des personne»
(1) Séance du 4 février 1901. Vote de l'article additionnel proposé
par M. Groussier et plusieurs de ses collègues sous le n*' 1 bis (arti-
cle devenu Tart. 2} : « Les associations de personnes pourront se
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410 CHAPITRE IV
morales c'est là le point intéressant), la commission
elle-même a été d'avis d'accorder directement aux asso-
ciations simplement déclarées une personnalité morale
restreinte, que, dans le langage parlementaire, on a
appelée la petite personnalité^ et qui ressemble (bien que
moins étendue) à celle qui avait déjà été reconnue aux
syndicats professionnels par la loi de 1884. C'est cette
proposition qui a définitivement passé dans la loi, la
Chambre et le Sénat ayanl repoussé les diverses proposi-
tions plus larges qui avaient pour objet de conférer la
personnalité complète à toute association déclarée (I).
Comme conséquence, et sur un amendement de M.Tabbé
Lemire (2), la Chambre à supprimé le paragraphe de
Tarticle 10, qui définissait la personnalité civile et la
considérait comme une fiction légale.
Il en résulte tout d'abord que législateur n'a point
pris parti sur la définition à donner de la personnalité
former librement sans aatorisatioa ni déclaration préalables, mais
elles ne jouiront de la capacité juridique que si elles se sont con-
formées aux dispositions de Tarliclei (auj. art. 5) ». La Chambre
avait voté en outre Famendement Fournière, qui excluait de ce
bénéfice les « associations religieuses ». Mais la commission do
Sénat a fait disparaître cette restriction (Y. la séance du Sénat du
15 juin 1901).
(1) Ces propositions étaient : le contre-projet Gayraud, repoussé
par la Chambre à la séance du 28 janvier 1901 ; le contre-projet
Cunéo d'Ornano, repoussé à la séance du S9 janvier 1901 ; l'amen-
dement Piou, retiré par son auteur à la séance du 5 février 1901 ;,
ramendement Cunéo d'Ornano, repoussé à la même séance ;
Tamendement de Lamarzelle et l'amendement Riou, l'un et l'autre
repoussés par le Sénat à la séance du 17 juin 1901. V. en outre ce
que nous disons plus haut du contre-projet Lemire, qui faisait aussi
aux associations un régime très libéral, mais en partant d'autres
idées théoriques, celles de M. de Vareilles-Sommières.
(2) Séance du 26 février 1901.
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f.A CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVE 411
morale. On ne peut que s'en féliciter, les définitions de
€e genre n'étant point de la compétence du législateur,
ne pouvant en aucune façon lier la doctrine, et pou*
vaut cependant agir sur elle d'une manière fâcheuse*
Mais ce qui est plus important, c'est que le système
qui a définitivement triomphé consacre comme étant le
droit commun^ et non plus comme une exception, l'ac*
quisitîon de plein droit de la personnalité morale par
toute association licite, à condition qu'elle remplisse de
simples formalités de publicité. En d'autres termes, il
substitue en principe le système de la réglementation
légale à celui de l'autorisation préalable. Pratiquement
toutefois, le système admis est encore ,peu libéral,
si on n'admet pas que l'association, à côté du patri-
moine restreint dont elle peut être titulaire, a le droit
de jouir de biens restant dans le patrimoine de ses
membres. C'est un point que nous traiterons plus loin-
147. La première condition que doit remplir une
association pour obtenir la personnalité morale est de se
constituer régulièrement comme association. C'est là le
substratum nécessaire de sa personnalité. La loi nou- •
velle a eu le mérite de combler ici une lacune de notre
législation antérieure en réglementant le contrat d'as-
sociation, dont jusqu'alors aucun texte ne s'était occupé, ,
et sur lequel régnaient les plus grandes incertitudes
doctrinales. Sans entrer dans le détail, nous devons ici,
pour la clarté des idées, indiquer les principales disposi-
tions de la loi sur ce point.
L'association est définie : « la convention par laquelle
deux ou plusieurs personnes mettent en commun d'une
façon permanente leurs connaissances ou leur activité
dans un but autre que de partager des bénéfices ». En*
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Î12 CHAPITRE IV
dehors du caractère noa lucratif du but, qui distingue
Tassocialiou de la société, et sur lequel nous avons déjà
insisté (1), la définition nous révèle deux autres carac*
tères de Tassociation : son caractère contractuel^ c'est-
à-dire le fait que les associés contractent une véritable
obligation de poursuivre le but social sous les condi-
tions fixées dans les statuts ; et son caractère de perma^
nence, c*est-à-dire la nécessité que rassocialion soit
établie soit pour une durée déterminée, soit pour une
durée indéfinie. Ces deux caractères, dont le premier
d'ailleurs entraîne nécessairement le second, différen-
cient Tassociation de la simple réunion. En tant que
contrat, Tassocialion est soumise aux règles générales
des contrats, telles qu'elles sont réglées au «Code civil
(consentement, capacité, objet et cause licites). L'arti-
cle 3 de la loi déclare nulle toute association fondée sur
une cause ou en vue d'un objet illicite, et ajoute, assez
maladroitement d'ailleurs, l'indication de certains buts
considérés comme illicites. Sous cette réserve, l'asso-
ciation est valable par un simple contrat sans être sou-
mise à aucune autorisation ni déclaration préalables (2).
Mais la déclaration, comme nous Tavons dit, est néces-
saire pour obtenir \b, petite personnalité.
148. Les formalités à remplir pour cela par les parties
sont indiquées par Tarticle 5, complété par les articles
d à 7 du décret du 16 août 1901. Nous renvoyons au
texte pour les détails (3). Il nous faut cependant relever
(1) Suprà, n»8 99 et s.
(2) Nous verrons plus loin les conséquences qu'eniraine pour elle
le défaut de personnalité.
(3) V. le commentaire de MM. Trouillot et Chapsal, p. 66 et s. V.
aussi Hauriou, Di^oit administratif, 5e éd., p. dl6. Grumbach, Les
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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVE 413
les points suivanls : la déclaration doit être faite à la
préfecture du département ou à la sous-préfeclure de
Tarrondissement où l'association aura son siège social.
Elle fait connaître le titre et l'objet de l'association, le
siège de ses établissements, et les noms, profession et
domicile, de ceux qui, à un titre quelconque, sont
chargés de son administration ou de sa direction. Deux
exemplaires des statuts doivent y être joints. X*' Admi-
nistration est obligée de délivrer récépissé de la décla-
ration, qui constitue pour l'association la base de sa
personnalité morale ; elle n'a pas à apprécier le carac-
tère licite ou illicite de l'association ; son seul droit, au
cas oîi elle lui semble illicite, est de donner avis au Par-
quet, pour qu'il poursuive, s'il y a lieu (1).
^association est en outre obligée de procéder à une
déclaration nouvelle pour faire connaître, dans les trois
mois, tous les changements survenus dans son adminis-
associations et les cercles depuis la loi du /'t juillet 1901,
ii<>8 31 et s. Benoist, Cellier, Vavasseur et Taudière, Sociétés et
associations, 7e éd., p. 30 et s. Dacrocq et Barrilleau, op. cit,,
n0 2205.
(1) Trouillot et Ghapsal, p. 71-72. Hauriou, p. H6, n^ 14. Ce der-
ïiier auteur se pose la question de savoir quelle est la sanction de
robligalion imposée à l'administration. Nous croyons que la cons-
tatation du refus par acte extra-judiciaire devra être considérée
«omme équivalent à un récépissé, sans qu'il soit besoin de faire
annuler le refus par le Conseil d'Etat (comme impliquant une déci-
sion de rejet d'après la procédure de la loi du 17 juillet 1900). Le
refus n'équivaut pas ici à une décision de rejet, parce que l'adminis-
tration n'a aucune décision à prendre, la délivrance du récépissé
étant pour elle une obligation. Une solution analogue est admise
par la loi elle-même en matière de déclaration de réunion publique
(1. 30 juin 1881, art. 2 § 4), et par la jurisprudence en matière de
déclaration d'ouverture d'école (Cass., 17 janv. 1902. D. 1902.
i. 169).
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414 GHAPITRB IV
tration ou sa direclioa ainsi que ioales les modificalions
apportées à ses statuts (i).
. Ces formalités confèrent à l'association la petite per-
sonnalité de l'article 6 (2). Pour a\'Dir une capacité plus
complète, l'association reste obligée, comme avant 1901,
d'obtenir une reconnaissance d*utilité publique. Les
règles de cette reconnaissance, telles que nous les indi-
quions plus haut, sont d'ailleurs restées en vigueur^
sauf les modifications suivantes :
i^ Le décret de reconnaissance doit être rendu dans
la forme des règlements d'administration publique^
c'est-à-dire après délibération de l'assemblée générale
du Conseil d'Etat (art. 10 de la loi) ;
2® La reconnaissance ne peut être sollicitée que par
les associations qui ont rempli au préalable les forma-
lités imposées aux associations déclarées (art. 8 du
décret 16 août 1901) ;
3® Les formes de la demande et les pièces qui doivent
l'accompagner sont indiquées dans les articles 9 et 10
du décret ; parmi ces pièces figurent les statuts. Le
règlement de 1901 ne rend pas obligatoire pour les
associations l'ensemble des statuts modèles élaborés
par le Conseil d'Etat ; il leur impose cependant, dans
l'article 11, certaines dispositions. En outre, l'article
11 de la loi soumet les associations, même une fois
reconnues, à certaines limitations de capacité, dont nous
parlerons plus loin, et qui se trouvaient jusqu'alors dans
les statuts modèles (interdiction de posséder d'autres
(1) V. pour les détails l'article 3 du décret du 16 août 1901 r
Trouillot et Chapsal, p. 72.
(2) Nous étudierons l'étendue de cette personnalité dans le cha-
pitre consacré à la capacité des associations.
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LA CREATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVÉ ^{^
immeubles que ceux nécessaires au but social ; obliga-
tion déplacer les valeurs mobilières en titres nominatifs);
4^ La demande est adressée au Ministre de rintérieur
seul compétent aujourd'hui pour Tinstruire (i). L'ins-
truction comprend notamment un avis du conseil muni-
cipal de la commune où l'association est établie, et un
rapport du préfet (art. 12 du décret).
149. On a beaucoup discuté, soit en France, soit à
l'étranger, la question de la vie embryonnaire de Tas-
sociation non encore douée de personnalité morale, mais
déjà existante en fait. Cette question présente surtout de
l'importance pratique à l'égard des libéralités qui peu-
vent être adressées à une association avant qu'elle ait
obtenu la reconnaissance. Peut-on considérer ces libé-
ralités comme valables, à condition que la reconnais-
sance intervienne après coup ?
Il n'est pas inutile de résumer l'Etat de notre jurispru-
dence et de notre doctrine sur ce point avant la loi de
1901 . La plupart des aute^urs, partant de la théorie de la
fiction, admettaient la nullité de toute disposition testa-
mentaire qui gratifiai directement ou indirectement un
établissement non encore reconnu lors de la mort du
testateur (2). Quelques-uns ajoutaient cependant que
l'on pouvait indirectement gratifier une association à
naître, sous forme de charge grevant un legs fait à per-
(1) Avant 1901, chaque ministre instruisait les demandes rela-
tives aux associations dont Tobjel rentrait dans son départe-
ment.
(2) Demolombe. t. XVIII, n^s 588 et s. Aubrj et Rau, t. VII,
§ 649, p. 24 et s. De Baulny, Revue critique, 1859, t. 14, p. 247-
248 ; Alfred Gautier, Revue Critique, 1877, t. 43, p. 145. De
Lapradelle, Fondations, p. 103 et s.
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416 CHAPITRE IV
sonne capable (1). Mais c'était une concession peu logi-
4\ue ; car en réalité une charge imposée au profit d'une
personne morale déterminée (née ou à naître) est bien
lin véritable legs. Aussi, quelques auteurs, désireux de
valider les libéralités de ce genre, avaient-ils suivi une
tiutre voie. Ils considéraient le legs comme valable en
assimilant rétablissement déjà existant en fait, mais
non encore reconnu, à l'enfant simplement conçu : « La
situation de l'établissement non reconnu présente, écri-
vait notamment M. Marguerie (2), la plus grande ana-
logie avec celle de l'enfant simplement conçu : oui, son
élévation éventuelle à la vie civile est soumise à bien
des doutes et à bien des incertitudes ; mais l'existence
future de l'enfant simplement conçu n'est-elle pas aussi^
bien précaire et problématique? L'enfant, une fois conçu,
peut recevoir, mais à la condition qu'il naîtra viable ;
d'après nous, l'établissement qni^ pendant sa période de
formation, aura justifié des services qu'il était en état
(1) Aubry et Rau, loc. cit., p. 25, notes 7 et 8. Demolombe, loc,
cit,y D® 590. La Cour de cassation paraissait admettre cette atté-
nuation : Cass. 21 juin 1870, D. 71. 1. 97 (Ville d'Alençon, c.
Société de patronage). On invoque en ce sens l'idée que l'incapa-
cité de Tarticle 906 a uniquement pour but d'éviter toute incerti-
tude sur la dévolution de la propriété, et que, si par un moyen
quelconque on évite cette incertitude, rien ne s'oppose à l'attribu-
tion d'une libéralité à une personne future (V. Fénelon, Thèse, 1902,
p. iOl). Mais c'est restreindre l'article 906 plus que son texte ne le
permet.
(2) Etude sur les libéralités faites aux établissements non recon-
nus, Revue critique, 1878, p. 525. La thèse de M. Marguerie a été
admise par M. Tissier, Dons et legs, no 85. C'était déjà celle de
Troplong, Donations et testaments, II, 612. La doctrine italienne
«st divisée comme la doctrine française. Pour la validité, v. Giorgi,
I, n® 62 et s., Fadda et Bensa, p. 815 ; contre ; Chironi, ht,, I,
§28.
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LA CREATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVE 417
de rendre à la société, des ressources que la confiance
publique lui aura confiées pour le mettre en état d'àc-
com'pJir sa mission, sera réputé viable pour la vie civile,
et il obtiendra la reconnaissance qui lui conférera la
capacité légale exigée par l'article 906 Code civil ». Le
Conseil d'Etat (1), après divers revirements de juris-
prudence, avait fini par admettre cette thèse, au moins
quant au résultat ; car il admettait que le Gouvernement
pouvait, par un seul et même décret, reconnaître un éta-
blissement et l'autoriser à accepter les libéralités qui
lui avaient été adressées à une époque où il n'avait
qu^une existence de fait.
Il semble que cette jurisprudence administrative,
antérieure à 4901, doive aujourd'hui s'appliquer a for^^
tiori à la libéralité qui serait adressée à l'association
simplement déclarée^ c'est-à-dire ayant déjà une cer-
taine personnalité juridique, mais incapable de rece-
voir un don ou un legs. Le Conseil d'Etat n'éprouvera
probablement aucun scrupule à statuer, par un même
décret, sur la libéralité et sur la reconnaissance. Il ne
s'agira plus en effet de valider rétroactivement une libé-
ralité adressée à une personne inexistante^ mais, chose
qui paraît plus facilement admissible, une libéralité
adressée à une personne ea;25/an/e, mfle,9mca/?a6/^. Il est
à croire que toutes les juridictions se rallieront à cette
opinion (2). La question ne continuera à se poser dans
les mêmes termes qu'avant 1901, que pour les associa-
(1) V. les diverses phases de la jurisprudence du Conseil d'Etat
dan^ Tissier, op. cit.^ n^ 86. V. notamment la note de la Section
de rintérieur du 30 juillet 1884, et celle du 29 juin 1892, qui expri-
ment sa dernière jurisprudence antérieure à 1901 •
(2) En ce sens déjà Trouillot et Ghapsal, op. cit.yp. 119.
MICHOUD 27
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418 CHAFITRl IT
lions soumises à des règles spéciales (notamment le^
congrégations religieuses). En outre elle se posera pour
les associations non déclarées, qui pourront se deman-
der si une libéralité à elles adressée se trouverait vali-
dée après coup par une déclaration suivie d'une recon-
naissance comme établissement ^d'utilité publique.
Une solution favorable, analogue à celle que le Con-
seil d'Elat admettait avant 1901, est à nos yeux désira-
ble. Elle est de nature à rendre possibles des libéralités^
à des associations intéressantes^ qui n'avaient point
songé à remplir les formalités nécessaires pour Tobten-
tion de la personnalité morale parce qu'elles n'espéraient
pas de ressources pécuniaires, mais à qui une libéralité
imprévue viendra offrir les moyens de développer leur
champ d'action. Cette solution n'offre d'ailleurs aucut^
danger pour Tintérêt général, puisque Tautorisalion d»
Gouvernement reste toujours réservée. On l'a, il est vrai,
présentée comme dangereuse au point de vue de la sécu-
rité des relations juridiques, en faisant remarquer que la^
période de conception pour l'individu, n*a qu'une durée-
limitée, alors que la vie embryonnaire d'un établisse-
ment non encore reconnu peut se prolonger indéfini-
ment. Mais en fait ce n'est pas là un danger ; car s'il y
a incertitude sur la situation d^ rétablissement ce ne
sera jamais que pendant la période qui sépare la libéra-
lité de la reconnaissance ou du refujs de reconnaissance,
et cette période ne peut être pratiquement bien longue.-
Mais, si l'on se place au point de vue théorique, on
doit reconnaître (\\x^avec le système de lafiction^ la solu-
tion est tout à fait illogique. Dans ce système, en effet,
la personnalité morale est créée par un acte de l'Etat ;
avant cet acte, il n'y a rien^ et Ton se met en contradic-
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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES D^ DROIT PRIVE 41$
tion formelle avec rarticle 906 du Code civil, lorsqu'on
propose de valider après coup une libéralité adressée
au néant {{). Il en est de mêmej d'ailleurs, dans toutes
les théories qui voient dans la personnalité morala quel^
que chose d'artificiel (2). Au contraire, la solution est
admissible pour ceux qui admettent avec nous que l'as-
sociation, même non recoanue, même Don déclarée, est
p€^ elle-ntême un groupemeat q,ui présente les carac^
tères fondamentaux de la personnalité morale, et à qui
il ne manque^ pour pouvoir figurer sur la scène juridi-
que, qu'une condition extérieure et formelle, la recon-
naissance. Dans ce système, il est tout simple d'admettre
que la reconnaissance est déclaralive et non créatrice de
la personnalité morale ; et il n'y a aucune difficulté
logique à la faire rétroagir. En d'autres termes l'asso-
ciation non reconnue n'est pas, avec celte th,éorie, uhe
sQcietas qui se transforme, par le fiât créateur de l'Etat
en corporation ; elle est, dès le moment où elle se
constitue, une corporation à l'état de devenir^ une cor-
poration en voie de formation ; et, ceci étant, il est très'
naturel de valider les libéralités qui lui sont adressées,
(1) Observation qui sufât à. détrake l'analogie avec l'enfant
eo^nçii.
(2) Par exemple dans les théories qui se rattachent à celle dii
Zwechvermogen,
(3) .Et même pendant la période de constitution avant que tontes
les adhésions soient acquises. Il faut dire d'elle ce que M. Thaller
dit de la société par actions en voie de formation (Droit corn-
Mercialfi* éd., n^SOl) : «il suffit que deux souscriptions aient
été recueillies pour qu'on spit autorisé à dire : le noyau d'asso-
ciation est créé... A ces deux personnes s'en adjoindront cent ou
mille autres ; mais c'est la même formation plastique qui se con-
tinue, c'est la même cellule qui s'alimente. »
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420 CHAPITRE IV
à condilîou qu'elles soient régularisées après coup (1).
150. Le régime des associations tel qu'il est établi par
la loi de 1901 est-il vraiment libéral? Comparé au régime
résultant de la législation antérieure il constitue assuré-
ment un progrès notable, puisqu'il permet aux associa-
tions de se constituer librement et même d'acquérir par
une simple condition de forme un certain degré de per-
sonnalité. Mais nous croyons que cette petite personna-
lité^ la seule ouverte à tous, ne suffira pas à donner aux
associations tout le développement auquel elles peuvent
raisonnablement prétendre (2). Aussi la loi, ne sera-
t-elle en pratique vraiment libérale que si on permet
aux associés de mettre en fait certains biens en com-
mun pour les affecter au but social tout iftn restant
eux-mômes propriétaires. Les auteurs de la loi parais-
sent avoir cru que ce patrimoine de fait ne pouvait
se produire. Us ont déclaré tout simplement que les
(1) V. dans Gierke, Genossenschaftstheorie, p. 127 et s., toute
•la théorie de la corporation en voie de formation et notamment la
noie 2 de la p. 129. Nous ne croyons pas devoir entrer dans le
détail de celte théorie, qui ne nous parait présenter pour nous
qu'un faij)lc intérêt pratique. Gierke et la plupart des Allemands
considèrent que Tacte constitutif de la corporation n^est pas un
contrat, mais un acte unilatéral, le premier acte de volonté de la
corporation qui arrive à rexistence. Nous admettrions plus volon-
tiers qu'il s'agit bien d'un contrat, mais d'un contrat sui generis
ayant pour objet la constitution d'une personne morale. A nos
yeux en effet, c'est dans l'accord des volontés des membres du
groupe que la corporation volontaire puise son droit à l'existence,
droit que l'Etat ne fait que confirmer et protéger, e^t qu'il ne
doit restreindre que lorsqu'il y est contraint par des raisons de
police. ~ '
(2) Nous ne pourrons développer cette idée qu'en étudiant dans
le second volume de cet ouvrage la capacité des associations décla-
rées. '
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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DJÏOIT PRIVE 421
associations non déclarées, par cela même qu'elles
n'auraient aucune capacité juridique^ ne pourraient rien
posséder, pas même des cotisations (1) ; et les premiers
commentateurs de la loi, MM. Trouillot et Chapsal(2),
se bornent àreproduire cette affirmation. Ils cherchent à
montrer que Tarticle 1.7 (entraînant nullité des actes
accomplis par personne interposée pour permettre aux
associations de se soustraire aux dispositions de Farti-
cle 2) frappe de nullité tonte combinaison qui tendrait à
éluder la règle du défaut d'individualité juridique des
associations non déclarées. Pour cela ils déclarant cette
sanction applicable non seulement aux-^ctes qui auraient
pour objet de constituer une véritable mainmorte —
par exemple la création d'une société civile ou com-
merciale annexe ayant pour seul rôle de fournir des
ressources à l'association (3) — mais aussi tous les
actes qui auraient pour objet de mettre en fait certains
biens en commun pour les faire servir au but de Tasâo-
ciation. Si cette conception est exacte, il faut aller plus
loin, et en conclure (ce que les auteurs précités ne font
pas expressément, mais ce qui paraît bien être dans
leur pensée), que le fait seul par l'association de possé-
der des ressources de ce genre (ou peut-être même de
(1) V. la réponse (Je M. Vallé, rapporteur de la loi au Sénat, à
M. Rambaud dans la séance du 15 juin 1901.
(2) Op, cit., p. 62 et s. La môme opinion est soutenue par
MM. Ducrocq et Barrilleau, op, cit,y n® 2204, ainsi que dans les
Pandecles françaises, vo Associations, no 176. — MM. Ducrocq et
Barrilleau admettent toutefois que dans Tapplication de cette doc-
trine rigoureuse l'autorité publique devra apporter une certaine
tolérance.
(3) Gomme îe fait observer M. Hauriou (p. 114), on doit admet-
tre que cette combinaison a été condamnée par le rejet du système
Waldeck-Rousseau.
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422 dHAFITRB IV
les prévoir dans ses statuts sans pour cela se soumettre
à la déclaration)^ lui fera encourir la dissolution ea vertu
de Tarticle 7, § 2, et exposera ses directeurs et adminis-
trateni*s aux pénalités de Tariicle 8, § i ; car alors ce
fait, à lui seul, devrait être regardé comme une tentative
pour acquérir la capacité juridique en dehors des condi-
tions fixées par la loi, ce qui est te délit prévu et puni
par ces articles. Même avec ce syslènie, on arriverait
sans doute bien difficilement en pratique à éviter la
constitution d'un patrimoine de fait dans les associations
non déclarées; car il n'est pas une association qui puisse
entièrement se passer de ressources, — ne fût-ce que
pour se procurer le morceau de papier sur lequel sera
écrite la liste de ses membres (1). Toute association qui
voudra vivre, et qui cependant ne voudra pas se sou-
mettre à la formalité de la déclaration — ce qui est son
droit — , possédera par l'intermédiaire de ses membres
certains biens, et il faudrait au parquet une singulière
vigilance pour poursuivre tous ceux qui contrevien-
draient à celte exigence excessive.
L'interprétation rigoureuse des premiers commenta-
teurs de la loi ne paraît pas d'ailleurs en voie de préva-
loir. M. Vallé, qui l'avait énoncée comme rapporteur au
Sénat en d901 a déclaré expressément à la Chambre en
i904 que cette opinion n'avait pas prévalu, et que les
associations non déclarées avaient le droit de percevoir
(1) En fait, il y aura toujours beaucoup plus que cela, mêaie
dans rassociation la plus modeste : « ... les associés mettront des
biens en commun, a dit excellemment M. Hauriou (op. cit., p. 112).
Il y aura le montant des cotisations, un mobilier sommaire, un
local, il y aura aussi les dettes sociales créées par les dépenses
indispensables. Il eût fallu poser une règle quelconque et ne pas
fermer les yeux à révidence comme on l'a fait ».
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tLA CRÉATION DES PERSONNES MOiLàXES DE DROIT PRIVE 423
iles cotisations ; il a cité en ce sens une dépêche de
liValdeck^Rousseau au préfet de la Manche, en date dn
12 février 4902, dépêche qui atteste l'opinion à laquelle
^'est arrêtée l^adtnimstralion (1). Plusieurs auteurs ont
•déjà approuvé cette doctrine (2). Nous la croyons, pour
notre part, seule admissible : la solution contraire irait,
coflame le fait observer M. Grumbach, à Teùcontre des
intentions du législateur, en rendant obligatoire la dé-
«claration pour toutes les associations, aucune ne pou-
({) La déclaratîoD de M. Vallé a été faite à la Chambre, à la date
^u 24 juin 1904, à propos de la franc-maçonnerie, en réponse à
l'interpellation de M, Prache. Voici la partie la plus importante de
la dépêche de Waldeck-Rousseau : « Faut-il conclure des termes
de l'article 6, et spécialement du lo de cet article que par cela seul
que les statuts d'une association prévoient le versement de cotisa-
tions, cette association sera tenue de souscrire une déclaration ? Je
ne le pense pas... De ce qu'une association ne réclame. pas le
bénéfice de la personnalité civile restreinte, il ne s'ensuit pas que
ses membres ne pourront pas constituer à Taide de cotisations,
un fonds commun destiné k faire face aux dépenses nécessitées par
ila réalisation de Tobjet qu'ils entendent poursuivre au moyen de
leur association. Dans ce cas le fonds commun n'appartiendra pas
en propre à l'association, il restera la propriété collective de ses
membres. Les droits de chacun d^eux sur ce fonds commun seront
réglés, soit par des stipulations spéciales s'il en a été fait par eux à
cet égard, soit à défaut par les principes généraux du droit ». La
dépèche ajoute que Tassociation, dans ce cas, ne pourra pas ester
en justice en son nom, et qu'il faudra établir l'assignation au nom
<ie tous les associés, ou d'un mandataire ayant reçu pouvoir d'eux
tous .
(2) Hauriou, op. cit., p. 113-114. Berthélemy, Droit administra-
4if, 2* éd., p. 305. Grumbach, Les associations et les cercles, n® 30
Benoit, délier, Vavasseur et Taudiére, Sociétés et associations^
7«éd,, p. 27-28. Margat, Z>e /a condition juridique des asso-
ciations non déclarées (dans Revue trimestrielle de droit civil^^
19(fë, p. 235 et s.). Capilant, Introd. à Vétude de droit civile
.-2e éd., p. 201 et s.
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424 CHAPITRE IV
vant se passer de certaines ressources élémentaires.
Nous ajoutons qu'elle reposerait sur une confusion : la
personnalité morale est autre chose que la possession
en commun de certains biens afifectés à un certain but ;
et on ne peut être regardé comme cherchant à donner
la capacité juridique à leur groupement les associés
qui n'ont en vue que cette mise en commun (i). Mais il
ne faut pas se dissimuler que la solution est grave, et
peut conduire à un régime des associations assez diffé-
rent de celui qu'avaient rêvé la plupart des auteurs de la
loi de 1901. D'une part, en eifet, il est impossible de la
limiter aux cotisations ; les associés pourront mettre en
commun des biens de toute nature leur appartenant ou
appartenant à Tun d'eux (2) ; ils pourront placer les fonds
provenant des cotisations, et avec le capital'ainsi consti-
tué acheter des immeubles, qui, eux aussi, seront
communs. Tout cela est inévitable, le principe admis^
car la loi n'a fixé aucune limite. La seule que l'on puisse
accepter, c'est la possibilité pour les tribunaux d'an*
nuler les actes .faits au profit des associés, lorsqu'il
leur apparaîtra en fait qu'on a voulu arriver à une main-
morte occulte d'une durée indéfinie, et que les combi-
(1) Les développements que nous avons donnés ci-dessus (nos ^5
et suiv.) sur la limite du concept de personnalité nous dispensent
d'insister sur cette idée.
(!2) Nous ne pensons pas que Ton puisse limiter cette faculté
aux cotisations, parce qu'elle résulte pour les associés, non d'un
texte précis, mais des principes généraux du droit : c On ne sau-
rait soutenir, dit avec raison M. Margat {op. cit.,' p. 254), en
l'absence d'un texte venant édicter cette règle, que l'entrée d'une
personne dans une association a pour effet de limiter sa capacité
personnelle. Cette capacité reste entière. Les membres de Tasso-
cialion ont donc le droit de former une masse indivise à telles
fins que bon leur semble. »
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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVÉ 425
liaisons adoptées donnent au patrimoine la môme per-
manence qu^au patrimoine d'une personne morale. Cela
pourra se produire, par exemple, s'ils ont doublé leur
association d'une sociélé de gains fictive ayant pour
unique objet de Palimenler; mais ce seront là des cas
exceptionnels (1).
D^autre part, on ne doit même pas dire, suivant nous,
que le patrimoine commun ainsi constitué ne pourra être
accru par des dons et 'legs, fails aux associés à charge
d'alTeclalion aux besoins de l'association ; car, le prin-
cipe admis, où est la disposition delà loi qui Tinterdit?
L'article 17^ | 2, n^ 1 établit, il est vrai, sur ce point, une
présomption d'interposition de personne-, mais seule-
ment à l'égard des congrégation (et encore il l'établit
pour les acquisitions à titre onéreux, aussi bien que
pour les dons ou legs, ce qui montre bien qu'il n'a pas
pour objet d'interdire pins particulièrement ces der-
niers). Tout ce qu'on peut dire, là encore, c'est qu'en
fait les tribunaux pourront annuler les dons et legs pour
interposition de personne au profit de Têlre moral inca-
pable plus facilement qu'un autre acte, mais encore
faudra-t-il prouver qu'il y a réellement interposition (2).
Enfin, il faut remarquer que, si Ton veut être logique,
(1) V. ci-dessus, p. 29 bis, note 3. Môme la société dont il s'agit
ne sera pas légalement présumée personne interposée ; car la pré-
somption d'interposition de l'article 17, § 2, n^ 2 n'existe qu'à
l'égard des congrégations* Mais on peut [prévoir qu'en fait les tri-
bunaux admettront dans ce cas l'interposition.
(2) M. Gapitant, p. 204, considère comme interdite l'acquisition
d'immeubles affectés au but social. Mais il ne donne, à l'appui
de cette solution, aucun argument autre que l'esprit de la loi. Or
cet esprit nous paraît ne pas s'opposer à l'acquisition d'immeu-
bles, pourvu que ces immeubles ne soient pas soumis au régime
de la personnalité morale^
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496 GBAPITRB IV
on ne doit pas appliquer la solatîon uniquement aux
•associations non déclarées. Lé droit des associés de
mettre leurs biens en commun une fois accepté doit
être admis même pour les associations déclarées, qui
pourront avoir ainsi, à côXé de leur patrimoine officiel,
un second patrimoine, ne leur appartenant pas, mais
affecté aux fins sociales par les membres copropriétai-
res. Sans cela on ferait aux associations déclarées un
pégime pire qu'aux associations* non déclarées. D'ail-
leurs, pour les unes comme pour les autres, il n'y a pas
' interposition dans Tacte qui a pour, seul objet de met-
tre des biens en commun entre les associés ; il n'y
aurait interposition que dans Tacte qui aurait pour
objet indirect de grossir le patrimoine social propre-
ment dit. La limite est difficile à fixer, mais pas plus
pour les association^ déclarées que pour les autres.
Il y aura donc des biens, qui pourront être impor-
tants, affectés en fait au but social. Quel sera le régime
de ces biens? Cette question du régime des biens des
associations licites non douées de personnalité (ou douées
seulement d'une personnalité partielle) a donné lieu,
dans presque tous les pays, à des difficultés inex-
tricables ; et les solutions les plus variées lui ont
été données, depuis celle qui consiste à soumettre
ces biens au régime d'une simple communauté de
fait (1), jusqu'à celle qui les assimile entièrement aux
biens des personnes morales expressément recon-
nues (2). Entre ces opinions extrêmes, plusieurs opi-
({) V. principalement Laurent, Principes de droit civil-, L XX Vï,
n^ 486 et s.
(2) V. dans ce dernier sens, Gierke, Genossenschaftstheorie,
p. 88 et s. En France môme, le système a été soutenu par M. Epi-
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f.A CRÉATION DES PERSONKB8 HOflALES DE DROIT. PRIVE 427
liions intermédiaires se sont fait jour, essayant d'établir
pour cette situation une construction juridique intermé-
-dîaîre entre celle de societas romaine et celle de la cor-
poration (1). Le Code civil allemand a tranché toutes
•ces incertitudes en soumettant les biens des associations
•non douées de personnalité au régime établi pour les
sociétés (art. 54), c'est-à-dire au régime de la Gesam-
mte Hand, tel que nous avons essayé d'en donner l'idée
plus haut. On a critiqué celte solution, parce qu'elle ne
donne pas la véritable expression du régime auquel les
associés entendent soumettre les biens ainsi mis en
<jommun ; mais elle a du moins Tavanlage de créer un
régime précis, moins favorable que le régime de la per-
sonnalité à la stabilité et au développement de Tassocia-
'tion, acceptable cependant pour ello et ne l'empêchant
pas de poursuivre efficacement le but qu'elle se pro-
pose. Elle résout ainsi, d'une manière heureuse, le pro-
blème de rendre désirable à toute association Taequisi-
tion de la personnalité^ et cependant de ne pas la lui
imposer. Le législateur de 1901 aurait sagement agi eu
prévoyant le cas, et en le soumettant à des dispositions
-analogues à celles de la loi allemande (2).
Dans le silence du teste, plusieurs auteurs ont déjà
oây, dans sa thèse : De la capacité juridique des ass^ociations,
Lille, 1897, p. 95 et s.
(1) V. pour les détails sur ces constructions intermédiaires, qu'il
nous paraît inutile d'analyser en détail, notre travail sur la Per-
sonnalité des associations en droit comparé, dans Annales de
V Université de Grenoble, 1901, p. 49.
(2) V. sur cette disposition de la loi allemande. Saleilles, Les per-
sonnes juridiques dans le Code civil allemand, p. 58 ; v. aussi la
note du même auteur dans \^ Bulletin de la Soc, de législ, corn-
pat^écy 1899, p. 452 et s. ; Mçurer, Die Juristischen Personen, p. 58
-et s.
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• ' .r^
428 CHAPITRE IV
exprimé Tidée qu'on , pourrait appliquer au patrimoine
de fait de l'association ce régime de la Gesammte
Hand. (i). D'autres, au contraire, le considèrent comme
soumis aux règles générales de l'indivision (2).
L'une etPaulre opinion nous paraissent trop absolues.
D'une part, il nous semble que le régime si imparfait
de rindivision doit être considéré comme implicitement
écarté, dans plusieurs de ses conséquences, par le con-
trat d'association lui-même. Par cela seul qu'elle admet
la validité de ce contrat et la possibilité, même au cas
d'association non déclarée, d'y comprendre l'apport de
certains biens, la loi permet, croyons-nous, aux parties
de mettre ces biens dans l'indivision, non seulement
pour la durée déterminée par l'article 815, C. c, mais
pour toute la durée de l'association. En d'autres termes
elle donne, à ce point de vue, au contrat d'association
la même portée qu^au contrat de société. L'indivision
pure et simple est un état passif, qui ne peut se prolonger
au delà d'une certaine durée sans exposer les biens
qu'elle comprend à toutes les chances d'une mauvaise ad-
ministration. L'association et la société sont au contraire
des états d'activité, donnant aux biens une destination
précise, et les soumettant à une administration unifiée.
Les motifs de Tarticle 815 ne s'étendent donc pas à elles.
Sans cela on ne comprendrait pas que l'article 4 de la
loi de 1901 (article applicable aux associations non
(1) En ce sens Hauriou, Droit administratifs p. H5. Josserand,
Essai sur la propriété collective, dans le Livre du centenaire du
Code civil, p. 378.
(2) Waldeck-Rousseau dans la dépêche ci-dessus citée, Grum-
bach, op, cit., p. 25. Margat, op. cit, p. 254 et s. Capitant, op,
cit., p. 203 et s. Planiol, op. cit., n» 3042.
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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVE 429
déclarées aussi bien qu'aux associations déclarées), im-
posât à celui qui se retire de Tassocialion non formée
pour un temps déterminé Tobligalion de lui payer les
cotisations échues et celles de l'année courante. Com-
ment aurait-il pareille obligation s'il a le droit, en se
retirant, de faire liquider partiellement le patrimôirie
social au moyen d'une action en partage ? 11 serait
contradictoire de l'obliger à verser d'une main ce qu'on
lui permettrait de reprendre de l'autre (4). — En outre,
on comprendrait moins encore que le même article 4
obligeât Tassocié à rester dans l'association pour toute
la durée fixée quand elle est faite pour une durée déter-
minée. Le droit de demander à sortir de l'indivision ne
peut être qu'un corollaire du droit de sortir de la société,
et si celui-ci n'existe pas ile premier ne peut pas exister
davantage.
Il résulte encore, suivant nous, de l'ensemble du texte,
une seconde conséquence : la loi admet irViplicitement
que Tassocié^ en se retirant, ne reste pas copropriétaire
du fonds social. Elle lui permet de se retirer en versant
une dernière cotisation ; c'est donc qu'elle le considère
comme devenant, à partir de ce moment, étranger à l'as-
sociation. En s'affranchissant pour l'avenir de toute obli-
gation l'associé renonce par là même à tout droit, aussi
bien aux droits sur le patrimoine commun qu'aux droits
(1) M. Margat {op. cit., p. 253) essaie d'atténuer la force de cet
argument (déjà exposé par M. Hauriou), en déclarant qu'il exclut
seulement le droit de demander le partage des cotisations, non
celui des capitaux et des économies. Mais ce serait un texte bizarre
qu6 celui qui, réglant les conséquences de la sortie d'un associé,
lui impose l'obligation de verser ses cotisations? en retard, et négli-
gerait de nous dire qu'il a, par contre, îe droit de demander le
partage du fonds social !
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430 caupiTR£ IV
sur la direction de Tassociatiop. Au coatiaire en entrant
dans Vassociation les nouveaux membres deviennent
copropriétaires du fonds social. Cette dernière solution
ne dérive ptar immédiatement du texte, mais elle est la
conséquence de la précédente. On ne comprendrait pas^
une association où les sortants cesseraient d'être copro-
priétaire alors que les entrants ne le deviendraient fs^^
Outre que Ton aurait ainsi, à la fin de Tassociation, une
liquidation 'infiniment compliquée^ on arriverait à
cette conséquence singulière que^ pour certaines partie^
du palrimoine commun, il pourrait n' y avoir plus auciii^
copropriétaire. La seule solution pratiquement possible
est donc de décider que la copropriété suit le mouve-*'
ment du personnel de l'association (1).
A ces deux points de vue, ]a loi admet donc que le&
conséquences du régime passif d'indivision sont écartées
par le contrat d'association, et qu'il existe un régime
se rapprochant de celui de la Gesammte Hand. Mais
nous ne croyons pas pour cela que Ton puisse appliqueir
ce dernier régime au patrimoine comman dans sa partie
la plus importante, celle qui concerne les tiers : Taffee-
tation exclusive, même à l'égard des. tiers, du patrimoine^
social au but social, avec toutes les conséquences qu'elle
entraîne (séparation du patrimoine social et des patri-
moines privés des associés, limitation du gage des
créanciers sociaux au fonds social, elc.) nous paraît ne
(I) Oq nous objectera peut-être qu'il est illogique d'interdire t»
société placée à côté de l'association dans le but de raliiBe»ter et
de permettre la constitution d'un patrimoine commun dont la
copropriété se déplace avec le mouvement du personnel. Mais nous
répondrons que l'ensemble de notre système ne donne pas à ce
patrimoine la même stabilité qu'au patrimoine d'une société, p«is^
qu'à l'égard des tiers il ne forme qu'une simple indiTÎsion.
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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVÉ 4Sf
pouvoir résulter que d'ua contrat dûment publié^ et
non d'un contrat non révélé aux tiers comme celui de
Tassociation non déclarée. On pourrait sans doute ima--
giner un système de publicité propre à prévenir les
tiers ; mais en matière d'association la lai n'a organisé
qu'un seul système de publicité^ la déclaration^ et il est
impossible à l'interprète de créer^ à côté de ce système
qui conduit èL la personnalité morale, un autre système
de publicité qui conduirait à un régime de main com-
mune. A regard des tiers, ce seront donc les principes
de rindivision ordinaire qui s'appliqueront. Les créan-
ciers des associés auront le droit de faire saisir et ven-
dre la part de leur débiteur dans le bien commun, sans-
avoir égard à raÇFectation de ce bien. D'autre part, les
tiers qui traiteront avec un des associés agissant pour le
compte de la société n'auront en principe que cet associé
pour débiteur, et l'auront pour débiteur personnel à
moins qu'il n'ait reçu mandat régulier de ses coassociés;
Enfin la règle que nièl ne plaide par procureur s*appli-
quera vis-à-vis d'eux, dîfns la mesure où la jurispru-
dence la maintient en droit commun : si donc Tun des-
associés soutient un procès contre un tiers concernant
les intérêts sociaux, la chose jugée ne sera pas oppo-
sable aux autres et ne pourra pas être invoquée par eux,
à moins que tous leurs noms ne figurent dans les actes
de la procédure (I). Au contraire, quand l'association
plaidera^ contre i>n de ses membres, elle pourra agir par
l'intermédiaire de son gérant, la règle n'étant pas
d'ordre public et les associés pouvant être regardés
(f ) Sauf toutefois rapplication des principes sur la solidarité et
l'indivisibilité. V. Trib. de la Seine, 16 avril 4879. D. 80. 3. 22.
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432 CHAPITRE IV
comme y ayant renoncé les uns yis-à-vis des autres par
le pacte social (1).
Ce régime, que nous ne pouvons ici qu'esquisser, ne
donnera sans doute pas à l'association une situation sûre.
Elle sera exposée à des périls. Mais cela même corres-
pond aux vues du législateur, qui n'a pas voulu que l'as-
sociation non déclarée puisse posséder un vrai patri-
moine de mainmorte, ayant tous ou presque tous les
avantages du patrimoine permis à l'association déclarée.
Tel qu'il est, il pourra suffire aux petites associations
qui n'ont que peu d'occasions d'entrer en relations avec
les tiers.
I 2. — Associations somnises à des règles spéciales.
151. Les associations soumises à des règles spéciales
appartiennent à deux catégories très différentes. Ce sont,
d'une part, les congrégations religieuses, qui ont tou-
jours eu une situation particulière, et qui, depuis la
loi de 1901, sont soumises à un régime beaucoup pliis
rigoureux que celui des associations ordinaires. Ce sont,
d'autre part, certaines associations qui, dès avant la loi
de i 901, échappaient au régime de l'autorisation, pou-
vaient se constituer librement en observant certaines
formalités, et acquéraient par là même la personnalité
morale. Ces associations, qu'on pouvait à cette époque '
(1) V. Cass., 19 novembre 1879, D. 80.. 1. 84 ; 27 janvier 1890.
D. 90. t. I. 48, Paris 10 novembre 1894. D. 9o. 418. On sait d'ail-
leurs que la jurisprudence a de plus en plus tendance à atténuer la
portée de la règle que nul ne plaide par procureur ; les associa-
tions non reconnues profiteront sans doute de cette tendance, qui
nous paraît d'ailleurs bonne en elle-même.
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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVE 433
appeler associations privilégiées^ méritent encore cette
qualification à certains points de vue, car elles ont une
capacité supérieure à celle des associations déclarées de
la loi de 4901 : ce sont les associations syndicales de
propriétaires, les syndicats profesisionnels, les sociétés
de secours mutuels, les sociétés ou caisses d'assurances
mutuelles agricoles. Les textes relatifs à ces associations
sont restés en vigueur depuis la loi de 1901 (1).
152. Congrégations religieuses. — Les congrégations
(4) Au contraire, les règles particulières qui, avant la loi de 1901,
régissaient certaines autres catégories d'associations sont aujour-
d'hui abrogées, lien est ainsi notamment: lo pour les associations
d'enseignement supérieur que les lois combinées du 12 juillet 1875
et 18 mars 1880 soumettaient, au point de vue de la personnalité,
à certaines règles particulières, notamment à la nécessité d'être
autorisées par une loi spéciale ; on doit les considérer aujourd'hui
comme soumises aux dispositions de la loi de 1901. Il est vrai
que la loi ne l'a pas dit expressément, et l'on pourrait soutenir
l'opinion contraire en invoquant- la règle specialia generalibus
non derogant. Mais nous croyons qu'il rentre dans l'esprit de la
loi nouvelle de comprendre dans l'abrogation générale édictée par
l'article 21 in fine {toutes les dispositions contraires à la présente
loi) tous les textes antérieurs moins favorables aux associations
que la loi nouvelle et notamment toutes calles qui exigeaient une
autorisation. En ce sens Trouillot et Chaptal, p. 398-399. Ces
auteurs admettent que les associations restent soumises aux lois
de 4875 et de 1880 concernant les déclarationsà faire aux autorités
universitaires et judiciaires, ce qui nous paraît une distinction trop
arbitraire pour être admissible ; 2^ pour les sociétés de courses qui,
d'après la loi du 2 juin 1891, devaient faire approuver leurs statuts
par le ministre de l'agriculture, après avis du conseil supérieur
des haras ; elles sont aujourd'hui soumises à la loi de 1901 ;
3° pour les diverses sociétés régies par les textes qu'abroge expres-
sément l'article 21 de la loi de 1901 : ordonn. 5-8 juillet 1820,
art. 20 (associations d'étudiants) décret du 28 juillet 1848, arti-
cle 30 (sociétés secrètes); loi du 30 juin 1881, article 7 (clubs) ;
loi du 14 mars 187? (association internationale des travailleurs).
MICHOUD 28
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434 CHAP1TR£ IV
religieuses sont des associations donlles membres vivent
en commun, sous une certaine règle/ pour se vouer à la
vie religieuse. Elles sont distinguées des associations-
ordinaires par les trois circonstances mises en lumière-
par cette définition : la vie en commun^ la règle^ les-
vœux religieux; circonstances qui doivent se trouver
cumulées pour qu'il y ait congrégation (1).
L'Assemblée constituante avait adopté, à Tégard des
communautés religieuses^ un système qui les laissait en*
partie subsister en fait. Elle s'était contentée de pro-
noncer Tabolition des vœux religieux, et de supprimer
les ordres ou congrégations où Ton faisait de semblables-
vœux (loi des 13-19 février i790). Elle donnait par là
aux religieux la liberté de sortir de leurs couvents, et
pourvoyait par des pensions aufsort de ceux qui usaient
de celle faculté. Mais elle déclarait ne rien changer,,
provisoirement, àPégard des maisons chargées de Téda-
cation publique, et des établissements de charité. En
outre, elle laissait les religieux libres de vivre en com-
mun, s'ils le voulaient : « Votre comité a pensé, disait
Treilhard dans son rapport, que vous donnerez un^
grand exemple de- sagesse et de justice, lorsque, dans-
le même instant où vous vous abstiendriez d'employer
Tautorité civile pour maintenir Teffet des vœux, vous^
conserveriez cependant Tasile du cloître aux religieux
jaloux de mourir sous leur règle ». Les congrégations
conservèrent donc alors une existence de fait. C'est seu-
lement l'Assemblée législative qui, par les décrets des
4-17 et T-ie août 1792 accomplit la suppression effective
des congrégations régulières, suppression qu'elle étendit
(1) V. suprà, n»a 40* et s.
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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVE 435^
aux congrégations séculières par le décret du 18-i8 août
1792, et qui entraîna Tévacuation et la vente des mai-
sons occupées par les religieux et religieuses. Ce der-
nier texte permit seulement que, dans les hôpitaux et
maisons de charité, les mêmes personnes continuassant
le service des pauvres et le soin des malades à titre indi'
viduel, sous la surveillance des corps municipaux et
administratifs, jusqu^à Torganisation définitive des se-
cours publics ; et il admit une règle analogue pour la
continuation provisoire de renseignement public à titre
individuel par les membres des communautés dissoutes*
(T. I, arl. 2 et 6). A part ces atténuations, les religieux
devaient évacuer leurs maisons et indiquer le lieu où ils^
se retiraient ; ils avaient droit du reste à une pension à
condition de prêter le serment civique.
Les congrégalions ainsi supprimées ne furent point
légalement reconstituées au moment du Concordat. La
loi du 48 germinal an X, art. 11, après avoir parlé des
chapitres cathédraux et des séminaires, ajoute : a Tous
autres établissements ecclésiastiques sont supprimés w^
et Portalis, dans son rapport sur les articles organiques,
commente ainsi cette disposition : « Toutes les institu-
tions monastiques ont disparu : elles avaient été minées
par le temps. Il n'est pas nécessaire à la religion qu'il
existe des institutions pareilles » (1). Cependant, à cette
(4) Portails, Discours, rapports et travaux inédits sur le Con-
cordat de 180 i (Paris, 4845), p. 97. L'opinion de Portails sur les
congrégations religieuses n'est d'ailleurs pas tout entière dans cette
formule tranchante. Dans un rapport du 25 fructidor an X, après
avoir donné un avis contraire à la reconstitution de certaines con-
grégations, et déclaré que le moment n'était pas favorable ponr
autoriser des corporations ecclésiastiques, il ajoute : « Dans quel-
ques années il sera peut-être sage de favoi-iser des établissements-
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436 CHAPITRE IV
date, certaines congrégations s'étaient déjà reconstituées
en fait, cl même quelques congrégations hospitalières
ou charitables de femmes avaient été provisoirement
autorisées par des arrêtés (V. Tart. 3 du décret du 3 mes-
sidor au XII, qui énumëre ces congrégations en indi-
quant la date des arrêtés : sœurs de Charité, sœurs Va-
telotles, etc.). Une congrégation d'hommes, celle des
Pacanaristes, ayant sollicité la reconnaissance, le Gou-
vernement fut amené à poser une règle générale dans
le décret du 3 messidor an XII. Il commence par décla-
rer dissoute Tassociation des Pères de la Foi, Adorateurs
de Jésus, ou Pacanaristes, ainsi que toute autre associa-
tion non autorisée ; il ordonne que les membres qui
composent ces associations se retirent dans leurs dio-
cèses respectifs ; et il renouvelle la prohibition des lois
révolutionnaires contre tout ordre religieux dans lequel
on se lie par des vœux perpétuels. Mais, sous cet aspect
qui pourront servir d'asile à toutes les têtes exaltées, à toutes les
âmes sensibles ou dévorées du besoin d'agir et d'enseigner... 11 ne
suffit pas d'avoir des institutions pour classer les citoyens, il faut
en avoir encore, si je puis m*exprimer ainsi, pour classer les âmes
et donner à toutes les moyens réguliers de suivre leurs mouvements
dans un ordre fixe et convenu d. (Eod. l., p. 450-451). Un peu
plus tard ( â et 8 pluviôse an XII) il donne un avis favorable à une
association ecclésiastique que Tarchevêque de Lyon voulait établir
dans son diocèse en vue de l'éducation et des missions, et fait res-
sortir tous les avantages qu'on peut trouver à confier l'enseigne-
ment à des congrégations ; il conclut : « On n'aura jamais devrais
instituteurs publics tant qu'on n'aura pas une agrégation d'hommes
consacres à cet objet intéressant » (Eod, L, p. 467). Il entend
d'ailleurs par là une agrégation d'hommes voués à l'état ecclésias-
tique et vivant en commun. Enfin dans les rapports des 13 prai-
rial an XIII et 24 mars 4807 [eod, /., p. 480 et 495), il prend la
défense des congrégations de femmes vouées à l'enseignement et à
l'assistance, et en fait un éloge des plus chaleureux.
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LA. CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVÉ 437
prohibitif, il fait en réalité revivre, avec la personnalité
morale, certaines congrégations. Il déclare, en effets
qu'aucune agrégation ou association d'hommes ou de
femmes ne pourra se former à Tavenir, sous prétexte de
religion, à moins qu'elle naît été formellement auto^
risée par décret impérial. Il admet donc, pour l'avenir,
la possibilité d'une reconnaissance par décret. En outre,
il valide les reconnaissances provisoires opérées anté-
rieurement par divers arrêtés au profit de certaines con-
grégations charitables, à condition qu'elles présentent
leurs statuts et règlements dans le délai de six mois,
pour être vus et vérifiés en Conseil d'Etat.
C'est conformément à ce texte que furent autorisées,
sous le premier Empire, certaines congrégations d'hom-
mes : lazaristes, missions étrangères, prêlres du Saint-
Esprit, prêtres de Saint-Sulpice, frères des écoles chré-
tiennes (1). Il est à remarquer que, conformément à
une idée générale que nous avons déjà signalée, toutes
ces congrégations étaient chargées d'une mission spé-
ciale, et plus ou moins incorporées à TAdministration»
Ainsi le supérieur des missions étrangères était nommé
parle chef de l'Etat (2).
Quant aux congrégations de femmes, elles furent
autorisées en bien plus grand nombre. Mais elles aussi
furent considérées comme chargées de véritables ser-
(i) L'existence légale de ces diverses congrégations a été recon-
nue par le Conseil d'Etat, dans les avis du 16 janvier 1901 et du
1er août 1901 (V. Revue génér, d Administration, i901. 1. 303, et
le Rapport de M. Rabier sur les demandes d'autorisation des congre*
gâtions. Chambre, Session ord. de 1903, Ann., 738, p. 143).
(i) V. la thèse précitée de M. Avril, Des origines de la distinc-
tion dçs établissements publics et des établissements d'utilité
publique, p. 224.
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438 CHAPITBB IV
vices publics (éducation des jeunes filles, assistance des
pauvres et des naalades, refuges pour filles repenties), et
-soumises à une étroite tutelle administrative. Le décret
du 18 février 1809, uniformisant dans une certaine
mesure les règles qui leur étaient appliquées^ les plaça
sous la protection de M"* Lcetitia, et reconnut leurs
vœux temporaires comme ayant force d'institution pu-
blique.
Les congrégations religieuses reconnues avaient donc,
à cette époque, le caractère d^établissements publics ;
ce n*est que peu à peu que les idées sur ce point se sont
modifiées, par suite de ce fait que l'Etat les a de moins en
moins considérées comme ses collaboratrices, et leur a
laissé en pratique une plus grande liberté d'allure (1).
Quant aux formes de la reconnaissance elles ont passé
par les phrases suivantes : la loi du 2 janvier 1817 (qui
avait pour principal objet de permettre aux établisse-
ments ecclésiastiques de recevoir des libéralités immo-
bilières), déclara que ses dispositions s'appliquaient aux
établissements ecclésiastiques reconnus par la loi; et
Ton déduisit de ce texte, combiné avec les travaux pré-
paratoires : V que les congrégations religieuses étaient
<5omprises dans cette formule ; 2* que celle-ci renferme
implicitement l'obligation, pour l'avenir, de la recon-
naissance par une loi spéciale et non par un simple
•décret. Le Gouvernement soutint cependant, durant
<juelques années, qu'il avait le droit d'autoriser les con-
grégations par simple ordonnance. Mais devant les résis-
tances soulevées par celte thèse, il se résolut à présenter
(i) Ainsi que nous TaYons dit, la classification dans les personnes
«morales de droit privé ne fait plus aujourd'hui de doute sérieux
(Suprà, ch. II, no 88).
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ILA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVE 439
^D projet de loi, dans lequel ii faisait la part du feu, en
^tdmettant la nécessité d'une loi spéciale pour les congré-
.gations d'hommes, mais en se réservant le droit d'auto-
riser par ordonnance les congi*égations de femmes. Les
«Chambres n'acceptèrent pas entièrement la proposition
^t la loi du 24 mai 1825 admit ie principe d'une loi pour
ies deux catégories, mais avec quelques atténuations
pour les congrégations de femmes (1), atténuations
accrues plus tard par le décret-loi du 3Ï janvier 1852.
153. En somme, avant la loi de 1901, la situation
-était la suivante :
g 1^ Les congrégations religieuses d'hommes ne pou-
rraient, depuis la loi de 1817, être autorisées que par
«une loi. En fait aucune loi d'autorisation n'était inter-
venue, et il n'y avait pas d'autre congrégation d'hom-
mes reconnue que celles qui l'avaient été par décret ou
ordonnance avant cette date (2). Il y avait, en outre, un
<îertain nombre de congrégations non reconnues comme
telles,' qui avaient des établissements reconnus comme
établissements (futilité publique^ dans les formes usi-
tées pour les établissements de ce genfe. Ces congré-
gations jouissaient même de certaines faveurs qui leur
avaient été expressément accordées par la loi du 15 mars
1850, art. 31 et 79, et par la loi du 27 juillet 1872,
-art. 2005^ et pendant longtemps le Conseil d'Etat les
avaient admises à recevoir des libéralités Mais la Cour
(1) Sur l'histoire des lois de 1817 et 1825, V. Avril, p. 246 et s.
iDubief et Gottofrey, dans le Rép. de Béquet, y^ Cultes, n» 2116.
(2) Le Conseil d*Etaf, dans Tavis du 14 février 1901 (Rapport
;Babier, p. 145) a considéré ces règles comnae applicables aux con-
.^régations de Savoie, en faisant toutefois une réserve pour les
celigieulde Tabbaye de Haute-Combe.
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440 CHAPITRE IV
de cassation avait décidé, par un arrêt du 3 juin
J861 (1), que celte autorisation n'avait d'aulre effet que
de mettre la congrégation en règle avec les lois de
police, et d'autoriser ses services en vue de renseigne-
ment primaire, mais qu'elle ne lui conférait pas la per-
sonnalité civile ; le Conseil d'Etat s'était rangé à cette
opinion par un avis du 16 juin 1881,qu^il a confirmé
par l'avis du 16 janvier 1901 (2). Quelques arrêts,
appliquant aux congrégations de ce genre la théorie de
l'individualité juridique, leur avaient reconnu le droit
d'ester en justice (3). ' ■ ■>
2^ Quant aux congrégations de femmes, il fallait
aussi en principe qu'elles fussent reconnues par une loi.
Mais les textes de 1825 et de 1852 admettaient à cette
règle diverses exceptions (4). La congrégation notam-
ment, pouvait être reconnue par décret en Conseil
d'Etat, lorsqu'elle adoptait des statuts déjà vérifiés et
enregistrés au Conseil d'Etat, et approuvés pour d'au-
tres congrégations ou communautés religieuses; en
outre, la congrégation reconnue comme congrégation à
supérieure générale pouvait obtenir par décret l'autori-
sation de créer un établissement de religieuses de son
ordrc^ ou la reconnnaissance légale d'un établissement
déjà créé.
3<» Les congrégations non reconnues étaient certaine-
ment dénuées de toute personnalité. Mais c'était une
(1) D. 61. 1.218. GonclasionsdeDupin.Gpr. Nancy, 15 juin 1878,
D. 79. 2. 236. Lyon, 12 juillet 1878, D. 80. 1. 148.
(2) Revue générale d' Administration^ 1901. 1. 303.
(3) Toulouse, 6 mars 1884, D. 85. 2. 145.
(4) Pour le détail de ces exceptions, V. Dubief et (îottofrev%
nos 2002 et s.
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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVE Aiî-
question discutée que de savoir si on devait les consi-
dérer comme illicites. Un grand nombre d'auteurs Tad-^
mettaient, les uns en se basant sur les articl es 291 et 292
du Code pénal, d'autres en s'appuyant sur les lois révolu-
tionnaires qui avaient supprimé les congrégations et sur
le décret du 3 messidor an XII, d'autres en admettant,
Tapplication cumulée de ces dispositions. Ces diver-
gences sur le fondement de la prohibition entraînaient
une divergence sur sa sanction, les partisans de
Tarticle 291 admettant une sanction pénale, les autres
admettant seulement un droit de dissolution du Gou-
vernement par mesure de police. C'est ce dernier droit
que le Gouvernement avait invoqué dans les célèbres
décrets du 29 mars 4880. Mais d'autres auteurs soute-
naient que les congrégations non autorisées n^avaient
aucun caractère illicite, et différaient seulement des
autres par l'absence de personnalité morale (1). En fait,
après la tentative de dissolution de 1880, les pouvoirs
publics avaient largement toléré l'existence de ces con-
grégations et elles étaient très nombreuses.
154. La loi du l*""" juillet 1901 s'est proposée tout à la
fois de régler la situation des congrégations existantes
non reconnues, et de donner des règles pour la création,
dans Tavenir, de congrégations nouvelles. Sur les deux
points elle ai pour des motifs d'ordre politique, qu'il
nous paraît inutile de discuter ici, adopté des solutions
extrêmement rigoureuses qui font disparaître toute la
liberté de fait résultant du régime antérieur.
(\) Sur la célèbre controverse, qu'il n'y a pas lieu d'étudier ici en
détail, V. Dubief et Gottofrey, n% 2137 et s., et les nombreux
auteurs cités dans un sens ou dans Tautre aux nos 2142 et 2151. v
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442 CHAPITRE IV
En premier lieu, elle oblige toutes les congrégations
existantes non reconnues à faire dans un délai de trois
mois les diligences nécessaires pour obtenir Fautorisa-
tion (d'après les règles qu'elle fixe elle-même pour les
congrégations à établir dans l'avenir). Elles réputé dis-
soutes de plein droit les congrégations qui ne se seront
pas conformées à cette règle (art. 18).
En second lieu, elle déclare que dans Tavenir, aucune
congrégation ne peut se former sans une autorisation
donnée par une loij qui déterminera les conditions de
«on fonctionnement (art. 13).
Enfin, elle déclare illicite toute congrégation formée
sans autorisation, et soumet ceux qui en font partie à
une pénalité correctionnelle, qui est portée au double
pour les fondateurs et administrateurs (art. 16). D'après
ia jurisprudence de la Cour de cassation, cette sanction
«'applique, non seulement aux congrégations nouvelles
qui se formeraient sans autorisation, mais encore aux
congrégations anciennes non autorisées qui n'ont pds
régularisé leur situation dans le délai légal' (1). A cette
sanction pénale, faut-il ajouter une sanction de police
consistant dans le droit pour le Gouvervement de faire
fermer, sans condamnation judiciaire préalable, les éta-
blissements de la congrégation non autorisée? I^ous
croyons qu'il faut aujourd'hui répondre négativement,
la sanction pénale rendant inutile toute mesure de
police, et ayant pour objet de la remplacer.
Il résulte de ces dispositions que dans la loi de 1901,
(1) Gass., 6 novembre 1902. D. 1903. 1. 308, et les conclusions
-de M. le procureur général Baudouin. Plusieurs jugements ou arrêts,
avaient admis la solution contraire, qui est admise sous formé dubi-
tative, par Hauriou, op. cit., ip. 12S.
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l.k CREATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVE 443
les congrégations (à la différence des associations ordi-
naires) ne sont licites .qu'a la condition d'être reconnues
comme personnes morales. Le législateur a admis ici,
non seulement que la personnalité morale était la con-
séquence naturelle de l'existence à titre d'association
(idée que nous approuverions pleinement), .mais encore
qu'elle eu était la conséquence nécessaire. Une congré-
gation ne pourait pas demander à vivre sans personna-
lité morale, comme vivaient, avant i90i, les associa-
tions autorisées en vertu de Farticle 291 du Code pénal,
comme peuvent vivre, aujourd'hui encore, les associa-
tions non déclarées, comme peuvent vivre aussi, diaprés
le Code civil allemand, les associations qui ne visent
pas à la personnalité juridique. Rarement les législations
ont admis celte indivisibilité absolue entre la personna-
lité morale et le droit d'association. C'est un point qu'il
importe de constater, car on a souvent objecté aux con-
grégations qu'elles sollicitaient un véritable privilège
en demandant la reconnaissance : en réalité ce n'est
pas elles qui réclament ce privilège, c'est législateur
qui leur impose l'obligation de le réclamer si elles veu-
lent vivre, et en faisant cela il dépasse certainement les
exigences de la théorie, et adopte une solution qui n'est
plus en vigueur en France pour aucune autre catégorie
d'associations (i).
Le régime est encore aggravé en ce qu'il est appliqué,
non seulement à la congrégation elle-même, mais aussi
aux établissements qu'elle veut fonder. D'après l'art. 13,
I 2 de la loi, la congrégation une fois autorisée ne peut
(1) V. infràf n^ 156 et 157, nos explications sur la situation, à
cet égard, des syndicats professionels et des sociétés de secours
mutuels.
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444 CHAPITRE IV
fonder aucun nouvel étàblissiîment qu'en vertu d'un'
décret rendu en Conseil d'Etat. La loi de 1901 ne pro-
nonçait d'ailleurs pas de sanction pénale contre la fon-
dation d'un établissement sans autorisation ; en sorte
qu'une fermeture administrative, assez contestable au
point de vue des principes généraux de notre droit
public, restait la seule sanction possible. La loi du 4 dé-
cembre 1902 a complété sur ce point sa devancière en
frappant d'une pénalité tous ceux qui sans autorisa-
tion ouvriraient ou dirigeraient un établissement de ce
genre, et tous ceux qui continueraient à en faire partie
après que sa fermeture aurait été ordonnée, et même les
propriétaires qui favoriseraient l'organisation ou le fonc-
tionnement d'un établissement de ce genre en consen-
tant Fusage d'un local dont ils disposent. Nous n'avons
pas à entrer ici dans les nombreuses difficultés qui peu-
vent être soulevées par le sens du mot établissement (1).
Mais il est important de relever que la loi n'admet plus
d'établissement (quel que soit d'ailleurs le sens de ce
mol) non doué de personnalité morale distincte. Elle
impose la personnalité, non seulement à la congréga-
tion, mais encore aux divers établissements qu'elle vou-
(1) V. principalement sur ces difficultés, qui n'ont pas été entière-
ment supprimées par la loi du 4 décembre 1902 : Riom, 18 juin 1903,
et Grenoble, 20 juin 1903. D. 1903. 2. 393, et la note. 11 résulte de
la loi de 1902 que ni le petit nombre des membres, ni le fait que
la propriété du local appartient à un tiers, n'est suffisant pour écar-
ter le caractère d'établissement. Mais encore faut-il, pour qu'il y
ait établissement, que le ou les religieux détachés continuent à
dépendre de leur communauté et agissent pour son compte, et on
ne doit pas les considérer comme tels, lorsqu'ils sont les salariés
d'un tiers qui peut les renvoyer à volonté (pourvu que ce tiers ne.
soit pas une personne interposée).
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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVE 445
drait foQder, — aggravation injustifiée d'une exigence
déjà par elle-même excessive (1).
(1) L'ancienne jurisprudence avait déjà tendance à considérer
comme devant nécessairement acquérir la personnalité morale
les divers établissemeuts de la congrégation . A la suite de la loi
de 1825, l'instruction du i7 juillet 1825 avait cependant consi-
déré les annexes de minime importance comme une sorte de pro-
longement de la congrégation autorisée, ce qui leur permettait
de s'établir sans autorisation spéciale, et ce qui permettait à
la congrégation de recevoir elle-même des libéralités dans leur
intérêt. L*avis du Conseil d'Etat du 27 novembre 1849 admit l'opi-
nion contraire, en déclarant que, dès qu'une religieuse venait
s'établir dans une commune, sa présence suffisait pour constituer
un établissement au sens de la loi de l82o, et que cet établisse-
ment devait être soumis à une autorisation spéciale. Mais la Cour de
cassation suivait, à cette époque, l'opinion contraire (Cass., 6 mars
4854. D. 54. 1. 123, et 17 juillet 1856. D. 56. i. 279j, et le Conseil
d'Etat, s'y rangea lui-môme dans un avis de la section de l'Inté-
rieur, du 19 juillet 1861 (Est d'avis : 1* qu'il y a lieu de distinguer
dans les établissements dépendant des congrégations religieuses,
ceux qui sont de véritables succursales de la maison-mère, et pour
lesquelles on continuerait d'exiger l'autorisation impériale, et ceux
qui, n'étant que des établissements scolaires, existent en vertu et
sous l'empire de la loi de 1825 ; 2*> que, pour ces derniers, le gou-
vernement pourrait, lorsqu'il le jugera convenable, donner aux mai-
sons-mères l'autorisation d'acquérir et de posséder). Il ne main-
tint d'ailleurs sa jurisprudence que jusqu'en 1880 ; l'avis du
21 juillet 1880 exige une autorisation régulière pour tout établisse-
ment, si peu important qu'il soit. Dans la période de 1861 à 1880 le
Conseil d'Etat avait, en vertu de la jurisprudence qu'il admettait
alors, donné des avis favorables à Tacquisilion par les maisons-
mères de nombreuses libéralités ayant pour objet Tinstallation ou
l'entretien d'établissements non pourvus de personnalité morale, et
en conséquence ces libéralités avaient été autorisées par des
décrets, qui souvent spécifiaient la nature de l'établissement à fon-
der, mais qui n'étaient pas précédés de la même procédure que les
décrets de la loi de 1825, autorisant les établissements à titre de
personnes morales. Ces décrets, dits décrets de tutelle, ont été,
depuis la loi du 12 juillet 1901, considérés comme non avenus
à tout autre point de vue que V acquisition de lU propriété, et .
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446 CHAPITRE IV
Au point de vue de la théorie de la personnalité
morale, les textes que nous venons d'analyser n'ont
qu'une faible importance. Ils constituent une législatioi>
d'exception dictée par une idée de méBance appartenant
entièrement à Tordre politique, et ils sont en. dehors du>
courant général qui parait aujourd'hui prévaloir, pour
le régime des associations, dans la plupart des pays
155. Associations privilégiées. — Il en est autrement
des règles applicables aux associations que nous dési-
gnons sous le nom d'associations privilégiées. Elles
sont très intéressantes parce qu'elles ont été, en France,
le premier essai d'un régime de liberté ou au moins de-
quasi-liberté corporative. On a appliqué ce régime eu
certaines associations paraissant, ou moins dangereuses,,
ou plus particulièrement dignes de faveur, avant d&
l'appliquer timidement, dans la loi de 1901, à toutes les-
associations.
I. Associations syndicales de propriétaires. — Ce sont
les premières qui ont bénéficié de ce régime de faveur»,
(loi du 21 juin 1863), et ce sont celles aussi qui se rap-
prochent le plus des sociétés de gain, ce qui explique
en partie la générosité du législateur à leur égard. Ces-
associations doivent avoir pour but d'accomplir certains
travaux d'utilité collective, travaux dont l'objet, indiqué
dans la loi du 21 juin 1865 (art. 1) a été notablement
les établissements qui en bénéficiaient fermés comme établissements
non autorisés. Nous estimons que c'était là donner, à tort, un effet
rétroactif à la jurisprudence inaugurée en 1880, qui nous parait
pour Tavenir, avoir été confirmée par la loi nouvelle. La solution
de TAdministration a cependant été admise par le Conseil d'État
au contentieux, arrêt du 10 juin 1904 (Lebon, p. 448).
V. pour les documents cités ci-dessus^ Trouillot et Chapsal, op^
cit., p. 218 et s. Dubief et Gottofrey, op. cit.
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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVE 44T
élargi par la loi du 22 décembre 1888 (1). Elles peaveat
se former librement, sans intervention administrative, à
condition que le consentement des associés soit constaté^
par écrit, et que Pacte d'association renferme les men^
tions exigées par la loi (art. 5, § 3). Elles acquièrent la
personnalité morale par une simple formalité de publi-
cité (publication d'un extrait de l'acte d'association dans
(1) La formule est aujourd'hui très large, puisque, en dehors des
travaux compris expressément dans rénumération, rassociation^
peut se constituer en vue de toute autre amélioration ayant un
caractère d'intérêt public dans les villes ou faubourgs, bourgs, vil-
lages ou hameaux, et en vue de toute autre amélioration agri-
cole d'intérêt collectif (n<^» 7 et 10 de l'art. 1). Il sufflt donc qu'il
s'agisse de travaux y et que ces travaux aient pour objet d'amé-
liorer collectivement les fonds des propriétaires intéressés.
On a admis la validité d'une association syndicale formée entre
propriétaires d'étangs, en vue de travaux ayant pour objet la con-
servation du poisson dans ces étangs (Cass. 24 avril 1896, D. 97.
1. 471). Mais on n'établirait pas valablement une association syn-
dicale pour construire une église, ou une école, ou tout autre édifice
d'intérêt général n'ayant pas pour objet d'améliorer les fonds des
propriétaires intéressés. On n'en établirait pas valablement non
plus en vue d'améliorer ces fonds par d'autres procédés que des
travaux à exécuter, par exemple pour défendre les intérêts collec-
tifs de leurs propriétaires (Cass. 8 juillet 1889, D. 1900. 3. il2, nul-
lité de l'association formée entre propriétaires arrosants pour
défendre leurs intérêts contre l'administration d'un canal d'irriga-
tion), ou pour exploiter en commun la pêche ou la chasse.
Des lois spéciales permettent d'établir des associations syndi-
cales pour la défense des vignes contre le phylloxéra (loi du
15 décembre 1888), et pour facilliter le travail de la réfection du
cadastre (loi du 17 mars 1898, art. 6). Le projet de loi sur la
houille blanche, déposé à la date du 15 janvier 1904, permet égale-
ment d'établir des associations libres de propriétaires riverains en
vue de la création d'une usine hydraulique. La loi du 20 août 1881
(art. 19 et s.) permet également des associations syndicales en vue-
des travaux des chemins ruraux ; mais elle paraît n'admettre que
des associations syndicales aw^omées.
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î"r"'-^|?ÏNP^:^"'^'
448 CHAPITRE IV
un des journaux d'annonce légale de rarrondissemeni,
ou, s'il n'en existe pas, dans Tun de ceux du départe-
menl) (art. 3, 6 et 7). On sait d'ailleurs que ces asso-
ciations peuvent devenir de véritables établissements
publics^ en se transformant en associations syndicales
autorisées (1).
Enfin elles présentent cette particularité, qui les dis-
tingue de toute autre association, que les obligations
-contractées par leurs membres s'attachent à la terre
plutôt qu'à la personne et suivent les fonds obligés en
quelque main qu'ils passent (décret du 9 mars 1894,
art. 3, dont la disposition s'applique aux associations
syndicales libres aussi bien qu'aux associations autori-
sées).
156- IL Syndicats professionnels. — Le pas le plus
important qui ait été fait avant la loi de 1901 dans le
sens de la liberté corporative est celui de la loi du
21 mars 1884 sur les syndicats professionnels. Cette loi
tidmettait à se constituer librement, sans autorisation du
Gouvernement, les syndicats ou associations profes-
sionnelles, c'est-à-dire les associations formées entre
personnes « exerçant la même profession, des métiers
similaires ou des professions connexes concourant à
l'établissement de produits déterminés », et ayant pour
objet exclusivement « l'étude et la défense des intérêts
économiques, industriels, commerciaux et agricoles »
(art. 1 et 2). Nous ne voulons pas ici entrer dans le
détail des nombreuses difficultés soulevées par ces ter-
mes. Elles avaient une importance pratique très grande
avant la loi de î901, parce qu'alors les syndicats consti-
(1) V. ci-dessus, n» 89.
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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVE 449
tués illégalement soit quant à l'objet, soit quant aux
personnes, tombaient sous le coup de Tarticle 9, qui
prononçait une pénalité contre les directeurs ou admi-
nistrateurs, et qui permettait au tribunal saisi de la pour-
suite de prononcer la dissolution du syndicat. Aujour-
d'hui le syndicat qui ne remplit pas ces conditions ne
saurait, semble-t-il, être soumis à une poursuite de ce
genre, car, s'il n'est pas licite comme syndicat, il est licite
tout au moins comme association formée sans autorisa-
tion ni déclaration préalable, en vertu de l'article 2 de la
loi de 4901,
Il en est de même d'ailleurs des conditions de forme
prescrites aux syndicats par la loi de 1884* D'après cette
loi, la déclaration du syndicat (déclaration faite à la
mairie et non, comme dans la loi de 1901 à la préfec-
ture, et consistant dans le dépôt des statuts et des noms
de ceux qui, à un titre quelconque, étaient chargés de
l'administration ou de la direction) était obligatoire,
non seulement pour conférer au syndicat la qualité de
personne morale, mais encore pour lui donner le carac-
tère licite. Aujourd'hui, le syndicat non déclaré sera
licite en vertu de l'article 2 de la loi de 1901, et sera
seulement dépourvu de personnalité morale.
Le système de la loi de 1884 se trouve par là modifié,
bien que la loi de 1901 ait déclaré ce texte toujours en
vigueur. Dans celte loi, en effet, il y avait indivisibilité
entre la personnalité morale et le droit de s'associer ;
tout syndicat licite était par là même personne morale,
et même, d'après une jurisprudence d'ailleurs très con-
testable, tout syndicat illicite était aussi personne morale
tant qitil vivait. Le caractère illicite avait seulement
pour conséquence de permettre les poursuites prévues
MICHOUb 29
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450 CHAPITRB lY
parTarticle^, et la dissolution du syndicat (1). Il n'exis-
tait donc pas de syndicat non doaé de personnalité.
Aujourd'hui au contraire, il existera deux degrés dans
les syndicats comme dans les associations ordinaires :
ceux qui seront conformes à la loi de 1884 auront 1»
personnalité morale dans les termes de cette loi ; ceux
qui ne rempliront pas les conditions qu'elle exige, soit
au fond, soit dans la forme, seront des associations lici-
tes non douées de personnalité (2).
(1) Cette solution avait été nettement adoptée par la jurispru^
dence pour le cas d'inobservation des conditions de forme (Parisr
20 janvier 1886, D. 86. 2. 170 ; Bordeanx, 25 novembre 1886^
D. 87. 5. 430) ; quelques décisions Tavatent appliquée aussi à
Tinobservation de certaines conditions de fonds (p. ex. Trib.
de Bordeaux, 5 février 18^, D. 98. 2. i32). En ce quL concerne-
ces dernières, cependant, elle ne pouvait Tôtre que si en se
trouvait en présence de groupements ayant en réalité le carac-
tère de groupements professionnels ; il n'aurait pas suffi de^
baptiser une association quelconque du titre de syndicat pour la
faire rentrer dans les syndicats illicites de la loi de i884 plutôt
que dans les associations illicites de la législation alors en vigueur^
associations qui assurément n'étaient point personnes morales.
Aujourd'hui encore, il ne suffit pas de baptiser une association.quel-
conque du titre de syndicat pour la faire bénéficier des règles de I»
loi de 1884, et non des règles moins favorables de la loi de 1901.
Mais ce qu'on peut admettre, avec la plupart des arrêts, c'est qu'il*
y a ici une question d'appréciation, et que, si le groupe est en réa--
lité professionnel, il ne perdra pas ce caractère par «cela seul qu'il'
a commis certaines irrégularités, ou s'est ouvert accessoirement à
certaines personnes qui n'appartiennent pas à la profession (V. les
observation» de M. Barthélémy, sur l'arrêt de la Cour de Douai du
l*r février 1903, dans Revue du droit public, t. 21, p. 312 et s.)
(2) M. Pic (Légis, indus tr., 2» éd., n° 373) a parfaitement carac-
térisé l'influence de la loi de 1901 sur celle de 1884 par les deux,
résultats suivants : 1^ impunité assurée aux syndicats clandestins,
que le législateur de 1884 avait entendu proscrire, en tant du moins
que ces syndicats ne prétendent pas se comporter en personnes
morales ; 2* reconnaissance implicite, à raison même de cellô-
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LA CRÉATION DES PERSONNES AtORALES DE DROIT PRIVÉ 451"
Ce n'e&t pas à dire IjoulefDis qu'il n'y ait plus inlérêl à
(IbiiDguer entre le» assaciaiions ordÎBaires- et ie^ syndi-
cal» professionneUv Cet ialérêt est natiitiple : 1® les synK
dieal» profesâ)oon<e}s àe<jtiièrenl la persoDnalité morale
moyeanant des foroiialilés an petK différentes de celles
qui sont inaposées aux associations ordinaires : dépôt à
la Enatrie, et non à la préfeetctre oa à la sous-préfectarey
dépôt ne portant que sur teâ statuts et sur les noms des
personnes chargées de Vadmiciislration et de la direction,
aJors qoe les associations ordinaires doivent faire con-
naître en outre le titre et Vobjet de Fassociation, et le
siège de ses établissements ; 29 les syndicats peuvent
compirendre des étrangers^ mais les membres chargés
de Tadministration ou de la direction doivent être Fran-
çais et jouir de leurs droits civils ; aucune règle sembla-
ble n'est imposée aii& associations ordinaires ; seulement
lorsqu'elles sont composées en miajeure partie d'étranr
gers, ou lorsqu'elles ont de& administrateurs étrangers^
ou leur siège à T étranger, elles peuvent être dissoutes
par décret du président de la République, rendu en
conseil des ministres^ lorsqu'elles se rendent coupables
de certains agissements prévus à Tarticle 2 (régie qni
n est pas applicable aux syndicats) ; 3^ les syndicats pro-
fessionnels peuvent former des îmions, dans les condi-
tions prévues à Tarticle 5 de la loi de 1884; mais ces
unions n'ont aucune personnalité moralp. Les associa-
lions peuvent, elles aussi, former des laiions ou fédéra-
impunité, de deux catégories de syndicats fmDfessioDnels, comme'
en droit anglais : les uns affranchis de toute iagérence administra-
tive, mais dépourvus de toute personoottlité civile ; les autres investis
de cette personnalité, et de tous les avantages qu'elle impMqaer
mais aatreiats ea éehaa^e à l'obligation du dépôt de leurs statuts.
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452 CHAPITRE IV
lions ; cela résulte, non du texte de la loi qui est muet,
mais très nettement, des travaux préparatoires ; et ces
unions sont plus favorisées que les unions de syndicats ;
car elles peuvent obtenir la petite personnalité en se
soumettant à la formalité de la déclaration (v. l'art. 7
du décret du (6 août 1901) (i) ; 4® les sanctions, en cas
de violation de la loi de 1884 sont contenues dans l'ar-
ticle 9 de la loi; la loi- de 1901, article 8, introduit de
son côté des sanctions pour le cas de violation de'ses
dispositions, et elles ne sont pas tout à fait les mêmes ;
5° enfin et surtout, la capacité du syndicat une fois
constitué est plus étendue que celle des associations
déclarées; notamment, d'après l'opinion, <jui tend de
plus en plus à prédominer, il peut recevoir des dons et
legs, et n'a besoin pour cela d'aucune autorisation (2).
Dans Tcnsemble, ces règles font aux syndicats pro-
fessionnels une situation plus favorisée que celle qui
appartient aux associations ordinaires. Il est évident
qu'une association qui ne répond pas à la définition de
la loi de 1884 ne peut pas se placer sous le régime des
syndicats. Nous pensons au contraire, comme il résulte
des explications précédentes, qu'une association répon-
dant par sa composition et son but à cette définition
peut, si elle le juge préférable, se placer sous le régime
de la loi de 1901, qui est celui du droit commun (3).
(1) V. sur ces points les explications détaillées de MM. Trouillot
et Ghapsal, op. cit., p. 123 et s.
(2) Sur les autres différences qui peuvent exister au point de vue
de la capacité, nous renvoyons au chapitre consacré à la capacité
des personnes morales.
(3) Le projet de loi rapporté par M. Barthou (Rapport du
28 décembre d903. Ck. Doc, Pari. Sess. extraord., 1903, p. 66)
modifierait plusieurs des termes de la comparaison précédente ;
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LA CREATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVÉ 453
157. III. Sociétés de secou7*s mutuels. -^ La loi du 4®^
juillet 1898 a introduit le principe de liberté à Tégard des
sociétés de secours mutuels avant qu'il ne soit introduit
dans le droit commun, mais en établissant à leur égard
une législation plus complexe que celle qui régit les syn-
dicats professionnels. Elle distingue, en effet, trois caté-
gories de sociétés de ce genre : les sociétés libres, les
sociétés approuvées, les sociétés l'econmœs (Futilité pu-
blique. La personnalité morale, avec une capacité limi-
tée, appartient aux sociétés libres, à condition qu'elles
remplissent les formalités de l'article 4 : dépôt de leurs
statuts, et des noms et adresses de toutes les personnes
qui, sous un titre quelconque, sont chargées de Tadmi-
nistration ou de la direction (dépôt effectué, comme
dans la loi de 1901, à la préfecture ou à la sous-préfec-
ture). Les statuts doivent contenir un certain nombre de
mentions indiquées à Tarticle 5. La capacité de ces
sociétés, sans être aussi grande que celle d^s syndicats
professionnels, est supérieure à celle des associations
déclarées de la loi de 1901, car elles peuvent, avec une
autorisation donnée tantôt par le préfet, tantôt par décret,
recevoir des dons et legs mobiliers.
Pour avoir des droits plus étendus, et surtout pour
jouir de certaines faveurs administratives (fourniture
gratuite de locaux par la commune, exemption de cer-
tains droits fiscaux, droit de verser leurs capitaux à la
caisse des dépôts et consignations), ces sociétés doivent
faire approuver leurs statuts par arrêté ministériel ; elles
sont dites alors sociétés approuvées. Mais celte appro-
notammeDt il étend encore la capacité des syndicats ; en outre
il permet de créer des unions de syndicats douées de personnalité
morale.
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4S4 CaATCTRS TV
batîon n'a pas le caractère dt^crétlonnaîre ; elle ne peut
être refusée que dans deux cas : 1* pour non-conforuaité
des fttaluts avec les disposîti<His d€ im loi ; 2^ si ie<s.
statuts ne prévoient pas des reoelibes proportionnées wix
dépenses pour la constitation des retraites garanties, on
des assurances en cas de rie^ de décès on d'accident. Le
refus d'approbation peut donc donner lieu à recours,
4]ui se porte devant le Conseil d'fitat, et qui a lieu «aiis
frais (art. 16).
Ekifin ces sociétés pefurent, comiise toutes aB6oeiai:toa«,
solliciter la reconnaÎMiance d'utilité publique, qui leur
confère la capacité appartenant aux établissements d'uti-
lité publique ordinaires, sauf quelques nuances.
Elles penveht former entre elles des tmmns (art, 8),
qui ont, elles aussi^ la personnaKté morale, et qtii se
divisent comme les sociétés elles-mêmes en libres^ ap-
proiwées^ reconnttes d'iuilki publique. Ces unions ont
la même capacité . que les sociétés de la classe corres-
pondante.
L'ensemble de cette législation spéciale maintenue en
vigueur par la loi de -1901, ne «"applique qu'aux sociétés
poursuivant, soil en totalité, soît en partie, les objets
divers permis aux mutualistes par Tarticle 1** de la
loi (1). En outre, pour qu'une socîélé puisse se placer
(i) Avant la loi de i898, âesvoeiétésde secours muto^k pouTaient
avoir seulemeot Tuo des buts suivants : secours temporaires à leurs
membres malades, blessés ou înfîrnaes ; pensions de retraite aux
sociétaires âgés ; soin -de poiirf»oÎT ani funérailles de leurs mem-
bres ; enfin assurances ooileetivcs ea cas de décès. L'art. 4 de la
loi de 4898 a étendu notat)lement leur cercle d'action. Elle leur a
permis de donner des fiecours temporaires pour maladies, bkasiire
ott iniîrmité, son seuleinoeni k leurs mneiobives partidpaats, mais
encore aux familles de ces membres ; elle a autorisé la fnêsie
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^A CREATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVE 455
âous l'empire de ces règles spéciales, il faut qu'elle
garantisse à tous ses membres participanls (1) les
tnèmes avantages, sans autre distinction que celle qui
résulte des cotisations fournies et des risques apportés.
Ne sont pas sociétés de secours mutuels les associations
-qui, tout en organisant, sous un titre quelconque, tout
•ou partie des services prévus à l'article 1«', créent au pro-
fit de telle ou telle catégorie de leurs membres et au
-détriment des autres des avantages particuliers. Mafs ces
sociétés pourraient, si leurs statuts ne renferment au-
cune clause illicite, contraire aux lois ou aux mœurs, se
lormer sous le régime des associations de la loi de d901.
La loi sur les sociétés de secours mutuels, pas plus que
4a loi sur les syndicats, ne prévoyait la possibilité d'éta-
blir une société de ce genre sans personnalité morale.
Ou bien la société de secours mutuels est une personne
extensîoD en ce qui concerne les pensions de retraite ; e\le leur a
permis de contracter^ non seulement des assurances collectives
jpoup le cas de décès ou d'accident (comme le permettaient déjà le.s
-art. 7 et 15 de la loi du il juillet 1868), mais aussi des assurances
sur la vie individuelles au profit de leurs membres. Elle leur a
permis en outre d'allouer de^ secours aux ascendants, aux veufs ^
veuves ou orphelins des membres participants décédés. Enfin, acces-
soirement, et à condition qu'il soit pourvu à ces dépenses au
moyen de cotisations ou de receltes spéciales, elle leur a per-
nais de créer au profit de leurs membres des cours professionnels,
des offices gratuits de placement, et enfin d'accorder des allocations
en cas de chômage. Cette dernière innovation, qui est particulière-
ment grave, et qui n'a pas passé sans difficulté, vise surtout les
sociétés de secours mutuels ayant un caractère professionnel « qu'il
a été dans la pensée du législateur d'encourager.
(1) €ela n'exclut pas pour les sociétés de secours mutuels, la
possibilité d'avoir des membres honoraires, c'est-à-dire payant la
•cotisation ou faisant des dons à l'association sans prendre part aux
«bénéfices attribués aux membres participants.
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456 CHAPITRE IV
morale, ou bien elle est illicite et doit être dissoute ; il
n'y ajpas place pour une situation intermédiaire. Mais^
là comme pour les syndicats, il pourrait arriver qu'une
société, rentrant par son objet dans le cadre des sociétés
de secours mutuels, préférât se placer sous Tempire de
la loi de 1901. En tant qu'association déclarée, elle le
pourrait certainement. En tant qu'association non dé-
clarée, c'est un point plus douteux, car on ne peut pas
concevoir une société de secours mutuels sans cotisation
et placement de fonds, et la possibilité pour une asso-
ciation non déclarée de percevoir des cotisations est
discutée. Si on admet avec nous l'affirmative, il faudra en
conclure qne, pour les sociétés de secours mutuels, aussi
bien que pour les syndicats, la loi de 1901 a indirecte-
ment introduit la possibilité d'une catégorie Douvelle,
celle des sociétés de secours mutuels non douées de per-
sonnalité morale.
158. VI. Sociétés ou caisses d'assurances mutuelles
agricoles. — Jusqu'à la loi du 4 juillet 4900, ces sociétés
sans être rangées par la doctrine dans la catégorie des
sociétés véritables (1) étaient cependant réglementées,
comme les autres assurances mutuelles, d'après les prin-
cipes des sociétés. En vertu de l'article 66 de la loi du
24 juillet 1867, et du décret du 22 janvier 1868, elles
étaient soumises non au principe de l'autorisation gou-
vernementale, mais à une série de formalités assez com-
(4) D'après le critérium couraDt (ci-dessus, nos lOO et s.)# toutes
les sociétés d'assurances mutuelles sont des associations, et l'ex-
posé des motifs de 4867 faisait bien ressortir que le législateur ne
la réglementait dans la loi sur les sociétés qa^utilitatis causât à
raison de la ressemblance de ces associations avec des sociétés véri-
tables (V, Lyon-Caen et Renault, Tra/^é de droit comm.^ t. 2,
no 34).
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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVE 457
plexes. En fait, un certain nombre de syndicats agri-
coles avaient cru pouvoir constituer des sociétés de ce
genre, sans autorisation, sous le couvert de la loi syn-
dicale. Mais les parquets n'avaient pas admis cette possi-
bilité (plus que douteuse en effet), et avaient commencé
des poursuites contre quelques-unes des associations
ainsi constituées. C'est pour régulariser la situation de
ces sociétés, jugées dignes dfe faveur, que le législateur
est intervenu. La loi du 4 juillet 1900 les soumet sim-
plement, au point de vue de leur constitution, aux for-
malités imposées aux syndicats professionnels ; elle en
fait donc des personnes morales du type associatioriy
plulôt que du type société. Cette faveur n'est d'ailleurs
accordée qu'aux sociétés constituées entre agriculteurs^
gérées et administrées gratuitement, n'ayant en vue et
ne réalisant en fait aucun bénéfice, et ayant pour objet
de garantir leurs membres contre les risques agricoles
(Voir le rapport de M. Mir, au Sénat, dans Dali.
1900-4-83).
Ces sociétés, comme les syndicats eux-mêmes, pour-
raient aujourd'hui se constituer sous le régime de la loi
dul«^ juillet 1901.
I 3. — Sociétés
159. D'après les explications données plus haut
(n°' 71 et s.), nous ne considérons comme personnes
morales que les sociétés à personnel variable, c'est-
à-dire les sociétés anonymes et les sociétés en com-
mandite par actions. Nous n'avons pas d'ailleurs, en
ce qui les concerne, à étudier le détail des règles de
constitution, règles très complexes à raison de la multi-
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458 CHAPITRB IV
plicîté des intérète en présence : souscription intégride
du capital, versement du guart ou de la totalité de
chaque action, déclaration par-devant notaire de Tétat
des souscriptions et versements. Toutes ces règles con-
cernent la validité de la société en elle-même, la forma-
tion du substratum de la personnalité. Elles sont com-
plétées par les règles sur la publicité des sociétés,
publicité qui seule achève la personnalité de la société,
Jusque-là simplement en voie de formation (i).
La législation a, comme on le sait, abandonné depuis
1867 (2), le système de l'autorisation préalable, qui
n^est plus en vigueur chez nous que pour les sociétés
ayant pour objet les assurances sur la vie (3). Elle est
donc arrivée en cette matière, plus vite qu^en matière
d'association au système de réglementation légale subs-
titué à celui d'autorisation préalable. En cela elle n'a
fait que suivre ou devancer la plupart des législations
étrangères (4). Le pouvoir reconnu jadis à l'Etat sur ce
point n'avait point d'ailleurs le même caractère que celui
qui lui était attribué en matière d^association; il n'a
Jamais ici séparé arbitrairement la formation du groupe
(1) V. sur ces dernières règles, Thaller, Droit commei^cial,
nOs 359 et s. (3e éd). Lyon-Caen et Renault, T^^aité (3° éd.), t. 2,
n^s 188 et s. La même pufoiicitë est aujourd'hui exigée à peu de
-chose prés pour toutes les sociétés de commerce, et toutes les
liociëtés civiles à forme commerciale.
(2) Partiellement depuis 1863.
(3) En outre pour les tontines. Mais les tontines ne sont pas des
sociétés au sens propre du mot.
{4) « L'autorisation dit M. Thaller (op. cit.^ n® 994) est aujourd'hui
un système condamné. 11 a été abandonné à peu près partout (sauf
en Hollande, en Autriche, où il a été bien atténué depuis ^889, en
Russie dont la législation de i90l prépare une réforme libé-
' raie, etc.) » — V. Ljon-Caen et Renaul, op, cit^^ ao« 673 et s.
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CA CREATION DES PEBSOIVJiBS ilOftAI«E3 DE DROIT PRIVÉ 4^9
/
-de sa reconnaissaoce à titre de personne moi^aie ; ce
qu'il autorisait ce n^était pas la persoaualîté, c'était
la formalioa même de ]a société^ la constîiutioa du
^ubstratum. L'absence d'aulorîsatioa n'avait pas pour
«ffet de laisser subsister un groupement licite dépouivu
de persounalité; elle entraînait le caractère illicite du
croupe lui-même. C'est encore ce système qui est au-
jourd'hui en vigueur pour les sociétés d'assurance sur
la vie. Les motifs de cette exigence et ceux de sa sup-
pression n'appartiennent donc pas en réalité à la théorie
•de la personnalité morale, et il ne nous semble pas qu'il
y ait lieu d'y insister ici.
160. Les sociétés d'assurances mutuelles constituent,
4'après le critérium généralement adopté, plutôt des asso-
ciations que des sociétés. Pourtant le législateur, se rap-
prochanten fait de Topinion que nous considérons comme
préférable, les a réglementées, dans îa loi du 24 juillet
1867^ et le décret du 22 janvier 1868, en même temps que
les sociétés^ et les a soumises en principe aux mêmes
règles (1). S'il s'agît d'assurance sur la vie, il leur faut
raulorisaliori gouvernementale; pour toute autre, elle
n'est plus nécessaire depuis 1867, et il suffit à rassoçîa-
lion de se soumettre aux formalités des articles 8 et 10
-du décret de 1868. Mais cVst une question controversée
que de savoir si ces associations constituent des per-
sonnes morales. Pour nous, nous ne le mettons point
en doute, ces associations étant normalement à per-
{i) V. cî-dessas, n** 100 et s. L'eiposé des motîft de la loi
-de 4867 fait d'ailleurs ressortir que le législateur ne réglemente
ces assuraiH^es dans ia loi sur les saciélés qauiilitalis causa, à
raison de ieur ressembla&ee arec les sociétés véritables. V. Ljo&-
€aen et R^iault, Truite de droit commercial:, t. % a® M.
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460 CHAPITRE IV
sonnel variable," et devant, d'après nos principes,, être
considérées comme personnes morales par cela seul
qu'elles sont licites, et que la législation ne s'y oppose
pas d'une manière expresse. Or, bien loin qu'elle s'y
oppose, il nous semble que la réglementation de ces
associations dans la loi de 1867, et l'ensemble des dis-
positions du décret de 1868, supposent implicitement
ridée de personnalité (1).
§ 4. — Fondations
160 bis, La fondation de droit privé peut comme
nous Tavons dit, exister avec ou sans personnalité
morale. Nous n'avons à nous occuper ici que des fon-
dations auxquelles leur auteur a' voulu donner une
certaine autonomie, et qui en conséquence aspirent à
se constituer comme personnes morales distinctes..
Pour elles, comme pour les associations, il y a deux
questions à distinguer : celle de la constitution du subs^
tratum, celle de l'autorisation par l'Etat. — Le subs-
Iratum, ici, au lieu d'être un groupe de personnes s'as-
sociant en vue d'un but, est un groupe de personnes
désigné par leur fondateur (par exemple les pauvres de
telle commune), personnes, qui ont entre elles aucun
lien contractuel, qui en conséquence n'organisent pas
elles- mêmes leur représentation légale, et auxquelles
il faut que le fondateur fournisse l'organisme nécessaire
à cette représentation. L'acte de fondation consiste donc
(1) V. sur la controverse, Lyon-Caen et Renault, Traité, t. 2,
n»« 137-438. Ces auteurs admettant la négative. M. Thaller (n* 737>
déclare que Taffirmative n*est cependant guère douteuse.
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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVE 461
essentiellement en deux choses : désignation du groupe
destinataire/conslitution de l'organisme de la fondation.
En droit privé, il comprend toujours en outre pratique-
ment Tassignation, à la fondation ainsi organisée, d'un
patrimoine provenant. du fondateur. Nous verrons plus
loin pourquoi cette condition de fait est généralement
exigée (i).
Beaucoup de législations réglementent ce premier
stîide de la créalion d'une fondation privée ; ils font de
cette constitution un acte stii generis, qui peut se faire
soit entre vifs, soit à cause de mort (2). Notre législation
(1) Ci-dessous n^ 166 in fine.
(2) C'est Je cas notamment pour le Code civil allemand §§ 80
et s. D'après ces dispositions, la fondation peut se faire soit entre
vifs, soit par acte de dernière volonté. Dans les deux cas, elle est
soumise (à la différence de la corporation à but idéal), au principe
de l'autorisation gouvernementale.
La fondation entre vifs se fait par écrit ; elle consiste dans une
déclaration unilatérale de volonté. La loi n'indique pas expressé-
ment tout ce que doit contenir cette déclaration. Il va sans dire
qu'elle doit manifester la volonté de créer une nouvelle personne
juridique, et en même temps indiquer le but de la fondation de
manière à Tindividualiser d'une manière sufGsante ; elle doit auss^
régler la désignation du Vorstand, c'est-à-dire de Torgane destiné
à administrer la fondation. La question de savoir si elle doit aussi
contenir nécessairement la constitution d'un patrimoine au profit
de l'œuvre à fonder est discutée : elle dépend de la notion même
que l'on se fait de la personnalité morale. Dans le sens de l'affir-
mative, V. Planck, sur le §81, n^ 2 ; Meurer, Die jurist, Personen,
§ 24, et § 2o, p. 248 et s. ; dans le sens de la négative : Stintzing,
dans Archiv fur die civilist. Pi^axis (1898), t. LXXXVIIÏ, p. 414).
La déclaration de volonté ainsi faite reste révocable tant que l'autori-
sation gouvernementale n'a pas été obtenue ; elle produit toutefois
son effet dès le moment où elle intervient en ce sens que si posté-
rieurement (et môme avant l'autorisation), le déclarant meurt ou
devient incapable, elle continuera de subsister. A partir de l'auto-
risation la fondation a un droit de créance contre le fondateur, qui
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462 CHAriTRB IT
au contraire n'a jamais fourni anx fondateurs ce moule
spécial^ dont l'existence a cependant le très^ grand avan-
tage de foiinar des règles juridiques précises à la période
embryonnaise de la fondation. Elle a toujours va dans^
la fondation une simple dtapoeition de biens faite à titre
gratuit, et elle a toujours renvoyé le fondateur à Tappli-
calion Hes règles du droit commun sur les libéraUtéa»
De là des difficultés nombreuses dont nous parlerons
plus loin.
Quant à la question d'aotorisation par TEtat, notre-
légTslatioDy au moins depuis la période révolutionnaire,
et même, suivant Topinion commune, depuis TEdit
de 1749, (t) Ta toujours considérée comme nécessaire
est obligé de loi transférer les droits indiqués par loi comme devant
servir à doter la fondation ; elle derient immédiatement titolaîre
des droits qui, d'après le droit eommnn, se transmettent par %m
simple contrat de cession.
La fondation pa?' acte de dernière volonté se fait dans ime dis-
position testaosentaire qui contient toat à la foi» rëtabUssement de
la fondation, et sa dotation par legs oo institution d'héritier. D b*j
a pas \k deux actes jaridiqnes distincts^ mais un seal. L'antoma-
lion gon?ernen&entale doit être donnée par le tribanal de la soeee»-
sion, lorsqu'elle ne Test pas par Théritier ou l'exécuteur testa-
mentaire. Elle pourrait d'ailleors être donnée d'office (V. pour ks
détails : Saleilles, op. cit., p. d4 ets.\. Le projet de Code ci? il
suisse, art, 90 ei s., contient àos dispositions analogues : la fonda-
tion est constituée par acte authentique ou par disposition de der-
nière volonté. Elle est inscrite au registre du commerce. Mais, à la
différence de la législation ailemande, le projet n'exige pas l'autori-
sation de TEtat.
(1) Il semble bien que ce soit à cette date seulement que remoitte,.
dans notre aocien droit, la nécessité d'une autorisalioik par Lettres
patentes pour les fondations, — et ene<»e cette nécessité com-
portait certaines exceptions. V, sur ces points : de LapradeUe^
Théorie et pratique des fondations^ p. 371 et s. — M. Salmoa, La
fondation et VEdit d'août 1749 (dans Revue générale d'Admi-
nistration 1904, t. a. p. 395 et s., et 1905, t. L pp. 12 et s.), a son-
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LA CBÉÀTION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVÉ 46^
pour arriver à la personnalité d'ane fondation. Il n'y a
donc eu ici aucune évolution analogue à celle qui s'est
produite pour la personnalité des associations. Comme
nous Favons déjà dit, nous croyons préférable de main-^
tenir cette règle qui est admise dans la plupart des^
législations étrangères (1).
161. Nous avons dit que c'était uniquement dans le
droit commun des libéralités que le fondateur devait
puiser les moyens nécessaires pour conférer à la fonda-
tion Texistence de fait préalable, nécessaire de la de-
mande en autorisation. Le procédé qu'il peut employer
varie suivant qu'il veut organiser et doter la fondation
de son vivant ou seulement après sa mort.
Dans le premier cas il faudra d'abord qu'il consacre-
en fait certains biens au but qu'il se propose. Il fera
construire, par exemple, de ses deniers, Thôpital qu'iV
veut fonder ; il y installera le personnel nécessaire^ et le
fera fonctionner comme il fonctionnera dans l'avenir.
-Mais, pendant cette période, l'œuvre n'aura aucune per-
sonnalité; ce sera le fondateur lui-même employant une
partie de son patrimoine à un but' désintéressé, et con-
servant toute sa liberté d'action (sous réserva) des contrats
qu'il a pu passer avec certains collaborateurs) soit pour
augmenter, soit pour diminuer Fimportance des sommes
affectées à la fondation, ou même pour supprimer l'œuvre
tenu que, même à partir de cette date, la fondation était en prin-
cipe libre.
(i) Il ne nous parait pas nécessaire de passer ici en revue, avee
détails, les diverses législations. La nécessité d'une autorisation par
FEtat est admise notamment en Allanagne^ Italie, Belgique, Espa-
gne. Elle est au contraire écartée en Angleterre, en Hollande, et,
dans le Projet de Code civil suisse. On peut consulter sur le droit,
comparé en cette matière : de Lapradelle, op, cit,, pp. 377 et s.
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464 CHAPITRE IV
entièrement. C'est seulement quand la fondation aura
ainsi fonctionné en fait pendant un certain temps, qu'il
pourra obtenir qu'elle soit dotée de la personnalité civile
au moyen de la reconnaissance comme établissement
d'utilité publique. Cette reconnaissance est faite par décret
au Conseil d'Etat (1), et le Conseil d'Etat a élaboré, pour
les établissements de ce genre qui la sollicitent, un
modèle'de statuts-types, qui diGTere par quelques détails
de celui qui est proposé aux associations (2).
Dans ce système, la fondation n'a, tant que Tautorisa-
tion n'a pas été obtenue, aucune existence légale ; son
patrimoine futur se confond, au point de vue juridique,
avec celui du fondateur, puisque TafiFoctation, même
déjà réalisée en fait, n'est légalement qu'un projet. Il ne
semble pas que, dans cette situation, il soit possible de
lui reconnaître la vie embryonnaire que nous avons
reconnue à l'association non personnalisée. Aucun acte
juridique n'est en effet encore venu attester son exis-
tence dans le domaine du droit, pas même un acte ana-
logue au contrat qui donne naissance à l'association. Il
(i) Pour les associations, il faut, depuis la loi du 4«r juillet 1904
{art. 10), un décret rendu dans la forme des règlements d'admi-
nistration publique. Aucun texte jusqu'ici n*étend cette exigence au
décret qui reconnaît l'utilité publique d*une fondation. Il semble qu'il
faille toujours appliquer ici le règlement du 3 avril 1886, qui, modi-
fiant Tart. 7 du décret du 2 août 1879, soustrait la question à l'As-
semblée générale du Conseil d'Etat pour la soumettre seulement à
une délibération de section .
(2) Ils ont été distribués, le 23 mars 4896 (V. le texte dans /?er Me
des établiss. de bienf,, 1897, p. 330). On peut citer, comme types
des fondations de ce genre, faites soit entre-vifs, soit à cause de
mort, l'asile Galliéra, et la fondation Furtado-Heine (V. eod. l.,
p. 329), l'Académie de Goncourt, etc. (V. Lévy Ullmann et Grune-
baum Ballin, dans Revue trimestrielle de droit civil).
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hk CREATION DES PERSON^TES MORALES DE DROtT PRIVE i6&
en serait tout autrement dans les législations qui, comme
le Code civil allemand, admettent la création de la fon-
dation par acte unilatéral de volonté ; même si elles
exigent Faulorisation de TEtat, elles voient le véritable
acte créateur dans l'acte de volonté, et elles doivent
logiquement considérer Tautorisation comme purement
déclarative, et comme rétroagissant au jour où la fonda-
tion a été constituée (I).
162. Pratiquement c'est surtout à des dispositions à
cause de mort que les fondations doivent leur origine.
L'absence d'une institution juridique spéciale crée pour-
tant ici des difficultés graves. Le fondateur ne peut léguer
ses biens à l'œuvre à fonder, puisque celle-ci n'exisle
pas encore. Il est donc obligé de prendre un détour, et
de léguer à personne déjà existante, à charge par le
légataire d'établir en fait la fondation. Les difficultés
varient suivant le procédé employé.
1® L'intermédiaire choisi peut être une personne
physique, simplement chargée d'affecter les biens au but
que se propose le fondateur, sans être obligée de solli-
citer pour Toeuvre entreprise «la personnalité morale.
C'est le procédé du testament de Théophraste et du tes-
tament 'de Nicole, et nous le retrouvons chez nous fré-
quemment employé, par exempte dans ' le testament
Baron, et dans le testament Graule, qui ont fait l'objet
(1) Aussi les auteurs allemands sont-ils disposés à admettre une
vie embryonnaire de la fondation analogue à la vie embryonnaire
de l'association. V. Gierke, Deutsches Prioatrecht, § 78, n<> 3
(p. 651-652). La solution dépend d'ailleurS des idées théoriques
sur la nature de la personnalité morale ; le système de la Action
conduit à nier cette vie embryonnaire, puisqu'il considère l'autori-
sation de TEtat comme l'acte créateur.
MICHOUD 30
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406 CBAPITBB IV
1*UQ et l'autre d'une lougue série de décisious judi-
ciaires (1).
Au point de vue du résultat pratique, ce procédé est
évidemment incomplet, parce que, n'aboutissant pas à la
personnalité morale, et ne s*appuyant d^ailleurs sur au-
cune personne morale déjà existante, il n'assure pas,
d'une manière suffisante, la perpétuité de Pœuvre. Au
point de vue juridique, il doit, à notre avis, être considéré
comme régulier; mais il a donné lieu à des objections que
nous ne pouvons examiner ici dans tous leurs détails. La
plus grave se présente dans le cas où le bien légué doit
être en entier afifeclé à l'œuvre ; on a pu soutenir dans ce
cas, avec beaucoup de force, que le legs était nul parce
(1) Sur le testament de Théopbraste, v. de Lapradelle, Théorie
et pratique des fondations, p. 43. Sur le testament de Nicole,
eod* loc,^ p. 144, note 4 (Denizart, v. Fidéicommis, § 3, n^* 3, cite
d'autres exemples). Sur le testament Baron, v. Orléans, 8 jan-
vier 4885 et Cass. 5 juillet 4886. D. 86. 1. 465 ; et S. 90. 4. 244,
note de M. Labbé. Angers, 22 juillet 4887. D. 89. 2. 4 ; et Req.,
6 mai 1888. D. 89. 4. 344, et S. 90. 4. 244. La demoiselle Baron,
avait légué tous ses biens au comte Armand de Biencourt, à charge
d'établir à perpétuité, à Azay-le-Rideau, une école libre de gar-
çons ; il était dit dans le testament qu'en aucun cas on ne pour-
rait changer l'affectation des biens légués, et que le légataire aurait
soin de prendre toutes les dispositions nécessaires pour assurer la
continuité de l'œuvre après sa mort. L'arrêt de la Cour d'Orléans
annule ces dispositions, comme ne contenant pas un legs sérieux ;
elles sont au contraire validées par les autres arrêts ci-dessus cités.
Sur le testament Graule, v. Montpellier, ^23 avril 4900, et Cass.,
4â mai 4902, D. 4902. 4. 425, avec les conclusions de M. le procu-
reur-général Baudouin. M. Graule avait institué comme légataires
universels trois personnes, chargées d'employer les biens k la fon-
dation d'une œuvre hospitalière dont la direction serait conûée à
des religieuses, et, aGn d'assurer la perpétuité de l'œuvre, avait
engagé ses légataires universels à former entre eux une société
civile de longue duiée. Les deux arrêts ont admis la validité de
cette disposition.
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LA GRBATION DES PBRSOPtNES AtORALfiS DE DROIT PRIVE 469
.qu^il ne comporte aucun avantage, même simplement
éventuel, pour le légataire, et que Vanimus donandi,
cause essentielle de tout legs, lui fait défaut (4). Même
pour le cas où la charge n'absorbe pas en entier Fémolu^
ment du legs, on peut encore objecter que les bénéfi-^
ciaires dé la fondation ainsi faites doivent être assimi-
lés à des légataires, que ce sont des personnes incer-
taines, pouvant n'être pas même conçues à l'époque
du décès du testateur, et que l'article 906 fait obstacle
à la disposition faite en leur faveur. On peut objecter
enfin que rétablissement même à créer est au fond le
véritable légataire, et que l'article 911 fait obstacle à ce
qu'il puisse recevoir, puisqu'il n'est pas une personne
juridique et même ne doit jamais Têtre.
La jurisprudence n'a pas cru devoir s^arrêter à ces
objections : elle a répondu à la première que ce qui fait
le legs, c'est la transmission à titre gratuit de la pro-
priété des biens légués, et que, si le légataire devient
incontestablement propriétaire, il importe peu qu'il
n'acquière cette propriété qu'eu assumant des charges
capables d'en absorber l'émolument; que c'est à lui à
apprécier s'il doit accepter, et que, s'il le fait, le legs est
valable alors même qu'il constituerait le légataire en
perte. Elle a répondu à la seconde et à la troisième que
les articles 906 et 911 ne s'appliquent qu'au legs direct
(4) V. le développement de cette idée dans de^ Lapradelle, op,
cit., p. 125 et s« (Uauteur vise l'hypothèse d'un legs à charge de
fonder un établissement pour lequel on demandera la personnalité ;
mais l'objection est la même, dans le cas contraire). Au raisonner
ment général indiqué au texte, il ajoute (p. 433) que, par là, on
violerait Tart. 1026 Ce, qui refuse la saisine des immeubles à l'exé-
cuteur testamentaire, parce qu'au fond le légataire dont il s'agit
n'est pas autre chose qu'un exécuteur testamentaire
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I6â CfiAPlTllE IV
et non au legs fait indirectement sous forme de charge.
La majorité de la doctrine s'est montrée disposée à
accepter ces réponses (1). Les dispositions ainsi faites ne
peuvent d'ailleurs être grevées d'aucune charge formelle
de conserver et de rendre ; elles tomberaient, en efiet,
par là sous le coup de la prohibition des substitutions,
et on pourrait en outre leur reprocher d'aboutir à la
constitution d'une mainmorte occulte. Il est clair que
cette règle aggrave la précarité qui s'attache à toute
fondation de ce genre.
163. 2° L'intermédiaire choisi est une personne mo-
rale, qui doit affecter les biens au but désigné, sans être
obligée de solliciter pour l'œuvre entreprise la person-
nalité morale : par exemple un legs est adressé à une
commune à charge de fonder et d'entretenir une école
dans des conditions déterminées, à une Académie à
charge de distribuer des prix, etc. (2). Ici nous ,ne
(1) V. particulièrement la note de Beudant, sur Tarrôt de Besan-
çon, 26 mars 1891, D. 93. 2. 1, et les nombreuses références qui y
sont citées.
(2) 11 faut classer dans la même catégorie la libéralité adressée
à une personne morale existante, â charge par elle d*en faire béné-
ficier un service dont elle a la charge, mais qui n'est pas érigée à
titre de personne morale : libéralités faites au département en
faveur du service des enfants assistés ; au maire, représentant légal
des pauvres en faveur d'une œuvre municipale, crèche, nursery,
ouvroir, etc., non personnalisée (V. notamment dans les Notes de
jurisprud. administ,, publiées en 1892, p. 183, les libéralités
autorisées en faveur de crèches, qui, bien que n*étant pas reconnues
d'utilité publique, se rattachent étroitement à l'Administration
municipale). En la forme, les libéralités de ce genre sont souvent
adressées à rétablissement non reconnu lui-même ; mais elles sont
considérées comme s'adressant à la personne administrative com-
pétente, avec charge d'en faire profiter l'œuvre en question. Toute-
fois; il faut pour cela que la libéralité vise les pauvres et non
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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVE 469
retrouvons plus la première des objections adressées à
la fondation par intermédiaire de personne physique
(celle qui est tirée du défaut d'animus donandï) ; c'est
bien, en effet, gratifier la personne morale que de lui
donner des biens affectés au but ou à l'un des buts en
' vue desquels elle a été créée ; par là on facilite sa tâche,
et c'est la seule manière de gratifier une personne
morale, puisque, à la différence des personnes physi-
ques, elle n'a d'autres besoins que ceux des services
dont elle est chargée. La seconde objection signalée
plus haut, celle qui est tirée du caractère futur et incer-
tain des bénéficiaires de la fondation, aurait il est vrai,
la même valeur ici que pour les personnes physiques ;
mais nous avons vu que la doctrine et la jurisprudence
ne s'y étaient jamais sérieusement arrêtées.
Aussi le procède^ de fondation dont il s'agit est-il
généralement approuvé de tous, et il est d'une pratique
courante; Il présente l'avantage de n'être pas précaire
comme la fondation par legs à personne physique, puis-
que l'intermédiaire choisi est une personne morale à
vie indéfinie. En outre, il n'y a pas de danger qu'il,
aboutisse à la constitution d'une mainmorte occulte,
puisque les legs à personne morale sont d'ordinaire
soumis à autorisation du Gouvernement. Le procédé
a cependant plusieurs points faibles : 1° il est fort pas-
Tœuvre incapable elle-même. V. Derouin, Gory et Worms, Traité
de Vassistance publique, t. 2, p. 440, et les arrêts des tribunaux
judiciaires qui statuent en ce sens. C'est dans la même catégorie
qu'il faut ranger les libéralités adressées aux fabriques, à charge
de fondation de services religieux (fondation qui peut d'ailleurs
aussi être faite avec la fabrique par voie de convention, et qui dans
ce cas n'a pas le caractère de libéralité).
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470 CHAPITRE IV
sibië que le fondateur ne trouve pas, parmi les per-
sonnes morales existantes, un groupement dont TAd-
ministration lui inspire toute confiance au point de vue
de Vesprit dont il désire que son oeuvre soit animée ;
dans ce cas, il est fort naturel qu'il cherche à créer
une personne morale nouvelle dont Torganisme soit'
pleinement approprié au but qu'il a en vue; 2° le
procédé garantit moins bien la perpétuité de Tœuvre que
la création d'une personne morale nouvelle, parce qu'il
ne donne pas à Tœuvre des représentants spéciaux,
uniquement chargés de maintenir Taffectation des biens ;
il pourra arriver un moment où la personne morale léga-
taire sera tentée de détourner ces biens pour les affecter
à quelque autre de ses services ; et si on est éloigné de
Tépoque de la fondation, il y a chance pour qu'aucun
héritier ne réclame, et que rien ne fasse obstacle à ce
changement de destination ; 3* enfin notre jurisprudence
française oppose à ce procédé un obstacle artificiel, qui
est de nature à aggraver les inconvénients précédents :
elle ne permet à chaque personne morale de recevoir des
libéralités à charge de fondation que si ces libéralités
rentrent dans le cercle de sa spécialité. Ce principe (que
nous étudierons à propos de la capacité des personnes
morales) gêne souvent le choix du testateur, et peut
être un motif de plus pour qu'il cherche à créer une per-
sonne morale nouvelle (1).
(i) Cpr. la note de Beudant ci-dessus citée (D. 93. 2. 2) : « Il
peut arriver que... le créateur de la fondation ne rencontre pas un
établissement public ou d'utilité publique ayant qualité pour réali-
ser la pensée conçue, et en assumer la tâche ; c'est possible, puis-
que à l'inverse des personnes humaines qui ont la plénitude de
capacité juridique, les personnes civiles .>. n'ont qu'une capacité
limitée par le service qui leur est confié. Ou bien, s'il s'en trouve
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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVÉ 471
164. 3® Il peut le faire en prenant comme intermé-
diaire une personne physique, qu'il charge de créer
Tœuvre avec les biens légués, et de solliciter ensuite
pour elle la personnalité morale, c'est-à-dire dans notre
droit la reconnaissance comme établissement d'utilité
publique. Les objections que Ton peut faire à la situa-
tion du légataire sont à peu près les mêmes que celles
qui ont été indiquées plus haut à propos de la constitu-
tion par œuvre de fait confiée à personne physique, et
on y répond de la même manière. Il faut convenir cepen-
dant que quelques-unes paraissent prendre une force
plus grande à raison de Tobligaiion imposée au léga-
taire de solliciter pour Pœuvre la personnalité morale.
Ne peut-on pas dire ici qu'il n'est point un légataire
sériepx, puisqu'il est obligé, non seulement à donner
aux biens une affectation déterminée, mais encore à se
dépouiller de leur propriété ? Ne peut-on pas soutenir
aussi qu'au fond c'est l'œuvre à créer qui, dans la
pensée du testateur, est bien le véritable légataire, puis-
qu'il a voulu qu'elle fût propriétaire^ et, si on admet
cette idée^ la nullité de la disposition n'en ré^ulte-t-elle
pas nécessairement en vertu de l'article 906 ?
Il faut bien avouer que ces objections sont pressantes.
Le mode de fondation dont il s'agit est pourtant, de
tous les procédés, le plus souple, et le seul qui soit
quelqu'une à qui il pourrait s'adresser, il se peut qu'il ne Jui con-
vienne pas, pour des raisons dont il est seul juge, de s'en remettre
à elle du soin de servir l'œuvre projetée, dans la crainte, par
exemple, qu'elle n'y apporte pas l'esprit qu'il entend jr attacher ».
L'inconvénient est encore aggravé par le principe de laïcité, qui
s'impose aujourd'hui à tout établissement public, autre que
rétablissement public consacré exclusivement aux besoins du
culte.
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472 tBAPITRB IV
assuré de répondre toujours aux intenlious du fondateur,
tout en donnant à son œuvre la perpétuité qu'il désire.
Aussi l'a-t-on généralement approuvé, wrt/tVam causa, et
parfois même on le trouve approuvé par des auteurs
qui refusent de reconnaître la validité du premier pro-
cédé indiqué ci-dessus. Ils considèrent la fondation par
legs sub modo à personne physique comme valable dans
le cas seulement où le légataire. est obligé de demander
la reconnaissance d^utilité publique (i). Ce mode est le
seul équivalent, dans les législations comme la nôtre, de
la fondation directe par testament, tel que l'admet le
droit allemand.
La vérité est que, dans ce cas, il est impossible de
nier que la fondation n^implique un legs adressé à l'œu-
vre à fonder, avec la condition si nascatur. Le légataire
apparent n*a ici la propriété que d'une manière intéri-
maire et dans le but de transférer les biens à un tiers.
L'ensemble de la discussion devrait aboutir à permettre,
comme le faisaient déjà plusieurs de nos anciens au-
teurs (2), comme Ta admis Troplong sous le droit
(1) C'est notamment Topinic^n soutenue par M. lissier, Dons et
legs, Ti^ 72 et s. C'est aussi celle qui paraît avoir été admise par la
Cour de cassation pendant un certain temps, notamment dans les
arrêts suivants : Caen, 32 juin iS58, et C^ss., 7 novembre 1859.
Testament de la dame Delivet, chargeant sa légataire universelle
de fonder dans la commune un établissement scolaire et charitable,
et de le faire reconnaître comme établissement d'utilité publique :
Cass. 8 avril 4874, legs à charge d'achever la fondation à Anduze,
d'un établissement dit Asile de Bon Secours, et d'en obtenir la
reconnaissance comme établissement d'utilité publique. Ces arrêts
admettent qu'il y a là une charge et non un legs^ et que l'établis-
sement à fonder pourra en demander le bénéûce lorsqu'il sera
reconnu d'utilité publique.
(2) Par exemple Furgole et Ricard. V. les citations dans Sal-
mon, op, cit., n« il (Revue gén. d'Adm., 1904, t. III, p. 393),
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LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVE 473
actuel, que Ton peut léguer directement à' l'œuvre à
fonder, sôus la condition qu'elle sera reconnue. Il est
vraiment puéril de rejeter ce procédé, complété par la
nomination d'un exécuteur testamentaire, et d'admettre
le procédé de legs à personne physique à charge de
fonder (1).
(J ) MM .Lévy Ullmann et Granebaum (Essai sur les fondations par
testament dans Revue trimes tr. de Droit civile 1904, p. 277-278)
admettent la validité de la libéralité adressée |i une œuvre à fonder,
en se basant sur un raisonnement des plus simples. «Tout est fac-
tice, disent-ils dans la personnalité civile : et l'autorité publique
qui crée artiflciellement l'existence juridique peut a fortiori fixer
le point de départ de cette existence, la date de la naissance de
la personne morale ». A la bonne heure ! C'est le principe de la
fiction guérissant lui-même les blessures qu'il a faites ! On arrive
ainsi à permettre non seulement le legs à l'œuvre ayant déjà une
existence de fait, mais le legs à l'œuvre future, qui n'existe au
moment du décès que dans la pensée du testateur ; et en somme
on supplée à l'absence d'un texte analogue aux art. 80 et s. du Code
civil allemand. Il n'est plus nécessaire de faire de la fondation par
testament un acte sud generis, puisque le procédé du legs à œuvre
future en joue le rôle. Nous voudrions bien sincèrement pouvoir
accepter cette formule si simple ; mais nous avons des doutes sur
sa valeur, même en nous plaçant hypothétiquement avec les deux
auteurs, sur le terrain de la fiction : sans doute le Gouvernement,
avec ce système, est le maître absolu de l'emploi qu'il doit faire de
cette fiction ; il peut (et c'est pour nous un des graves inconvé-
nients de la théorie), l'employer même lorsque la réalité ne lui
fournit aucun substratum. il n'y a pas de limite à son pouvoir. . .
dans l'avenir ; mais peut-il en être de même dans le passé ? Un
des principes de notre droit (appliqué par Part. 906, d'une
manière expresse, aux seules personnes physiques, mais cependant
général par ses motifs), c'est quç pour recevoir une libéralité par
testament, il faut exister à l'époque du décès du testateur. Si une
libéralité est faite à une personne non encore existante à ce
moment, il y a, dès le jour de ce décès, droit acquis pour les héri-
tiers à demander la nullité du legs. Comment admettre que le Gou-
vernement ait par un acte postérieur, le pouvoir de porter atteinte
à ce droit acquis ?
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474 CHAPITRE IV
165. 4** Enfin le testateur peut faire une libéralité h
une personne morale déjà existante, mais à la charge
pour elle d'ériger l'œuvre qu'elle entreprend en personne
morale distincte : libéralité adressée à une commune à
charge de fondation d'un établissement public de bien-
faisance (1), à un hospice en vue de la fondation d'un
orphelinat, etc. (2). Ce procédé^ qui n'est applicable
qu'exceptionnellement, présente, sur celui décrit ci-des-
sqs sous le n® 2, l'avantage de donner à Tœuvre une
représentation distincte ; mais, pas plus que lui, il ne
donne au testateur la certitude de trouver pour intermé-
diaire une personne morale animée de Tesprit qui Tins-
pire, et comme lui il se heurte aux difficultés naissant des
principes de la spécialité et de la neutralité. En outre,
il n'est pas à l'abri des critiques juridiques adressées au
procédé décrit sous le n<* 3; car la personne morale gra-
tifiée en apparence n'est, comme la personne physique,
qu'un intermédiaire chargé de remettre la propi'iété des
biens à une autre personne morale, laquelle n'existe pas
encore au moment du décès du testateur.
166. Quoi qu'il en soit de toutes ces difficultés de
droit privé, il est certain dans notre droit que les per-
sonnes à qui par testament le fondateur a assigné le
rôle d'instituer la fondation, ne peuvent donner à
celle-ci la personnalité morale qu'en obtenant pour elle
la reconnaissance à titre d'établissement d'utilité publi-
que. Les formalités à remplir pour cela sont les mêmes
(1) Projet de décret et note du Conseil d'Etat, il mars 1891.
Legs Laffite. iTo/es rfe /umpri/rf. adm.^ 1892, p. 183. Création
d'hospice. Notedu 1^ février ^882, eod, /., p. 187.
(2) P. de décret et notes du 3 février 1887, et 5 janvier 1888, eod.
^,p. 185.
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tA CREATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVE 475
que pour la fondation établie de son vivant par le fonda-
teur lui-même. Le Conseil d'Elat exige, en règle^géné-
rale, que Tœuvre ait déjà fonctionné en fait pendant un
certain temps pour démontrer sa vitalité et son utilité, et
qu'elle justifie de ressources suffisantes ; et il lui appli-
que les statuts-types que nous avons mentionnés plus
haut.
Peut-on, des avant le décret de reconnaissance, et par
cela seul que les exécuteurs testamentaires ont déjà
commencé à faire fonctionner l'établissement, admettre
qu'il existe le germe de personnalité que nous avons
, constaté dans l'association non encore reconnue, mais
que nous aurons refusée à la fondation établie entre-
vifs ? Oui, croyons-nous, dès la mort du testateur, il y
a en effet déjà un organisme créé en vue de la gestion
des intérêts collectifs du groupe humain que le fondateur
B; voulu doter. Les éléments de la fondation existent
donc ; elle a en elle tout ce qu'il faut pour obtenir la
personnalité morale, et la reconnaissance n'est, comme
en matière d'association, qu'un élément formel, qui n'a
rien d'un acte créateur, et qui ne fait qu'achever la fon-
dation, déjà en état de devenir. Cette solution ne peut
pas faire grande difficulté, semble-t-il, si l'on admet, par
un procédé ou par un autre^ que le legs fait par le tes-
tateur lui-même à l'œuvre à fonder est valable; a
fortion considérera-t-on comme valable la libéralité
adressée par un tiers à cette œuvre après la mort du
testateur, mais avant la reconnaissance.
Notre système français aboutit évidemment à cette
conséquence pratique qu'une fondation de droit privé ne
peut être créée qu'à condition d'être dotée par le fonda-
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476 CHAPITRE IV
teur. Ainsi que nous Tavons dit (1)^ celte exigence ne
découle nullement de la théorie générale des fondations,
et en droit public la pratique ne l'admet pas; elle admet
la possibilité d'organismes aptes à posséder^ mais ne pos-
sédant pas encore. En droit privé, on pourrait admettre
la même solution ; mais à notre sens il est préférable
de l'écarter pour des motifs d'ordre pratique. Il n'est bon
de donner aux particuliers le moyen d'imposer leur vo-
lonté aux générations futures que s'ils font au moins
pour cela un sacrifice pécuniaire, et il ne semble pas
qu'il y ait utilité à leur permettre de créer la personne
morale en laissant à d'autres le soin de la doter (2).
(i) Ci-dessus n» 127.
<3) II y a lieu de classer, en dehors des règles générales qui
précèdent, parmi les fondations priTées les caisses d'épargne, La
jurisprudence en effet, avec raison suivant nous, les assimile aux
établissements d'utilité publique et non aux établissements publics
(V. ci-dessus n<» 94). Mais ce sont des fondations privées soumises
& des règles spéciales, que nous jugeons inutile d'exposer ici
en détail (V. Hanrion. Dr. adm., 5» édit., p. 96 ; Barthélémy,
Dr. adm.f 3e édit., p. 757 et s. ; Ducrocq et Barilleau, Dr. adm.,
7e édit., t VI, nos 2943 et s.). Ces règles se rapprochent des per-
sonnes morales de droit public beaucoup plus que les établisse-
ments d'utilité publique ordinaires.
FIN
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NOTE ADDITIONNELLE
(Personnalité des chemins de fer de l'Etat)
Un arrêt, du Conseil d'Etal en date du 20 janvier
1905 (dans Revue générale (T administration^ 1905, t. II,
p. 313), arrêt dont nous n'avons eu connaissance
qu'après l'impression de ce volume, déclare expressé-
ment, contrairement à Topiniçu que nous attribuons à
ce Conseil (ci-dessus, p. 362, note 1), que l'administra-
tion des chemins de fer de l'Etat est investie d'une per-
*sonnalité juridique distincte de celle de l'Etat. Il en
conclut que le ministre des Travaux publics ne peut
pas se substituer à cette administration pour poursuivre
un fournisseur, et qu'il ne peut pas non plus procéder
contre ce fournisseur par voie d'arrêté de débet, ce
mode de poursuite n'étant admis que pour les créances
du Trésor public. Cet arrêt, qui rompt avec une tradi-
tion établie depuis la création des chemins de fer de
PEtat (le système des arrêtés de débet contre les débi-
teurs de cette administration avait toujours fonctionné
en pratique sans réclamation), ne nous paraît point
justifié au point de vue théorique. Sans doute l'admi-
nistration des chemins de fer de l'Etat a en justice son
représentant propre (décret du 10 décembre 1895, art. 1,
§ 3, cbn. avec décret du 25 mai 1878, art. 4 et 6), et il
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47^ KOTS ADDITIONNELLE
n'appartient pas au ministre de se substitaer à lui. Maïs
représentation en justice et personnalité sont deux
choses très distinctes (voyez, ci-dessus, p. 277 et 278,
note i). L^administration des chemins do fer de TËtat ne
peut être autre chose que TEtat lui-même, parce que ses
gains et ses pertes sont nécessairement ceux de l'Etat. Il
en résulte qu'on doit appliquer à ses dettes et à ses créan-
ces (sauf texte contraire) toutes les règles applicables aux
dettes et créances de TËtat, par conséquent aussi bien la
règle de l'arrêté de débet que celle de la déchéance quin-
quennale. L'arrêt de 1905 aurait pour conséquence
logique le désaveu de larrêt du 13 juillet 1900.
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TABLE DES MATIÈRES
Chapitre I. — La notion de personnalité morale, p. 1.
!•. Définition de la personne morale ; p. 3. — 2. Distinction de la per-
sonne morale au sens philosophique et de la personne morale au
sens juridique. Celle-ci n*est autre chose qu'un sujet de droit ; p. 6. —
3. Caractère technique de cette étude ; p. 8. — 4. Relativité des élé-
ments techniques du droit ; p. 10. — 5. Leur importance ; p. 42. —
5 bis. Point de départ de la recherche : est-il exact que Thommeseul
soit un sujet de droit ? p. 15.
I. — 6. Exposé sommaire du système de la fiction ; p. 46-. — 7. Ses
conséquences ; p. 17. — 8. Première objection à lui opposer : il ne
résout pas le problème de la personnalité morale ; p. 18. —
9. Seconde objection: on nepeut l'appliquer au droit public ; p. 21. —
10. Nécessité d'étendre au droit public la notion de* personnalité ;
p. ?4.— 11. PjBrsonnalité del'Etat nécessaire pouren maintenir l'unité ;
p. 25. — 12. L'Etat ne peut pas être une personne morale fictive ; p. 27.
— 13. Troisième objection au système de la fiction : il méconnaît
le rôle que joue le législateur dans les rapports sociaux, et ne donne
pas aux associations licites le régime qui leur convient ; p. 28. —
14. Impuissance du législateur à empêcher l'existence de fait des
personnes morales ; p. 33. — 15. Rôle réel de l'Etat en cette matière ;
p. 34. — 15 bis. Quatrième objection au. système de la fiction ;
il fait trop abstraction des personnes physiques qui composent l'être
moral ; p. 36.
IL — 16. Systèmes qui, tout en repoussant l'idée de fiction, con-
servent le principe que l'homme seul est une personne ; p. 39. —
17. I. Théorie des droits sans sujet, Brinz ; p. 39. — 18. Bekker ;
p. 44. — 19. Objections. La notion de droit sans sujet implique contra-
diction. Elle est dangereuse ; p. 42. — 20. II. Théorie de M. Duguit ;
p. 44. — 21. Elle prétend écarter toute fiction et toute abstraction ;
impossibilité de cette tentative ; p. 46. — 22. Insuffisance delà tech-
nique proposée par M. Duguit ; p. 48. — 23. Nécessité de l'idée d'im-
perium, considéré comme droit de l'Etat ; p. 54. — 24. III.' Théorie
de M. Van den Heuvel , p. 53. — 25. Théorie de M. de Vareilles-
Sommières ; p. 57. — 26. Théories de M. Planiol et de M. Berthé-
lemy ; p. 60. — 27. Théorie d'Ihering ; p. 64. — 28. Objections.
Ces diverses théories ne peuvent expliquer l'existence des personnes
morales de droit public ; p. 62. '^ 29. Elles oublient riniérèt collec-
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4â0 TaBLB des MATlàRES
tifdu groupe qui est ditstinct de l'intérêt individuel des membres ;
p. 64. — 30. Elles n'analysent pas exactement la situation juridique
du groupe ; p. 66.
III. — 31. Théories qui admettent la réalité de la personne morale.
Position de la question ; p. 68. — 32. Les théories qui voient dans
le droit subjectif un pouvoir attribué à une volonté ne peuvent démon-
trer la réalité de la personne morale qu'en démontrant que l'être
collectif est doué de volonté ; p. é9. — 33. Essai de démonstration,
par.la théorie organique des sociétés ; p. 71. —^.34. Réfutation. 11 n'y
a pas identité entre les collectivités organisées et les organismes bio-
logiques ; p. 73. — 36. L'idée d'organisme n'entraîne pas l'idée de
volonté ; p. 74. —36. Théorie de la volonté deZitelmann ; p. 77. —
37. Réfutation; p. 80. — 38. Théorie de Rousseau. Son insuffisance ;
p. 82. — 39. Théorie de M. Hauriou. La réalité du phénomène de la
représentation ; p. 85. — 40. Part de vérité contenue dans la théo-
rie ; son insuffisance ; p. 87. — 41. Théorie de M. Boistel. Le fais-
ceau de volontés des associés; p. 90. — 42. Elle n'aboutit pas à
démontrer la personnalité du groupe ; p. 92. — 43. Système de
Jellioek. La volonté existe dans la personne morale au point de vue
de la raison pratique du juriste, non au point de vue philosophique ;
p. 93. — 44. Elle se rapprocha de la vérité en renonçant à recher-
cher, dans l'être collectif une volonté réelle, mais elle ne démontre
pas sa personnalité ; p. 98.
IV. — 45. Point de départ à adopter. Le fondement du droit n'est
pas dans la volonté ; p. 99. — 46. Démonstration par la situation
du fou et de Vinfans ; p. 100. — 47. Démonstration tirée de la nature
môme de la volonté ; ce que'.le droit protège c'esiVintérél que la volonté
représente; p. 101. — 48. La volonté élément secondaire du ^ droit
subjectif. Différence entre le droit subjectif et l'effet réflexe^ du droit
d'autrui. Définition du droit subjectif ; p. 102. — 48 bis. Objec-
tions de M. de Vareilles-Sommières : la personnalité de Vinfans ; les
animaux et les êtres inanimés ; p. 106. — 49. Objection de l'école
libérale. La définition du droit basé ^r l'intérêt compromettrait
l'existence des droits de la personne humaine ; p. 107. — 50. Réponse.
La doctrine, qui est çl 'ordre technique, est compatible avec toute
théorie de droit naturel ; p. 108. — 51. L'Etat doit protéger d'abord
les intérêts de l'individu humain, et par conséquent reconnaitre la
personnalité de l'homme ; p. 110. — 52. Il doit aussi protéger les
intérêts collectifs et permanents des groupements humains, et pour
cela reconnaître leur personnalité ; p. 112. — 53. Conditions néces-
saires pour cela. Première condition : un intérêt collectif distinct des
intérêts individuels. Groupements divers qui remplissent celte condi-
tion ; p. 113. — 54. Deuxième condition : organisation suffisante
pour dégager une volonté collective. Forn\ps diverses sous lesquel-
les se présente cette volonté ; p. 118. — 55. Caractère artificiel de la
volonté ainsi organisée ; p. 122. — 56. Rôle de l'Etat vis-à-vis des
groupements organisés. L'acte qu'il fait en reconnaissant leur person-
nalité est de même nature que celui qu'il accomplit en reconnaissant
la personnalité de l'homme ; p. 123. — 57. Il a le droit de réglemen-
ter la formation du groupement ; p. 124. — 58. Il petit y avoir dans
certains cas utilité k refuser de reconnaître la personnalité du grou-
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TABLE DES MATIERES 48l
pement régulièrement organisé. En outre TEtat est compétent pour
fixer les limites du concept de personnalité : p. 125.
V. — 69. Situation des personnes chargées de représenter la personne
morale. Théorie de la représentation de droit privé (mandat ou
représentation légale) ; p. 129. — 60. Théorie de Torgane. Il est une
partie intégrante de la personne morale, et par lui c'est en réalité
ell^ qui agit ; p. 131. — 61. Conséquences. Il a des pouvoirs supé-
rieurs à celui du représentant ordinaire ; il n*a, en tant qu*organey
aucune personnalité vis-à-vis de l'être moral ; p. 132. — 62. Objections
à cette théorie et réponses ; p. 135. — 63. Observations qui limitent la
théorie de l'organe. Le mot organe ne peut éire employé qu'à titre
de comparaison. La personne morale n'est pas tout entière dans ses
organes; p. 137. — 64. En quoi la représentation par l'organe est
plus étendue que la représentation ordinaire ; p. 141. — 64 hii. Droits
de la personne chargée du rôle d'organe vis-à-vis de la personne
morale ; p. 144.
VI. — 65. Limite du concept de personnalité. Séparation absolue, en
droit romain, entre YunivertitM et la tocietm. Application de cette
idée aux sociétés civiles et commerciales ; p. 151. — 66. Explication
des particularités offertes par ces sociétés au moyen d'idées autres
que la notion de personnalité morale ; p. 154. — 67. Origine de la
société avec propriété en main commune ; p. 156. — 68. Possibilité
d'un groupe intermédiaire QniveVuniversitai ei la toHeioa .; p. 160. —
69. Théorie de la société avec propriété en main commune ; en quoi
ce régime ressemble h^ celui de la personnalité morale ; p. 161. —
70. En quoi il en diffère ; p. 166. — 71. Il faut classer parmi les per-
sonnes morales tout groupement dans lequel l'intérêt collectif ne se
confond pas avec l'intérêt individuel des membres ; p. 170. — 72.11
en est ainsi dans tout groupement à but idéal ; p. 172. — 73. Il en
est de même dans les sociétés de gain à pe^onnel variable; p. 174.
— 74. Autre critérium tiré du fait que les membres sont person-
nellement tenus des dettes du groupe. Son insuffisance ; p. 176.
Chapitre II. — La elastifieation des personnes morales, p. 180
75. Indication des deux principales classifications (Corporations et
fondations. Personnes morales de droit public et personnes morales
de droit privé) ; p. 181.
I. — 76. Notion générale de la fondation ; p. 182. — I. 77. Distinction
de la corporation et de la 'fondation en droit privé ; son impor-
tance plus ou moins grande suivant la conception théorique qu'on
se fait de l'une et de l'autre ; notion de la fondation personnalisée ;
p. 184. -- 78. Intérêt de la distinction au point de vue législatif ;
p. 189. — 79. Son intérêt au point de vue du droit positif; p. 192.
- 80! Critérium de la distinction ; p. 194. — II. 81. En droit public
la distinction s'efface presque, et ne peut servir de base à une classi-
fication ; p. 197.
II. — 82. Origine et importance de la distinction entre personnes
morales de droit public et personnes morales de droit privé ; p. 200.
— 83. La limite entre les deux groupes se trouve entre les établis-
sements publics et les établissements d'utilité publique; p. 202. —
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482 TABLB DBS MATIERES
84. Intérêts pratiques nombreux de la distinction en droit positif
français ; p. 205. — 86. Intérêts de la distinction au point de vue
législatif ; p. 211. — 86. Divers critériums proposés pour distinguer
entre les deux groupes. Il faut chercher le critérium dans la situa-
tion d'ensemble de la personne morale, et non dans un ou deux
caractères précis ; p. 213. — 87. Discussion du critérium proposé
par M. Hauriou ; p. 219. — 88. Application du critérium. Congré-
gations religieuses; p. 221. — 89. Associations syndicales; p. 224.
— 90. Caisses de secours des ouvriers mineurs ; p. 227. — 91. Comi-
tés d'habitation à bon marché; p. 228. — 92. Monts-de-piété;
p. 229. » 93. Caisses des écoles ; p. 230. -> 94. Caisses d'épargne ;
p. 231. —95. Ordres d'avocats et corporations d'officiers ministériels.
On doit les considérer comme personnes morales de droit public.
mais sans les soumettre à toutes les règles des établissements
pubics striclo tentu ; p. 232.
III. — 96. Subdivisions des personnes morales de droit public. Dis-
tinction de l'Etat et des autres communautés territoriales ; p. 235. —
97. II ne faut pas chercher le critérium dans l'idée de souveraineté.
Indication du critérium véritable ; p. 236. —'98. Distinction des com-
munautés territoriales et des établissements publics ; p. 240.
IV. — 99. Subdivisions des personnes morales de droit privé. — I. Dis-
tinction des associations à but intéressé et des associations à but
désintéressé. Son importance au point de vue législatif ; p. 242. —
100. Distinction dans notre droit positif, des sociétés et des associa-
tions. Comment elle est comprise par la plupart des auteurs : il faut
pour qu'il y ait société» des bénéfices pécuniaires à réaliser : p. 243.
— 101. Critique du système. Il faut ranger parmi les sociétés tous
les groupements ayant pour objet Kintérét patrimonial de leurs mem-
bres ; p. 250. — 102. Situation intermédiaire des associations à but
égoïste sans intérêt patrimonial ; p. 252. — II. 103. Les associa-
tions à but religieux : p. 253. — 104. Distinction des associations et
des congrégations. Silence du législateur ; p. 254. — 105. Divers
systèmes soutenus ; p. 250. — 106. Les trois caractères essentiels
de la congrégation sont : les vœux, la règle canonique, la vie en
commun ; p. 259.
Chapitre III. ~ La création des ptrsonnet morales de droit publie,
p 262.
I. — 107. Création .de l'Etat ; p. 263. — 108. Il doit être considéré
comme une personne morale par cela même que les conditions
de fait nécessaires à son existence se trouvent réunies ; p. 265.
— 109. Lui-même, en droit interne, doit reconnaître sa propre
personnalité, ety'unité de cette personnalité ; p. 270. — 110. Sys-
tème de MM. Marqués di Braga et Lyon, décomposant la personna-
lité de l'Etat en autant de personnes distinctes qu'il y a de services
publics, ses dangers ; p. 276. -—111. Système qui voit dans les trois
pouvoirs de l'Etat des êtres moraux distincts ; ils sont seulement les
organes d'une même personne morale ; p. 281. — 112. Les organes
de l'Etat n'ont pas des droits subjectifs, mais des compétences *
p. 284. — 112 bit. Cependant les électeurs,! organes de l'Etat, ont
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TABLE DES MATIERES 483
un droit individuel à ia qualité d'organes ; p. 287. — 113. La
théorie de la personnalité de l'Etat en droit public comme en droit
privé, explique seule le droit de commander; p. 294. — 114. Elle
en donne en même temps ^es limites, et n'aboutit pas à accroître la
puissance de l'Etat ; p. 293.
II. — 115. Services publics personnalisés. L'Etat peut personnaliser un
service public en lui donnant une organisation suffisante pour le
représenter toutes les fois que ce service correspond à un groupe
d'intérêts collectifs et {permanents, distincts de ceux de l'Etat lui-
même ; p. 296. — 116. Il le fait pour les groupes territoriaux, dépar-
tements, communes, colonies, etc. ; p. 299. — 117.. La personna-
lité de ces groupes existe, non seulement en droit privé, mais aussi
en droit public ; p. 303. — 118. Mais l'Etat législateur, qui reconnaît
cette personnalité de droit public, reste maître de la modifier ou de
la supprimer ; p. 307. — 119. La personnalité de droit public pour-
rait théoriquement être séparée de la personnalité de droit privé ;
motifs pour lesquels elles sont en fait toujours réunies ; l'arrondisse-
ment et le canton ; la section de commune ; p. 310. — 120. Critique
de la théorie de la décentralisation faite par M. Duguit ; p. 314. —
121. Démonstration de l'existence do droits de puissance publique
appartenant à la commune ; p. 318.
lïl. — 122. Les établissements publics. I. Leur définition. Leur per-
sonnalité en droit public et en droit privé. Leur rattachement aux
groupes territoriaux ; p. 324. — 123. Critique des autres concep-
tions de l'établissement public. Théorie d'Otto Mayer. Théorie de
M. Berthélemy ; p. 330. — 124. II. Avantages et inconvénients de la
personnification des services publics spéciaux ; p. 334. — 125. lII.
La création d'un établissement public ne peut résulter que de la loi ;
p. 337. — 126. Formes diverses de l'intervention du législateur;
p 341. — 127. Moment à partir duquel l'établissement public est
considéré comme existant ; il n'est pas toujours nécessaire pour cela
qu'il ail un patrimoine, ni même que son organisation soit matériel-
lement réalisée; il suffît qu'elle puisse se réaliser dès qu'elle devien-
dra nécessaire ; p. 343. — 128. IV. Incertitude sur l'existence de la
personnalité morale résultant fréquemment des procédés employés
par le législateur ; p. 346. — 129. Intérêts pratiques de la question
de personnalité morale ; différences juridiques entre le service per-
sonnalisé et le service non personnalisé ; p. 350. — 130. La person-
nalité morale ne se confond pas avec l'individualité financière; p. 357.
— 131. On ne doit pas considérer comme personnes morales les ser-
vices publics qui ne correspondent pas à un groupement distinct ; ce
ne sont que des organes ; non personnalité de Torgane ; p. 360. —
132. Quand le service est susceptible d'être personnalisé, il faut,
pour savoir s'il l'est, examiner sa situation dans son ensemble. Quel-
ques exemples : cuisse des dépôts et consignations, caisse d'épargne
postale, asile d'aliénés, etc. ; p. 363. — 133. Situation à cet égard
des établissements publies du culte. Personnalité du diocèse ; p. 367.
134. V. Personnalité des Eglises et des établissements ecclésiasti-
ques ; sa nature ; p. 369.
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484 TABLE DBS MATIERES
Chapitre IV. — La création des personnes morales dedroit privé, p. 374.
135. Position de la question ; p. 375. — 136. Historique du droit
moderne. La législation de Tancien régime au xviii* siècle; ses idées
directrices ; p. 376. — 137. Point auquel elle aboutit : la personna-
lité morale n*est reconnue qu'à l'Etat et aux services publics qu'il
tient sous sa dépendance ; application et conséquences de cette idée
pendant la période révolutionnaire; p. 379. — 138. Son application
sous le Consulat et l'Empire; toutes les personnes morales reconnues
à cette date sont de véritables établissements publics ; p. 384. —
139. Origine de la théorie des établissements d'utilité publique;
p. 387 — 140. Reconnaissance, progressivement admise par notre légis-
lation, de la personnalité morale des groupements privés; p. 390. —
141. Evolution analogue dans d'autres pays; p. 392. — 142. Revue
sommaire de législation comparée sur la personnalité morale des
associations ; p. 394. — 143. Ordre à suivre dans l'étude de la légis-
lation française et place à faire à l'étude des établissements d'utilité
publique ; p. 401.
S {. Associations soumises au droit commnn. — 144. Législation anté-
rieure à 1901 ; p. 403. — 145. Système du projet de loi Waldeck-
Rousseau ; p. 406. — 146. Système qui a triomphé : petite et grande
personnalité ; p. 409. — '147. Formation de l'Association ; p. 411. —
148. Formalités à remplir la petite ou la grande personnalité ;
Y>. 412. -^ 149. Situation juridique de l'Association avant qu'elle ait
obtenu la reconnaissance. Sa vie embryonnaire ; p. 415. — 150.
Régime des biens possédés en fait par les associations dépourvues de
personnalité ; p. 420.
{ 2. Associ'itions soumises à des règles spéciales. — 151. Classifica-
tion; p. 432. — 152. Congrégations religieuses. Définition et histo-
rique ; p. 433. — 153. Situation juridique antérieure à 1901 ; p. 439.
— 154. Situation juridique d'après la loi du 1" juillet 1901 ; p. 441.
— 155. Associations privilégiées. Associations syndicales de proprié-
taires ; p 446. — 156. Syndicats professionnels; p. 448. — 157.
Sociétés de secours mutuels ; p. 453. — 158. Sociétés ou caisses
d'assurances mutuelles agricoles ; p. 456.
I 3. Sociétés. — 159. Sociétés anonymes et sociétés en commandite par
actions ; p. 457. — 160. Société d'assurances mutuelles; p. 459.
{ 4. Fondations. — 160 bis. Notions générales ; p. 460. — 161. La
fondation personne morale ne peut pas, dans notre droit, être cons-
tituée par un acte «ut generis. Conséquences de l'application du
droit commun en cette matière. Fondations par le fondateur lui-même
de son vivant ; p. 463. — 162. Fondation à cause de mort. Premier
procédé possible. Don et legs fait à personne physique non obligée
de solliciter pour l'œuvre entreprise la personnalité morale; p. 465.
— 163. Don ou legs avec charge à personne morale préexistante
non obligée de solliciter pour l'oeuvre entreprise la personnalité
morale; p. 468. — 164. Don ou legs à personne physique à charge
de solliciter la personnalité morale : p. 471 . — 165. Don ou legs à
personne morale préexistante à charge de sollicitei* la personnalité
morale ; p. 474. — 166. Reconnaissance de la fondation comme éta-
blissement d'utilité publique ; p. 474. — Note additionnelle (Person-
nalité des chemins de fer de l'Etat) ; p. 477.
Ï.AVAL. — IMPRIMERIE L'. BARNÉÔUP & Ç"
-, A 6.(5
/ ' Di(
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